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Décision n° 2017-755 DC du 29 novembre 2017 - Observations du Gouvernement

Loi de finances rectificative pour 2017
Conformité

Le Conseil constitutionnel a été saisi des recours de plus de soixante sénateurs et de plus de soixante députés dirigés contre la première loi de finances rectificative pour 2017.

Ces recours appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

***

I/ Au titre de la procédure parlementaire, les députés requérants font valoir que la brièveté des délais d'examen de la loi déférée, à ses différents stades, a porté atteinte au droit d'amendement garanti par l'article 44 de la Constitution, ainsi qu'aux exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire qui découlent de l'article 6 de la Déclaration de 1789 et de l'article 3 de la Constitution (décisions n° 2005-512 DC
du 21 avril 2005, cons. 4 et n° 2005-526 DC du 13 octobre 2005, cons. 5).

Pour des raisons qui tiennent au respect des engagements de la France en matière de finances publiques, l'adoption de la loi déférée était soumise à des contraintes de calendrier qui ont justifié son examen dans les brefs délais permis par le dernier alinéa de l'article 42 de la Constitution qui prévoit que les délais de six et quatre semaines prévus au troisième alinéa du même article ne s'appliquent pas aux projets de loi de finances. Le texte, qui comptait seulement six articles dont deux articles ratifiant des décrets, trois articles de chiffres (l'article liminaire et les articles 3 et 4), et un seul article à caractère normatif (l'article 1er), a été examiné en commission en première lecture à l'Assemblée nationale le lendemain de son dépôt, ce qui n'a pas fait obstacle à l'examen d'une quinzaine d'amendements, puis de près de cinquante autres en séance publique trois jours plus tard. Les délais ont été analogues au Sénat. Eu égard à la brièveté du texte, aucune règle ni aucun principe n'ont ainsi été méconnus.

II/ Il est soutenu par les sénateurs requérants que le Haut Conseil des finances publiques n'aurait pas été valablement saisi du projet de loi de finances rectificative faute que lui aient été transmis l'ensemble des éléments lui permettant d'apprécier la cohérence du projet, et notamment de son article liminaire, au regard des orientations pluriannuelles de solde structurel définies dans la loi de programmation des finances publiques ; auraient ainsi été méconnues tant les exigences de l'article 15 de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques que, corrélativement, les règles relatives à la consultation du Conseil d'État sur les projets de loi en application de l'article 39 de la Constitution, telles qu'explicitées notamment par la décision n° 2012-658 DC du 13 décembre 2012 (cons. 51 à 55).
Les députés auteurs de la seconde saisine soutiennent quant à eux que le contenu même de la loi en est affecté, et que le texte manquerait ainsi au respect du principe de sincérité de la présentation des ressources et des charges de l'État garanti par les articles 27 et 32 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).

Le Gouvernement ne partage pas ces analyses.

Il sera observé, en premier lieu, que le Haut Conseil des finances publiques, saisi le 26 octobre du projet de loi de finances rectificative, a rendu son avis le 30 octobre, veille de son examen par le Conseil d'État.

Ainsi que l'indique le rapport présentant les évolutions de la situation économique et budgétaire joint au projet de loi de finances rectificative en application de l'article 53 de la LOLF, les informations sur la conjoncture publiées depuis le dépôt du projet de loi de finances pour 2018 et du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 n'ont fait que conforter les hypothèses macroéconomiques alors retenues, en particulier la prévision de croissance du PIB de 1,7 % pour l'année 2017. Ainsi que cela a été indiqué au Haut Conseil des finances publiques, il n'y avait donc pas matière à une nouvelle actualisation, sous ce rapport, des données faisant l'objet de l'article liminaire, étant observé d'ailleurs que ces hypothèses ont également été reprises à l'identique pour l'élaboration du second projet de loi de finances rectificative pour 2017.

Quant à l'évolution, par rapport à la loi de finances initiale pour 2017, des évaluations relatives au montant des recettes et des dépenses budgétaires de l'État, la loi déférée et son article liminaire tiennent compte, comme cela a été précisé au Haut Conseil des finances publiques, de deux séries d'éléments. Les premiers procèdent de l'actualisation déjà opérée au stade du projet de loi de finances pour 2018 au regard notamment de l'audit des finances publiques réalisé en juin 2017 par la Cour des comptes. Les seconds se rattachent aux conséquences de la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-660 QPC du 6 octobre 2017 jugeant contraires à la Constitution les dispositions de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts instituant une contribution de 3 % sur les montants distribués et aux dispositions de l'article 1er du projet créant, dans ce contexte, une contribution exceptionnelle et une contribution additionnelle sur l'impôt sur les sociétés.

