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Décision n° 2016-745 DC du 26 janvier 2017 - Saisine par 60 députés

Loi relative à l'égalité et à la citoyenneté
Non conformité partielle

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
En application du second alinéa de l'article 61 de la Constitution, les députés soussignés ont l'honneur de vous déférer l'ensemble de la loi relative à l'égalité et la citoyenneté, telle qu'elle a été adoptée par le Parlement le 22 décembre 2016.
Ils estiment que la loi déférée porte atteinte à plusieurs principes et libertés constitutionnels.
A l'appui de cette saisine, sont développés les griefs suivants.

***

SUR LA LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT ET LA LIBERTÉ D'ASSOCIATION
L'article 39 habilite le Gouvernement à modifier par ordonnance les dispositions législatives du code de l'éducation relatives aux conditions d'ouverture des établissements privés d'enseignement.
L'habilitation vise en particulier le remplacement des régimes de déclaration d'ouverture en vigueur par un régime d'autorisation préalable. Elle précise également les motifs pour lesquels les autorités compétentes peuvent refuser d'autoriser l'ouverture de l'établissement ainsi que les dispositions régissant l'exercice des fonctions de direction et d'enseignement de ces établissements.
Les députés requérants estiment que la suppression des régimes de déclaration d'ouverture en vigueur par un régime d'autorisation porte une atteinte disproportionnée à la liberté d'enseignement, qui est indissociable de la liberté d'association.
La liberté d'enseignement « constitue l'un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, réaffirmés par le Préambule de la Constitution de 1946 et auxquels la Constitution de 1958 a conféré une valeur constitutionnelle » (1). Le treizième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 dispose, en effet, que « la Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat »(2).
La liberté d'enseignement est également protégée par les articles 26 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948, 13 du Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966, 2 du protocole n°1 à la Convention Européenne des Droits de l'Homme de 1952. La Cour Européenne des Droits de l'Homme a eu plusieurs fois l'occasion de confirmer la valeur de ce principe(3).
Selon la jurisprudence de votre Conseil, la reconnaissance du caractère propre des établissements d'enseignements privés « n'est que la mise en oeuvre du principe de la liberté d'enseignement » : l'affirmation selon laquelle l'organisation de l'enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat « ne saurait exclure l'existence de l'enseignement privé »(4). Ainsi, cette phrase du Préambule n'institue pas un monopole de l'enseignement au profit de l'Etat, la liberté d'enseignement devant s'entendre au sens d'une garantie de la pluralité de l'enseignement et du droit de créer des établissements d'enseignement(5).
Aux yeux des députés requérants, la liberté d'enseignement semble atteinte, dès lors que le droit de fonder un établissement privé n'est plus garanti. Or, cette garantie du droit de fondement d'un établissement privé, lequel peut être créé par des personnes physiques ou des associations, passe précisément par le régime de déclaration préalable qui caractérise le principe de la liberté d'association. Selon la jurisprudence de votre Conseil, en vertu de ce principe, « les associations se constituent librement et peuvent être rendues publiques sous la seule réserve du dépôt d'une déclaration préalable d'association ; (…) ainsi, à l'exception des mesures susceptibles d'être prises à l'égard de catégories particulières d'associations, la constitution d'associations, alors même qu'elles paraîtraient entachées de nullité ou auraient un objet illicite, ne peut être soumise pour sa validité à l'intervention préalable de l'autorité administrative ou même de l'autorité judiciaire »(6).
Cette jurisprudence n'a pas manqué d'être soulevée lors des débats notamment par le Député Les Républicains Jean-Frédéric POISSON : « (…) Passer d'un régime de déclaration simple à un régime d'autorisation préalable constitue évidemment un rabotage des libertés fondamentales. J'en veux pour preuve (…) deux décisions très célèbres du Conseil constitutionnel. La première, qui date de 1977, consacre la liberté d'enseignement et de choix de son établissement comme une liberté garantie par la Constitution. La seconde est encore plus intéressante : c'est la célèbre décision du 16 juillet 1971 sur la liberté de création d'une association. Le président Poher avait saisi le Conseil constitutionnel d'une modification de la loi de 1901 qui entendait justement soumettre à autorisation préalable la constitution d'associations loi de 1901. Dans une décision très courte, le Conseil constitutionnel a décidé que soumettre à l'obligation d'une autorisation préalable l'exercice de cette liberté fondamentale que constitue la création d'une association serait contraire à la Constitution de la République française. »(7) .
En l'espèce, le remplacement d'une déclaration à l'administration par une demande de permission remet en cause l'exercice des deux libertés fondamentales que sont la liberté d'association et plus généralement, la liberté d'enseignement. En effet, en matière d'ouverture d'un établissement privé, le régime déclaratif, qu'il soit utilisé par une association ou une personne physique, est le seul susceptible de respecter les libertés garanties par la Constitution.
En outre, si elle a acquis son autonomie comme composante de la liberté d'enseignement, la liberté de créer un établissement d'enseignement scolaire procède également de la liberté de conscience, les parents disposant du droit d'assurer l'éducation et l'enseignement conformément à leurs convictions (8) que l'article 39 vient remettre en cause.

