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Décision n° 2016-736 DC du 4 août 2016 - Observations du Gouvernement

Loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels
Non conformité partielle - réserve

Le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs de recours dirigés contre la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

Ces recours appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

I. SUR LA PROCEDURE D'ADOPTION

A/ Certains députés requérants soutiennent que la loi a été adoptée à l'issue d'une procédure irrégulière en raison des conditions d'application du troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution et de la méconnaissance du droit d'amendement.

B/ Il n'en est rien.

1/ Le troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution permet au Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, d'engager la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale pour un projet ou une proposition de loi par session.

La délibération du conseil des ministres autorisant le Premier ministre à engager la responsabilité du Gouvernement sur un projet ou une proposition de loi n'a pas à intervenir avant chaque vote sur ce texte. Une fois que le Conseil des ministres a délibéré sur l'engagement de la responsabilité du Gouvernement, le Premier ministre peut engager cette responsabilité à chaque lecture du texte devant l'Assemblée nationale sans nouvelle délibération du Conseil des ministres. La seule circonstance que ce texte évolue ne saurait imposer au Gouvernement de délibérer à nouveau alors qu'il a déjà autorisé le Premier ministre à faire usage de la faculté ouverte par le troisième alinéa de l'article 49 pour l'ensemble de la procédure.

Ce principe ressort de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Le Conseil a jugé que la responsabilité du Gouvernement pouvait être engagée par un ministre d'Etat assurant l'intérim du Premier ministre lors de l'examen d'un projet de loi en nouvelle lecture sur le fondement d'une délibération du Gouvernement donnée avant l'examen de la loi en première lecture devant l'Assemblée nationale (décision n°89-268 DC, cons. 7 à 9).

Et, comme l'a déjà jugé le Conseil constitutionnel, les modifications apportées à la Constitution par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 n'ont eu ni pour objet ni pour effet de modifier les conditions dans lesquelles la prérogative conférée au Premier ministre par le troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution est mise en oeuvre (décision n°2015-715 DC, cons. 13).

2/ Il ne saurait également être soutenu que le droit d'amendement des parlementaires aurait été méconnu en nouvelle lecture.

Le droit d'amendement prévu par l'article 44 de la Constitution connaît, par construction, des restrictions lorsque le Premier ministre décide de faire application du troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution.

Le Conseil constitutionnel a ainsi eu l'occasion de rappeler que l'engagement de la responsabilité devant l'Assemblée nationale peut intervenir à tout moment sans que les amendements dont il a fait l'objet et qui sont retenus par le Gouvernement aient été débattus en commission (décision n°2015-715 DC, cons. 13).

Mais on ne saurait soutenir, comme le font certains députés requérants, que les parlementaires auraient été privés de l'exercice de leur droit d'amendement en nouvelle lecture.

Les délais laissés pour déposer les amendements en commission puis en séance publique étaient suffisants. Il suffit, pour s'en convaincre, de constater que 400 amendements ont été déposés en commission et 1 320 en séance publique.

La loi déférée a donc été adoptée à l'issue d'une procédure régulière.

II. SUR L'ARTICLE 27

A/ Cet article précise le régime juridique dans lequel des collectivités territoriales peuvent mettre des locaux à disposition des organisations syndicales en organisant la conclusion de conventions de mise à disposition. Il prévoit notamment que lorsqu'une collectivité décide de retirer le bénéfice de locaux mis à disposition d'un syndicat depuis au moins cinq ans sans lui proposer d'autre local lui permettant de continuer à assurer ses missions, cette dernière a droit à une indemnité spécifique, sauf stipulation contraire de la convention de mise à disposition.
Certains députés requérants soutiennent que ces dernières dispositions seraient susceptibles de porter atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales et que le législateur a méconnu sa compétence en n'inscrivant pas l'ordre de grandeur de cette indemnité.

B/ Ces griefs sont infondés.

Le Conseil constitutionnel juge que le législateur peut, sur le fondement des articles 34 et 72 de la Constitution, assujettir les collectivités territoriales ou leurs groupements à des obligations à la condition que celles-ci répondent à des exigences constitutionnelles ou concourent à des fins d'intérêt général (décision n°2000-436 DC, cons. 12).

Les dispositions contestées prévoient que l'indemnité spécifique ne s'appliquera pas en cas de stipulation contraire de la convention de mise à disposition conclue entre la collectivité ou l'établissement et l'organisation syndicale. Il sera ainsi loisible aux collectivités concernées de conclure des conventions de mise à disposition excluant toute indemnité. Les dispositions contestées ne portent, par elles-mêmes, aucune atteinte à la libre administration des collectivités territoriales.

