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Décision n° 2019-832/833 QPC du 3 avril 2020 - Décision de renvoi CE 1

M. Marc S. et autre [Exclusion de certaines plus-values mobilières du bénéfice de l'abattement pour durée de détention]
Conformité

Conseil d'État

N° 423118
ECLI : FR : CECHR : 2019 : 423118.20191219
Inédit au recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Vincent Uher, rapporteur
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public

lecture du jeudi 19 décembre 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 26 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, M. A... B... demande au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation du paragraphe n° 130 des commentaires administratifs publiés le 24 juillet 2017 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-PPM-PVBMI-20-20-10, en tant qu'il énonce que l'abattement pour durée de détention prévu par l'article 150-0 D du code général des impôts ne s'applique pas aux plus-values réalisées antérieurement au 1er janvier 2013 et placées en report d'imposition en application de l'article 150-0 B ter du code général des impôts au lieu de prescrire l'application d'un abattement global déterminé en fonction de la durée de détention décomptée depuis l'acquisition des titres remis à l'échange jusqu'à la cession des titres issus de l'échange et pratiqué sur la somme de la plus-value mise en report lors de l'échange et de la plus-value de cession des titres issus de l'échange, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du III de l'article 17 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, en combinaison avec l'article 150-0 B ter du code général des impôts dans sa rédaction issue des articles 32, 33 et 34 de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016, ainsi que du 2 ter de l'article 200 A du même code dans sa rédaction issue du 5 ° du II de l'article 34 de la même loi du 29 décembre 2016.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la directive 2009/133/CE du Conseil du 19 octobre 2009 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012, notamment son article 18 ;
- la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013, notamment son article 17 ;
- la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016, notamment ses articles 32, 33 et 34 ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 18 septembre 2019 (C-662/18 et C-672/18) ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Uher, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ». Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. M. B... soutient que les dispositions du III de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, en combinaison avec l'article 150-0 B ter du code général des impôts, et celles du 2 ter de l'article 200 A du même code dans sa rédaction issue du 5 ° du II de l'article 34 de la loi du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016 méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques protégés respectivement par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en tant que les modalités d'imposition des plus-values réalisées avant le 1er janvier 2013 et placées en report d'imposition en application de cet article 150-0 B ter sont moins favorables lorsque les opérations d'échange d'actions n'entrent pas dans les prévisions de la directive « fusions » du 23 juillet 1990 que lorsqu'elles y entrent, ce dont il résulte une discrimination à rebours contraire à ces principes constitutionnels.

3. D'une part, l'article 150-0 B ter du code général des impôts, institué par la loi du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012, instaure sous certaines conditions un mécanisme de report d'imposition de plein droit des plus-values réalisées lors d'opérations d'apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés, contrôlée par l'apporteur.

4. Aux termes de l'article 200 A du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de l'article 34 de la loi du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016 : « 2. Les gains nets obtenus dans les conditions prévues à l'article 150-0 A sont pris en compte pour la détermination du revenu net global défini à l'article 158. / 2 ter. a. Les plus-values mentionnées au I de l'article 150-0 B ter sont imposables à l'impôt sur le revenu au taux égal au rapport entre les deux termes suivants : / - le numérateur, constitué par le résultat de la différence entre, d'une part, le montant de l'impôt qui aurait résulté, au titre de l'année de l'apport, de l'application de l'article 197 à la somme de l'ensemble des plus-values mentionnées au premier alinéa du présent a ainsi que des revenus imposés au titre de la même année dans les conditions de ce même article 197 et, d'autre part, le montant de l'impôt dû au titre de cette même année et établi dans les conditions dudit article 197 ; / - le dénominateur, constitué par l'ensemble des plus-values mentionnées au premier alinéa du présent a retenues au deuxième alinéa du présent a. / Pour la détermination du taux mentionné au premier alinéa du présent a, les plus-values mentionnées au même premier alinéa sont, le cas échéant, réduites du seul abattement mentionné au 1 de l'article 150-0 D. / Par dérogation, le taux applicable aux plus-values résultant d'opérations d'apport réalisées entre le 14 novembre et le 31 décembre 2012 est déterminé conformément au A du IV de l'article 10 de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013. »

5. En vertu du A du IV de l'article 10 de la loi du 29 décembre 2012 de finances pour 2013, les plus-values mentionnées au I de l'article 150-0 B ter résultant d'opérations d'apport réalisées entre le 14 novembre et le 31 décembre 2012 sont imposables au taux forfaitaire de 24 % ou, lorsque l'ensemble des conditions prévues au 2 bis de l'article 200 A dans sa rédaction résultant de cette même loi sont remplies, au taux forfaitaire de 19 % fixé par ce même 2 bis.

