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Décision n° 2013-686 DC du 23 janvier 2014 - Observations du Gouvernement

Loi relative aux modalités de mise en oeuvre des conventions conclues entre les organismes d'assurance maladie complémentaire et les professionnels, établissements et services de santé
Conformité

Le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de soixante députés d'un recours dirigé contre la loi relative à la mise en oeuvre de conventions conclues entre les organismes d'assurance maladie complémentaire et les professionnels, établissements et service de santé.

Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

I. Sur le grief tiré de l'incompétence négative du législateur.

Les députés auteurs du recours considèrent que le législateur n'aurait pas épuisé sa compétence au regard des dispositions de l'article 34 de la Constitution en n'encadrant pas suffisamment ces conventions pour qu'elles respectent la liberté du patient de choisir son professionnel de santé.

Un tel grief manque en fait.

L'article 34 de la Constitution impose au législateur de déterminer « les principes fondamentaux des obligations civiles et commerciales ».

La loi déférée prévoit la faculté pour les organismes complémentaires d'assurance maladie de conclure des conventions avec les professionnels de santé.

Le législateur a encadré cette faculté en prévoyant précisément que « ces conventions ne peuvent comprendre aucune stipulation portant atteinte au droit fondamental de chaque patient au libre choix du professionnel, de l'établissement ou du service de santé et aux principes d'égalité et de proximité dans l'accès aux soins ».

Il ainsi entendu rappeler le droit du malade au libre choix de son praticien et de son établissement de santé prévu à l'article L. 1110-8 du code de la santé publique ;

Il a également prévu que le niveau de la prise en charge des actes et prestations médicaux par ces organismes « ne peut être modulé en fonction du choix de l'assuré de recourir ou non à un médecin ayant conclu une convention aux ces organismes ».

Ce grief ne pourra donc qu'être écarté.

II. Sur la méconnaissance du principe d'égalité et de la liberté d'entreprendre.

A/ Les députés auteurs du recours estiment que le législateur a méconnu le principe d'égalité devant la loi en prévoyant que les conventions conclues par les organismes complémentaires d'assurance maladie conclues avec les opticiens-lunetiers pouvaient prévoir un nombre limité d'adhésions.

B/ Le Gouvernement n'est pas de cet avis.

1/ Sur le principe d'égalité.

Comme le rappelle une jurisprudence bien établie, « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans un l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit. »

La loi déférée a pour objectif d'améliorer l'accès aux soins en permettant aux organismes complémentaires d'assurance maladie complémentaire de peser par la mise en place de conventions conclues avec les professionnels de santé sur les coûts des services qu'ils apportent. Au regard de cet objectif, les opticiens-lunetiers se trouvent dans une situation différente de celle des autres professionnels de santé qui justifie les dispositions permettant de limiter le nombre d'opticiens-lunetiers qui pourront être conventionnés.

Les dépenses d'optique sont principalement prises en charge par les organismes d'assurance maladie complémentaire et les assurés. D'après des données statistiques de la DREES, l'assurance maladie obligatoire prend en charge moins de 3 % des dépenses d'optique. Les organismes d'assurance maladie complémentaire prennent en charge en moyenne entre 55 % et 74 % du coût suivant la complexité des verres, le reste étant à la charge de l'assuré.

Le législateur a déjà pris en compte le rôle particulier des organismes d'assurance maladie complémentaire dans le financement de certaines dépenses de santé en prévoyant, à l'article L. 162-14-3 du code de la sécurité sociale, que les accords, conventions ou avenants concernant des professions ou prestations pour lesquelles la part des dépenses prises en charge par l'assurance maladie est minoritaire, ne sont valides que si elles sont également conclues par l'union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaire. Les opticiens-lunetiers, comme les chirurgiens-dentistes et les audioprothésistes, entrent dans le champ de ces dispositions en application d'un arrêté du 5 mai 2009.

Les opticiens-lunetiers se trouvent dans une situation juridique distincte de celle d'autres professionnels de santé au regard des règles encadrant la profession. Les dispositions applicables aux opticiens-lunetiers, prévues aux articles L. 4362-1 à L. 4632-11 du code de la santé publique, autorisent l'exercice de la profession d'opticien-lunetier à toute personne qui possède un brevet de technicien supérieur d'opticien-lunetier ou un brevet professionnel d'opticien-lunetier. Ces conditions de diplôme sont moins exigeantes que celles qui sont exigées d'autres professionnels de santé. De plus, l'installation des opticiens-lunetiers est subordonnée à un simple enregistrement. A la différence d'autres professionnels de santé, comme par exemple les chirurgiens-dentistes ou les pharmaciens, les opticiens-lunetiers ne relèvent donc pas d'un ordre national. Ils ne sont pas soumis à un code de déontologie. Ils ne sont pas non plus soumis à une obligation de développement professionnel continu.

