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Décision n° 2017-649 QPC du 4 août 2017 - Décision de renvoi CE

Société civile des producteurs phonographiques et autre [Extension de la licence légale aux services de radio par internet]
Conformité

Conseil d'État

N° 408785
ECLI : FR : CECHR : 2017 : 408785.20170517
Inédit au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
Mme Isabelle Lemesle, rapporteur
M. Edouard Crépey, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats

lecture du mercredi 17 mai 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 mars et 20 avril 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la Société civile des producteurs phonographiques et la Société civile des producteurs de phonogrammes en France demandent au Conseil d'Etat, à l'appui de leur requête tendant à l'annulation de l'arrêté du 13 février 2017 du ministre de la culture et de la communication portant composition de la commission prévue à l'article L. 214-4 du code de la propriété intellectuelle, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du 3 ° de l'article L. 214-1 du code de la propriété intellectuelle.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 2, 6, 17 et 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de la propriété intellectuelle ;
- la loi n°2016-925 du 7 juillet 2016 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société civile des producteurs phonographiques et de la société civile des producteurs de phonogrammes en France ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ». Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article L. 214-1 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version issue de l'article 13 de la loi n°2016-925 du 7 juillet 2016 : « Lorsqu'un phonogramme a été publié à des fins de commerce, l'artiste-interprète et le producteur ne peuvent s'opposer :/ (...) 2 ° A sa radiodiffusion et à sa câblo-distribution simultanée et intégrale, ainsi qu'à sa reproduction strictement réservée à ces fins, effectuée par ou pour le compte d'entreprises de communication audiovisuelle en vue de sonoriser leurs programmes propres diffusés sur leur antenne ainsi que sur celles des entreprises de communication audiovisuelle qui acquittent la rémunération équitable./ 3 ° A sa communication au public par un service de radio, au sens de l'article 2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, à l'exclusion des services de radio dont le programme principal est dédié majoritairement à un artiste-interprète, à un même auteur, à un même compositeur ou est issu d'un même phonogramme./ Dans tous les autres cas, il incombe aux services de communication au public en ligne de se conformer au droit exclusif des titulaires de droits voisins dans les conditions prévues aux articles L. 212-3, L. 213-1 et L. 213-2. Il en va ainsi des services ayant mis en place des fonctionnalités permettant à un utilisateur d'influencer le contenu du programme ou la séquence de sa communication ».

3. En application des articles L. 213-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, les artistes-interprètes et producteurs de phonogrammes bénéficient du droit exclusif d'autoriser ou d'interdire la reproduction, la mise à disposition du public et la communication au public de leurs phonogrammes. Par exception, l'article L. 214-1 du même code instaure un régime de licence légale qui, prévoit que lorsqu'un phonogramme a été publié à des fins de commerce, l'artiste-interprète et le producteur ne peuvent s'opposer à sa diffusion notamment par un service de radiodiffusion. La loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, qui a introduit un 3 ° à l'article L. 214-1 du code de la propriété intellectuelle, a élargi ce régime de la licence légale au service de radio sur internet non interactif. En contrepartie, ces utilisations ouvrent droit aux artistes-interprètes et aux producteurs à une rémunération équitable, versée par les personnes qui utilisent les phonogrammes publiés à des fins de commerce, assise sur les recettes de l'exploitation ou, à défaut, évaluée forfaitairement et répartie par moitié entre eux.

4. Les dispositions du 3 ° de l'article L. 214-1 du code de la propriété intellectuelle sont applicables au litige, dès lors qu'elles fondent, dans le cadre du régime de la licence légale, en matière de fixation de la rémunération des artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes en cas de diffusion de musique par un service de radio sur internet non interactif, la compétence de la commission prévue à l'article L. 214-4 du code de la propriété intellectuelle, dont la composition de la formation spécialisée dans les services de radios sur internet a été fixée par un arrêté du ministre de la culture et de la communication du 13 février 2017 dont les sociétés civiles de producteurs phonographiques et des producteurs de phonogrammes en France demandent l'annulation. Ces dispositions n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce que ces dispositions qui étendent l'application du régime de la licence légale à la diffusion de phonogrammes sur les services de radio sur internet non interactifs affectent, en particulier, le droit de propriété garanti notamment par l'articles 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et portent atteinte à la liberté d'entreprendre, en privant, dans cette mesure, les producteurs de phonogrammes du bénéfice du régime du droit exclusif, c'est-à-dire de la faculté de s'opposer à la diffusion de leurs phonogrammes et de tirer de leur diffusion une rémunération définie par voie contractuelle, soulève une question qui présente un caractère sérieux. Par suite, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.

D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution du 3 ° de l'article L. 214-1 du code de la propriété intellectuelle est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de la société civile des producteurs phonographiques et de la société civile des producteurs de phonogrammes en France jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société civile des producteurs phonographiques, à la société civile des producteurs de phonogrammes en France et à la ministre de la culture et de la communication.
Copie en sera adressée au Premier ministre.