SUR LA LIBRE ADMINISTRATION DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
Si le législateur peut, sur le fondement des dispositions des articles 34 et 72 de la Constitution, assujettir les collectivités territoriales ou leurs groupements à des obligations et à des charges, c'est à la condition que celles-ci répondent à des exigences constitutionnelles ou concourent à des fins d'intérêt général, qu'elles ne méconnaissent pas la compétence propre des collectivités concernées, qu'elles n'entravent pas leur libre administration et qu'elles soient définies de façon suffisamment précise quant à leur objet et à leur portée(9).
Le principe de la libre administration des collectivités territoriales doit en conséquence être compris comme « un principe de protection à l'égard des empiétements de l'État »(10).
La jurisprudence de votre Conseil rappelle que « dans son premier alinéa, l'article 72 de la Constitution consacre l'existence des catégories de collectivités territoriales que sont les communes, les départements et les territoires d'outre-mer, tout en réservant à la loi la possibilité de créer de nouvelles catégories de collectivités territoriales ; que le deuxième alinéa du même article implique que pour s'administrer librement, toute collectivité territoriale doit disposer d'une assemblée délibérante élue dotée d'attributions effectives »(11).
Ses « attributions effectives » supposent donc que les collectivités territoriales puissent exercer pleinement et librement leurs compétences. Ainsi, le législateur ne saurait adopter des mesures qui réduisent les attributions effectives des organes délibérants des collectivités territoriales et qui méconnaissent leurs compétences.
Le principe de la libre administration des collectivités territoriales suppose en outre que les collectivités territoriales puissent disposer librement de leurs ressources, comme le prévoit l'article 72-2 de la Constitution. Ainsi, le législateur ne saurait restreindre la libre disposition des ressources des collectivités territoriales au point d'entraver leur libre administration : « les règles posées par la loi sur le fondement [des articles 34 et 72] ne sauraient avoir pour effet de diminuer les ressources globales des collectivités territoriales ou de réduire la part des recettes fiscales dans ces ressources au point d'entraver leur libre administration »(12).
Or, en l'espèce plusieurs articles augmentent les contraintes pesant sur les communes et, en conséquence, restreignent les possibilités d'exercice de leurs missions, au-delà de ce que permettait le Conseil constitutionnel dans sa décision n°2000-436 DC du 7 décembre 2000 « Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains ». Ces articles reviennent à vider de sa substance les compétences des collectivités territoriales et donc leur autonomie. Ils conduisent par ailleurs à une aggravation des charges publiques qui excède ce que les communes pourront supporter. Ce faisant, ces articles constituent alors une atteinte à la libre administration des collectivités territoriales.
L'article 70 réforme la politique d'attribution des logements sociaux, notamment en instaurant une obligation d'attribuer un nombre minimum de logements à des ménages aux revenus très modestes en dehors des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV).
Ainsi, sur le territoire des EPCI tenus de se doter d'un PLH ou, ayant la compétence en matière d'habitat et au moins un QPV, ainsi que de la commune de Paris et des établissements publics territoriaux de la métropole du Grand Paris, 25 % des attributions annuelles de logements situés en dehors des QPV, devront être consacrées à des demandeurs appartenant au quartile des demandeurs aux ressources les plus faibles ou à des personnes relogées dans le cadre du renouvellement urbain. Les mêmes obligations sont prévues pour les collectivités territoriales s'agissant de leur contingent de logements sociaux. En cas de non-respect de cette nouvelle obligation, le Préfet aura un pouvoir de substitution automatique et procédera lui-même aux attributions manquantes.
Malgré l'objectif légitime de renforcer la mixité sociale, les députés requérants considèrent que l'instauration d'une nouvelle contrainte chiffrée dans l'attribution des logements sociaux est telle qu'elle entravera l'exercice des missions du Maire et/ou des élus locaux concernés.
Cette entrave sera d'autant plus significative au regard du pouvoir de substitution automatique du Préfet. En effet, si une place est faite dans la loi pour adapter le taux de 25 % compte tenu de la situation locale, rien n'est prévu pour adapter le pouvoir de substitution automatique du Préfet. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle - tout comme les députés requérants l'avaient proposé lors des différentes lectures du texte - le Sénat avait adopté une rédaction qui prévoyait que « le représentant de l'État dans le département peut procéder » à l'attribution des logements concernés. La version définitive de la loi n'a pas retenu cette possibilité. Le Préfet disposera alors d'un pouvoir que l'on peut qualifier d'excessif, se substituant automatiquement aux collectivités territoriales, niant ainsi leurs compétences.
En conséquence, les dispositions de l'article 70 méconnaissent le principe de libre administration des collectivités territoriales.
L'article 97 élargit le champ d'application de l'article 55 de la loi SRU afin que de nouvelles communes soient soumises aux obligations de construction de logements sociaux. Or, les députés requérants estiment que ces communes seront dans l'impossibilité de respecter leurs nouvelles obligations, ce qui entrainera une aggravation de leurs charges publiques. En conséquence, cette situation constitue une violation du principe de libre administration des collectivités territoriales.
