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Décision n° 2015-720 DC du 13 août 2015 - Observations du Gouvernement

Loi relative au dialogue social et à l'emploi
Non conformité partielle

Le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de soixante députés d'un recours dirigé contre la loi relative au dialogue social et à l'emploi.

Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

I. Sur la procédure d'adoption

A/ Les députés requérants soutiennent que la loi a été adoptée à l'issue d'une procédure irrégulière en raison du temps insuffisant laissé au Parlement pour examiner le texte et des conditions d'examen du projet de loi en commission lors de la lecture définitive.

B/ Il n'en est rien.

1/ Il convient, en premier lieu, de relever que le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur ce projet de loi le jour même de son dépôt sur le bureau de l'Assemblée nationale.

Or, l'article 42 de la Constitution prévoit expressément que, lorsque le Gouvernement engage la procédure accélérée dans les conditions prévues à l'article 45 de la Constitution, le délai de six semaines entre le dépôt du projet de loi et sa discussion en séance publique devant la première assemblée ne s'applique pas, ni, d'ailleurs, le délai de quatre semaines entre la transmission du texte et sa discussion devant la seconde assemblée saisie.

Le Conseil constitutionnel a jugé qu'il en résultait que le règlement de l'Assemblée nationale ne pouvait imposer un délai minimum avant le début de la discussion en séance d'un projet de loi ou d'une proposition de loi ayant fait l'objet d'un engagement de la procédure accélérée (décision n°2014-705 DC, cons. 15).

De la même manière, le dernier alinéa de l'article 45 ne prévoit aucun délai entre l'échec de la commission mixte paritaire et la nouvelle lecture par l'Assemblée nationale.

Au demeurant, les délais d'examen du texte ont permis au débat parlementaire de s'exercer pleinement.

Le projet de loi a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 22 avril 2015. Le Gouvernement a indiqué, dès le lundi 4 mai, qu'il entendait inscrire l'examen en séance publique de ce texte à compter du mardi 26 mai. Cette inscription a été entérinée en Conférence des présidents le mardi 5 mai.

L'examen en commission s'est tenu les mardi 19 et mercredi 20 mai. 534 amendements ont été déposés en commission. Et, lors de la discussion en séance publique, 740 amendements ont été déposés dont 244 de députés du groupe Les Républicains dont émane la saisine.

De même, si la commission mixte paritaire s'est tenue le 30 juin, soit le jour du vote solennel du projet de loi en première lecture au Sénat, l'examen du texte s'était achevé le jeudi 25 juin en fin d'après-midi.

Il convient également de relever que l'échec de la commission mixte paritaire était pleinement anticipé par l'ensemble des groupes parlementaires. 117 amendements ont ainsi été déposés pour l'examen du texte en commission qui s'est tenue le 1er juillet, sur la base du texte adopté en première lecture par le Sénat.

Et l'examen du texte en séance publique n'est intervenu que le 7 juillet. Il a porté sur un texte qui était sensiblement le même que le texte adopté par l'Assemblée nationale en première lecture. Et 286 amendements ont à nouveau été déposés pour être examinés en séance publique dont 141 par le groupe Les Républicains.

Dans ces conditions, il ne saurait être utilement soutenu que les modalités d'examen de ce texte en première lecture et en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale ont empêché un débat parlementaire approfondi.

2/ Il convient, en deuxième lieu, de relever que l'exercice du droit d'amendement n'a pas été entravé lors de l'examen en lecture définitive.

Le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de rappeler sa jurisprudence suivant laquelle le droit d'amendement est soumis à des limitations particulières lorsque le Gouvernement invite l'Assemblée nationale, sur le fondement du dernier alinéa de l'article 45 de la Constitution, à statuer définitivement. Dans l'hypothèse où l'Assemblée est appelée à se prononcer sur le dernier texte voté par elle, ne peuvent être adoptés que des amendements votés par le Sénat lors de la dernière lecture du texte en discussion (décision n°91-290 DC, cons. 11, décision n°2015-709 DC, cons. 11).

Il a également précisé que, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, les amendements adoptés par le Sénat qui pouvaient être repris par amendement devant l'Assemblée nationale étaient aussi bien les amendements adoptés par la commission au Sénat et non supprimés en séance publique que les amendements adoptés en séance publique (décision n° 2014-709 DC du 15 janvier 2015).

