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Décision n° 2017-760 DC du 18 janvier 2018 - Observations du Gouvernement

Loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022
Conformité

Le Conseil constitutionnel a été saisi de deux recours, émanant respectivement de plus de soixante députés et de plus de soixante sénateurs, contre la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 et plus précisément contre son article 29, relatif à la contribution des collectivités territoriales à l'effort de réduction du déficit public et de maîtrise de la dépense publique.

Ces recours appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

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I/ 1 °/ Au titre de la procédure, les députés et les sénateurs requérants font grief aux dispositions litigieuses d'être issues d'un amendement n° 31 présenté par le Gouvernement en séance publique à l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, après que la commission mixte paritaire eut constaté qu'elle ne parvenait pas à l'adoption d'un texte commun, et soutiennent qu'elles sont sans relation directe avec aucune de celles restant alors en discussion ; auraient ainsi été méconnus les articles 44 et 45 de la Constitution.

Le Gouvernement ne partage pas cette analyse.

Bien sûr, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il ressort de l'économie de l'article 45 de la Constitution que sont seuls susceptibles d'être adoptés après la réunion de la commission mixte paritaire les amendements qui soit sont en relation directe avec une disposition restant en discussion, soit sont dictés par la nécessité de respecter la Constitution, d'assurer une coordination avec d'autres textes en cours d'examen au Parlement ou de corriger une erreur matérielle (décision n° 98-403 DC du 29 juillet 1998, cons. 50 à 52 ; décision n° 2005-532 DC du 19 janvier 2006, cons. 24 à 27 ; décision n° 2014-690 DC du 13 mars 2014, cons. 36 à 38). Mais tel était bien le cas en l'espèce.

D'une part en effet, le régime de contractualisation financière entre l'État et les collectivités territoriales est issu de la modification de dispositions figurant aux paragraphes IV et V de l'article 10, devenu article 13, tel qu'adopté en première lecture par le Sénat. Enrichies par rapport au projet de loi initial, ces dispositions comportaient déjà le recours à l'instrument contractuel pour la détermination d'objectifs d'évolution des dépenses de fonctionnement, la modulation de ces objectifs en fonction de la catégorie d'appartenance de ces collectivités et de leurs caractéristiques propres, tant démographiques que sociales et financières, et la définition de mécanismes de mise en œuvre tant correctifs qu'incitatifs, avec des mesures de correction portant sur les ressources fiscales affectées aux collectivités territoriales ou, à l'inverse, de bonification, selon que les objectifs seraient ou non remplis.

En outre, l'article 24 devenu 29 du texte adopté en première lecture par l'Assemblée nationale, supprimé par le Sénat mais restant donc en discussion pour la réunion de la commission mixte paritaire et les lectures ultérieures, comportait des règles prudentielles contraignantes imposant aux collectivités territoriales de respecter un plafond national de référence en matière de ratio d'endettement, défini comme le rapport entre l'encours de la dette et la capacité d'autofinancement brute ; la fixation de l'objectif était assortie d'un mécanisme d'ajustement permettant ultimement au représentant de l'État de régler le budget et de le rendre exécutoire dans l'hypothèse où la chambre régionale des comptes aurait constaté que la collectivité ne prenait pas de mesures suffisantes pour assurer le respect du plafond de référence. Ce dispositif a évolué après l'échec de la commission mixte paritaire pour devenir, au I du même article, l'un des éléments du régime de contractualisation.

Il apparaît ainsi que les dispositions de l'article 29 de la loi déférée sont en relation directe avec celles des articles 10 et 24 adoptés en première lecture par le Sénat et l'Assemblée nationale respectivement, et que par rapport à ces états du texte, l'amendement adopté en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale a apporté des enrichissements ayant notamment pour objet d'assurer la conformité à la Constitution du dispositif. Concernant en particulier l'encadrement des dépenses réelles de fonctionnement, il s'est notamment agi d'éviter un renvoi trop large au pouvoir réglementaire pour en définir les modalités d'application, en précisant par exemple davantage, au niveau de la loi, les critères de modulation des objectifs et le montant de la reprise financière susceptible d'être décidée ; l'amendement a aussi eu pour objet de replacer ces dispositions, qui ont un caractère normatif, dans la seconde partie de la loi, conformément aux exigences de l'article 4 de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, selon lequel les règles relatives à la gestion des finances publiques que peut comporter la loi de programmation, pour peu qu'elles ne relèvent pas du domaine exclusif des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale (décision n° 2012-658 DC du 13 décembre 2012, cons. 15 à 17), doivent être présentées de manière distincte des orientations pluriannuelles.