Pour les raisons déjà indiquées, l'adoption de la loi déférée était soumise à des contraintes de calendrier qui ne permettaient pas, en revanche, de procéder à l'ensemble des autres réactualisations, qui font l'objet du projet de loi de finances rectificative de fin d'année déposé deux semaines plus tard. Seul ce dernier offre un cadre cohérent pour les appréhender de manière globale, à la lumière notamment du schéma de fin de gestion qui était encore en cours d'élaboration. Compte tenu, d'une part, de ce que les ajustements en cause sont, comme le confirme ce second projet de loi de finances rectificative, de nature technique et d'ampleur limitée et, d'autre part, de ce que les choix de méthode qui ont présidé à l'élaboration de la loi déférée ont été présentés en toute transparence au Haut Conseil des finances publiques puis aux membres du Parlement, il n'y a eu aucune intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre déterminé par la loi de finances, selon le critère de la sincérité fixé par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2001-448 DC du 1er août 2001 (cons. 60), ni aucune atteinte aux prérogatives du Haut Conseil des finances publiques ou aux dispositions de l'article 39 de la Constitution.

Ces deux premiers griefs seront par suite écartés.
III/ Les députés requérants font en outre spécifiquement valoir, pour caractériser un manquement à l'exigence de sincérité, qu'aucune explication détaillée n'aurait été fournie sur les modalités de révision de l'évaluation des coûts résultant, pour le budget de l'État, de la censure par le Conseil constitutionnel de la taxe sur les dividendes.

L'estimation de 5,7 milliards d'euros fournie dans le rapport annexé au projet de loi de programmation des finances publiques au titre de ce contentieux reposait sur l'hypothèse, cohérente avec la position alors défendue par le Gouvernement devant le Conseil constitutionnel, que ce dernier limiterait la portée de sa décision aux seules redistributions de bénéfices en provenance d'une filiale non couverte par l'arrêt rendu le 17 mai 2017 par la Cour de justice de l'Union européenne (aff. C-365/16). La censure prononcée le 6 octobre 2017 est allée au-delà, visant les impositions établies non seulement sur les redistributions de dividendes provenant d'une filiale, que celle-ci soit établie en France ou dans un État tiers, mais aussi sur les distributions de bénéfices d'exploitation. Il en a résulté, compte tenu en outre du réajustement corrélatif de l'anticipation du nombre de réclamations futures et du montant des intérêts moratoires induits, une réévaluation du coût complet à 10 milliards d'euros.

Quant à la répartition de cette charge totale entre l'année 2017 et les suivantes, elle est tributaire des délais de traitement des réclamations par l'administration fiscale ; ces délais ont été revus à la baisse en raison de la simplification de gestion résultant de la censure totale de l'article 235 ter ZCA. Aussi l'estimation des décaissements anticipés au titre de ce contentieux est-elle désormais concentrée sur deux ans, à hauteur d'environ 5 milliards d'euros en 2017 et 5 milliards d'euros en 2018.

L'état B annexé à la première loi de finances rectificative pour 2017 majore ainsi, par rapport à la loi de finances initiale, les remboursements et dégrèvements d'impôts d'État de 3,9 milliards d'euros. Ceci résulte, ainsi que le précise la documentation annexée à la loi déférée, de la contraction entre la majoration de 5 milliards d'euros au titre des remboursements en 2017 relatifs au contentieux de la taxe sur les dividendes, et une minoration de 1,1 milliard d'euros résultant de l'ajustement général des prévisions de recettes de l'État, conformément aux évaluations révisées pour 2017 présentées en marge du projet de loi de finances pour 2018.

L'état A annexé à la loi déférée majore la ligne 1301 « Impôt sur les sociétés » de 4 milliards d'euros. Ce montant résulte de la contraction entre une majoration de
4,7 milliards d'euros au titre du rendement, en 2017, des deux contributions exceptionnelle et additionnelle instituées par le texte, incluant l'impact de l'amendement de lissage adopté en première lecture à l'Assemblée nationale (cf. infra IV, 2 °), et une minoration de 0,7 milliards d'euros au titre des moins-values attendues sur le rendement 2017 de l'impôt sur les sociétés, conformément aux évaluations révisées pour 2017 présentées en marge du projet de loi de finances pour 2018.

