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Décision n° 2015-476 QPC du 17 juillet 2015 - Décision de renvoi CE

Société Holding Désile [Information des salariés en cas de cession d'une participation majoritaire dans une société - Nullité de la cession intervenue en méconnaissance de cette obligation]
Non conformité partielle

N° 386792
ECLI : FR : CESSR : 2015 : 386792.20150522
Inédit au recueil Lebon
1ère / 6ème SSR
M. Denis Rapone, rapporteur
M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public

lecture du vendredi 22 mai 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par deux mémoires, enregistrés les 2 mars et 29 avril 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SARL Holding Désile demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation du 2 ° de l'article 1er du décret n° 2014-1254 du 28 octobre 2014 relatif à l'information des salariés en cas de cession de leur entreprise, en tant qu'il insère dans le code de commerce (partie règlementaire) les articles D. 23-10-1 et D. 23-10-2, et de l'article 2 du même décret, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des article 20 et 98 de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 34 et 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de commerce ;
- la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Denis Rapone, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;

1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) » ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique :

2. Considérant que le ministre soutient qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société requérante, au motif qu'elle est présentée à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir irrecevable, faute pour cette société de justifier d'un intérêt à agir à l'encontre du décret attaqué ; que, toutefois, le Conseil d'Etat n'est pas tenu, lorsque, à l'appui d'une requête, est soulevée devant lui une question prioritaire de constitutionnalité sur laquelle il lui incombe de se prononcer dans un délai de trois mois, de statuer au préalable sur la recevabilité de cette requête ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par le ministre doit être écartée ;

Sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée :

3. Considérant que l'article 20 de la loi du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire a introduit au titre III du livre II du code de commerce un chapitre X intitulé « De l'information des salariés en cas de cession de leur société » et comportant une première section relative à « l'instauration d'un délai permettant aux salariés de présenter une offre de rachat des parts sociales, actions ou valeurs mobilières donnant accès à la majorité du capital dans les sociétés de moins de cinquante salariés », comprenant les articles L. 23-10-1 à L. 23-10-6, et une seconde section relative à « l'information des salariés leur permettant de présenter une offre de rachat des parts sociales ou actions ou valeurs mobilières donnant accès à la majorité du capital, dans les entreprises employant de cinquante à deux cent quarante-neuf salariés », comprenant des articles L. 23-10-7 à L. 23-10-12 ; qu'aux termes de l'article L. 23-10-1 : « Dans les sociétés qui n'ont pas l'obligation de mettre en place un comité d'entreprise en application de l'article L. 2322-1 du code du travail, lorsque le propriétaire d'une participation représentant plus de 50 % des parts sociales d'une société à responsabilité limitée ou d'actions ou valeurs mobilières donnant accès à la majorité du capital d'une société par actions veut les céder, les salariés en sont informés, et ce au plus tard deux mois avant la cession, afin de permettre à un ou plusieurs salariés de présenter une offre d'achat de cette participation. / Le représentant légal notifie sans délai aux salariés cette information, en leur indiquant qu'ils peuvent présenter au cédant une offre d'achat. / La cession peut intervenir avant l'expiration du délai de deux mois dès lors que chaque salarié a fait connaître au cédant sa décision de ne pas présenter d'offre (...) » ; que l'article L. 23-10-7 prévoit, lorsqu'une telle cession est envisagée dans une société soumise à l'obligation de mettre en place un comité d'entreprise en application de l'article L. 2322-1 du code du travail et relevant de la catégorie des petites et moyennes entreprises au sens de l'article 51 de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, que le cédant notifie sa volonté de céder à la société et que le chef d'entreprise, au plus tard en même temps qu'il procède, en application de l'article L. 2323-19 du code du travail, à l'information et à la consultation du comité d'entreprise, porte cette notification à la connaissance des salariés en leur indiquant qu'ils peuvent présenter au cédant une offre de rachat ; que chacun de ces deux articles prévoit que : « La cession intervenue en méconnaissance du présent article peut être annulée à la demande de tout salarié. / L'action en nullité se prescrit par deux mois à compter de la date de publication de la cession de la participation ou de la date à laquelle tous les salariés en ont été informés » ; qu'aux termes du premier alinéa de chacun des articles L. 23-10-3 et L. 23-10-9 : « L'information des salariés peut être effectuée par tout moyen, précisé par voie réglementaire, de nature à rendre certaine la date de sa réception par ces derniers » ; que l'article 98 de la même loi détermine les modalités d'entrée en vigueur de ces dispositions ;

4. Considérant que les articles 20 et 98 de la loi du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire sont applicables au présent litige ; que ces dispositions n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; que le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au droit de propriété et, à les supposer applicables, aux principes de proportionnalité et de personnalité des peines garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, soulève une question présentant un caractère sérieux ; qu'ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ;

D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des articles 20 et 98 de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de la SARL Holding Désile jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SARL Holding Désile et au ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique.
Copie en sera adressée au Premier ministre, à la garde des sceaux, ministre de la justice et au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.