C'est par ailleurs vainement que les députés et les sénateurs requérants se prévalent de la décision n° 2015-723 DC du 17 décembre 2015 (cons. 51 à 54), dont il résulte que sont réputées n'être pas en relation directe, au sens de la jurisprudence sur l'entonnoir, des dispositions prévoyant la remise par le Gouvernement d'un rapport au Parlement d'une part et des dispositions de droit substantiel d'autre part (voir également la décision n° 2013-684 DC du 29 décembre 2013, cons. 23, 38 et 39). Les articles votés en l'espèce en première lecture par l'Assemblée nationale et le Sénat respectivement présentaient un caractère normatif et, à supposer même qu'en certains de leurs aspects ils aient revêtu une nature programmatique, la fixation, même incomplète, d'orientations, qui plus est assortie de la définition des instruments de leur mise en œuvre, n'est nullement assimilable à la simple prévision du dépôt d'un rapport.

Le grief sera donc écarté.

2 °/ Il est également soutenu par les auteurs des deux saisines que les conditions d'examen de cet amendement, et plus spécialement la brièveté des délais, traduisent une méconnaissance des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire qui découlent de l'article 6 de la Déclaration de 1789 et de l'article 3 de la Constitution (décisions n° 2005-512 DC du 21 avril 2005, cons. 4 et n° 2005-526 DC du 13 octobre 2005, cons. 5). Il sera cependant observé que l'amendement a été déposé la veille de son examen en séance publique, que plus de trente sous-amendements ont été examinés par la commission des finances au titre de la procédure de l'article 88 du règlement de l'Assemblée nationale et que la procédure n'a d'ailleurs donné lieu à aucune protestation.

II/ Sur le fond, les députés requérants voient dans les dispositions de l'article 29 de la loi déférée une atteinte aux principes constitutionnels de la libre administration des collectivités territoriales et de leur autonomie financière. Mais ce grief est dépourvu de fondement.

Il sera d'abord rappelé qu'ainsi que l'énonce le troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution, c'est « dans les conditions prévues par la loi » que ces collectivités s'administrent librement, et que le législateur peut, sur ce fondement, assujettir les collectivités territoriales ou leurs groupements à des obligations, ou les soumettre à des interdictions, à la condition, notamment, que les unes et les autres répondent à des fins d'intérêt général (voir notamment la décision n° 2012-660 DC du 17 janvier 2013, cons. 15, 16, 28 et 29). C'est, de même, dans les conditions fixées par la loi qu'elles peuvent, selon les termes de l'article 72-2, disposer librement des ressources dont elles bénéficient. Or en l'espèce, les dispositions de l'article 29 de la loi déférée sont justifiées par un objectif d'intérêt général au regard duquel la limitation apportée à la libre administration des collectivités territoriales, qui est circonscrite et précisément encadrée, ne revêt pas un caractère disproportionné.

Ainsi, d'une part, le dispositif d'encadrement contractuel ou, subsidiairement, non contractuel de l'emploi des ressources des collectivités territoriales prévu à l'article 29 poursuit-il le but, consacré à l'avant-dernier alinéa de l'article 34 de la Constitution comme étant l'objectif des orientations pluriannuelles des finances publiques définies par les lois de programmation, de retour à l'équilibre des comptes des administrations publiques. Cet objectif, rappelé à l'article 1er de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, est en outre au cœur des engagements européens de la France, tels qu'ils résultent notamment des stipulations de l'article 3 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire signé à Bruxelles le 2 mars 2012, dont la prise d'effet exige l'adoption de dispositions concernant l'ensemble des administrations publiques (décision n° 2012-653 DC du 9 août 2012, cons. 23). Le I de l'article 29 de la loi déférée prévoit expressément que les contrats en cause ont pour objet de consolider la capacité d'autofinancement des collectivités territoriales et d'organiser leur contribution à la réduction des dépenses publiques et du déficit public. Ils répondent ainsi à un objectif consacré par la Constitution et concourent au respect des engagements internationaux que la France est tenue, en application du principe « pacta sunt servanda », d'appliquer de bonne foi (décision n° 2012-653 DC, cons. 18).

D'autre part, les règles de gestion définies à cette fin n'emportent, pour les collectivités concernées, que des atteintes limitées et précisément encadrées à la libre disposition de leurs ressources. Six séries d'éléments doivent être pris en considération à cet égard.

En premier lieu, le champ de la mesure est doublement limité. D'abord, seules les dépenses réelles de fonctionnement seront concernées par le mécanisme correctif de reprise financière, les dépenses d'investissement n'étant qu'indirectement visées à travers la trajectoire d'amélioration de la capacité de désendettement, dont le suivi ne pourra pas donner lieu à sanction. Ensuite, les communes et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dont les dépenses réelles de fonctionnement sont inférieures à 60 millions d'euros n'engageront une démarche contractuelle que sur leur demande, sans être soumises au dispositif subsidiaire d'encadrement unilatéral.