Le législateur a néanmoins prévu, au III de l'article, que ces dispositions s'appliqueraient également aux locaux mis à disposition avant la publication de la loi, y compris quand elles ne font pas l'objet d'une convention prévoyant les conditions de la fin de la mise à disposition. On estime qu'il existe actuellement entre 250 et 800 implantations de ce type.
Ce choix a pour objet de prévenir les remises en cause abruptes de mise à disposition de locaux aux organisations syndicales par les collectivités territoriales. De tels cas de figure, malheureusement constatés à l'occasion des récentes élections municipales, sont susceptibles de remettre en cause la continuité des missions exercées par les organisations syndicales en ne leur permettant plus d'assurer l'accueil des salariés ou des fonctionnaires et les permanences juridiques. Les dispositions permettant de prévenir l'éviction brutale des organisations syndicales des locaux qu'elles occupent de longue date contribuent à assurer la mise en oeuvre de la liberté syndicale et le principe de participation des travailleurs garantis par les sixième et huitième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946.

A cet égard, il y a lieu de rappeler que les organisations syndicales bénéficient d'un statut et de prérogatives spécifiques définies par le code du travail (articles L. 2131-1 et -2 et articles L. 2132-1 et suivants du code du travail) et que ces organisations se sont vues reconnaitre une mission d'intérêt général au niveau national et interprofessionnel par le législateur (article L. 2135-11). Le législateur a d'ailleurs encore récemment reconnu cette mission dans le cadre du dispositif du défenseur syndical qui collabore au bon fonctionnement du service public de la justice (article L. 1453-4 du code du travail qui entre en vigueur au 1er août 2016).
La limitation ainsi apportée à la libre administration des collectivités territoriales est strictement proportionnée à cet objectif de continuité des missions des organisations syndicales.

En premier lieu, cette obligation ne jouera que pour les organisations syndicales bénéficiant d'une mise à disposition de locaux depuis au moins cinq ans.

En deuxième lieu, la collectivité restera libre de récupérer le local mis à disposition. Elle ne sera pas tenue de proposer un relogement équivalent à l'organisation syndicale.

En troisième lieu, elle pourra, sur le fondement des nouvelles dispositions, proposer à l'organisation syndicale de conclure une convention de mise à disposition prévoyant des conditions claires de fin de mise à disposition.

En quatrième lieu, le législateur n'a pas imposé de modalités de calcul de l'indemnité spécifique en cas de fin de mise à disposition. C'est à la collectivité concernée qu'il appartiendra, sous le contrôle éventuel du juge administratif, de proposer le montant de l'indemnité spécifique au vu de chaque situation en tenant compte des locaux nécessaires à l'organisation syndicale pour, aux termes de la loi, « lui permettre de continuer à assurer ses missions », du préavis qui lui est laissé pour trouver de nouveaux locaux et du marché immobilier de la commune.

Le principe de cette indemnisation ne saurait ainsi permettre à une organisation syndicale de percevoir une indemnité spécifique en l'absence de tout préjudice lié aux conditions de remise en cause de la mise à disposition.

Cet article est donc conforme à la Constitution.

III. SUR L'ARTICLE 64

A/ L'article 64 met en place une instance de dialogue social dans les réseaux d'exploitants d'au moins 300 salariés liés par un contrat de franchise qui contient des clauses ayant un effet sur l'organisation du travail et les conditions de travail dans les entreprises franchisées.

Certains députés requérants et les sénateurs auteurs de la saisine soutiennent que cet article méconnaît le huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, la liberté d'entreprendre garantie par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le principe d'égalité et l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.

B/ Ces griefs ne pourront qu'être écartés.

Le législateur a souhaité instaurer une instance de dialogue au sein de certains réseaux de franchise afin de prendre en compte l'existence d'une communauté d'intérêts dans ces réseaux.

Le juge a pu reconnaître ponctuellement, dans le cadre de réseaux de franchise, l'existence d'une unité économique ou sociale ou admettre la requalification de contrats de franchise en contrats de travail témoignant de l'existence d'une communauté de travail au sein de ces réseaux. Mais ces cas ne rendent pas compte des situations conformes à l'économie du système de franchise dans lequel il n'existe pas de relation de travail salarié entre le franchiseur et les salariés du franchisé.

La réalité des réseaux de franchise démontre en revanche, dans certains cas, l'existence d'une communauté d'intérêts justifiant la mise en place d'une instance de dialogue social au niveau de la franchise.

Les contrats de franchise sont en effet susceptibles de comporter des clauses ayant un effet sur l'organisation du travail et les conditions de travail dans les entreprises franchisées sans pour autant qu'il existe une relation de dépendance et de subordination entre le franchiseur et les salariés des franchisés.