Le Conseil constitutionnel a par ailleurs jugé que, par dérogation au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion du projet ou de la proposition de loi devant l'Assemblée appelée à statuer définitivement porte sur le texte dont cette assemblée a été saisie et non sur le texte de la commission (décision n°2015-715, cons. 17).

Cette solution se justifie en raison des dispositions spécifiques du quatrième alinéa de l'article 45 de la Constitution qui prévoit qu'en lecture définitive, l'Assemblée nationale peut reprendre soit le texte élaboré par la commission mixte, soit le dernier texte voté par elle, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés par le Sénat.

Il s'en déduit que les amendements présentés par les parlementaires lors de la lecture définitive doivent nécessairement être déposés en séance publique même si la commission peut se prononcer pour ou contre leur adoption.

En l'occurrence, le président de la commission des affaires sociales a constaté que si des amendements avaient été déposés pour la séance, ils n'étaient pas en état d'être examinés par la commission.

Et il n'est pas contesté que 27 amendements ont été déposés en séance publique dont l'amendement n°2 déposé par M. Tardy invoqué par la saisine.

Dans ces conditions, il ne peut être utilement soutenu que le droit d'amendement des parlementaires aurait été méconnu lors de l'examen du texte en lecture définitive.

II. Sur l'article 1er

A/ Cet article institue des commissions paritaires régionales interprofessionnelles représentant les salariés et les employeurs dans les très petites entreprises qui comptent moins de onze salariés.

Les députés requérants soutiennent que cet article méconnaît le principe d'égalité des salariés et porte atteinte à la liberté d'entreprendre et au droit de propriété.

B/ Ces griefs sont infondés.

1/ Sur le principe d'égalité

L'article 48 de la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social a ouvert la possibilité aux partenaires sociaux de créer par accord des commissions paritaires professionnelles ou interprofessionnelles au niveau local, départemental ou régional.

L'article L. 2234-2 du code de travail définit leurs missions, qui peuvent inclure :
- la négociation sur des sujets d'intérêt local, notamment en matière d'emploi et de formation continue ;
- l'examen de réclamations individuelles ou collectives ;
- l'examen de toute autre question relative aux conditions d'emploi et de travail des salariés intéressés.

La lettre commune signée en janvier 2010 par l'UPA, la CGT et la CFDT dans le cadre des négociations sur la mise en œuvre de la réforme de la représentativité syndicale auprès des salariés des très petites entreprises demandait la mise en place obligatoire de commissions paritaires territoriales.

Le projet de loi élaboré à la suite de cette lettre commune prévoyait la possibilité de mettre en place des commissions paritaires régionales pour les très petites entreprises. Mais, à la suite des débats parlementaires, la loi n°2010-1215 du 15 octobre 2010 complétant les dispositions relatives à la démocratie sociale issues de la loi n°2008-789 du 20 août 2008 s'est limitée à modifier l'article L. 2234-1 du code du travail pour prévoir que les accords instituant des commissions paritaires locales peuvent prévoir que leur composition peut tenir compte de l'audience syndicale.

En application de ces dispositions, des commissions paritaires locales ont été mises en place dans le cadre d'accords collectifs. Tel est le cas des commissions paritaires interrégionales de l'artisanat. Mais d'autres secteurs professionnels importants, comme les professions agricoles ou les professions libérales, ont également conclu des accords visant à la mise en place de commissions paritaires territoriales dédiées. D'autres expériences ont également été recensées. Ainsi, en région Corse, dans le secteur des cafés-hôtels-restaurants un accord collectif sectoriel régional conclu en juillet 2007 par trois organisations professionnelles d'employeurs et quatre organisations syndicales de salariés a créé une commission paritaire sectorielle régionale ayant pour objectifs prioritaires le traitement de la saisonnalité et l'amélioration de l'application du droit. De même, en région Rhône-Alpes, une commission paritaire régionale s'est mise en place en 2008 pour développer une expertise en matière de conciliation en cas de différends individuels ou collectifs. En région PACA, dans une quarantaine de commissions, des initiatives ont été prises dans des champs variés, comme l'évaluation et la prévention des risques ou les conditions d'emploi et de formation des salariés.

Ce cadre n'a néanmoins pas permis d'assurer une représentation de l'ensemble des salariés des très petites entreprises.