Cette profession a connu un développement très rapide. Le nombre des opticiens-lunetiers est ainsi passé de 10 012 en 2000 à 27 340 en 2013 d'après les données relatives aux professions de santé de l'INSEE. Le nombre de points de vente a augmenté de 41 % entre 2002 et 2012. La densité des opticiens-lunetiers d'établit aujourd'hui à 42 pour 100 000 habitants, qui est nettement supérieure à celle d'autres professions telles que les audioprothésistes dont la densité est de l'ordre de 4 pour 100 000 habitants.

Comme l'a relevé l'autorité de la concurrence dans un avis du 9 septembre 2009, le marché de l'optique se caractérise également par une forte asymétrie d'information en défaveur des consommateurs que renforce la prise en charge d'une partie des frais par un organisme d'assurance maladie complémentaire. Ceci permet l'application de marges importantes en dépit de l'augmentation continue du nombre d'opticiens-lunetiers.

Compte tenu de cette différence de situation, le législateur a souhaité, dans l'objectif de mieux réguler les prix pratiqués par les opticiens-lunetiers, autoriser la constitution de réseaux dits fermés par les organismes complémentaires d'assurance-maladie en matière d'optique, c'est-à-dire permettre de limiter le nombre des professionnels référencés par ces organismes.

Comme l'a encore relevé l'autorité de la concurrence dans l'avis précité, la limitation du nombre de professionnels référencés par les organismes complémentaires d'assurance maladie est de nature à permettre une modération des coûts contre la perspective de recevoir un nombre significatif d'assurés. En l'absence d'un tel dispositif, sur un marché connaissant un nombre toujours croissant de professionnels, marqué par une asymétrie d'information entre professionnels et assurés sur le coût et la qualité des équipements proposés, l'efficacité d'un réseau conventionné est moins importante. Comme l'ont indiqué les débats parlementaires, les données disponibles sur les huit réseaux existant en matière d'optique montent que les réseaux fermés permettent de baisser les prix de 30 à 40 %, ce qui permet de limiter le montant restant à la charge directe des assurés.

Au regard de l'objectif poursuivi, le législateur pouvait donc, sans méconnaître le principe d'égalité, tenir compte de la situation particulière du marché de l'optique pour prévoir la conclusion de conventions prévoyant un nombre limité d'adhésions d'opticiens-lunetiers.

2/ Sur la liberté d'entreprendre.

La possibilité, pour les organismes d'assurance maladie complémentaire, de prévoir un nombre limité d'adhésions d'opticiens-lunetiers ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre au regard de l'objectif de modération des dépenses d'optique poursuivi par le législateur.

Il convient, en premier lieu, de rappeler que la loi prévoit que l'adhésion des professionnels doit s'effectuer sur la base de critères objectifs, transparents et non discriminatoires et que l'adhésion ne peut comporter de clause d'exclusivité. Les opticiens-lunetiers pourront donc librement participer aux procédures de conventionnement menées par les organismes complémentaires d'assurance-maladie si ces derniers décident de prévoir un nombre limité d'adhésions d'opticiens-lunetiers, ce qui est une faculté mais pas une obligation posée par la loi.

Il convient, en deuxième lieu, de relever que la loi prévoit que les conventions ne peuvent comprendre aucune stipulation portant atteinte au droit fondamental de chaque patient au libre choix du professionnel, de l'établissement ou du service de santé et aux principes d'égalité et de proximité dans l'accès aux soins. Cette disposition imposera aux organismes d'assurance maladie complémentaire de prévoir un réseau suffisant de professionnels de santé conventionnés sur le territoire.

Il convient, en troisième lieu, de rappeler que la loi n'a ni pour objet, ni pour effet d'imposer à un assuré de choisir un professionnel conventionné par un organisme complémentaire d'assurance-maladie. Un opticien-lunetier non référencé pourra ainsi proposer à l'assuré des services supplémentaires, une prestation de meilleure qualité ou des offres tarifaires plus attractives qu'un opticien-lunetier conventionné.

Dans ces conditions, le grief tiré de ce que le législateur aurait porté une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre ne pourra qu'être écarté.

Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement est d'avis que les griefs articulés dans la saisine ne sont pas de nature à conduire à la censure de la loi déférée.

Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter le recours dont il est saisi.