IV/ S'agissant des contributions exceptionnelle et additionnelle sur l'impôt sur les sociétés instituées par le I et le II, respectivement, de l'article 1er de la loi déférée, est d'abord critiqué par les deux recours, au regard du principe d'égalité devant la loi fiscale consacré par l'article 6 de la Déclaration de 1789 et de l'égalité devant les charges publiques garantie par son article 13, le choix de n'y assujettir que les redevables de l'impôt sur les sociétés qui réalisent un chiffre d'affaires supérieur à 1 milliard d'euros pour la première, et 3 milliards d'euros pour la seconde. À la lumière de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ces griefs n'apparaissent cependant pas fondés.

1 °/ Il sera ainsi observé qu'à deux reprises, le Conseil constitutionnel a jugé conformes à la Constitution des dispositions qui, de façon analogue, définissaient le champ des redevables de contributions assises indirectement sur les bénéfices des entreprises par référence à un critère de chiffre d'affaires (voir respectivement la décision n° 99-422 DC du 21 décembre 1999, cons. 11 à 16 concernant la contribution sociale de l'article 235 ter ZC du code général des impôts et la décision n° 2014-456 QPC du 6 mars 2015 concernant la contribution exceptionnelle de l'article 235 ter ZAA).

La logique de telles dispositions est de n'assujettir à l'impôt que les grandes ou très grandes entreprises, dont le législateur estime, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, qu'elles sont mieux à même de faire face à une surcharge d'imposition sur les bénéfices, notamment lorsque celle-ci est temporaire ; l'adéquation du montant de l'imposition par rapport aux facultés contributives des redevables est ensuite assurée par la définition de l'assiette de la contribution, liée aux bénéfices. Le critère du chiffre d'affaires, qui est objectif et rationnel, caractérise ainsi une différence de situation entre les différents redevables de l'IS, de nature à justifier une différence de traitement qui est en rapport avec l'objet de la loi, qui poursuit un objectif de rendement.

Il est à noter en outre que le Conseil constitutionnel a estimé conformes à la Constitution des régimes qui font intervenir plus directement encore le chiffre d'affaires dans le calcul de l'impôt, le législateur ayant été jugé, s'agissant des modalités de calcul de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, n'avoir commis aucune erreur manifeste d'appréciation en retenant le chiffre d'affaires comme critère de la capacité contributive (décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009, cons. 39).

Contrairement, par ailleurs, à ce qui est soutenu par les sénateurs requérants, le critère du chiffre d'affaires est le mieux adapté, eu égard à l'objet de la loi, pour caractériser la taille des entreprises. Si le critère des effectifs intervient à titre cumulatif dans d'autres réglementations, par exemple pour les besoins de l'analyse statistique et économique en application de l'article 51 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, il ne s'ensuit nullement qu'il doive nécessairement être pris en compte dans le champ fiscal, le chiffre d'affaires apparaissant comme un agrégat économique synthétique et pertinent au regard de la finalité poursuivie en l'espèce.

Les deux recours contestent également les modalités d'application de ce critère au cas des groupes placés sous le régime de l'intégration fiscale des articles 223 A et 223 A bis. En vertu des règles fixées au III, 2 de l'article 1er de la loi déférée, le chiffre d'affaires s'entend, pour la société mère d'un groupe fiscalement intégré, de la somme des chiffres d'affaires de chacune des sociétés membres de ce groupe, sans neutralisation du chiffre d'affaires intra-groupe ; selon les auteurs des saisines, ce chiffre d'affaires interne, dont le montant dépend de l'organisation du groupe, serait sans rapport avec la taille de celui-ci, pris dans son ensemble, par rapport à ses clients externes, de sorte qu'une inégalité contraire à la Constitution serait instituée entre groupes fiscalement intégrés.

Mais cette argumentation est identique à celle qui, à propos de la contribution de l'article 235 ter ZAA, a été expressément écartée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2014-456 QPC déjà mentionnée. Il y relevait que le législateur avait entendu tenir compte de ce que la société mère est seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû par l'ensemble des sociétés du groupe et que, ne disposant pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, il ne lui appartenait pas de rechercher si les objectifs que s'était assignés le législateur auraient pu être atteints par d'autres voies, pour autant que les modalités retenues ne fussent pas manifestement inappropriées à l'objectif visé ; or il estimait qu'en retenant comme seuil d'assujettissement la somme des chiffres d'affaires de chacune des sociétés membres du groupe fiscalement intégré, le législateur s'était fondé sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l'objectif poursuivi. Ce raisonnement ne peut qu'être transposé aux dispositions critiquées, la décision n° 2016-571 QPC du 30 septembre 2016 invoquée dans les saisines n'éclairant nullement, en revanche, la question posée puisqu'elle traitait de différences de traitement, pour l'application d'une règle d'exonération de l'ancienne taxe sur les dividendes, entre les groupes relevant de l'intégration fiscale et les autres.