Le 2 ° du I modifie l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation. Il redéfinit la notion de commune dont le parc de logement existant ne justifie pas un effort de production supplémentaire pour répondre à la demande, et qui reste donc soumise au taux de 20 %. Alors que cette catégorie de communes était déterminée en fonction de trois critères (taux d'effort des bénéficiaires de l'allocation logement, taux de vacance, nombre de demandes de logements sociaux par rapport au nombre d'emménagements annuels), le projet de loi ne retient plus que le dernier critère.
De même, pour déterminer la liste des communes isolées de plus de 15 000 habitants et dont le parc de logements justifie un effort de production pour répondre à la demande, ne seront plus pris en compte les trois critères précités, mais uniquement celui du nombre de demandes de logements sociaux au regard du nombre d'emménagements annuels dans le parc locatif social de la commune.
Enfin, la suppression du sixième alinéa de l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation signifie la suppression de l'exemption des communes en situation de décroissance démographique. En 2015, 120 communes étaient concernées par cette exemption (13).
D'après les estimations de la Rapporteure au Sénat, s'appuyant sur les estimations de la DHUP, 219 nouvelles communes seront concernées par la redéfinition du champ d'application de l'article 55 de la loi SRU (14). Pour ces nouvelles communes concernées, les obligations prévues par la loi entraveront leur liberté d'administration : par leur difficulté, voire leur impossibilité, à respecter les obligations prévues par la loi dans les temps impartis, les communes devraient se retrouver sanctionnées quasi-automatiquement.
La Rapporteure du projet de loi au Sénat a ainsi constaté « les difficultés actuelles des communes, même volontaires, à tenir leurs objectifs de construction de logement social. Le calendrier de rattrapage fixé par le gouvernement est en pratique intenable : une commune qui aurait suivi la progression des objectifs inscrits dans la loi devrait réaliser 50 % de l'objectif en un triennat après avoir fait les 50 autres en plusieurs triennats ! Le nombre de communes susceptibles d'être déclarées carencées ne peut qu'augmenter fortement » (15).
De même, lors de leur audition, les auteurs d'un rapport du CGEDD sur l'application de l'article 55 de la loi SRU observaient : « le prochain «triennat » verra très vraisemblablement, à législation inchangée, un accroissement sensible du nombre de communes carencées. Cette augmentation est la conséquence logique de l'augmentation exponentielle des taux prévus par la loi : rattraper 25 % du retard en 2016, 33 % en 2019, 50 % en 2022, pour avoir rattrapé 100 % du retard en 2025. Le niveau d'objectif est très exigeant et s'applique à des situations communales contrastées. Ces besoins quantitatifs se doublant depuis la loi de janvier 2013 d'objectifs sur la typologie des financements de logement, les risques de non-atteinte sont en conséquence élevés. (…) A taux donné de logements locatifs sociaux dans le parc de logements d'une commune, la capacité d'atteindre les objectifs de la loi SRU dépend de la combinaison de deux facteurs : d'une part un volume de construction neuve important, largement supérieur à la moyenne française, d'autre part une proportion des logements locatifs sociaux dans la construction neuve largement supérieure à celle des autres logements. En pratique, l'équation est quasi insoluble si la commune est trop en retard, sauf à mobiliser fortement le parc existant, ce qu'il est de toute façon recommandé de faire, mais dont on sait que c'est long et compliqué. » (16).
Il doit donc, en l'espèce, être fait application de la décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000 (cons. 47) : « considérant qu'en attachant de telles conséquences à tout retard mis par une commune pour atteindre l'objectif triennal, sans distinguer selon la nature ou la valeur des raisons à l'origine de ce retard, le législateur a institué une sanction incompatible avec l'article 72 de la Constitution ».
De surcroit, afin de respecter ces nouvelles contraintes, les communes qui entrent dans le périmètre de l'article 55 de la loi SRU seront en situation de rupture d'égalité par rapport aux communes qui font déjà partie de ce périmètre.
En effet, comme l'a souligné Thierry REPENTIN, délégué interministériel à la mixité sociale dans l'habitat, lors de son audition devant la commission spéciale du Sénat, « ces communes auront neuf années pour satisfaire à leurs obligations contre 25 ans pour les communes ayant été soumises dès 2000 aux obligations de logement social » (17).
Les communes qui entrent dans le champ d'application de l'article 55 sont donc soumises aux mêmes obligations de construction mais dans un temps beaucoup plus restreint. Si au titre de l'article 6 de la DDHC, la loi doit être la même pour tous, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur traite de manière différente des situations différentes. Or, en l'espèce, le législateur impose des obligations identiques à des communes qui sont dans des situations différentes. Les députés requérants estiment, à ce titre, qu'il y a une rupture d'égalité, ce qui est contraire à la Constitution.
L'article 98 modifie également les dispositions du code de la construction et de l'habitation issues de la loi SRU concernant les mesures applicables aux communes carencées.
