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Décision n° 2016-741 DC du 8 décembre 2016 - Saisine par 60 députés

Loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique
Non conformité partielle - réserve

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les conseillers,

Les députés soussignés ont l'honneur, en application des dispositions de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de déférer au Conseil Constitutionnel l'ensemble de la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, telle qu'elle a été adoptée par le Parlement le 8 novembre 2016.

Les députés auteurs de la présente saisine estiment que la loi déférée porte atteinte à plusieurs principes et libertés constitutionnels.

A l'appui de cette saisine, sont développés les griefs suivants.

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Article 25

L'article 25 de la présente loi fixe les règles applicables aux relations que les représentants d'intérêts peuvent nouer avec les pouvoirs publics dans le cadre de l'élaboration de la décision publique. Les requérants estiment les dispositions de l'article 25 contraires à la Constitution au regard du principe de séparation des pouvoirs et d'autonomie des assemblées, ainsi que du principe d'égalité et de clarté de la loi.

1. Sur l'atteinte au principe de séparation des pouvoirs et d'autonomie des assemblées

L'article 25 institue un registre commun des représentants d'intérêts partagé par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et les deux assemblées parlementaires, défini comme suit : « ce répertoire fait état, pour chaque représentant d'intérêts, des informations communiquées en application de l'article 18-3 de la présente loi. Il est commun à la Haute Autorité, pour la mise en œuvre des règles prévues à la sous-section 2, ainsi qu'à l'Assemblée nationale et au Sénat pour la mise en œuvre des règles déterminées sur le fondement de la sous-section 1 de la présente section. »

Les requérants estiment qu'un tel registre méconnaît les principes constitutionnels de séparation des pouvoirs et d'autonomie des assemblées énoncés à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 aux termes duquel : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. ». Le Conseil en a déduit un principe d'autonomie financière et un principe d'autonomie normative (2) pour les pouvoirs publics constitutionnels, dont figurent les assemblées parlementaires (3).

Selon les requérants, si les assemblées parlementaires conservent leurs prérogatives pour déterminer les règles applicables aux représentants d'intérêts et leurs modalités d'application, leur est toutefois imposées la liste des personnes physiques ou morales qualifiées de représentants d'intérêts, qui sera arrêtée par la Haute autorité. Concrètement, une assemblée parlementaire ne pourra plus décider de compléter la liste des personnes exemptées des obligations liées à leur présence sur le répertoire ou, à l'inverse, la réduire.

Les sénateurs, lors de la navette parlementaire, avaient d'ailleurs prévu une agrégation de registres distincts. Les informations auraient été alors communiquées à la HATVP au titre des autorités administratives et gouvernementales et les informations transmises par les pouvoirs publics constitutionnels pour leur compte. Ces derniers auraient instruit les demandes d'inscription par leurs soins et selon leurs propres règles, la HATVP prenant acte des informations transmises pour les communiquer au public.

Ce dispositif répondait ainsi à l'aspiration du président de la HATVP qui, lors de son audition devant la commission des lois du Sénat (4), évoquait certaines précautions à prendre au regard du respect de la séparation des pouvoirs : « Je pense que quatre conditions essentielles doivent être respectées si l'on souhaite s'engager dans cette voie. Premier principe, les parlementaires doivent pouvoir continuer à rencontrer librement toute personne, qu'elle soit inscrite ou non au registre. Deuxième principe, l'inscription au registre ne doit emporter aucune obligation à l'égard des assemblées parlementaires, qui doivent rester souveraines dans la délivrance des titres d'accès. Troisième principe, il doit appartenir aux assemblées parlementaires de définir les règles déontologiques applicables en leur sein aux représentants d'intérêts. Enfin, la Haute Autorité ne doit pouvoir sanctionner un lobbyiste pour ses agissements à l'égard d'un parlementaire que sur saisine du président ou du bureau de l'assemblée concernée. Sous ces quatre réserves, qui me semblent faire du registre commun une simple plateforme technique, une base de données. »

Les requérants attirent l'attention du Conseil sur le fait que la détermination des règles applicables aux relations avec des représentants d'intérêts commence d'abord par le pouvoir de décider des personnes entrant dans le champ d'application des règles déterminées par le bureau de chaque assemblée parlementaire. À défaut, les membres du Parlement, dans l'exercice de leurs prérogatives constitutionnelles en matière d'élaboration de la législation, seraient privés, par une autorité extérieure, de la possibilité de rencontrer les personnes de leur choix.