Les deux saisines mettent encore en avant, s'agissant spécifiquement des groupes mutualistes, la circonstance qu'en vertu de la législation qui leur propre, les organes centraux peuvent se constituer seuls redevables de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par eux-mêmes et les sociétés ou établissements inclus dans son périmètre, sans que les organes dirigeants de ces derniers, à moins qu'il s'agisse de filiales, aient à en délibérer. Mais l'absence de consentement à l'intégration fiscale demeure sans incidence sur la possibilité laissée au législateur de retenir, pour les groupes fiscalement intégrés, le chiffre d'affaires cumulé des différentes entités du groupe.

Le principe d'égalité devant la loi fiscale n'est ainsi nullement méconnu par les dispositions contestées.

2 °/ Les dispositions contestées ne s'exposent pas davantage, aux yeux du Gouvernement, aux trois critiques qui leur sont faites sur le terrain de l'égalité devant les charges publiques.

Les députés requérants dénoncent d'abord les effets de seuil qui s'attachent au critère du chiffre d'affaires et se prévalent à cet égard de la décision n° 2015-498 QPC du 20 novembre 2015 (cons. 7) par laquelle a été déclarée contraire à la Constitution, sur ce fondement, l'institution, dans le cadre des régimes de retraite à prestations définies, d'une contribution à la charge de l'employeur s'appliquant au taux de 45 % à l'intégralité du montant des rentes excédant huit fois le plafond annuel de la sécurité sociale (dites « retraites-chapeau »).

Mais, outre que le Conseil constitutionnel n'exerce en la matière qu'un contrôle restreint, ne sanctionnant que des effets de seuil manifestement disproportionnés (pour une réitération récente voir la décision n° 2017-638 QPC du 16 juin 2017, paragraphe 7, à propos des conditions requises pour bénéficier d'un sursis d'imposition ; plus anciennement et en substance, décision n° 2002-442 DC du 28 décembre 2000, à propos de la suppression d'un abattement sur certains revenus de capitaux mobiliers), il sera observé qu'en tout état de cause, le critère du chiffre d'affaires ne détermine en l'espèce que la qualité de redevable, le montant de l'imposition étant ensuite fonction, sans effet de seuil, de la cotisation d'impôt sur les sociétés, c'est-à-dire du bénéfice.
Au surplus et contrairement au précédent de 2015, le législateur a pris le soin de ménager, au troisième alinéa du I de l'article 1er pour la contribution exceptionnelle et au troisième alinéa de son II pour la contribution additionnelle, un mécanisme d'atténuation en vertu duquel, au voisinage du seuil de chiffre d'affaires, le taux de la contribution est multiplié par le rapport entre, au numérateur, la différence entre le chiffre d'affaires du redevable et le seuil pertinent (1 milliard d'euros ou 3 milliards d'euros, selon le cas) et, au dénominateur, 100 millions d'euros.

Il n'apparaît pas, en deuxième lieu, que la concentration sur un nombre restreint de redevables de la charge résultant de l'institution des contributions exceptionnelle et additionnelle sur l'impôt sur les sociétés puisse être regardée comme constitutive, par elle-même, d'une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ; le Conseil constitutionnel a même admis qu'une imposition puisse peser sur un contribuable unique (décision n° 98-405 DC du 29 décembre 1998, cons. 54 à 56). Il n'en irait autrement que si, au surplus, le taux d'imposition des bénéfices, compte tenu de l'ensemble des impositions qui les prennent pour assiette, atteignait pour tout ou partie de ces redevables, du fait des contributions nouvellement instituées, un niveau confiscatoire. Tel n'est assurément pas le cas en l'espèce, le taux cumulé atteignant tout au plus, et pour un seul exercice, 44,37 %. Contrairement à ce que soutiennent les députés requérants, il n'y a pas lieu de prendre en compte, dans cette analyse, les prélèvements supportés, au titre des impositions sur les revenus ou la fortune, par les bénéficiaires des bénéfices distribués.

Enfin la circonstance que certains redevables des contributions exceptionnelle et additionnelle instituées par la loi déférée ne bénéficient pas, ou peu, des dégrèvements à venir au titre de la censure de la contribution de 3 % de l'article 235 ter ZCA, ne peut qu'être tenue pour inopérante. En l'absence de tout lien autre que budgétaire entre l'institution des contributions nouvelles et la suppression de la taxe sur les dividendes, la prise en compte des droits à remboursement au titre de cette dernière taxe pour le calcul des montants dus au titre des nouvelles contributions n'aurait certainement pas constitué un critère objectif et rationnel d'assujettissement et aurait pu être regardée comme méconnaissant l'autorité de la décision du Conseil constitutionnel.

