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Décision n° 2020-878/879 QPC du 29 janvier 2021 - Décision de renvoi Cass. 1

M. Ion Andronie R. et autre [Prolongation de plein droit des détentions provisoires dans un contexte d'urgence sanitaire]
Non conformité totale

Cour de cassation - Chambre criminelle

N° de pourvoi : 20-83.189
ECLI : FR : CCASS : 2020 : CR02358
Non publié au bulletin
Solution : Qpc incidente - renvoi au cc

Audience publique du mardi 03 novembre 2020
Décision attaquée : Chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, du 22 mai 2020

Président
M. Soulard (président)
Avocat(s)
SCP Piwnica et Molinié
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° M 20-83.189 FS-D
N° 2358
3 NOVEMBRE 2020

CK
RENVOI
M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 3 NOVEMBRE 2020

M. J... E... R... a présenté, par deux mémoires spéciaux reçus le 13 août 2020, deux questions prioritaires de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi formé par lui contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 1re section, en date du 22 mai 2020, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'importation de stupéfiants en bande organisée, infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs, a notamment confirmé l'ordonnance de prolongation de plein droit de sa détention provisoire.

Sur le rapport de M. Seys, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. J... E... R..., et les conclusions de M. Desportes, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 13 octobre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Seys, conseiller rapporteur, M. Bonnal, Mme Ménotti, M. Maziau, Mme Labrousse, M. Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, M. Barbier, Mme de-Lamarzelle, M. Violeau, conseillers référendaires, M. Desportes, avocat général, et M. Maréville, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

1. La première question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :

« L'article 16 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 qui prévoit la prolongation de plein droit de la détention provisoire sans intervention du juge judiciaire qui ne se prononce pas sur le bien-fondé de cette prolongation, est-il contraire à la liberté individuelle, au respect des droits de la défense et au principe selon lequel toute privation de liberté doit être placée sous le contrôle du juge judiciaire et pouvoir faire l'objet d'un recours effectif devant ce juge, consacrés par les articles 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et 66 de la Constitution ? »

2. La seconde question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :

« L'article 16-1 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 résultant de l'article 1er de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions, qui prévoit la prolongation de plein droit de la détention provisoire sans débat contradictoire, sans intervention du juge judiciaire et sans nécessité pour ce dernier de s'interroger sur le bien-fondé de cette prolongation et qui n'impose cette intervention que trois mois avant le terme de la prolongation, est-il contraire au principe de non-rétroactivité de la loi, à la liberté individuelle, au respect des droits de la défense et au principe selon lequel toute privation de liberté doit être placée sous le contrôle du juge judiciaire et pouvoir faire l'objet d'un recours effectif devant ce juge, consacrés par les articles 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et 66 de la Constitution ? »

3. L'article 16 précité de l'ordonnance du 25 mars 2020, qui intervient dans une matière, la détention provisoire, relevant du domaine législatif, doit être regardé comme une disposition législative au sens de l'article 61-1 de la Constitution depuis l'expiration du délai de l'habilitation fixé au 24 juin 2020 (Cons. const., décision n° 2020-843 QPC du 28 mai 2020 ; Cons. const., décision n° 2020-851/852 QPC du 3 juillet 2020).

4. La disposition législative contestée n'est applicable à la procédure qu'en ce qu'elle prévoit une prolongation de plein droit de la détention provisoire, durant l'information judiciaire, en matière criminelle, pour une durée de six mois.

5. Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible.

6. La chambre criminelle a énoncé que l'article 16 de l'ordonnance maintient, de par le seul effet de la loi et sans décision judiciaire, des personnes en détention, au delà de la durée du terme fixé par le titre en cours, retirant ainsi à la juridiction compétente le pouvoir d'apprécier, dans tous les cas, s'il y avait lieu d'ordonner la mise en liberté de la personne détenue.

7. Elle a constaté que ce même texte conduit à différer, à l'égard de tous les détenus, l'examen systématique, par la juridiction compétente, de la nécessité du maintien en détention et du caractère raisonnable de la durée de celle-ci.

8. Elle en a déduit que l'article 16 de l'ordonnance n'est compatible avec l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme que si la juridiction qui aurait été compétente pour prolonger la détention provisoire rend, dans un délai rapproché courant à compter de la date d'expiration du titre ayant été prolongé de plein droit, une décision, prise dans le cadre d'un débat contradictoire, par laquelle elle se prononce sur le bien-fondé de la mesure (Crim., 26 mai 2020, pourvois n° 20-81.910 et n° 20-81.971).

9. La chambre criminelle, saisie précédemment d'une question prioritaire de constitutionnalité similaire à la présente, a décidé que celle-ci était, en conséquence, dépourvue de caractère sérieux (Crim., 15 septembre 2020, pourvoi n° 20-82.322).

10. Cependant, le 2 octobre 2020 (Cons. const., décision n° 2020-858/859 QPC), le Conseil constitutionnel a posé le principe que le juge saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité ne peut, pour en réfuter le caractère sérieux, se fonder sur l'interprétation de la disposition législative contestée qu'impose sa conformité aux engagements internationaux de la France, que cette interprétation soit formée simultanément à la décision qu'il rend ou l'ait été auparavant.

11. Il s'ensuit que pour apprécier le caractère sérieux de la première question prioritaire de constitutionnalité, il convient de se référer exclusivement à la lettre de l'article 16 précité, qui ne prévoit pas l'intervention du juge judiciaire pour prolonger la détention provisoire.

12. En conséquence, pour les raisons ci-dessus exposées, la première question prioritaire de constitutionnalité présente un caractère sérieux.

13. Il convient dès lors de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

14. L'article 16-1 précité n'est pas applicable à la procédure et ne constitue pas le fondement des poursuites dès lors qu'il ne concerne aucune disposition de l'arrêt attaqué et qu'une déclaration d'inconstitutionnalité, à la supposer encourue, serait dépourvue de toute incidence sur la solution du pourvoi.

15. Dès lors, il n'y a pas lieu de renvoyer la seconde question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

RENVOIE au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 16 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 ;

DIT n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 16-1 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 ;