Par conséquent, les requérants estiment que la mise en œuvre d'un répertoire commun, prévu à l'alinéa 6 du présent article, ne garantit pas la constitutionnalité du dispositif au regard de la séparation des pouvoirs et des prérogatives constitutionnelles que détiennent personnellement les membres du Parlement ainsi que les groupes qui le composent.

2. Sur l'atteinte au principe d'égalité

L'article 25 de la présente loi dispose que : « sont des représentants d'intérêts, au sens de la présente section, les personnes morales de droit privé, les établissements publics ou groupements publics exerçant une activité industrielle et commerciale, les organismes mentionnés au chapitre Ier du titre Ier du livre VII du code de commerce et au titre II du code de l'artisanat, dont un dirigeant, un employé ou un membre a pour activité principale ou régulière d'influer sur la décision publique. »

Les requérants souhaitent attirer l'attention du Conseil sur le fait que cette définition méconnaît le principe d'égalité tel qu'il est garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. En effet, la jurisprudence du Conseil considère que : « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit » (5).

Au cours de la navette parlementaire, le Gouvernement a souhaité réintroduire la notion
d'« activité principale ou régulière » qui figurait dans le projet de loi initial, alors que l'Assemblée nationale et le Sénat avaient introduit une rédaction mentionnant l'« activité principale ou accessoire ».

Selon les requérants, cette rédaction initiale n'est pas conforme aux préconisations du Conseil d'Etat qui, dans son avis sur le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, suggérait de ne conserver que la seule notion d'« activité principale »(6).

Aussi, en réintroduisant la notion d' « activité régulière », cet article omet de prendre en compte la réalité des activités des représentants d'intérêts qui, pour certains, n'interviennent qu'épisodiquement en fonction des sujets traités. Le rapporteur du texte à l'Assemblée nationale, Monsieur Sébastien DENAJA, a également considéré que le rétrécissement du périmètre des représentants d'intérêts : « exclut par conséquent du champ du répertoire les entités employant des personnes ne pratiquant une activité de lobbying que de façon exceptionnelle (…) » (7)
Dans ces conditions, les requérants souhaitent que le Conseil se prononce sur la constitutionnalité de cette mesure.

3. Sur la méconnaissance du principe d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi

Le plein exercice de sa compétence par le législateur implique le respect du principe de clarté de la loi ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découlent des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

La jurisprudence du Conseil considère ainsi que le principe de l'accessibilité et de l'intelligibilité de la loi « impose d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques » (8) .

Les requérants souhaitent ainsi attirer l'attention du Conseil sur les problèmes opérationnels concernant la référence à l' « activité régulière » dans la définition des représentants d'intérêts. En effet, la régularité d'une activité destinée à influer sur la décision publique n'est pas définie par la loi. Il en résulte une incertitude sur le périmètre d'application de la présente loi.

Cette incertitude a d'ailleurs été évoquée par le rapporteur du texte à l'Assemblée nationale : « Il nous a semblé que cette rédaction souffrait d'une certaine imprécision. Le champ de l'activité régulière paraît quelque peu en retrait de celui de l'activité accessoire. » . Charles de COURSON, Député de la Marne, s'est lui aussi interrogé sur le champ de l' « activité régulière » : « Qu'est-ce qu'une activité régulière ? Cela signifie-t-il qu'on la pratique tout le temps ? Qu'en est-il si on s'y livre six mois par an ? Ce terme est mou. Or nous ne sommes pas ici pour faire de la législation molle. Faisons une vraie loi - claire, nette et applicable. » (10)

Les requérants partagent ces interrogations et souhaitent que le Conseil se prononce sur la constitutionnalité de l'article 25 au regard du principe d'intelligibilité.

Article 49

L'article 49, adopté en première lecture à l'Assemblée nationale à l'initiative de la commission des finances sur proposition du rapporteur pour avis, Monsieur Romain COLAS, étend les compétences du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) en matière de régulation des activités de crédit et d'assurance et renforce ses prérogatives, notamment en lui permettant de prendre des mesures conservatoires.

Les requérants estiment les dispositions de l'article 49 contraires à la Constitution au regard du principe de droit de propriété et du principe de liberté contractuelle.