V/ Il est ensuite soutenu dans les deux saisines que l'institution de ces contributions porte atteinte à la garantie des droits de l'article 16 de la Déclaration de 1789.

1 °/ Est en premier lieu visé le fait que ces nouveaux prélèvements, qui vont grever la trésorerie des entreprises redevables, procèdent d'une volonté exprimée pour la première fois par le Gouvernement le 30 octobre et vont, pour la majorité d'entre elles, donner lieu, dès le 20 décembre, à un versement à hauteur de 95 % du montant dû.

Le Gouvernement observe, cependant, que s'il est vrai que, selon une jurisprudence issue de la décision n° 2013-682 DC du 19 décembre 2013 (cons. 13 à 20), la garantie de l'article 16 s'étend non seulement à la protection des situations légalement acquises, mais aussi à celle des effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations, il ne s'ensuit en aucun cas que ce qu'il est convenu d'appeler la « petite rétroactivité » fiscale (voir notamment la décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, cons. 106 à 108) soit remis en cause. En l'espèce les dispositions critiquées entreront en vigueur, sous réserve de leur validation par le Conseil constitutionnel, plusieurs semaines avant le fait générateur des contributions qu'elles instituent, qui selon le I et le II de l'article 1er de la loi déférée ne s'appliqueront qu'aux exercices clos à compter du 31 décembre 2017 et jusqu'au 30 décembre 2018.
Quant à la charte relative à la nouvelle gouvernance fiscale rendue publique par le ministre des finances et des comptes publics le 1er décembre 2014, elle est dépourvue de valeur constitutionnelle. Enfin les modalités de paiement définies au 5 du III de ce même article, selon lequel les contributions exceptionnelle et additionnelle sont payées spontanément au comptable public compétent au plus tard à la date prévue pour le paiement du dernier acompte d'impôt sur les sociétés de l'exercice ou de la période d'imposition, avec versement au plus tard le 20 décembre 2017 pour les redevables clôturant leur exercice au plus tard le 19 février 2018, ne comportent aucun élément de rétroactivité.

2 °/ Les députés et sénateurs requérants contestent en second lieu que, pour la détermination de l'assiette des contributions exceptionnelle et additionnelle, soit pris en compte l'impôt sur les sociétés dû avant imputation des réductions et crédits d'impôt et créances fiscales de toute nature. Mais, d'une part, aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle ne fait obstacle à ce que la loi fixe l'assiette d'un impôt par référence à un autre impôt (décision déjà mentionnée du 21 décembre 1999, cons. 13). D'autre part, rien ne fait pour autant obstacle à ce que, ce faisant, elle retienne des règles spécifiques, de sorte que l'assiette du nouvel impôt diffère de la cotisation due au titre de l'autre impôt. Il ne résulte pas de l'article 16 de la Déclaration de 1789 et de la protection des effets légitimement attendus des situations légalement acquises que les avantages fiscaux afférents aux dépenses ouvrant droit à des réductions ou crédits d'impôt au titre d'un impôt déterminé devraient nécessairement s'étendre à d'autres impositions, quels que soient les liens qui existent entre la première et les secondes.

VI/ Les sénateurs requérants voient, enfin, dans l'article 1er de la loi déférée une atteinte à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789 et qui impose au législateur d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi (décision n° 2005-512 DC du 21 avril 2005, cons. 9). Est critiquée, à cet égard, l'absence de définition précise de la notion de chiffre d'affaires qui détermine le champ d'application de l'impôt.

La notion, toutefois, figure identiquement et dans une fonction analogue dans des dispositions fiscales déclarées conformes à la Constitution (voir en particulier, pour la contribution sociale de l'article 235 ter ZC, la décision du 21 décembre 1999 déjà mentionnée). Loin d'être équivoque, elle s'entend en outre, selon l'acception usuelle en droit fiscal (voir par exemple CE, 24 juin 2015, n° 368443, Société AIG-FP Capital Preservation Corp., pour l'application des dispositions de l'article 1647 E du code général des impôts relatif à la taxe professionnelle) comme en droit comptable (article 512-2 du plan comptable général), du montant hors taxes des recettes réalisées par le redevable dans le cadre de son activité professionnelle normale et courante.

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Pour ces raisons, le Gouvernement est d'avis qu'aucun des griefs articulés par les auteurs des saisines n'est de nature à conduire à la censure des dispositions de la première loi de finances rectificative pour 2017. Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter les recours dont il est saisi.