En deuxième lieu, les objectifs d'évolution des dépenses réelles de fonctionnement sont fixés de manière à la fois proportionnée et individualisée.

Le taux de croissance de 1,2 % fixé au niveau national au III de l'article 13 de la loi déférée pour les années 2018 à 2022 et servant de base au calcul de l'objectif qui a vocation à être imparti à chaque collectivité en application de l'article 29 est ainsi proportionné, tant à l'effort parallèlement demandé aux autres administrations publiques qu'à l'évolution observée ces dernières années, la progression des dépenses réelles de fonctionnement des collectivités territoriales ayant atteint 1,2 % en moyenne annuelle entre 2014 et 2017.

Les objectifs sont en outre individualisés. Il ressort du IV et du VI de l'article 29 que, tant pour les collectivités faisant le choix de s'engager dans la démarche contractuelle que pour les autres, le taux national de référence sera modulé à la baisse ou à la hausse en fonction de trois critères, dans la limite de 0,15 point chacun, tirés respectivement de l'évolution de la population, du niveau relatif du revenu moyen par habitant et de l'évolution des dépenses réelles de fonctionnement observée entre 2014 et 2016, pour le calcul desquels les données de référence pourront être précisées, en tant que de besoin, par décret en Conseil d'État. Il est en outre spécifiquement prévu au I que, pour les départements et la métropole de Lyon, l'évolution de ces dépenses est appréciée en limitant l'effet du dynamisme de celles liées aux allocations individuelles de solidarité (revenu de solidarité active, allocation personnalisée d'autonomie et prestation de compensation du handicap). S'agissant enfin de la trajectoire d'amélioration de la capacité de désendettement, dont en tout état de cause la méconnaissance ne donne pas lieu à reprise financière, le même I précise que le plafond national de référence est différencié en fonction de la catégorie d'appartenance de la collectivité.

En troisième lieu et en vertu du V et du VI, respectivement, de l'article 29 de la loi déférée, le montant de la reprise financière susceptible de sanctionner la méconnaissance des objectifs fixés par voie contractuelle ou non contractuelle aux collectivités territoriales ne peut, dans aucun cas, excéder 2 % des recettes réelles de fonctionnement du budget principal de l'année considérée, et est par ailleurs limité, pour celles qui ont signé le contrat triennal prévu aux I et II, à 75 % du dépassement constaté. Il est expressément prévu en outre que le niveau des dépenses réelles de fonctionnement considéré pour l'application de ces dispositions prend en compte les éléments susceptibles d'affecter leur comparaison sur plusieurs exercices, notamment les changements de périmètre. Enfin il sera observé que si la reprise financière s'impute sur les avances reçues par douzièmes au titre des recettes de fiscalité directe locale, la mise en œuvre de ce mécanisme est, en toute hypothèse, insusceptible, eu égard à ce plafonnement, de porter la part des ressources propres en-dessous des ratios d'autonomie financière fixés, pour chaque catégorie de collectivités territoriales, par l'article L.O. 1114-3 du code général des collectivités territoriales (CGCT) en application de l'article 72-2 de la Constitution.

En quatrième lieu et selon les mêmes dispositions, la décision du représentant de l'État de soumettre une collectivité territoriale à une reprise financière est, dans tous les cas, entourée de garanties de procédure, la collectivité disposant d'un mois pour lui adresser ses observations sur la mesure envisagée et la décision prise en réponse à d'éventuelles observations devant alors faire l'objet d'une motivation explicite.

En cinquième lieu, le mécanisme institué comporte des garanties d'adaptabilité permettant la prise en compte des événements imprévus à la date de fixation des objectifs d'évolution des dépenses réelles de fonctionnement. Le II de l'article 29 de la loi déférée prévoit ainsi que le contrat triennal peut donner lieu à un avenant modificatif sur demande de l'une des parties et les V et VI disposent que la survenance d'événements exceptionnels affectant significativement le résultat est pris en considération, tant pour les collectivités ayant signé un contrat que pour les autres.

En sixième lieu enfin, l'ensemble des décisions susceptibles d'être prises par le représentant de l'État au titre de l'article 29 le seront sous le contrôle du juge administratif, auquel, en cas de recours, il appartiendra, selon les procédures de droit commun et les cas échéant en référé, de s'assurer notamment que les objectifs d'évolution des dépenses ont été fixés en prenant suffisamment en compte les caractéristiques propres à chaque collectivité ou que les événements survenus depuis la fixation des objectifs ont été pris en considération.

À la lumière de ces éléments, les griefs tirés des atteintes que porteraient les dispositions contestées à la libre administration des collectivités territoriales et à leur autonomie financière ne sauraient prospérer.

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Pour ces raisons, le Gouvernement est d'avis qu'aucun des griefs articulés par les auteurs des deux saisines n'est de nature à conduire à la censure des dispositions de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022. Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter les recours dont il est saisi.