1. Sur l'atteinte au droit de propriété

Le présent article offre la possibilité au HCSF de prendre des mesures macro-prudentielles pour l'ensemble du secteur de l'assurance, et notamment sur l'assurance vie. Il pourra ainsi
« suspendre, retarder ou limiter temporairement, pour tout ou partie du portefeuille, le paiement des valeurs de rachat, la faculté d'arbitrages ou le versement d'avances sur contrat. »

Les requérants alertent le Conseil sur la constitutionnalité du dispositif au regard des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Une position soulevée au cours des débats par Charles de COURSON, Député de la Marne : « A-t-on vérifié la constitutionnalité, au regard du droit de propriété ? ». (11)

Si l'intérêt général commande au législateur de prévoir des mesures conservatoires visant à garantir la stabilité financière, ce dernier doit s'assurer de leur proportionnalité et de leur compatibilité avec la Constitution. Les requérants estiment que l'encadrement prévu par la présente loi ne peut être regardé comme proportionné au regard de l'objectif poursuivi.

Le Conseil constitutionnel a récemment retenu ce motif pour invalider une partie de l'article L. 612-33 du code monétaire et financier portant sur le transfert d'office du portefeuille d'un organisme d'assurance (12), tout comme l'ensemble des dispositions reprises de cet article pour être instituées au niveau macro-prudentiel.

Le Conseil considère ainsi que « la propriété est au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que les finalités et les conditions d'exercice du droit de propriété ont connu depuis 1789 une évolution caractérisée par une extension de son champ d'application à des domaines nouveaux ; que les portefeuilles de contrats ou de bulletins d'adhésion constitués par une personne dans l'exercice de l'activité d'assurance relèvent de sa protection ».

Par conséquent, les requérants demandent au Conseil de se prononcer sur la constitutionnalité de l'article 49 au regard de l'atteinte au droit de propriété.

2. Sur l'atteinte au principe de liberté contractuelle

S'agissant du droit de « suspendre, retarder ou limiter temporairement, pour tout ou partie du portefeuille, le paiement des valeurs de rachat, la faculté d'arbitrages ou le versement d'avances sur contrat », les requérants s'interrogent sur le respect du principe constitutionnel de liberté contractuelle qui découle de l'article 4 la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Le Conseil constitutionnel considère « qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté contractuelle (…) des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi. » (13)

Lorsqu'il statue sur la constitutionnalité de telles dispositions, le Conseil s'assure donc qu'il n'est pas porté aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant. Or pour les requérants, les garanties offertes aux contractants et les limitations apportées au dispositif, ne sont pas suffisantes pour garantir la proportionnalité des mesures prévues à l'article 49.

En outre, alors que la plupart des contrats mentionnent expressément la possibilité de rachat, les mesures conservatoires prises par le HCSF porteront atteinte à l'économie des contrats en cours. Elles pourraient avoir des conséquences sérieuses sur les petits épargnants qui feraient face à un besoin de liquidités et verraient leur épargne bloquée, en contradiction avec les stipulations de leurs contrats. Pour les requérants, il s'agit d'une atteinte forte aux intérêts des assurés.

Monsieur Albéric de MONTGOLFIER, rapporteur pour avis au Sénat, s'est interrogé à ce sujet : « le Haut Conseil de stabilité financière peut être conduit à prendre des décisions qui ont un impact extrêmement important sur les épargnants. Il peut, par exemple, limiter, voire suspendre les possibilités de racheter un contrat. Je m'interroge d'ailleurs sur la constitutionnalité de mesures allant à l'encontre du droit des contrats. » (14)

Pour l'ensemble des raisons évoquées ci-dessus, les requérants souhaitent que le Conseil se prononce sur la constitutionnalité de ce dispositif au regard de la liberté contractuelle.

Articles 87, 88, 89, 90 et 91

Les articles 87, 88, 89, 90 et 91 renforcent le rôle des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) et étendent la portée de leur droit de préemption.
Or, ce faisant, à la lecture combinée de ces articles, les requérants s'interrogent sur les atteintes portées au droit de propriété garanti par l'article 2 de la DDHC ainsi qu'à la liberté d'entreprendre et la liberté contractuelle qui découlent de l'article 4 de la DDHC.

L'article 87 encadre le dispositif d'apport en société portant sur des immeubles agricoles en introduisant un délai de conservation minimale de 5 ans des droits sociaux correspondant à cet apport. La méconnaissance de cette obligation est sanctionnée par la nullité de l'apport.

L'article 88 permet aux Safer de pouvoir acquérir la totalité des parts de groupements fonciers agricoles ou ruraux, et non plus de limiter leur prise de participation à 30 % maximum du capital de ces sociétés agricoles

L'article 89 permet aux Safer de maintenir, dans le but de rétrocéder les droits sociaux ainsi acquis, sa participation au capital d'une société de personnes pendant une période qui ne peut excéder cinq ans.

