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Décision n° 2015-717 DC du 6 août 2015 - Saisine par 60 sénateurs

Loi portant nouvelle organisation territoriale de la République
Non conformité partielle

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,

Les Sénateurs soussignés ont l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi portant nouvelle organisation de la République.

Les sénateurs requérants contestent la constitutionnalité du dispositif mis en place par l'article 17 septdecies de la loi déférée, organisant les conditions de désignation des représentants de Paris au sein de la future Métropole du Grand Paris. En effet, selon les requérants, les modalités électorales ainsi définies contreviennent au principe d'égalité entre les collectivités territoriales.

En l'espèce, la disposition contestée prévoit que la Ville de Paris bénéficie d'un siège représentant le Conseil de Paris à la Métropole du Grand Paris (MGP) et que les autres sièges, attribués à la commune de Paris, seront répartis entre les arrondissements en fonction de leur population, à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, chaque arrondissement devant disposer d'au moins un siège.
Un régime transitoire est également prévu jusqu'au prochain renouvellement général des conseils municipaux suivant la création de la Métropole du Grand Paris, soit :
- un siège pour le Conseil de Paris ;
- les autres sièges sont répartis entre les arrondissements de la commune de Paris en fonction de leur population, à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, chaque arrondissement devant disposer d'au moins un siège.

La question de l'arrondissement, comme l'a d'ailleurs rappelé la Députée Mme Nathalie Kosciusko-Morizet lors du débat à l'Assemblée nationale en 2ème lecture, « n'est en réalité qu'un prétexte car le Gouvernement ne prévoit pas que les conseillers d'arrondissement puissent participer au vote ».

Selon les requérants, aucun motif d'intérêt général ne justifie la modification de la loi existante, dite loi MAPTAM, actuellement en vigueur, s'agissant de la gouvernance du conseil métropolitain du Grand Paris. En effet, aucun motif ne justifie que les représentants de Paris soient désignés, non par les conseillers composant le conseil de Paris, mais par ces conseillers de Paris au sein des arrondissements.

Les sénateurs requérants tiennent à faire remarquer, dans un premier temps, que la disposition contestée, ainsi introduite au cours de la discussion parlementaire, n'a pas fait l'objet d'une étude d'impact. En outre, ils relèvent, que dans un tel système, la majorité municipale de Paris récupèrerait une quarantaine des soixante sièges alors qu'elle n'a pas obtenu plus de la moitié des voix lors des dernières élections municipales.

De surcroît, les sénateurs requérants soulignent que le Gouvernement avait déjà tenté de faire adopter cette disposition lors de la 2ème lecture au Senat, qui l'avait alors rejeté au motif que le dispositif ainsi mis en place dérogeait au droit commun en la matière. Même la Commission des Lois de l'Assemblée nationale, lors de l'examen en commission en 2ème lecture, a rejeté cette disposition pourtant adoptée en séance publique ensuite.

Selon les requérants, il s'agit d'une disposition d'exception, même si le Gouvernement a prétendu, tout d'abord lors de la discussion au Sénat, qu'il s'agissait « d'aligner la composition du conseil métropolitain de la métropole du Grand Paris sur le droit commun applicable aux autres établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre », puis a argumenté lors de la discussion à l'Assemblée nationale qu'il tenait compte « de la situation particulière de la commune de Paris et de son organisation en arrondissements ».

Pourtant, comme votre Conseil l'a précisé dans le considérant 23 de sa décision n°2009-588 relative à la loi réaffirmant le principe du repos dominical, « considérant que la ville de Paris, soumise à un régime particulier en raison de sa qualité de siège des pouvoirs publics, constitue, à elle seule, une catégorie de collectivité territoriale ; (...) qu'aucune différence de situation ne justifie que le pouvoir de proposition, qui appartient dans la législation en vigueur au conseil de Paris, ne soit pas confié au maire de Paris comme dans l'ensemble des autres communes, y compris Lyon et Marseille ».

