Décision n° 2014-688 DC du 13 février 2014 - Observations du Gouvernement
Loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen
Conformité - réserve
Le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de soixante députés d'un recours dirigé contre la loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen.
Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
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I/ SUR LA MECONNAISSANCE DES OBJECTIFS D'INTELLIGIBILITE ET D'ACCESSIBILITE DE LA LOI
A/ L'article 1er de la loi déférée prévoit que le mandat de représentant au Parlement européen est incompatible avec les fonctions mentionnées aux articles L.O. 141-1 et L.O. 147-1 du code électoral créés par la loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur.
L'article L.O. 141-1 du code électoral prévoit l'incompatibilité du mandat de député avec des fonctions exécutives locales ainsi qu'avec certaines fonctions éminentes exercées au sein des assemblées délibérantes de certaines collectivités territoriales.
L'article L.O. 147-1 du code électoral prévoit l'incompatibilité du mandat de député avec certaines fonctions exécutives exercées par des élus locaux au sein de structures locales émanant des collectivités territoriales.
Les députés auteurs du recours estiment que le régime d'incompatibilité instauré par ces deux articles méconnaît l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.
B/ Le Gouvernement n'est pas de cet avis.
L'article L.O. 141-1 énumère de façon précise les différentes fonctions exécutives ainsi que les fonctions exercées au sein des assemblées délibérantes de certaines collectivités territoriales qui seront incompatibles avec celles de député, de sénateur ou de représentant au Parlement européen.
On ne voit pas en quoi le fait que le législateur ait choisi d'inclure dans cette liste les fonctions de président de l'assemblée de Corse compte tenu de l'importance significative de ces fonctions et du rôle de représentation territoriale qui leur est attaché méconnaîtrait l'objective à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi. On relèvera, à cet égard, que le législateur a pu ne pas prévoir d'incompatibilité entre le mandat de député et les fonctions de vice-président de la commission permanente de l'assemblée de Corse, ces vice-présidents n'ayant pas vocation à remplacer le président de l'assemblée de Corse ni à recevoir délégation de signature de ce dernier.
A cet égard, le législateur organique a pu estimer que l'exercice de fonctions éminentes exercées au sein des assemblées délibérantes de Corse et des collectivités d'outre-mer devait être incompatible avec un mandat de parlementaire en raison de l'importance particulière de ces fonctions et de la fonction de représentation territoriale qui leur est attachée.
De même, il a pu considérer que devaient être incompatibles avec le mandat de parlementaire les fonctions de maire d'arrondissement, qui sont déjà incompatibles avec celles de maire, de président de conseil général ou de président de conseil régional, en application de l'article L. 2511-25 du code général des collectivités territoriales.
De la même manière, l'article L.O. 147-1 énonce de façon précise que sont incompatibles avec le mandat de parlementaire les fonctions de président ou de vice-président du conseil d'administration d'un établissement public local, du conseil d'administration du Centre national ou des centres de gestion de la fonction publique territoriale, du conseil d'administration ou du conseil de surveillance d'une société d'économie mixte locale, du conseil d'administration ou du conseil de surveillance d'une société publique locale ou d'une société publique locale d'aménagement ou d'un organisme d'habitation à loyer modéré.
Cette énumération précise ne laisse subsister aucune ambiguïté pour les élus et les électeurs.
Le grief tiré de ce que ces articles méconnaîtraient l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité ne pourra qu'être écarté.
II / SUR LES INCOMPATIBILITES
A/ Les députés auteurs du recours estiment que le régime d'incompatibilité prévu par le législateur organique méconnaît l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et le principe d'égalité devant la loi.
B/ Le Gouvernement n'est pas de cet avis.
1/ Sur la méconnaissance de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Le Conseil constitutionnel a jugé que, sans méconnaître l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, « il était loisible au législateur de renforcer les incompatibilités entre fonctions électives, dès lors qu'il estimait que le cumul de fonctions exécutives locales ne permettait pas à leur titulaire de les exercer de façon satisfaisante » (décision n°2000-426 DC, cons. 12). Il a ainsi jugé qu'il était loisible au législateur, eu égard à la spécificité du mandat des représentants du Parlement européen et des contraintes inhérentes à son exercice, de décider que le cumul dudit mandat et d'une fonction exécutive locale ne permettrait pas à leur titulaire d'exercer l'un et l'autre de manière satisfaisante (même décision, cons. 12).
Le régime d'incompatibilité prévu entre les mandats de député, de sénateur ou de représentant au Parlement européen avec des responsabilités importantes exercées au niveau local s'inscrit dans ce cadre.
Le législateur organique a souhaité tirer les conséquences de deux évolutions qui ont accru la charge pesant tant sur les titulaires de fonctions exécutives locales que sur les parlementaires et ont corrélativement accru les inconvénients du cumul des mandats.
Le mouvement de décentralisation des trente dernières années a fortement transformé l'exercice des responsabilités au sein des collectivités territoriales, de leurs groupements et des structures locales qui émanent de ces collectivités. En conséquence, la charge de travail liée à des fonctions exécutives locales s'est fortement accrue.
Parallèlement, la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a substantiellement modifié les modalités du travail parlementaire. La révision constitutionnelle a conféré aux commissions parlementaires un rôle déterminant dans l'élaboration de la loi. Elle a largement étendu la place laissée à l'initiative parlementaire. Elle a renforcé la fonction de contrôle de l'action du Gouvernement et de l'évaluation des politiques publiques.
Le législateur organique a estimé que le cumul d'un mandat de parlementaire et de fonctions de responsabilité prenantes au niveau local ne permettait plus à leur titulaire d'exercer simultanément son mandat et de telles fonctions de manière satisfaisante.