L'article 90 encadre l'acquisition du foncier agricole. Il appelle des observations plus précises.

Le premier alinéa tend à obliger les sociétés qui achèteraient des terres, mais aussi les sociétés qui achèteraient des parts sociales d'une société existante, à devoir rétrocéder ces biens acquis à une nouvelle société, de forme particulière qui devrait avoir comme objet principal la propriété agricole. Le second alinéa, quant à lui, impose que la cession de la majorité des parts sociales de la première société entraine obligatoirement la cession des parts de la seconde société créée en application du premier alinéa. Ces dispositions sont de nature à porter atteinte au droit de propriété et à la liberté contractuelle.

Le troisième alinéa porte également atteinte au principe d'égalité consacré par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

En effet, les exclusions partielles du dispositif instaure une différence de traitement entre les différentes personnes morales, mais aussi entre celles qui excéderont le seuil de la surface fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles et celles qui se trouveront en deçà de ce seuil après consolidation de leur exploitation. Alors que les groupements fonciers agricoles, groupements fonciers ruraux, SAFER, groupements agricoles d'exploitation en commun, exploitations agricoles à responsabilité limitée pourront se prévaloir du régime d'exclusion, les autres sociétés agricoles et foncières (comme les sociétés civiles d'exploitation agricole, les sociétés civiles immobilières, les sociétés commerciales et toutes autres sociétés légalement constituées) s'en trouveront automatiquement exclues, quand bien même elles rempliraient l'ensemble des conditions requises pour ce faire.

Le principe selon lequel les titres sociaux sont librement négociables en application de la liberté contractuelle va donc se heurter au droit de préemption et par ailleurs à la révision du prix de vente dont pourra faire usage la SAFER, et ce à la fois pour les parts de la société d'exploitation ‘historique' que pour la société foncière à créer en application de l'article 30 A.

Le principe selon lequel la cession partielle des parts de la société historique entrainerait la cession de la totalité des parts de la seconde société constituée en application de l'article 30 A, méconnait le droit de propriété dès lors qu'il va conduire l'associé restant de la société historique à devoir exercer sur les biens en cause des droits concurrents avec un tiers qu'il n'aura pas choisi et avec lequel un dialogue efficace ne pourra s'instaurer s'agissant s'une société anonyme au fonctionnement complexe, sans interlocuteur identifié.

En outre, par le seul fait d'une cession de la majorité des parts de la société historique, la SAFER, société anonyme pourra récupérer la pleine propriété des parts de la seconde société créée en application de l'article 30 A, sans autre formalité ni indemnisation de la société historique et des associés restants de cette société historique.

L'instauration d'un droit de préemption au profit de la SAFER sur les cessions de titres sociaux va aussi contraindre les associés et le rétrocessionnaire qui sera choisi par la SAFER de s'associer, en méconnaissance du principe de l'affectio societatis qui découle de la liberté contractuelle garanti par l'article 4 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, puisqu'il est impossible de constituer légalement une société unipersonnelle dont l'objet principal est la propriété agricole.

En instaurant un droit de préemption sur les titres sociaux au profit de la SAFER, l'article 30 A de la loi déférée va fortement limiter les associés dans leurs choix d'apports sociétaires mais aussi d'acquisition sociétaire afin d'éviter que la préemption des titres sociaux n'emporte celle de stocks, matériels, parts de coopératives, droits, terres apportées à la société, de terres acquises par cette dernière.

Enfin, l'article 91 étend le droit de préemption des SAFER en cas de cession partielle des parts ou actions d'une société dont l'objet principal est la propriété agricole, lorsque l'acquisition aurait pour effet de conférer au cessionnaire la majorité des parts ou actions, ou une minorité de blocage au sein de la société.

Cette disposition risque de contraindre les associés et le rétrocessionnaire qui sera choisi par la SAFER de s'associer, en méconnaissance du principe de l'affectio societatis qui est un élément essentiel de la liberté contractuelle garantie par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

La disposition selon laquelle les titres sociaux sont librement négociables en application de la liberté contractuelle va donc se heurter au droit de préemption et par ailleurs au droit de révision du prix dont peut faire usage la SAFER.
Cette nouvelle disposition est par conséquent contraire à la décision du Conseil constitutionnel n°2014-701 DC du 9 octobre 2014 (paragraphes 42 et 43) (15).