Par cet article, le Préfet pourra désormais engager la procédure de carence, non plus uniquement en cas de non-atteinte des objectifs de réalisation des logements sociaux, mais également lorsque la typologie de financement des logements sociaux n'a pas été respectée.
Les députés requérants considèrent qu'il s'agit, là encore, d'une atteinte à la libre administration des collectivités territoriales.
D'une part, un nouveau motif permet au Préfet de se substituer aux élus locaux et d'exercer leurs compétences. Les « attributions effectives » des communes en matière d'habitat sont ainsi considérablement amoindries.
D'autre part, l'arrêté de carence emportera de nouvelles conséquences - en sus du prélèvement financier sur les ressources des communes - qui annihilent les missions et les pouvoirs de la commune. En effet, cet arrêté entrainera le transfert à l'État des droits de réservation de la commune sur le parc de logement social et la suspension ou la modification des conventions de réservation conclues avec les bailleurs gestionnaires.
L'article 99 modifie les modalités du prélèvement sur les ressources fiscales des communes n'ayant pas atteint leur taux de logements sociaux. Ce faisant, il aggrave les charges publiques pesant sur les communes.
En premier lieu, alors que dans le droit actuel, les communes qui perçoivent la Dotation de Solidarité urbaine (DSU) pourront être exemptées du prélèvement si le nombre de logements sociaux excède 15 % des résidences principales, l'article 99 porte ce taux à 20 %, pour les communes devant atteindre 25 % de logements sociaux sur leur territoire.
Selon l'étude d'impact, ce sont 47 communes qui auraient été concernées en 2015 par l'élargissement de ce périmètre et qui n'auraient donc plus été exemptées du prélèvement.
En second lieu, lors de l'examen du projet de loi en première lecture, l'Assemblée nationale a, par amendement, relevé le taux du prélèvement de 20 à 25 % du potentiel fiscal par habitant - tout en conservant le plafonnement actuel à 5 % des dépenses de fonctionnement de la commune.
Comme l'indique le rapport du Sénat en première lecture, « selon le ministère du logement, cette disposition conduirait, à partir de la dernière situation connue (prélèvement SRU de 2015), à soumettre au prélèvement une cinquantaine de communes supplémentaires, à doubler le nombre de communes soumises au plafonnement du prélèvement et à augmenter le prélèvement financier total de près de 32 % » (18).
Le relèvement de ces deux taux entraine des conséquences identiques : pour les communes concernées, la fin de l'exemption du prélèvement représentera une charge supplémentaire qui porte atteinte à leur libre administration.
L'article 100 rend inéligibles à la Dotation de solidarité urbaine (DSU) les communes carencées au titre de l'article 55 de la loi SRU.
Cet article est issu d'un amendement adopté en première lecture à l'Assemblée nationale, à l'initiative de François PUPPONI. Supprimé au Sénat, cet article a été rétabli en commission à l'Assemble nationale en nouvelle lecture, malgré les réserves émises par Madame la Ministre du Logement et de l'Habitat durable.
Cet article porte en effet une double sanction pour les communes concernées : non seulement elles seront sanctionnées par un prélèvement sur leurs recettes fiscales (au titre de l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation) mais par ailleurs elles ne percevront plus de DSU. Cette double sanction financière a pour effet de réduire les ressources globales des communes concernées et de diminuer leurs ressources fiscales au point de porter atteinte à leur libre administration.
En effet, cet article porte manifestement atteinte à la Constitution du fait de l'aggravation des charges publiques qu'il entraine. Lors des débats sur cet article en séance publique en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, le 23 novembre 2016, les députés de l'opposition et la Ministre ont d'ailleurs évoqué ce risque d'inconstitutionnalité.
L'application de l'article 100 concernerait 27 communes carencées qui perçoivent la DSU. Or, comme le relève le rapport du Sénat, « les communes carencées percevant la DSU en 2014 ont acquitté, en 2015, au titre de la loi SRU, un prélèvement total de l'ordre de 4 millions d'euros. À titre de comparaison, ces communes ont perçu plus de 10 millions d'euros au titre de la DSU : la perte de cette dotation revient donc, pour ces communes, à tripler la sanction financière prévue jusqu'à présent ou à doubler la baisse des dotations opérée en 2015 - la contribution au redressement des finances publiques (CRFP) de ces communes en 2015 était de l'ordre de 12 millions d'euros. » (19).
L'aggravation des charges publiques pour ces communes sera d'autant plus forte que les articles 97 et 98 de la présente loi renforcent les obligations issues de l'articles 55 de la loi SRU, d'une part en augmentant la proportion de logements sociaux à prendre en compte et d'autre part en augmentant le taux du prélèvement financier.
La sanction financière imposée par l'article 100 aux communes aggravera donc considérablement leur potentiel financier au détriment direct de la population qui pourrait se retrouver en situation de rupture d'égalité par rapport à la population d'autres communes plus riches. L'objectif de la DSU est justement de réduire les déséquilibres entre les communes en contribuant « à l'amélioration des conditions de vie dans les communes urbaines confrontées à une insuffisance de leurs ressources et supportant des charges élevées », selon les termes de l'article L. 2334-15 du code général des collectivités territoriales.
