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Décision n° 2014-696 DC du 7 août 2014 - Observations du Gouvernement

Loi relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales
Non conformité partielle

Le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de soixante députés d'un recours dirigé contre la loi relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales.

Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

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Les députés auteurs du recours estiment que les articles 19 et 22 de la loi déférée, qui instituent une nouvelle peine de contrainte pénale, méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines et le principe de nécessité des peines, qu'ils portent atteinte au principe d'égalité devant la loi, qu'ils méconnaissent le droit à un procès équitable et le principe d'impartialité des juridictions.

Ces griefs ne pourront qu'être écartés.

En premier lieu, contrairement à ce que soutiennent les députés requérants, la contrainte pénale constitue une peine qui a pour fonction, conformément aux dispositions du 1 ° de l'article 130-1 du code pénal, dans leur rédaction issue de la loi déférée, de sanctionner l'auteur de l'infraction.

Si elle a pour finalité de prévenir la récidive en favorisant l'insertion ou la réinsertion au sein de la société, la contrainte pénale présente à l'évidence un objet répressif. Elle permet, pendant une durée pouvant aller jusqu'à cinq ans, de placer sous contrôle le condamné, de prendre des mesures limitant ses droits et libertés, par exemple en lui interdisant de se rendre dans certains lieux ou d'exercer certaines activités professionnelles ou sociales, et de le contraindre à certains actes ou comportements, comme le respect d'une injonction de soins ou l'accomplissement d'un travail d'intérêt général.

S'il sera astreint à un accompagnement socio-éducatif plus individualisé et plus soutenu, le condamné à une contrainte pénale se trouvera dans la même situation qu'une personne condamnée, par exemple, à un travail d'intérêt général, à un stage de citoyenneté, à un sursis avec mise à l'épreuve ou à un sursis assorti de l'obligation d'accomplir un travail d'intérêt général, dont il n'a jamais été considéré qu'ils n'avaient aucun objet répressif.

De plus, en cas de non respect des obligations et interdictions auxquelles le condamné est astreint, il encourra un emprisonnement dont la durée maximale est fixée par la juridiction de jugement.

En deuxième lieu, il convient de relever que l'emprisonnement qui peut être prononcé dans le cadre de la contrainte pénale ne sanctionne pas l'infraction initiale mais l'inexécution, par le condamné, de la peine de contrainte pénale elle-même.

Le fait de sanctionner de façon spécifique l'inexécution d'une peine préalablement prononcée pour une précédente infraction existe de manière traditionnelle dans le droit pénal français. Cette inexécution constitue le plus souvent un délit autonome. Les articles 434-38 et suivants du code pénal punissent ainsi de deux ans d'emprisonnement la violation de différentes peines prononcées par une juridiction, comme l'interdiction d'exercer une activité professionnelle, l'interdiction de conduire un véhicule ou l'obligation d'exécuter un travail d'intérêt général.

Il est par ailleurs fréquent que le maximum encouru soit fixé par la juridiction de condamnation. Ce mécanisme est plus efficace car il évite d'engager des nouvelles poursuites pour une nouvelle infraction.

C'est le cas pour le suivi-socio-judiciaire, en application de l'article 131-36-1 du code pénal. C'est également le cas pour les peines alternatives ou complémentaires, en application des articles 131-9 et 131-11 du code pénal.

Il ne peut donc être soutenu que la contrainte pénale méconnaîtrait le principe « non bis in idem » ou instaurerait une double peine.

De même, il ne peut être soutenu que la limitation de la durée maximale d'emprisonnement à deux ans en cas de violation des obligations de la contrainte pénale instaurerait un quantum maximum de peine différent pour une même infraction.

Le tribunal pourra, pour les délits entrant dans le champ de la contrainte pénale, décider de prononcer une peine d'emprisonnement dans la limite du maximum prévu par la loi, qui est inchangé, ou, s'il l'estime mieux adaptée prononcer une contrainte pénale.

La contrainte pénale ne se distingue pas, de ce point de vue, des peines de travail d'intérêt général, de stage de citoyenneté, des peines alternatives de l'article 131-6 du code pénal ou des peines complémentaires prononcées à titre de peine principale en application de l'article 131-11. Lorsque le tribunal prononce ces peines, pour n'importe quel délit puni d'une peine d'emprisonnement d'une durée supérieure à deux ans, l'inexécution de la peine prononcée constitue un délit puni de deux ans d'emprisonnement en application des articles 434- 38 et suivant du code pénal ou peut être sanctionnée par le juge d'application des peines d'un emprisonnement fixé jusqu'à deux ans maximum par le tribunal qui a fait application des articles 131-9 et 131-11 du code pénal.

La loi déférée n'a donc ni pour objet, ni pour effet d'instaurer un quantum maximum de peine distinct de celui prévu par la loi.