Article 137

L'article 137 prévoit d'introduire une déclaration publique d'activités pays par pays pour les entreprises dont le chiffre d'affaires excède le seuil de 750 millions d'euros dans un premier temps. Un abaissement progressif à 500 millions d'euros puis 250 millions d'euros est prévu, respectivement deux ans puis quatre ans après l'entrée en vigueur du présent dispositif.

L'entrée en vigueur du dispositif se fera le lendemain de l'entrée en vigueur de la directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes d'entreprises, et, à défaut, au plus tard le 1er janvier 2018.

Les requérants souhaitent appeler l'attention du Conseil sur cette mesure qui contredit le principe de liberté d'entreprendre qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel prévoit « qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi » (16) .

Les requérants souhaitent rappeler qu'à l'occasion d'un recours formé à l'encontre de l'article 121 de la loi de finances pour 2016, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur les débats autour de la publicité des déclarations d'activités pays par pays. En particulier, les requérants considéraient que la liberté d'entreprendre était méconnue dès lors que les sociétés seraient contraintes de divulguer des informations stratégiques pouvant être transmises à des Etats étrangers sans qu'il soit garanti que ces Etats respectaient le caractère confidentiel de ces informations.

Le Conseil a alors écarté le grief en relevant « que les dispositions contestées se bornent à imposer à certaines sociétés de transmettre à l'administration des informations relatives à leur implantation et des indicateurs économiques, comptables et fiscaux de leur activité ; que ces éléments, s'ils peuvent être échangés avec les États ou territoires ayant conclu un accord en ce sens avec la France, ne peuvent être rendus publics » . En revanche, le Conseil constitutionnel a, dans le cadre de son contrôle, relevé que les informations transmises ne peuvent être rendues publiques, au risque de porter atteinte à la liberté d'entreprendre. Par cette décision, une limite a donc été fixée à l'extension des déclarations d'activités, dans leur contenu, comme dans leur diffusion.

Lors de l'examen de l'article 137 de la présente loi, le ministre de l'économie et des finances, Monsieur Michel SAPIN, a mentionné à plusieurs reprises cette jurisprudence : « l'échange d'informations entre administrations fiscales, sont constitutionnelles parce qu'elles ne peuvent être rendues publiques, ce qui signifie a contrario que si elles étaient rendues publiques, ce serait inconstitutionnel » (18).

Outre la question de la publicité, les requérants s'interrogent sur la constitutionnalité d'un dispositif de déclarations introduit uniquement au plan national, et non par une transposition d'une norme européenne. A ce sujet, Michel SAPIN indiquait en séance publique que : « le débat ne porte alors pas tant sur les seuils ou sur l'examen de la situation de l'entreprise pays par pays ou au niveau mondial (…) mais sur le fait qu'ils ne soumettent pas leur effectivité à l'entrée en vigueur de la directive européenne. Cela peut être d'ailleurs leur objectif, mais je le dis très clairement à leurs auteurs : je n'ai aucun doute que les voter, c'est se faire plaisir maintenant mais, demain, subir une censure du Conseil constitutionnel. » (19)

Le considérant 33 de la décision n° 2015-725 du 29 décembre 2015 du Conseil constitutionnel rappelle à ce sujet que les déclarations d'activités pays par pays pour les grandes entreprises peuvent uniquement « être échangés avec les Etats ou territoires ayant conclu un accord en ce sens avec la France ». Autrement dit, l'instauration d'un reporting, a fortiori public, sans passer par le truchement d'une norme européenne demeure largement incertaine et fait peser un risque juridique.

Enfin, les dispositions de l'article 137 dépassent une éventuelle transposition anticipée de la proposition de directive, s'agissant tant des modalités de présentation de la déclaration selon les pays considérés, que de l'abaissement du seuil d'assujettissement. Surtout, plus dangereux encore, le présent article prévoit une entrée en vigueur par défaut du dispositif, y compris si la proposition de directive en discussion ne prospère pas.

Monsieur Albéric de MONTGOLFIER, rapporteur pour avis au Sénat, a ainsi déclaré qu' « abaisser le seuil, élargir l'objet ou changer le champ nous éloignerait du projet de directive, ce qui est contre-productif pour la compétitivité des entreprises françaises. Par ailleurs, le risque constitutionnel est réel. » (20)

Pour l'ensemble des raisons évoquées ci-dessus, les requérants souhaitent que le Conseil se prononce sur la constitutionnalité de ce dispositif national de publicité des déclarations au regard de la liberté d'entreprendre.