Le législateur a fait le même constat pour le mandat de représentant au parlement européen.
Les traités successifs, et notamment le traité de Lisbonne, ont accordé au Parlement européen un rôle accru dans la procédure législative de l'Union européenne. Ils ont progressivement étendu les matières régies par la procédure de codécision qui est ainsi devenue la procédure ordinaire pour l'adoption des actes de droit dérivé.
Dans ces conditions, le législateur a estimé qu'il était nécessaire de poursuivre la logique du régime d'incompatibilité fixé par la loi du 5 avril 2000 relative à la limitation du cumul des mandats électoraux qui prévoyait que le mandat de représentant au Parlement européen était incompatible avec l'exercice des fonctions de président de conseil régional, de président de conseil général ou de maire.
Il a estimé que ce régime d'incompatibilité devait être similaire à celui retenu pour les parlementaires nationaux et donc être étendu à d'autres fonctions de responsabilités prenantes au niveau local.
Ainsi, le grief tiré de ce que le régime d'incompatibilité défini par la loi déférée méconnaîtrait l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne pourra qu'être écarté.
2/ Sur la méconnaissance du principe d'égalité.
i/ Les députés requérants estiment que le champ des incompatibilités ainsi définies conduirait à une rupture d'égalité entre les parlementaires européens qui exercent concomitamment à leur mandat une activité professionnelle et ceux qui choisiraient d'exercer des mandats locaux ou des fonctions électives locales.
Le Gouvernement estime qu'il est loisible au législateur organique de renforcer le régime des incompatibilités entre les mandats de parlementaire et certaines fonctions locales sans pour autant modifier les incompatibilités existant entre ces mandats et des activités professionnelles.
Les règles d'incompatibilité entre un mandat électoral et une activité professionnelle poursuivent un objectif différent des règles d'incompatibilité entre un mandat électif et une autre fonction élective.
L'incompatibilité entre un mandat et une activité professionnelle est susceptible de dissuader la candidature d'un citoyen à un mandat électif qui le forcerait à renoncer à cette activité. Elle affecte donc très directement l'égale admissibilité aux emplois publics proclamée à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Le Conseil constitutionnel s'assure que cette incompatibilité est nécessaire pour protéger la liberté de choix de l'électeur ou l'indépendance de l'élu ou prévenir les risques de conflits d'intérêts (décision n°2013-675 DC, cons. 53).
L'incompatibilité de l'exercice simultané de plusieurs mandats ou fonctions électives impose au titulaire de ces mandats ou fonctions de choisir à quel mandat ou fonction élective il entend accéder. Le choix qui lui est ainsi imposé entre deux mandats publics ne peut être mis sur le même plan que le choix qui lui serait imposé entre un mandat et une activité professionnelle.
ii / Les députés auteurs du recours estiment que la loi déférée méconnaîtrait le principe d'égalité en permettant à un représentant au parlement européen de cumuler un mandat de conseiller municipal d'une commune dont la population est comprise entre 1 000 et 3 499 habitants en plus d'un mandat de conseiller régional ou de conseiller général jusqu'au prochain renouvellement du Parlement européen suivant le 31 mars 2017 alors que cette possibilité ne serait pas ouverte aux parlementaires nationaux à compter des élections municipales de 2014.
Ce grief manque en fait.
En application de l'article 31 de la loi n°2013-403 du 17 mai 2013 qui a modifié l'article 6-3 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen, le seuil de 1 000 habitants s'appliquera aux représentants au parlement européen à compter du prochain renouvellement général des conseils municipaux.
III/ SUR LE REGLEMENT DES SITUATIONS D'INCOMPATIBILITE
A/ L'article 1er de la loi déférée prévoit que le représentant au Parlement européen qui se trouve dans un cas d'incompatibilité mentionné aux articles L.O. 141-1 et L.O. 147-1 est tenu de faire cesser cette incompatibilité en démissionnant du mandat ou de la fonction qu'il détenait antérieurement.
Les députés auteurs du recours estiment que ces dispositions instituent une sanction et portent atteinte à la liberté de choix de l'électeur et à l'indépendance de l'élu.
B/ Ces griefs ne pourront qu'être écartés.
La loi prévoit que le titulaire d'une fonction exécutive locale qui sera élu représentant au Parlement européen devra démissionner de cette fonction exécutive. En sens inverse, le parlementaire européen qui se présentera pour exercer une fonction exécutive locale devra démissionner de son mandat de représentant au Parlement européen.
Cette règle est de nature à éviter qu'un parlementaire se présente à une élection locale alors qu'il n'a aucune intention d'exercer des fonctions exécutives locales. Elle est également de nature à éviter qu'un maire, un président de conseil général ou un président de conseil régional se présente aux élections européennes dans le seul but de favoriser la liste à laquelle il appartient.
Elle est donc de nature à assurer à l'électeur que le candidat pour lequel il vote exercera de manière effective le mandat ou les fonctions pour lesquels il se présente.
Une telle règle, qui concourt à la sincérité du scrutin, ne peut être regardée comme une sanction. L'élu concerné se présentera en toute connaissance de cause. Il tirera la conséquence de son élection dans un nouveau mandat en démissionnant du mandat ou de la fonction qu'il détenait antérieurement.
Elle est de nature à renforcer la liberté de choix de l'électeur en mettant fin à des pratiques dans lesquelles un candidat brigue un mandat parlementaire ou une fonction exécutive locale sans avoir l'intention de l'exercer dans les faits.
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Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement est d'avis que les griefs articulés dans la saisine ne sont pas de nature à conduire à la censure de la loi déférée.
Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter le recours dont il est saisi.