Les députés requérants considèrent en conséquence que cet article porte tout particulièrement atteinte à la libre administration des collectivités territoriales et doit donc être censuré.

SUR LA PROCÉDURE PARLEMENTAIRE
Le I de l'article 67, introduit par un amendement de Gilles SAVARY à l'Assemblée nationale en nouvelle lecture suite à l'échec de la commission mixte paritaire, vise à créer un livret d'épargne dédié au financement du permis de conduire.
Il apparaît aux requérants que cette nouvelle disposition est de nature à méconnaître les règles définies par le Conseil constitutionnel relatives à « l'entonnoir ». Cette règle, qui figure depuis longtemps dans les règlements des assemblées parlementaires, peut être définie de la manière suivante : « Devant chaque chambre, le débat se restreint, au fur et à mesure des lectures successives d'un texte, sur les points de désaccord, tandis que ceux des articles adoptés en termes identiques sont exclus de la navette » (20).
Dans sa décision n°98-402 DC du 25 juin 1998, afférente à la loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, votre Conseil a posé une limitation de principe au droit d'amendement après tenue de la commission mixte paritaire : « Il ressort de l'économie de l'article 45 [de la Constitution] que des adjonctions ne sauraient, en principe, être apportées au texte soumis à la délibération des assemblées après la réunion de la commission mixte paritaire ; (... ». (21)
Dans une jurisprudence plus récente, votre Conseil a conclu que « Les seuls amendements susceptibles d'être adoptés après la réunion de la commission mixte paritaire doivent être soit en relation directe avec une disposition restant en discussion, soit dictés par la nécessité de respecter la Constitution, d'assurer une coordination avec d'autres textes en cours d'examen au Parlement ou de corriger une erreur matérielle » (22)
Or, en l'espèce, l'amendement adopté à l'Assemblée nationale ne répond à aucune de ces quatre conditions. Parmi elles, seule l'existence « d'une relation directe » serait à vérifier.
Rappelons que l'article 67 visait initialement à apporter dans le code du travail des modifications au dispositif existant du « permis à un euro », tandis que l'amendement voté à l'Assemblée, modifie, lui, le code monétaire et financier afin de créer un nouveau dispositif d'épargne.
Aussi, les dispositions adoptées instaurent une mesure dont il serait très contestable de considérer qu'elle est en « relation directe » avec les dispositions en discussion, puisqu'est créé ex nihilo un Livret d'Epargne en parallèle, et sans lien direct, avec le dispositif de permis à un euro existant. Cette disposition doit donc être analysée comme un cavalier législatif, au sens de la jurisprudence constante de votre Conseil puisqu'elle ne présente aucun lien, même indirect avec l'objet initial du texte.

Inconstitutionnalité de l'article 217
Les requérants font valoir que cet article 217 méconnaît plusieurs exigences constitutionnelles : le principe de clarté de la loi, l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi et le principe de légalité des délits et des peines (I) ; le principe d'égalité devant la loi (II) ; le principe d'égalité devant la loi et la justice et le principe constitutionnel de respect des droits de la défense (III) ; le principe de nécessité et de proportionnalité des peines (IV) ; et la prohibition des « cavaliers législatifs » issue de l'article 45 de la Constitution (V).
Cet article 217 du projet de loi Egalité et citoyenneté a pour objectif de répondre à « la question du financement des procédures juridictionnelles, au regard des frais importants auxquels pourront s'exposer les demandeurs à l'action » (23), dans le cadre de l'action de groupe. A cette fin, ce texte prévoit que, lorsque l'action de groupe mentionnée à l'article 60 de la loi n° 2016-547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle est exercée devant une juridiction répressive, l'amende prononcée peut faire l'objet d'une majoration, dans la limite de 20 % du montant prévu par la loi. Cette majoration est destinée à alimenter un nouveau Fonds de participation au financement de l'action de groupe.

I. L'article 217 méconnaît le principe de clarté de la loi, l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi et le principe de légalité des délits et des peines
Il est constant « qu'il appartient au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie l'article 34 de la Constitution ; qu'il doit, dans l'exercice de cette compétence, respecter les principes et règles de valeur constitutionnelle et veiller à ce que le respect en soit assuré par les autorités administratives et juridictionnelles chargées d'appliquer la loi ; qu'à cet égard, le principe de clarté de la loi, qui découle de l'article 34 de la Constitution, et l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, lui imposent, afin de prémunir les sujets de droits contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ; » (v. par ex. Cons. constit., Décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale, consid. n°9). Cet impératif est renforcé en matière pénale au nom du principe de légalité des délits et des peines qui découle de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Il en résulte notamment que la loi doit « désigne[r] de manière non équivoque l'auteur » de l'infraction (Cons. constit., Décision n° 86-210 DC du 29 juillet 1986, Loi portant réforme du régime juridique de la presse, consid. n° 26), et que, lorsque le législateur édicte des critères d'individualisation des peines, les critères formulés doivent être dépourvus d'ambiguïté en sorte de prémunir les justiciables contre le risque d'arbitraire.
