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Décision n° 2019-791 QPC du 21 juin 2019 - Décision de renvoi CE

Section française de l'Observatoire international des prisons [Autorisation de sortie sous escorte d'une personne détenue]
Non conformité partielle

Conseil d'État
N° 427252
ECLI : FR : CEORD : 2019 : 427252.20190405
Inédit au recueil Lebon
Mme Anne Iljic, rapporteur public
SCP SPINOSI, SUREAU, avocats

lecture du vendredi 5 avril 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par un mémoire, enregistré le 22 janvier 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la Section française de l'Observatoire international des prisons demande au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande d'abrogation de l'article D. 147 du code de procédure pénale, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles 148-5, 712-5, 712-11, 712-12 et 723-6 du code de procédure pénale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Réda Wadjinny-Green, auditeur,

- les conclusions de Mme Anne Iljic, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la Section française de l'Observatoire international des prisons ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ». Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. A l'appui du recours pour excès de pouvoir formé contre la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande d'abrogation de l'article D. 147 du code de procédure pénale, aux termes duquel : « A titre exceptionnel, l'autorisation de sortie sous escorte prévue par les articles 148-5 et 723-6 peut être accordée pour un temps déterminé à toute personne détenue (...) », la Section française de l'Observatoire international des prisons demande au Conseil d'État de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles 148-5, 712-5, 712-11, 712-12 et 723-6 du code de procédure pénale.

En ce qui concerne les articles 148-5, 712-5 et 723-6 du code de procédure pénale :

3. Aux termes de l'article 148-5 du code de procédure pénale : « En toute matière et en tout état de la procédure d'instruction, la juridiction d'instruction ou de jugement peut, à titre exceptionnel, accorder une autorisation de sortie sous escorte à la personne mise en examen, au prévenu ou à l'accusé ». Aux termes de l'article 723-6 du même code : « Tout condamné peut, dans les conditions de l'article 712-5, obtenir, à titre exceptionnel, une autorisation de sortie sous escorte ». Aux termes de l'article 712-5 de ce code : « Sauf en cas d'urgence, les ordonnances concernant les réductions de peine, les autorisations de sorties sous escortes et les permissions de sortir sont prises après avis de la commission de l'application des peines. / Cette commission est réputée avoir rendu son avis si celui-ci n'est pas intervenu dans le délai d'un mois à compter du jour de sa saisine. (...) ».

4. Les dispositions de l'article 712-5 du code de procédure pénale, qui sont applicables au litige engagé devant le Conseil d'Etat, n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel. Par ailleurs, si les dispositions des articles 148-5 et 723-6 du code de procédure pénale, également applicables au litige, sont issues de la loi du 22 novembre 1978 modifiant certaines dispositions du code de procédure pénale, déclarée conforme à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 78-98 DC du 22 novembre 1978, ces dispositions n'ont alors pas été spécialement examinées par le Conseil constitutionnel dans les motifs de sa décision. Elles ne peuvent, par suite, être regardées comme ayant été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

5. D'une part, aucune disposition législative applicable à la date de la décision attaquée ne prévoyait l'organisation de voies de recours contre les décisions prises sur le fondement de l'article 148-5 du code de procédure pénale, régissant les autorisations de sortie sous escorte applicables aux détenus mis en examen, prévenus ou accusés.

6. D'autre part, aucune disposition législative ne prévoyait non plus de recours en cas de silence gardé par l'autorité saisie d'une demande d'autorisation de sortie sous escorte, que ce soit pour les détenus mis en examen, prévenus ou accusés visés par l'article 148-5 du code de procédure pénale, ou pour les personnes condamnées visées par l'article 723-6 du code de procédure pénale. Dans ces conditions, le grief tiré de ce que les dispositions législatives mises en cause ne détermineraient pas les garanties légales de l'exercice du droit à un recours effectif protégé par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 soulève une question présentant un caractère sérieux.

7. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause les articles 148-5, 712-5 et 723-6 du code de procédure pénale.

En ce qui concerne les articles 712-11 et 712-12 du code de procédure pénale :

8. L'article 712-11 du code de procédure pénale dispose que : « Les décisions du juge de l'application des peines et du tribunal de l'application des peines peuvent être attaquées par la voie de l'appel par le condamné, par le procureur de la République et par le procureur général, à compter de leur notification : / 1 ° Dans le délai de vingt-quatre heures s'agissant des ordonnances mentionnées aux articles 712-5 (...) ». Aux termes de l'article 712-12 du même code : « L'appel des ordonnances mentionnées au 1 ° de l'article 712-11 est porté devant le président de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel, qui statue par ordonnance motivée au vu des observations écrites du ministère public et de celles du condamné ou de son avocat ».

9. Le requérant soutient que ces dispositions sont entachées d'incompétence négative et portent atteinte au droit à un recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et au droit de mener une vie familiale normale protégé par le 10ème alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, dès lors qu'elles ne fixent pas de délai au président de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel pour statuer sur les recours formés contre les ordonnances mentionnées à l'article 712-5 du code de procédure pénale, lorsqu'elles se prononcent sur des demandes d'autorisation de sortie sous escorte formulées par des détenus condamnés.

10. Il résulte toutefois de la jurisprudence constante de la Cour de cassation qu'il appartient au juge saisi sur le fondement des dispositions mises en cause de statuer dans les plus brefs délais, en tenant compte de l'urgence qui s'attache à chaque situation. Dans ces conditions, alors même que les dispositions critiquées n'impartissent pas au président de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de statuer dans un délai déterminé, la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a donc pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des articles 148-5, 712-5 et 723-6 du code de procédure pénale est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Section française de l'Observatoire international des prisons relative aux articles 712-11 et 712-12 du code de procédure pénale.
Article 3 : Il est sursis à statuer sur la requête de Section française de l'Observatoire international des prisons jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité qui lui est renvoyée.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Section française de l'Observatoire international des prisons et à la garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée au Premier ministre.