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Décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013 - Saisine par 60 sénateurs

Loi de finances pour 2014
Non conformité partielle

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les Conseillers,

Les Sénateurs soussignés (1) ont l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi de finances pour 2014 aux fins de déclarer contraires à la Constitution certaines de ses dispositions.

I- Sur l'article 13 relatif au calcul du plafonnement de l'ISF

Cet article intègre les revenus des bons ou contrats de capitalisation et des placements de même nature, notamment l'assurance-vie, dans les revenus pris en compte pour le calcul du plafonnement.

Dans la décision n°2012-654 DC du 9 août 2012, votre Conseil a considéré que « le législateur ne saurait établir un barème de l'impôt de solidarité sur la fortune tel que celui qui était en vigueur avant l'année 2012 sans l'assortir d'un dispositif de plafonnement ou produisant des effets équivalents destiné à éviter une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques » et dans sa décision n°2012-662 DC du 29 décembre 2012, il a précisé
« qu'en intégrant ainsi, dans les revenus du contribuable pour le calcul du plafonnement de l'impôt de solidarité sur la fortune et de la totalité des impôts dus au titre des revenus, des sommes qui ne correspondent pas à des bénéfices ou revenus que le contribuable a réalisés ou dont il a disposé au cours de la même année, le législateur a fondé son appréciation sur des critères qui méconnaissent l'exigence de prise en compte des facultés contributives ».

Dans cette même décision, votre Conseil a censuré l'article 13 de la loi de finances pour 2013 qui prévoyait l'inclusion dans l'assiette du plafonnement les cinq revenus « regardés comme réalisés » sans opérer de distinction entre lesdits revenus au motif que seuls les revenus réalisés par le contribuable ou dont il a disposé au cours de la même année doivent être pris en compte pour le calcul du plafonnement (cf. considérants 94 et 95).

L'article 13 introduit dans le calcul du plafonnement des revenus réputés réalisés, assujettis aux prélèvements sociaux, mais dont les bénéficiaires ne disposent pas librement. Il s'agit essentiellement des revenus de contrats d'assurance-vie en euros, dont les intérêts ont vocation à être capitalisés jusqu'au dénouement du contrat. Or, le contribuable n'est aucunement propriétaire juridique des sommes inscrites en compte au sein du contrat d'assurance-vie (2). En effet, le souscripteur ne détient qu'un droit personnel qui est la faculté de rachat auprès de la compagnie d'assurances pris en compte dans l'évaluation de son patrimoine soumis à l'ISF. Ainsi, sauf en cas de rachat partiel, le souscripteur ne réalise ni n'a la disposition de revenus accroissant ses facultés contributives.

L'objectif de cet article, introduit par voie d'amendement par le rapporteur général de l'Assemblée nationale, est de clarifier l'état du droit suite à l'instruction fiscale du 14 juin 2013 (3) qui rétablissait trois catégories de revenus dans le plafonnement, censurées par votre Conseil (4). Mais, il ne respecte pas l'objectif du mécanisme de plafonnement de l'ISF qui est de protéger les contribuables et de leur garantir la prise en compte de leurs facultés contributives.

Ainsi, ce dispositif, parce qu'il introduit dans le calcul du plafonnement des revenus « réputés réalisés », méconnaît les principes constitutionnels d'égalité devant les charges publiques et de prise en compte des facultés contributives.

Pour ces raisons, il appartient à votre Conseil de censurer cet article.

II- Sur l'article 15 portant création d'une taxe exceptionnelle de solidarité sur les hautes rémunérations versées par les entreprises

Cet article instaure une taxe exceptionnelle, au taux de 50 %, acquittée par les entreprises, assise sur la part des rémunérations individuelles supérieures à un million d'euros versées en 2013 et 2014, ci-après dénommée « la haute rémunération ».

A titre liminaire, il sera observé que la nouvelle taxe, comme la contribution établie dans la loi de finances pour 2013, mais censurée par votre Conseil, présente un caractère discriminatoire et confiscatoire et qu'à ce niveau d'imposition globale, il convient de redoubler de vigilance sur l'impérieuse nécessité de respecter les principes constitutionnels.

1- Sur le caractère discriminatoire de cet article

Ce dispositif est discriminatoire et méconnaît le principe d'égalité devant la loi fiscale et les charges publiques, en instituant des différences de traitement manifestement contraires aux articles 6 et 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 - principe dont les conditions d'application ont été déterminées par la jurisprudence de votre Conseil.

Cette taxe ne s'applique, en effet, qu'à certaines hautes rémunérations - la haute rémunération d'une même activité pouvant être soumise ou non à la taxe selon qu'elle est exercée dans le cadre d'une société soumise ou non à l'impôt sur les sociétés.
Ainsi, un gérant-associé majoritaire d'une SARL soumise à l'impôt sur les sociétés verra sa haute rémunération soumise à la taxe de 50 % au niveau de l'entreprise, alors que l'associé- gérant majoritaire d'une SARL de famille ou d'une société en nom collectif n'ayant pas opté pour l'impôt sur les sociétés ne verra pas sa rémunération soumise à cette taxe au niveau de l'entreprise. Cette différence est d'autant plus difficile à expliquer qu'au regard du régime des cotisations sociales, le traitement de la haute rémunération est identique.
De manière plus générale, cette différence de traitement au niveau de la taxe existe entre toutes les hautes rémunérations versées à des dirigeants associés ou actionnaires de sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés (dans ce cas la taxe est due) et celles payées à des associés- gérants de sociétés non soumises à l'impôt sur les sociétés (dans ce cas la taxe n'est pas exigible).

