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Décision n° 2019-792 QPC du 21 juin 2019 - Décision de renvoi CE

Clinique Saint Cœur et autres [Dépassement d'honoraires dans le cadre de l'activité libérale des praticiens des établissements publics de santé]
Conformité

Conseil d'État
N° 427173
ECLI : FR : CECHR : 2019 : 427173.20190412
Inédit au recueil Lebon
1ère et 4ème chambres réunies
M. Thibaut Félix, rapporteur
M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats

lecture du vendredi 12 avril 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

D'une part, la société par actions simplifiée Clinique du Saint-Coeur et la Fédération de l'hospitalisation privée, à l'appui de la demande de cette société tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 15 novembre 2017 par laquelle le directeur général de l'agence régionale de santé du Centre-Val de Loire a rejeté sa demande d'habilitation au service public hospitalier, ont produit un mémoire, enregistré le 25 avril 2018 au greffe du tribunal administratif d'Orléans, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elles soulèvent une question prioritaire de constitutionnalité.

D'autre part, la société par actions simplifiée Clinique des grainetières et la Fédération de l'hospitalisation privée, à l'appui de la demande de cette société tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 15 novembre 2017 par laquelle le directeur général de l'agence régionale de santé du Centre-Val de Loire a rejeté sa demande d'habilitation au service public hospitalier, ont produit un mémoire, enregistré le 25 avril 2018 au greffe du tribunal administratif d'Orléans, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elles soulèvent la même question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n°s 1800176, 1800177 du 15 janvier 2019, enregistrée le 16 janvier 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le vice-président du tribunal administratif d'Orléans, avant qu'il soit statué sur les demandes des sociétés Clinique du Saint-Coeur et Clinique des grainetières, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'État la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du dernier alinéa du II de l'article L. 6154-2 du code de la santé publique.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2017-1487 du 23 octobre 2017 ;
- l'ordonnance n° 2017-31 du 12 janvier 2017 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Thibaut Félix, auditeur,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société Clinique du Saint-Coeur ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes du I de l'article L. 6112-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé : « Les établissements de santé assurant le service public hospitalier et les professionnels de santé qui exercent en leur sein garantissent à toute personne qui recourt à leurs services : (...) 4 ° L'absence de facturation de dépassements des tarifs fixés par l'autorité administrative et des tarifs des honoraires prévus au 1 ° du I de l'article L. 162-14-1 du code de la sécurité sociale (...) ». Aux termes de l'article L. 6112-3 du même code : « Le service public hospitalier est assuré par : (...) 4 ° Les autres établissements de santé privés habilités, après avis favorable conforme de la conférence médicale d'établissement, à assurer le service public hospitalier. / Les établissements de santé privés mentionnés aux 3 ° et 4 ° sont habilités, sur leur demande, par le directeur général de l'agence régionale de santé s'ils s'engagent, dans le cadre de leurs négociations contractuelles mentionnées à l'article L. 6114-1, à exercer l'ensemble de leur activité dans les conditions énoncées à l'article L. 6112-2 (...) ».

3. Le II de l'article L. 6154-2 du code de la santé publique détermine certaines des conditions dans lesquelles les praticiens statutaires exerçant à temps plein dans les établissements publics de santé peuvent être autorisés à exercer une activité libérale. Il prévoit ainsi que : « L'activité libérale peut comprendre des consultations, des actes et des soins en hospitalisation ; elle est organisée de manière à garantir l'information des patients et la neutralité de leur orientation entre activité libérale et activité publique ; elle s'exerce exclusivement au sein des établissements dans lesquels les praticiens ont été nommés ou, dans le cas d'une activité partagée, dans l'établissement où ils exercent la majorité de leur activité publique, à la triple condition : / 1 ° Que les praticiens exercent personnellement et à titre principal une activité de même nature dans le secteur hospitalier public ; / 2 ° Que la durée de l'activité libérale n'excède pas 20 % de la durée de service hospitalier hebdomadaire à laquelle sont astreints les praticiens ; / 3 ° Que le nombre de consultations et d'actes effectués au titre de l'activité libérale soit inférieur au nombre de consultations et d'actes effectués au titre de l'activité publique. / Aucun lit ni aucune installation médico-technique ne doit être réservé à l'exercice de l'activité libérale. / Des dispositions réglementaires fixent les modalités d'exercice de l'activité libérale ». L'ordonnance du 12 janvier 2017 de mise en cohérence des textes au regard des dispositions de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, ratifiée par la loi du 23 octobre 2017, a complété le dernier alinéa de ce II, en ouvrant au pouvoir réglementaire la possibilité de déroger, pour les seuls praticiens statutaires des établissements publics de santé, aux dispositions du 4 ° du I de l'article L. 6112-2 sur les dépassements de tarifs et de tarifs d'honoraires.

4. Le dernier alinéa du II de l'article L. 6154-2 du code de la santé publique, tel que complété par l'ordonnance du 12 janvier 2017 ratifiée, est applicable au litige dont est saisi le tribunal administratif d'Orléans au sens et pour l'application de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. Cette disposition n'a pas été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce qu'elle porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment au principe d'égalité entre praticiens des établissements publics de santé et des établissements privés de santé habilités à assurer le service public hospitalier, soulève une question présentant un caractère sérieux.

5. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.

D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution du dernier alinéa du II de l'article L. 6154-2 du code de la santé publique est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Clinique du Saint-Coeur, à la société Clinique des grainetières, à la Fédération de l'hospitalisation privée et à la ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au tribunal administratif d'Orléans.