Décision n° 2018-739 QPC du 12 octobre 2018 - Décision de renvoi CE
Conseil d'État
N° 419874
ECLI : FR : CECHR : 2018 : 419874.20180711
Inédit au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Paul-François Schira, rapporteur
Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public
lecture du mercredi 11 juillet 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La SARL Dom Com Invest, à l'appui de sa requête tendant à la décharge de l'amende qui lui a été infligée en application de l'article 1740 A du code général des impôts, a produit deux mémoires, enregistrés les 29 janvier et 15 mars 2018 au greffe du tribunal administratif de Versailles, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-167 du 7 novembre 1958, par lesquels elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.
Par une ordonnance n° 1708333 du 16 avril 2018, enregistrée le 17 avril 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la cinquième chambre du tribunal administratif de Versailles, avant qu'il soit statué sur la requête de la SARL Dom Com Invest, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 1740 A du code général des impôts.
Dans la question prioritaire de constitutionnalité transmise et dans un mémoire enregistré le 30 mai 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SARL Dom Com Invest soutient que l'article 1740 A du code général des impôts, applicable au litige, méconnaît les principes de nécessité, proportionnalité et individualisation des peines garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Par un mémoire, enregistré le 22 mai 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, et en particulier que la question ne présente pas de caractère sérieux.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Paul-François Schira, auditeur,
- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. L'article 1740 A du code général des impôts dispose que : « La délivrance irrégulière de documents, tels que certificats, reçus, états, factures ou attestations, permettant à un contribuable d'obtenir une déduction du revenu ou du bénéfice imposables, un crédit d'impôt ou une réduction d'impôt, entraîne l'application d'une amende égale à 25 % des sommes indûment mentionnées sur ces documents ou, à défaut d'une telle mention, d'une amende égale au montant de la déduction, du crédit ou de la réduction d'impôt indûment obtenu. / L'amende prévue au premier alinéa s'applique également en cas de délivrance irrégulière de l'attestation mentionnée à la seconde phrase du 2 ° du g du 1 de l'article 200 et à la seconde phrase du 2 ° du g du 1 de l'article 238 bis ».
3. La société requérante soutient que l'article 1740 A du code général des impôts est contraire à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Selon elle, cette disposition porte atteinte aux principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines en ce qu'elle sanctionne toute irrégularité commise par un contribuable dans la délivrance à un tiers de documents permettant à ce dernier d'obtenir un avantage fiscal, par une amende dont le taux n'est pas susceptible d'être modulé et qui est égale à 25 % des sommes indûment mentionnées sur ces documents ou, à défaut, au montant de l'avantage indûment obtenu par le tiers, sans que cette sanction ne nécessite l'établissement du caractère intentionnel des faits reprochés.
4. L'article 1740 A du code général des impôts est applicable au litige et n'a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce qu'il porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment aux principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines, soulève une question présentant un caractère sérieux. Par suite, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel cette question prioritaire de constitutionnalité.
D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution de l'article 1740 A du code général des impôts est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SARL Dom Com Invest et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au tribunal administratif de Versailles.