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Décision n° 2019-785 QPC du 24 mai 2019 - Décision de renvoi CE

M. Mario S. [Point de départ du délai de prescription de l'action publique en matière criminelle]
Conformité

Conseil d'État

N° 424993
ECLI : FR : CECHR : 2019 : 424993.20190228
Inédit au recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
Mme Sophie-Caroline de Margerie, rapporteur
Mme Sophie Roussel, rapporteur public
SCP ROUSSEAU, TAPIE ; SCP ZRIBI, TEXIER, avocats

Lecture du jeudi 28 février 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :
Par un mémoire, enregistré le 12 décembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...A...demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 21 août 2018 accordant son extradition aux autorités argentines, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 7 et du 5 ° de l'article 696-4 du code de procédure pénale.

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Sophie Roussel, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de M.A..., et à la SCP Zribi, Texier, avocat de l'Ambassade de la République argentine ;

Considérant ce qui suit :
1. La République d'Argentine doit être regardée, en l'état du dossier, comme justifiant, en sa qualité de bénéficiaire du décret du 21 août 2018 autorisant l'extradition de M. B... A..., d'un intérêt suffisant au maintien de ce décret dont M. B...A...demande l'annulation pour excès de pouvoir. Par suite et dès lors que la République d'Argentine est intervenue dans le cadre de l'action principale, son intervention ultérieure au soutien du mémoire de la garde des sceaux, ministre de la justice, tendant au rejet que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B... A...à l'appui de sa requête, doit être admise pour l'examen de cette question prioritaire de constitutionnalité.
2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ». Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
3. Par un décret du 21 août 2018, le Premier ministre a accordé aux autorités argentines l'extradition de M. A...pour des faits qualifiés en droit argentin d'imposition de tortures, privation illégale de liberté aggravée et de crimes contre l'humanité commis au préjudice de Hernan Abriata. Ce décret a notamment pour motif que les faits en cause ne sont pas couverts par la prescription de l'action publique au regard des dispositions de l'article 696-4 du code de procédure pénale.
4. Aux termes de l'article 696-4 du code de procédure pénale : « L'extradition n'est pas accordée : (...) 5 ° Lorsque, d'après la loi de l'Etat requérant ou la loi française, la prescription de l'action s'est trouvée acquise antérieurement à la demande d'extradition, ou la prescription de la peine antérieurement à l'arrestation de la personne réclamée et d'une façon générale toutes les fois que l'action publique de l'Etat requérant est éteinte ». En vertu de l'article 7 du code de procédure pénale, tel qu'applicable en l'espèce, l'action publique se prescrivait, en matière de crime, par dix années révolues à compter du jour où le crime a été commis. S'agissant d'infractions continues, ces dispositions sont interprétées, en vertu d'une jurisprudence constante, en ce sens que la prescription de telles infractions ne court qu'à partir du jour où elles ont pris fin dans leurs actes constitutifs et dans leurs effets.
5. A l'appui du recours pour excès de pouvoir qu'il a formé contre le décret accordant son extradition aux autorités argentines, M. A...demande que soit renvoyée au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 5 ° de l'article 696-4 du code de procédure pénale et de l'article 7 du même code, telles qu'elles sont interprétées par la jurisprudence.
6. Les dispositions législatives ainsi mises en cause, au vu desquelles le décret d'extradition a été pris, sont applicables au litige et n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
7. Eu égard à la portée respective des articles 7 et 696-4 du code de procédure pénale, les moyens soulevés à l'appui de la question prioritaire de constitutionnalité ne sont opérants qu'à l'encontre de l'article 7 du code de procédure pénale. A cet égard, le requérant se prévaut notamment de ce qu'existerait un principe fondamental reconnu par les lois de la République imposant au législateur de prévoir un délai de prescription de l'action publique pour les infractions dont la nature n'est pas d'être imprescriptible, notamment pour les infractions continues. Ce moyen soulève une question qui peut être regardée comme nouvelle au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. C'est pourquoi il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée s'agissant de l'article 7 du code de procédure pénale.

D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de la République d'Argentine est admise.
Article 2 : La question de la conformité à la Constitution de l'article 7 du code de procédure pénale est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution du 5 ° de l'article 696-4 du code de procédure pénale.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B...A...et à la garde des sceaux, ministre de la justice et à l'Ambassade de la République argentine à Paris.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.