Or, le texte déféré ne satisfait pas à cette exigence. D'une part, il ne détermine pas contre qui l'amende doit avoir été prononcée pour pouvoir donner lieu à majoration. A suivre le texte, l'amende majorée pourrait être encourue non seulement par le défendeur mais aussi par le demandeur (par exemple en cas de dénonciation téméraire - cf. C. proc. pén., art. 177-2). D'autre part, les critères d'individualisation de la peine sont si inadaptés et équivoques que leur mise en oeuvre s'avère imprévisible. En effet, la majoration de la peine devrait être « prononcée dans les conditions prévues à l'article 707-6 du code de procédure pénale ». Après réécriture de l'article suite à une censure du Conseil Constitutionnel, l'article 707-6 du code de procédure pénale dispose désormais que : « Le montant de la majoration des amendes (…) est fixé par le juge en fonction des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ainsi que de la situation matérielle, familiale et sociale de celui-ci. (…) »
Ayant fait le choix de déterminer les critères à prendre en compte, le législateur aurait dû veiller à ce que ces critères soient suffisamment clairs, intelligibles et précis pour prémunir les justiciables contre des interprétations arbitraires. Tel n'est pourtant pas le cas. Non seulement une incertitude existe quant au caractère cumulatif ou alternatif des différents critères, mais leur teneur même est insaisissable. En premier lieu, l'interprétation de ces critères en cas d'application à une personne morale à l'encontre de laquelle une action de groupe serait engagée est absolument imprévisible. En effet, plusieurs d'entre eux sont inadaptés à la situation des personnes morales, dont le juge ne pourra que peiner à déterminer « la personnalité », voire « la situation familiale ou sociale »24. En second lieu, les autres critères souffrent eux-mêmes d'une indétermination excessive. Les éléments et la période de référence à prendre en compte pour apprécier la « situation matérielle » de l'auteur de l'infraction ne sont pas précisés. En outre, les « circonstances de l'infraction » peuvent recouvrir des réalités très diverses : la nature de l'infraction, sa durée, sa gravité, les obligations respectées par son auteur, etc. En réalité, ce dernier critère n'en est pas un ; il constitue simplement la réitération de l'exigence constitutionnelle d'individualisation de la peine. En ce sens, la Cour de cassation a d'ailleurs approuvé une cour d'appel pour avoir refusé d'appliquer un texte pénal faisant référence à des « circonstances » au motif que cette expression, « foncièrement imprécise » et « trop générale », « introduit une vaste marge d'appréciation subjective » et que « cette ambiguïté rend aléatoire l'interprétation du texte qui serait faite par le juge selon les cas d'espèce » (Cass. Crim., 20 févr. 2001, n° 98-84.846).
En définitive, les critères d'application de la majoration semblent donc abandonnés au pouvoir souverain des juridictions, qui seront d'autant plus libres de les interpréter à leur guise que leurs décisions n'ont pas à être spécialement motivées, et qu'elles seront par suite de facto incontestables.
Le texte déféré s'avère ainsi contraire au principe de clarté de la loi, à l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi et au principe de légalité des délits et des peines.

II. Sur la méconnaissance du principe d'égalité
Le texte déféré est contraire au principe d'égalité devant la loi, issu de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, au terme duquel « La loi... doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Il est de jurisprudence constante que « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit » (v. par ex. Cons. constit., Déc. n° 2011-216 QPC du 3 février 2012, M. Franck S., consid. n° 3). Or, le texte déféré traite de manière différente des situations similaires sans que cette différence de traitement ne soit en rapport direct avec son objet.
En effet, la majoration de l'amende qu'il prévoit suppose la réunion de deux conditions.
En premier lieu, l'action de groupe doit avoir été exercée devant une juridiction répressive : il en résulte non seulement que les faits doivent avoir été passibles d'une peine d'amende mais que l'action publique doit en outre avoir été déclenchée par les associations ou les organisations syndicales portant l'action de groupe devant le juge répressif24. Ainsi, l'amende majorée de 20 % ne serait pas encourue si les demandeurs portaient leur action devant le juge civil tandis que l'action publique serait par ailleurs exercée par le ministère public devant le juge pénal (C. proc. pén., art. 4). Dans cette hypothèse-là, l'amende ne pourrait être majorée que de 10 %, en application du dernier alinéa de l'article 132-20 du code pénal.
En second lieu, l'action de groupe intentée doit être celle « mentionnée à l'article 60 de la loi n° 2016-547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle », à l'exclusion de celle consacrée à l'article 85 de la même loi. Or, il y a entre ces deux articles une seule différence : l'article 60 est applicable aux actions dirigées contre des personnes privées dont la responsabilité est engagée devant les juridictions de l'ordre judiciaire, tandis que l'article 85 concerne les personnes publiques dont la responsabilité est recherchée devant le juge administratif. Les personnes publiques échapperaient donc à l'amende majorée de 20 %, et ce alors même que les actions de groupe peuvent être dirigées contre elles et que, à l'exception de l'Etat, elles sont susceptibles de voir leur responsabilité pénale recherchée devant les juridictions administratives (C. pén., art. 121-2).