En troisième lieu, contrairement à ce que soutiennent les députés requérants, la loi déférée définit avec précision la peine de contrainte pénale ainsi que les attributions des magistrats intervenant dans le prononcé et l'exécution de cette peine.

Elle définit la durée minimale et maximale de la contrainte pénale qui sera comprise entre six mois et cinq ans.

Elle définit avec précision les obligations qui pourront être imposées au condamné par la formation de jugement et le juge d'application des peines (obligations générales et obligations particulières énumérées par les articles 132-44 et 132-45 du code pénal, travail d'intérêt général et injonction de soins).

Elle définit la durée maximum de l'emprisonnement encouru en cas d'inobservation des obligations de la contrainte pénale qui est de deux ans ou, s'il est inférieur, le maximum de la peine encourue pour le délit considéré.

Elle définit également clairement les attributions respectives des magistrats appelés à statuer.

Le tribunal correctionnel décidera de prononcer la contrainte pénale en fonction de la personnalité du prévenu et des faits de l'espèce.

Il convient, à cet égard, de relever que la prise en compte des faits de l'espèce n'est pas incompatible avec le principe défini par le dernier alinéa de l'article 132-1 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi déférée, suivant lequel la juridiction devra déterminer « la nature, le quantum et le régime des peines prononcées en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ».

Les dispositions du premier alinéa de l'article 131-4-1 du code pénal viennent seulement préciser et compléter ces dispositions générales, afin de mettre l'accent sur la nécessité d'individualiser au mieux la peine de contrainte pénale.

La notion de « faits de l'espèce » encourage le tribunal correctionnel à prendre en compte le contexte et la gravité relative de l'infraction mais aussi la nature des faits et les liens avec la personnalité de leur auteur pour déterminer si un accompagnement socio-éducatif individualisé et soutenu doit être imposé par le prononcé d'une contrainte pénale, pour fixer la durée de la contrainte et la durée maximale de l'emprisonnement encouru en cas de violation des obligations imposées au condamné.

Le tribunal fixera également le contenu des obligations s'il dispose d'éléments d'information suffisants sur la personnalité du condamné et sur sa situation matérielle, familiale et sociale. Tel peut être notamment le cas quand un ajournement pour investigations sur la personnalité aura été ordonné. Certaines obligations pourront également être prononcées immédiatement en raison de leur caractère de mesure de sûreté, comme l'interdiction de rencontrer la victime ou de paraître dans certains lieux.

Le juge d'application des peines assurera l'exécution de la peine de contrainte pénale. Après évaluation du service pénitentiaire d'insertion et de probation, il pourra fixer le contenu des obligations si le tribunal ne l'a pas fait et, dans le cas contraire, modifier, compléter ou supprimer ces obligations. Il pourra ensuite les adapter en cours d'exécution de la peine, et notamment après chaque évaluation, au moins annuelle.

En cas de non respect des obligations, il pourra procéder à un rappel à la loi, aggraver ces obligations ou, dans les cas les plus graves, saisir le président du tribunal ou un juge désigné par loi pour mise à exécution de l'emprisonnement, en ordonnant le cas échéant une incarcération provisoire. En cas d'incarcération du condamné pour un autre motif, il pourra ordonner la suspension de la contrainte pénale. Sur réquisitions conformes du procureur de la République, il pourra ordonner la cessation anticipée de la peine après un délai d'un an.

A cet égard, le Gouvernement estime que le principe de légalité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce qu'une partie du contenu de la peine soit fixée par le juge d'application des peines, dès lors qu'il statue dans le cadre précisément et préalablement défini par la loi. Cette forme de césure permet que la peine puisse être définie de manière complète après une évaluation du condamné par le service pénitentiaire d'insertion et de probation afin d'être la mieux adaptée à la situation matérielle, familiale et sociale du condamné.

On peut d'ailleurs relever que le juge d'application des peines peut d'ores et déjà modifier les obligations d'un sursis avec mise à l'épreuve fixées par le tribunal correctionnel en application des dispositions de l'article 739 du code de procédure pénale. Il peut également convertir une peine d'emprisonnement prononcée par le tribunal correctionnel en sursis assorti de l'obligation d'accomplir un travail d'intérêt général ou en jours amendes, en application des dispositions de l'article 132-57 du code pénal et des articles 733-1 et 747-1-1 du code de procédure pénale.

Le cas échéant, le président du tribunal de grande instance ou le juge par lui délégué ne sera appelé à se prononcer que sur la mise à exécution de l'emprisonnement encouru en cas de violation des obligations ou, en cas d'opposition du procureur de la République, sur la cessation anticipée de la peine.

En quatrième lieu, en créant la contrainte pénale, la loi déférée ne peut être regardée comme portant atteinte au principe de nécessité des peines.