Article 155

Introduit en première lecture par l'Assemblée nationale, à l'initiative de Monsieur Dominique POTIER, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, l'article 155 tend à rendre obligatoire la mention du coût de gestion des déchets sur les factures de vente de pneumatiques ainsi que la répercussion de ce coût sur l'acheteur final.

Le Conseil constitutionnel vérifie que les amendements ne sont pas dépourvus de tout lien avec les dispositions figurant dans le projet de loi initial. Ce contrôle découle du premier alinéa des articles 39 et 44 de la Constitution : « La nécessité, pour un amendement, de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé (21) sur le bureau de la première assemblée saisie. ».

Selon les requérants, les dispositions de l'article 155 ne présentent aucun lien, même indirect, avec l'objet initial du texte. Elles excédent ainsi les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement. Au cours de la navette parlementaire, deux amendements de François PILLET, rapporteur du texte au Sénat, ont d'ailleurs été adoptés afin de supprimer cet article « ne présentant aucun lien avec le projet de loi initial » (22).

Les requérants souhaitent que le Conseil se prononce sur la régularité de la procédure d'adoption du présent article.

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Souhaitant que ces questions soient tranchées en droit, les députés auteurs de la présente saisine demandent donc au Conseil constitutionnel de se prononcer sur ces points et tous ceux qu'il estimera pertinents eu égard à la fonction de contrôle de constitutionnalité de la loi que lui confère la Constitution.

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1. Décisions du Conseil constitutionnel n° 2001-448 DC du 25 juillet 2001 et n° 2001-456 DC du 27 décembre 2001.
2. Décision du Conseil constitutionnel n° 2011-129 QPC du 13 mai 2011.
3. Décision du Conseil constitutionnel n° 2011-129 QPC du 13 mai 2011.
4. Audition de M. Jean-Louis Nadal, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique devant la commission des lois du Sénat, le mercredi 15 juin 2016.

5. Décision du Conseil constitutionnel n°89-254 du 4 juillet 1989, considérant 18.
6. Avis du Conseil d'Etat n° 391.262 , du jeudi 24 mars 2016 : « les personnes physiques et les personnes morales dont l'activité principale ou accessoire a pour finalité d'influer. »
7. Première séance du jeudi 29 septembre 2016 à l'Assemblée nationale.
8. Décision du Conseil constitutionnel n° 2005-514 DC du 28 avril 2005, considérant n°14.
9. Première séance du jeudi 29 septembre 2016 à l'Assemblée nationale.
10. Première séance du jeudi 29 septembre 2016 à l'Assemblée nationale.

11. Commission des finances du mardi 24 mai 2016 à l'Assemblée nationale.
12. Décision du Conseil constitutionnel n° 2014-449 QPC du 6 février 2015.
13. Décision du Conseil constitutionnel n° 2013-682 DC du 19 décembre 2013.
14. Séance du 5 juillet 2016 au Sénat.
15. « Considérant, toutefois, que ces dispositions ont pour effet d'interdire aux sociétés d'exploitation agricole, pendant la période de cinq ans suivant l'attribution de leur autorisation d'exploiter, d'ajuster le volume de leur main-d'œuvre en fonction des besoins de leur exploitation compte tenu des fluctuations de l'activité économique, sauf à s'exposer au risque de voir leur autorisation d'exploiter remise en cause » ; « Considérant que les dispositions contestées font ainsi peser sur les choix économiques des sociétés d'exploitation agricoles et sur leur gestion des contraintes qui portent tant au droit de propriété qu'à la liberté d'entreprendre une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi ; que par suite, les dispositions du a du 5 ° du paragraphe III de l'article 32 doivent être déclarées contraires à la Constitution ; qu'il en va de même, par voie de conséquence, des dispositions du b du 5 °du même paragraphe III. »
16. Décision du Conseil constitutionnel n°2015-725 DC du 29 décembre 2015, considérant 32.
17. Décision du Conseil constitutionnel n°2015-725 DC du 29 décembre 2015, considérant 33.
18. Deuxième séance du jeudi 29 septembre 2016 à l'Assemblée nationale.
19. Deuxième séance du jeudi 9 juin 2016 à l'Assemblée nationale.
20. Séance du 7 juillet 2016 au Sénat.
21. Décision du Conseil constitutionnel n° 85-191 DC du 10 juillet 1985, décision du Conseil constitutionnel
n° 2005-532 DC du 19 janvier 2006.
22. Amendements de François PILLET COM-193 et COM-74.