En conclusion, le texte déféré institue une différence de traitement entre les responsables de dommages réparables sur le fondement de l'action de groupe en fonction de critères de différenciation qui sont manifestement sans rapport avec son objet. Cette méconnaissance du principe d'égalité consiste en particulier à alimenter le budget du Fonds de participation au financement de l'action de groupe par les seules personnes privées.

III. Sur la violation du principe d'égalité devant la loi et la justice et la méconnaissance du principe constitutionnel de respect des droits de la défense
Le texte déféré renvoie au pouvoir réglementaire le soin de préciser « les conditions d'octroi de l'aide financière » par le Fonds de participation au financement de l'action de groupe. Pour autant, il est clair que l'intention du législateur est de réserver l'aide financière dispensée aux parties demanderesses : cela résulte de l'intitulé même de ce Fonds mais aussi des travaux parlementaires préparatoires25. Ainsi, seules les associations et organisations syndicales demanderesses pourraient bénéficier d'un financement. Dès lors, le texte déféré institue une nouvelle source d'inégalité entre justiciables. D'une part, l'article 68 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle habilite déjà le juge à condamner le défendeur au paiement d'une provision destinée au financement des frais d'avocat du demandeur à l'action de groupe. D'autre part, si les parlementaires ont fait valoir qu' « il aurait été difficile, tant sur le plan juridique que sur le plan financier, d'étendre le champ de l'aide juridictionnelle à cette action de groupe »26, il est pourtant avéré que, contrairement aux autres personnes morales, les personnes morales sans but lucratif peuvent être bénéficiaires de l'aide juridictionnelle si elles ne disposent pas de ressources suffisantes (L. n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, art. 2). Dans ce cas, en quoi consistent les difficultés juridiques alléguées pour justifier l'ajout d'une nouvelle source de financement ? S'agit-il de favoriser l'action d'associations ou d'organisations syndicales qui ne remplissent pas les conditions d'obtention de l'aide juridictionnelle du fait qu'elles disposent bien des ressources suffisantes ou que leur action apparaît « manifestement irrecevable ou dénuée de fondement » (v. L. n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, art. 2 et art. 7) ?
En tout état de cause, le défendeur peut lui-même manquer des ressources nécessaires pour organiser sa défense dans le cadre de l'action de groupe et, s'il s'agit d'une personne morale à but lucratif, il ne peut prétendre à l'aide juridictionnelle. Cela peut être par exemple le cas d'une PME, aux ressources limitées, qui se retrouverait mise en cause par une organisation syndicale ou une association dans le cadre d'une action de groupe en matière de discrimination. Dans ces conditions, contrairement à ce que laissent entendre les propos du rapporteur à l'Assemblée nationale, le législateur ne saurait réserver le bénéfice de l'aide qu'il institue aux seuls demandeurs sans méconnaître le principe d'égalité devant la loi et la justice, ni contrevenir au principe du respect des droits de la défense.
Il est effectivement acquis que « le principe du respect des droits de la défense constitue un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République réaffirmé par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère le Préambule de la Constitution de 1958 ; qu'il implique, notamment en manière pénale, l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties » (Cons. Constit., Décision n° 89-260 DC du 28 juillet 1989, consid. n° 44). En conséquence, « si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable » (Cons. Constit., Décision n° 2009-590 DC du 22 octobre 2009, Loi relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet, consid. n° 10 ; v. aussi Décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015, consid. n° 13). Ainsi, les différences de traitement instituées par le législateur en matière pénale ne devraient ni être injustifiées, ni porter atteinte à l'équilibre des droits des parties qui est inhérent au principe des droits de la défense, ni affecter le droit au recours effectif de toute personne protégée par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
L'octroi d'une aide judiciaire constitue une garantie du droit au recours effectif devant une juridiction (Cons. const., Décision n° 2013-347 QPC du 11 oct. 2013, M. Karamoko ; v. aussi CE, ord., 8 févr. 2012, Min. de l'Intérieur, req. n° 355884, Lebon), et plus largement du droit au procès équitable protégé par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, dont il résulte que « chaque partie » doit « se voi[r] offrir une possibilité́ raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire » (CEDH 15 févr. 2005, Steel et Morris, aff. n° 68416/01, § 62 et références citées ; v. aussi CEDH, 13 févr. 2003, Bertuzzi c/ France, aff. no 36378/97 § 31). En conséquence, l'obtention de l'aide judiciaire ne saurait être subordonnée qu'à des critères tels que « la gravité de l'enjeu pour le requérant », « la complexité́ du droit et de la procédure applicables » et « la capacité du requérant de défendre effectivement sa cause » (CEDH 15 févr. 2005, Steel et Morris, aff. n° 68416/01, § 61 et références citées ; v. aussi CEDH 9 octobre 1979, Airey c/ Irlande, aff. n° 6289/73), § 26 : même en matière civile, l'aide juridictionnelle devient obligatoire « quand elle se révèle indispensable à un accès effectif au juge soit parce que la loi prescrit la représentation par un avocat (…) soit en raison de la complexité de la procédure ou de la cause »). En aucun cas elle ne devrait dépendre de la qualité demanderesse ou défenderesse des parties au procès pénal.