Le législateur a souhaité, dans le cadre de la compétence qu'il tire de l'article 34 de la Constitution, assurer une représentation de tous les salariés des entreprises de moins de onze salariés afin de mettre en œuvre le principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail contenu dans le Préambule de la Constitution de 1946.

Ainsi donc, loin de méconnaître le principe d'égalité entre salariés, la loi déférée permet de garantir une représentation minimale pour l'ensemble des 4,6 millions de salariés travaillant dans les entreprises de moins de onze salariés et pour les employeurs de ces entreprises.

Le Conseil constitutionnel juge néanmoins qu'il est loisible au législateur, après avoir défini les droits et obligations touchant aux conditions et aux relations de travail, de laisser aux employeurs et aux salariés, ou à leurs organisations représentatives, le soin de préciser, notamment par la voie de la négociation collective les modalités concrètes d'application des normes qu'il édicte en matière du droit du travail (décision n°99-430 DC, décision n°2004-507 DC).

Le législateur a précisément souhaité permettre aux branches de maintenir des commissions paritaires régionales spécifiques qu'elles ont mises en place pour exercer la représentation des employeurs et des salariés des entreprises de moins de onze salariés.

La loi prévoit ainsi que les salariés relevant des branches qui ont mis en place des commissions paritaires régionales ou, le cas échéant, départementales lorsque leur champ de compétence géographique recouvre l'intégralité d'une région, par un accord de branche ou de niveau national et interprofessionnel ou multiprofessionnel seront représentés par ces commissions et non par les commissions paritaires interprofessionnelles régionales.

Mais, contrairement à ce que soutiennent les députés requérants, ces commissions paritaires régionales spécifiques devront exercer les mêmes attributions que celles des commissions paritaires interprofessionnelles régionales et devront assurer aux salariés et aux employeurs une représentation adaptée.

Le législateur a prévu, au VII de cet article, un délai suffisant aux partenaires sociaux pour faire évoluer les accords qui prévoient l'existence de ces instances conventionnelles afin d'assurer la représentation des salariés de cette branche dans les conditions prévues par la loi.

Si les attributions de l'instance conventionnelle recoupent celles de l'instance légale, c'est l'instance conventionnelle qui exercera les attributions de l'instance légale.

Si les partenaires sociaux ne modifient pas les compétences de l'instance conventionnelle pour qu'elles recoupent les attributions de l'instance légale, les salariés des entreprises de moins de onze salariés seront représentés au sein des commissions paritaires interprofessionnelles régionales et au sein de l'instance conventionnelle.

Dans tous les cas de figure, les salariés seront représentés au sein d'une instance exerçant les attributions prévues par le législateur.

Le grief tiré de ce que le législateur aurait méconnu le principe d'égalité entre salariés des entreprises de moins de onze salariés suivant qu'ils sont représentés par des commissions paritaires régionales interprofessionnelles ou des instances conventionnelles ne pourra donc qu'être écarté.

2/ Sur l'atteinte à la liberté d'entreprendre et au droit de propriété

L'article L. 23-113-2, inséré par la loi déférée, prévoit que les membres des commissions paritaires régionales ont accès aux entreprises, sur autorisation de l'employeur.

Comme l'a indiqué le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social lors des débats parlementaires, ces dispositions indiquent clairement que les membres de la commission ne peuvent entrer dans l'entreprise sans accord exprès de l'employeur.

Dans ces conditions, le grief tiré de ce que le législateur aurait porté atteinte à la liberté d'entreprendre et au droit de propriété en prévoyant l'accès aux locaux des entreprises n'est pas fondé.

A cet égard, il convient de souligner que, contrairement à ce que soutiennent les députés requérants, la loi ne souffre d'aucune ambigüité sur le rôle des commissions paritaires interprofessionnelles interrégionales dans le domaine de la résolution de conflits individuels ou collectifs.

Elles ne pourront intervenir qu'avec l'accord des parties si le conflit n'a pas donné lieu à saisine d'une juridiction. Et ce mode alternatif de résolution des conflits ne pourra, en tout état de cause, priver le salarié ou l'employeur du droit de saisir le conseil des prud'hommes, en application des dispositions du livre quatrième de la première partie du code du travail.

Cet article est donc conforme à la Constitution.

***

Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement est d'avis que les griefs articulés dans la saisine ne sont pas de nature à conduire à la censure de la loi déférée.

Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter le recours dont il est saisi.