Dans certains secteurs, comme celui de la restauration rapide, les contrats de franchise peuvent comprendre des clauses strictes relatives à l'hygiène dans les entreprises franchisées. Dans d'autres secteurs, comme celui de la distribution, les contrats de franchise peuvent comprendre des clauses sur l'organisation du travail comme, par exemple, les heures d'ouverture des magasins. Les relations entre le franchiseur et les franchisés ont donc des effets directs sur l'organisation et les conditions de travail des salariés.

Le législateur a donc souhaité créer une instance de dialogue social commune permettant aux représentants des salariés des franchisés d'être informés des décisions du franchiseur qui sont de nature à affecter leur activité et leurs conditions de travail.

En poursuivant ce but d'intérêt général, le législateur ne remet pas en cause les institutions représentatives du personnel au sein de chaque entreprise franchisée. Les députés et les sénateurs requérants ne sauraient donc utilement soutenir que ces dispositions porteraient atteinte au principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail garantie par le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.

Et, au regard du motif d'intérêt général poursuivi par le législateur, ces dispositions ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

La mise en place de l'instance ne sera obligatoire que dans les réseaux de franchise d'au moins trois cents salariés quand le contrat de franchise contient des clauses ayant un effet sur l'organisation du travail et les conditions de travail des salariés des entreprises franchisées.
Cette mise en place sera subordonnée à la demande d'une organisation syndicale représentative au niveau de la branche ou ayant constitué une section syndicale au sein d'une entreprise du réseau et sera négociée. L'instance comportera les représentants des salariés, les entreprises franchisées et le franchiseur.

Cette instance ne sera qu'une instance d'information permettant d'échanger sur les décisions du franchiseur ayant un impact sur les conditions d'emploi et de travail des salariés travaillant au sein de ce réseau. Elle n'exercera pas les compétences des institutions représentatives du personnel et ne saurait donc déterminer les conditions de travail des salariés des entreprises franchisées. La loi est dépourvue de toute ambiguïté sur ce point, contrairement à ce que soutiennent les députés requérants.
La charge financière résultant de la mise en place de ces instances ne saurait être regardée comme excessive. A défaut de stipulation contraire dans l'accord, le franchiseur devra prendre en charge les dépenses de fonctionnement de l'instance et d'organisation des réunions et de déplacement. Les entreprises franchisées prendront en charge les heures de délégations de leurs salariés présents au sein de l'instance dans les conditions de droit commun, en l'absence de toute disposition contraire dans la loi.

La mise en place de cette instance de dialogue social ne modifiera pas, par elle-même, les relations qui unissent le franchiseur et les entreprises franchisées. On ne saurait donc utilement soutenir qu'elle porterait atteinte au principe même de la franchise et à l'indépendance des entreprises franchisées.

Dans ces conditions, on ne saurait considérer que ces dispositions portent une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre.

Et on ne saurait prétendre qu'elles portent atteinte au principe d'égalité en ne s'appliquant pas aux salariés et employeurs appartenant à d'autres commerces organisés en réseau sous des formes juridiques différentes, comme les coopératives, les contrats de concessions ou les licences de marque.

Le contrat de franchise se distingue de ces autres formes juridiques par la réunion de trois obligations essentielles :

  • l'utilisation d'un nom ou d'une enseigne communs et une présentation uniforme des locaux et/ou moyens,
  • la communication par le franchiseur au franchisé d'un savoir-faire,
  • la fourniture continue par le franchiseur au franchisé d'une assistance commerciale ou technique pendant la durée de l'accord.

Les contrats de franchises sont normalement plus contraignants sur le fonctionnement des entreprises franchisées que les autres formes juridiques de réseaux commerciaux. Les contrats de concession se bornent à permettre la distribution exclusive de produits sans transmission de savoir-faire. Les licences de marque confèrent le droit d'exploiter une marque mais ne prévoient pas d'assistance commerciale ou technique. Les coopératives reposent sur le principe de propriété collective de l'enseigne, ce qui n'est pas le cas des contrats de franchise.

Les caractéristiques particulières du contrat de franchise conduisent à ce que les modalités d'organisation et de fonctionnement des entreprises franchisées soient plus encadrées que dans les autres formes d'organisation. C'est la raison pour laquelle les contrats de franchise peuvent avoir un effet sur l'organisation et les conditions de travail des salariés des entreprises franchisées. Cette situation particulière justifie la mise en place d'une instance spécifique de dialogue social.

Cet article est donc conforme à la Constitution.

Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement est d'avis que les griefs articulés dans les saisines ne sont pas de nature à conduire à la censure de la loi déférée.

Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter les recours dont il est saisi.