En réservant le bénéfice de l'aide judiciaire qu'il institue aux seuls demandeurs à l'action de groupe, le législateur a donc méconnu le principe d'égalité devant la loi et la justice, et violé le principe du respect des droits de la défense.

IV. Sur la violation du principe de nécessité et de proportionnalité des peines
Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Ce principe de nécessité et de proportionnalité des peines implique une exigence d'adéquation des sanctions encourues avec le but poursuivi. Ainsi le législateur est-il fondé à instaurer des amendes majorées pour assurer la « répression effective » de comportements contraires à l' « objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale » (Cons. constit. 17 sept. 2015, Épx B., n° 2015-481 QPC, consid. n° 4-5). De même, « l'objectif de préservation de l'ordre public économique (…) implique que le montant des sanctions fixées par la loi soit suffisamment dissuasif pour remplir la fonction de prévention des infractions assignée à la punition » (Cons. constit., Décision n° 2015-489 QPC du 14 octobre 2015, Société Grands Moulins de Strasbourg SA et a., consid. n° 14). Il ressort de ces décisions que l'ordre public économique ou fiscal peut justifier le prononcé de sanctions exceptionnelles par leur quantum.
A l'inverse, le texte déféré entend introduire une amende majorée non pas en vue de garantir l'efficacité de la répression et de la dissuasion de certains comportements particulièrement contraires à l'ordre public, mais dans le seul objectif d'abonder un fonds de financement de l'action de groupe, en vue de permettre aux demandeurs (associations, organisations syndicales) de faire face aux frais de procédure. A cet égard, tant le plafond de 20 % que l'assiette de l'amende (potentiellement très large) paraissent particulièrement disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi. Une telle sanction est d'autant plus attentatoire au principe de nécessité et de proportionnalité des peines que l'article 68 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle habilite déjà le juge à condamner le défendeur au paiement d'une provision destinée au financement des frais d'avocat du demandeur à l'action de groupe.
Le texte déféré méconnaît donc le principe de nécessité et de proportionnalité des peines.

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Souhaitant que ces questions soient tranchées en droit, les députés auteurs de la présente saisine demandent donc au Conseil Constitutionnel de se prononcer sur ces points et tous ceux qu'il estimera pertinents eu égard à la compétence et la fonction que lui confère la Constitution.

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(1) CC, 77-87 DC, 23 novembre 1977.
(2) Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, alinéa 13
(3) CEDH, 7 décembre 1976, Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, nos 5095/71, 5920/72 et 5926/72.
(4) CC, 77-87 DC, 23 novembre 1977.
(5) Art 13 pacte international de 1966 évoquant « la liberté des individus de créer et de diriger des établissements », / conclusions de G. Dumortier, rapporteur public, sous CE 13 janv 2014 n°370323, et Commission Européenne des Droits de l'Homme 30 juin 1993 BN et SN c/ Suede, n°17678/91.
(6) Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971.
(7) Compte-rendu intégral de la deuxième séance du mercredi 29 juin 2016, Assemblée nationale, XIVème législature, session ordinaire 2015-2016.
(8) CEDH 7 décembre 1976, op.cit.
(9) Décision n°2000-436 DC du 7 décembre 2000, « Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains », cons. 12
(10) Michel Verpeaux, Christine Rimbault et Franck Waserman, « Les collectivités territoriales et la décentralisation », La Documentation française, 2016, p. 52.
(11) Décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991, « Loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse », cons. 32
(12) Décision n° 2000-432 DC du 12 juillet 2000, « Loi de finances rectificative pour 2000 », cons.5
(13) Etude d'impact du Projet de Loi, p 147
(14) Rapport Sénat n°827, Première lecture, 14 septembre 2016, p 293
(15) Rapport Sénat n°827, Première lecture, 14 septembre 2016, p 292
(16) Rapport Sénat n°827, Première lecture, 14 septembre 2016, p 293
(17) Rapport Sénat n°827, Première lecture, 14 septembre 2016, p 294
(18) Rapport Sénat n°827, Première lecture, 14 septembre 2016, p 309
(19) Rapport Sénat n°827, Première lecture, 14 septembre 2016, p 312
(20) M. Jean-Pierre Camby, Droit d'amendement et navette parlementaire : une évolution achevée, Revue du droit public n 2-2006.
(21) CC, 98-402 DC, 25 juin 1998.
(22) CC, 2000-430 DC, 29 juin 2000.
(23) Rapport (n° 3851) de M. R. HAMMADI, P. BIES, M.-A. CHAPDELAINE et V. CORRE au nom de la Commission spéciale chargée d'examiner, après engagement de la procédure accélérée, le projet de loi « égalité et citoyenneté », Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 17 juin 2016.