Le simple fait que, dans le cadre d'une contrainte pénale, le juge puisse ordonner à la fois des obligations et interdictions prévues en matière de sursis avec mise à l'épreuve, l'obligation d'effectuer un travail d'intérêt général et une injonction de soins, ne peut être regardé comme une méconnaissance de ce principe.

En cinquième lieu, le fait que le juge d'application des peines puisse saisir le président du tribunal ou un juge par lui délégué aux fins de prononcer l'emprisonnement en cas de non respect de la mesure de contrainte et ordonner l'incarcération provisoire du condamné alors qu'il intervient dans la définition des obligations auxquelles le condamné à la peine de contrainte pénale est soumis et qu'il en assure le suivi et le contrôle ne peut être regardé comme portant atteinte au principe d'impartialité des juridictions.

En effet, la durée maximale d'emprisonnement sera fixée par le tribunal correctionnel. Et la sanction de la violation des obligations de la contrainte pénale sera assurée par le président du tribunal de grande instance ou le juge par lui délégué saisi, d'office ou sur réquisitions du procureur de la République, par le juge d'application des peines.

La loi déférée distingue ainsi clairement le prononcé de la peine, le contrôle de son exécution et la sanction de sa violation.

La possibilité pour le juge d'application des peines d'incarcérer provisoirement le condamné jusqu'à la décision du juge répond à l'objectif constitutionnel de sûreté. Elle est également prévue de manière générale, en matière d'application des peines, par l'article 712-19 du code de procédure pénale. Cette mesure répond au principe de proportionnalité, la détention provisoire ne peut excéder un délai de quinze jours.

Il convient, à cet égard, de relever que, contrairement à ce que soutiennent les députés auteurs du recours, la compétence donnée au président du tribunal ou au juge par lui délégué de fixer la durée d'emprisonnement à exécuter ne saurait être regardée comme méconnaissant l'autorité de la chose jugée.

La durée d'emprisonnement fixée par le tribunal correctionnel pour sanctionner l'éventuelle violation des obligations par le condamné ne constitue qu'un maximum. La décision du juge qui retiendrait une durée inférieure ne remet donc en rien en cause la décision de la juridiction de jugement. Cette possibilité est d'ailleurs indispensable pour respecter le principe de proportionnalité des peines. Si c'est à la toute fin de la durée de la contrainte pénale que le condamné viole une obligation ou si l'obligation violée est d'une faible importance, il serait excessif que le juge soit tenu de prononcer une durée d'emprisonnement correspondant à la durée maximale décidée par le tribunal correctionnel. La faculté de fixer une durée d'emprisonnement inférieure à cette durée maximale est également essentielle pour des raisons d'efficacité pour permettre de prononcer, si nécessaire, une courte durée d'emprisonnement si celle-ci est la plus adaptée dans le parcours du condamné.

En dernier lieu, contrairement à ce que soutiennent les députés requérants, le caractère exécutoire par provision de la contrainte pénale ne peut être regardé comme une peine automatique ou une méconnaissance de la présomption d'innocence.

La contrainte pénale a vocation à s'appliquer, comme l'indique le nouvel article 131-4-1 du code pénal, aux condamnés dont la personnalité et la situation « justifient un accompagnement socio-éducatif individualisé et soutenu ». Elle se distingue, sur ce point, d'une mesure de sursis avec mise à l'épreuve qui peut être assez formelle. Elle nécessite, par ailleurs, une évaluation du condamné par le service pénitentiaire d'insertion et de probation, avec la rédaction d'un rapport au juge d'application des peines dans un délai de quatre mois. Cette condition impose que le condamné soit convoqué le plus rapidement possible devant le service pénitentiaire d'insertion et de probation. En outre, puisque la personnalité du condamné exige un suivi renforcé, le tribunal correctionnel prononcera, dans la plupart des cas, des mesures de sûreté qui devront être immédiatement applicables.

Ces caractéristiques imposent que la contrainte pénale soit exécutoire par provision.

Dans des cas proches, le législateur a également prévu que certaines décisions soient exécutoires par provision.

C'est le cas de la décision du tribunal correctionnel en cas d'ajournement avec mise à l'épreuve, en application du deuxième alinéa de l'article 132-63 du code pénal, en raison de l'articulation systématique entre l'intervention du tribunal et du juge d'application des peines et de l'existence de délais courts, la mise à l'épreuve jusqu'à l'audience sur la peine ne durant qu'un an.

De même, l'ensemble des mesures prises par le juge d'application des peines sont exécutoires par provision de plein droit (article 712-14 du code de procédure pénale et article 763-3 pour le suivi socio-judiciaire).

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Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement est d'avis que les griefs articulés dans la saisine ne sont pas de nature à conduire à la censure de la loi déférée.

Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter le recours dont il est saisi.