Si les requérants reconnaissent qu'il existe des exceptions pour les grandes villes découpées en arrondissements, l'article 17 septdecies de la loi déférée pose, ici, une exception s'agissant de la gouvernance pour la Métropole du Grand Paris, pour la seule commune de Paris. En effet, aucune autre commune de la Métropole du Grand Paris n'est concernée par ces modalités électorales nouvelles.

Si les requérants reconnaissent également qu'un mode de désignation distinct pour la commune de Paris n'est pas en soi inconstitutionnel, comme l'a d'ailleurs admis votre Conseil, (décision n°2013-667 DC, du 16 mai 2013) au motif « que la différence de traitement instituée est fondée sur un critère objectif et rationnel », les requérants estiment que l'article 17 septdecies est inconstitutionnel en raison du but qu'il poursuit, dérogeant au caractère général de la loi.

Le dispositif, énoncé par l'article 17 septdecies contesté, laisse, en effet, penser que les conseillers métropolitains représenteront les arrondissements, alors que ceux-ci seront élus par et parmi les seuls conseillers de Paris de l'arrondissement au scrutin de liste à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne. Cette règle rend donc la participation des arrondissements purement virtuelle, puisque seuls les conseillers de Paris pourront candidater et prendre part au vote : les conseillers d'arrondissement n'étant pas conseillers de Paris, ils ne pourront ni être candidats pour représenter la ville au sein de la MGP, ni même participer au vote de désignation.

Les sénateurs requérants considèrent que cette disposition méconnaît le principe constitutionnel de clarté et d'intelligibilité de la loi.

Le système proposé est également injuste et méconnaît le principe d'égalité, ainsi que les articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en ce qu'il superpose deux systèmes de scrutin à la proportionnelle, dont les effets cumulés amplifient les inégalités, en effet :
- le mode d'élection des conseillers de Paris se fait déjà à la proportionnelle à la plus forte moyenne, avec une prime à la liste arrivée en tête ;
- dans le système proposé, l'élection des représentants de Paris se faisant par les conseillers de Paris dans chaque arrondissement, le nouveau corps électoral n'est pas démocratique, puisqu'il amplifie le rapport de forces : ainsi, pour prendre l'exemple du 14e arrondissement, le corps électoral sera constitué à 80 % de membres d'une liste n'ayant obtenu que 53,09 % des suffrages. Il y a donc un effet démultiplicateur des disproportions. Cet effet sera particulièrement fort dans les arrondissements élisant un nombre relativement faible de conseillers communautaires, ou le double effet de seuil des deux scrutins successifs à la proportionnelle à la plus forte moyenne conduira, de fait, à évincer l'opposition dans l'arrondissement.

Selon les sénateurs requérants, ce mode de scrutin, aura pour conséquence collatérale d'évincer la responsable de l'opposition municipale à Paris. En effet, dans un arrondissement comme le 14e, alors que la droite a obtenu 46,91 % des suffrages au 2nd tour de l'élection municipale, elle ne recueillerait aucun siège sur les 4 qui seront attribués à cet arrondissement pour la Métropole du Grand Paris.

Les requérants rappellent à votre Conseil que le principe d'indivisibilité de la République implique un principe d'égalité entre les collectivités territoriales, notamment par le respect d'un certain nombre de règles en matière régalienne telles que la nationalité, les droits civiques, le droit électoral, l'état et la capacité des personnes, l'organisation de la justice, le droit pénal, la procédure pénale, la politique étrangère, la défense, la sécurité et l'ordre publics, la monnaie, le crédit et les changes. En conséquence, notamment en matière de droit électoral, le législateur ne peut définir des règles différentes selon les collectivités territoriales sauf à justifier qu'elles répondent à un objectif d'intérêt général ou d'un besoin spécifique afin de préserver l'application uniforme sur l'ensemble du territoire des normes essentielles pour la préservation du caractère unitaire de l'Etat.

Pour l'ensemble de ces raisons, les sénateurs requérants estiment que cette disposition doit être déclarée inconstitutionnelle.