6. D'autre part, en vertu du III de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, les abattements pour durée de détention prévus au 1 ter et au 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts, applicables aux gains nets obtenus dans les conditions prévues à l'article 150-0 A du même code et pris en compte pour la détermination du revenu net global soumis au barème progressif de l'impôt sur le revenu en vertu du 2 de l'article 200 A, s'appliquent aux gains réalisés à compter du 1er janvier 2013.

Sur l'applicabilité au litige des dispositions contestées :

7. Les dispositions du 2 ter de l'article 200 A du code général des impôts ont pour objet de définir les règles de détermination du taux d'imposition applicable aux plus-values en report d'imposition en application de l'article 150-0 B ter. Or le litige a trait aux commentaires administratifs relatifs au champ d'application de l'abattement pour durée de détention prévu au 1 de l'article 150-0 D du code général des impôts, lequel renvoie aux 1 ter et 1 quater du même article, et applicable pour le calcul de la base d'imposition des plus-values mobilières. Par suite, les dispositions du 2 ter de l'article 200 A ne sont pas applicables au présent litige.

Sur le caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité :

8. Aux termes de l'article 8 de la directive 2009/133/CE du Conseil du 19 octobre 2009 concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, scissions partielles, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'États membres différents, ainsi qu'au transfert du siège statutaire d'une SE ou d'une SCE d'un Etat membre à un autre : « 1. L'attribution, à l'occasion d'une fusion, d'une scission ou d'un échange d'actions, de titres représentatifs du capital social de la société bénéficiaire ou acquérante à un associé de la société apporteuse ou acquise, en échange de titres représentatifs du capital social de cette dernière société, ne doit, par elle-même, entraîner aucune imposition sur le revenu, les bénéfices ou les plus-values de cet associé. / (...) 6. L'application des paragraphes 1, 2 et 3 n'empêche pas les États membres d'imposer le profit résultant de la cession ultérieure des titres reçus de la même manière que le profit qui résulte de la cession des titres existant avant l'acquisition ».

9. Par un arrêt nos C-662/18 et C-672/18 du 18 septembre 2019, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que les dispositions citées au point précédent doivent être interprétés en ce sens que, dans le cadre d'une opération d'échange de titres, elles requièrent que soit appliqué, à la plus-value afférente aux titres échangés et placée en report d'imposition ainsi qu'à celle issue de la cession des titres reçus en échange, le même traitement fiscal, au regard du taux d'imposition et de l'application d'un abattement fiscal pour tenir compte de la durée de détention des titres, que celui que se serait vu appliquer la plus-value qui aurait été réalisée lors de la cession des titres existant avant l'opération d'échange, si cette dernière n'avait pas eu lieu.

10. Il résulte de ce qui précède que les plus-values en report en application de l'article 150-0 B ter et afférentes à des opérations entrant dans le champ matériel et territorial de la directive « fusions » du 19 octobre 2009 bénéficient, en cas d'imposition au barème progressif de l'impôt sur le revenu, de l'application de l'abattement pour durée de détention prévu au 1 de l'article 150-0 D du code général des impôts, dans les conditions énoncées au point 9, alors que celles afférentes à des opérations n'entrant pas dans ce même champ, notamment celles qui ne mettent en cause que des personnes établies en France, ne bénéficient pas de cet abattement si elles ont été réalisées avant le 1er janvier 2013 et n'en bénéficient qu'à concurrence de la durée de détention des titres remis à l'échange si elles ont été réalisées postérieurement.

11. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions du III de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, en combinaison avec celles de l'article 150-0 B ter, qui sont applicables au litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment au principe d'égalité devant la loi soulève une question présentant un caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions du III de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, en combinaison avec celles de l'article 150-0 B ter du code général des impôts dans sa rédaction issue des articles 32, 33 et 34 de la loi du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016, est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution du 2 ter de l'article 200 A du code général des impôts.
Article 3 : Il est sursis à statuer sur la requête de M. B... jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée au Premier ministre.