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Décision n° 2021-898 QPC du 16 avril 2021 - Décision de renvoi CE

Section française de l'observatoire international des prisons [Conditions d'incarcération des détenus II]
Non conformité totale

Conseil d'État
Chambres réunies
27 Janvier 2021
Numéro de requête : 445873
Numéro ECLI : ECLI : FR : CECHR : 2021 : 445873.20210127
Inédit
Mme Cécile Vaullerin, Rapporteur
M. Olivier Fuchs, Rapporteur public
SCP SPINOSI, SUREAU, Avocat

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire distinct, enregistré le 2 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Section française de l'observatoire international des prisons (SFOIP) demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du refus d'abroger les articles D. 49-27 et D. 119 du code de procédure pénale, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles 707, 720-1, 720-1-1, 723-1, 723-7 et 729 du code de procédure pénale.

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme A... B..., auditrice,
- les conclusions de M. Olivier Fuchs, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la Section française de l'observatoire international des prisons ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 janvier 2021, présentée par le garde des sceaux, ministre de la justice ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel susvisée : « Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ». Il résulte des dispositions de cet article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article 707 du code de procédure pénale : « I.- Sur décision ou sous le contrôle des autorités judiciaires, les peines prononcées par les juridictions pénales sont, sauf circonstances insurmontables, mises à exécution de façon effective et dans les meilleurs délais. / II.- Le régime d'exécution des peines privatives et restrictives de liberté vise à préparer l'insertion ou la réinsertion de la personne condamnée afin de lui permettre d'agir en personne responsable, respectueuse des règles et des intérêts de la société et d'éviter la commission de nouvelles infractions. Ce régime est adapté au fur et à mesure de l'exécution de la peine, en fonction de l'évolution de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale de la personne condamnée, qui font l'objet d'évaluations régulières. / III.- Toute personne condamnée incarcérée en exécution d'une peine privative de liberté bénéficie, chaque fois que cela est possible, d'un retour progressif à la liberté en tenant compte des conditions matérielles de détention et du taux d'occupation de l'établissement pénitentiaire, dans le cadre d'une mesure de semi-liberté, de placement à l'extérieur, de détention à domicile sous surveillance électronique, de libération conditionnelle ou d'une libération sous contrainte, afin d'éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire. (...). » L'article 720-1 dispose : « En matière correctionnelle, lorsqu'il reste à subir par la personne condamnée une peine d'emprisonnement inférieure ou égale à deux ans, cette peine peut, pour motif d'ordre médical, familial, professionnel ou social et pendant une période n'excédant pas quatre ans, être suspendue ou exécutée par fractions, aucune de ces fractions ne pouvant être inférieure à deux jours. La décision est prise par le juge de l'application des peines dans les conditions prévues par l'article 712-6. Ce juge peut décider de soumettre le condamné à une ou plusieurs des obligations ou interdictions prévues par les articles 132-44 et 132-45 du code pénal (...) ». L'article 720-1-1, quant à lui, prévoit que : « Sauf s'il existe un risque grave de renouvellement de l'infraction, la suspension peut également être ordonnée, quelle que soit la nature de la peine ou la durée de la peine restant à subir, et pour une durée qui n'a pas à être déterminée, pour les condamnés dont il est établi qu'ils sont atteints d'une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé physique ou mentale est durablement incompatible avec le maintien en détention. » Selon l'article 723-1 : « Le juge de l'application des peines peut prévoir que la peine s'exécutera sous le régime de la semi-liberté ou du placement à l'extérieur soit en cas de condamnation à une ou plusieurs peines privatives de liberté dont la durée totale n'excède pas deux ans, soit lorsqu'il reste à subir par le condamné une ou plusieurs peines privatives de liberté dont la durée totale n'excède pas deux ans. / Le juge de l'application des peines peut également subordonner la libération conditionnelle du condamné à l'exécution, à titre probatoire, d'une mesure de semi-liberté ou de placement à l'extérieur, pour une durée n'excédant pas un an. La mesure de semi-liberté ou de placement à l'extérieur peut être exécutée un an avant la fin du temps d'épreuve prévu à l'article 729 ou un an avant la date à laquelle est possible la libération conditionnelle prévue à l'article 729-3. » Aux termes de l'article 723-7 : « Le juge de l'application des peines peut prévoir que la peine s'exécutera sous le régime de la détention à domicile sous surveillance électronique défini par l'article 123-26 du code pénal soit en cas de condamnation à une ou plusieurs peines privatives de liberté dont la durée totale n'excède pas deux ans, soit lorsqu'il reste à subir par le condamné une ou plusieurs peines privatives de liberté dont la durée totale n'excède pas deux ans. (...) ». Enfin, aux termes de l'article 729 : « La libération conditionnelle tend à la réinsertion des condamnés et à la prévention de la récidive. Les condamnés ayant à subir une ou plusieurs peines privatives de liberté peuvent bénéficier d'une libération conditionnelle s'ils manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale et lorsqu'ils justifient : 1 ° Soit de l'exercice d'une activité professionnelle, d'un stage ou d'un emploi temporaire ou de leur assiduité à un enseignement ou à une formation professionnelle ; 2 ° Soit de leur participation essentielle à la vie de leur famille ; 3 ° Soit de la nécessité de suivre un traitement médical ; 4 ° Soit de leurs efforts en vue d'indemniser leurs victimes ; 5 ° Soit de leur implication dans tout autre projet sérieux d'insertion ou de réinsertion. »

3. Ces dispositions des articles 707, 720-1, 720-1-1, 723-1, 723-7 et 729 du code de procédure pénale, qui portent sur différentes modalités d'aménagement des peines, sont applicables au litige, relatif au refus d'abroger des dispositions réglementaires régissant l'aménagement des peines. Elles n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

4. Le moyen tiré de ce que ces dispositions portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment le principe à valeur constitutionnelle de dignité de la personne humaine et le droit à un recours juridictionnel effectif, faute de prévoir la possibilité pour le juge de l'application des peines de tirer les conséquences de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine afin qu'il y soit mis fin par un aménagement de la peine, soulève une question présentant un caractère sérieux. Il y a lieu, dès lors, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

D E C I D E :

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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des articles 707, 720-1, 720-1-1, 723-1, 723-7 et 729 du code de procédure pénale est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de la Section française de l'observatoire international des prisons jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Section française de l'observatoire international des prisons et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée au Premier ministre.