A titre d'exemple on peut citer, le cas de hautes rémunérations versées à des conjoints exerçant une activité commune. Dans le cas du conjoint du propriétaire d'une entreprise individuelle, sa haute rémunération sera soumise à la taxe alors que celle versée au propriétaire y échappera. Dans le cas où la même activité est exercée par les conjoints dans une société soumise à l'impôt sur les sociétés et détenue par ces derniers, les deux hautes rémunérations seront soumises à la taxe ; mais, dans le cas où les deux conjoints sont associés-gérants d'une société non soumise à l'impôt sur les sociétés, leur haute rémunération ne sera pas soumise à la taxe.

S'agissant d'un impôt ayant un taux très élevé à la charge des entreprises quel que soit leur forme ou leur régime fiscal, il est certain que la différence de traitement constitue une inégalité entre les entreprises.
Elle soulève également, compte tenu du taux très élevé de la taxe, le problème du caractère discriminatoire entre les personnes physiques associés-dirigeants, selon qu'ils exercent leur activité dans le cadre d'une société soumise ou non à l'impôt sur les sociétés. Cette situation existe notamment au sein des professions libérales où cette inégalité est d'autant plus significative lorsque le ou les associés-dirigeants détiennent une participation importante dans leur société.

Enfin, on remarque que sont également exclues du champ d'application de la taxe les hautes rémunérations, imposables dans la catégorie des revenus non commerciaux, versées sous forme d'honoraires par des entreprises à des personnes physiques.
Ainsi, un administrateur salarié percevant une haute rémunération verra celle-ci soumise à la taxe au niveau de la société, alors qu'un administrateur percevant une haute rémunération sous forme d'honoraires ne verra pas celle-ci soumise à la taxe.

2- Sur le fait que le taux de la taxe présente un caractère confiscatoire

Le taux de la taxe présente un caractère confiscatoire dans la mesure où, dans le cadre du contrôle de la conformité d'une imposition aux exigences de l'article 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, le Conseil constitutionnel s'assure que l'imposition en cause prend en compte la faculté contributive des contribuables de telle sorte qu'elle n'ait pas un caractère confiscatoire (décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005). Ce contrôle n'est pas exercé en fonction de « chaque imposition prise isolément » mais globalement (décision n° 2011-180 QPC du 13 octobre 2011).

Du fait du cumul des impositions au niveau de l'entreprise, le niveau d'imposition pourra dépasser 75 % hors cotisations sociales et plus de 95 % avec les cotisations sociales pour l'entreprise acquittant la taxe sur les salaires en totalité.

Ainsi, dans le cas d'un associé-dirigeant qui détient 70 % du capital d'une société par action simplifiée, non-soumise à la taxe sur les salaires, la haute rémunération est soumise au niveau de la société à une imposition égale ou supérieure à 75 % et au niveau du bénéficiaire à un impôt sur le revenu de 54,7 %. Si on calcule l'impact économique pour l'associé-dirigeant, on constate, si le plafonnement ne joue pas, que le taux d'imposition individuel économique consolidé de la haute rémunération s'élève pour l'associé-gérant à 93 % (55 % x 70 % + 54,5 %) si on ne tient pas compte des cotisations sociales et à 107 % (75 % x 70 % + 54,5 %), ce taux s'élève à 93,2 % (55 % x 70 % + 54,7 %) si on ne tient pas compte des charges sociales. Dans cette situation, toute haute rémunération versée par la société se traduit automatiquement sur le plan économique pour son associé-dirigeant par un appauvrissement consolidé net égal à 7,2 % ; il est clair que la taxe a un effet confiscatoire pour l'associé-dirigeant mais aussi de sanction. Dans l'hypothèse où l'associé-dirigeant détient 45 % du capital de la société, le taux d'imposition individuel économique consolidé de la haute rémunération est de 88,25 % (75 x 45 % + 54,5 %) ou de 79,25 %, si on ne tient pas compte des cotisations sociales. Le caractère confiscatoire est d'autant plus difficile à justifier qu'il se cumule avec le caractère discriminatoire de la taxe.

Les situations décrites ci-dessus ne sont pas théoriques dans la mesure où de nombreuses PME sont détenues par leurs dirigeants. 40 % des entreprises concernées par la taxe ont un chiffre d'affaires inférieur à 50 millions et 68 % des entreprises concernées sont des PME ayant un chiffre d'affaires inférieur à 250 millions d'euros.

Par ailleurs, si on raisonne uniquement au niveau de la haute rémunération, le caractère confiscatoire apparait également ; cette dernière étant, selon les hypothèses, soumise à une taxation globale exorbitante d'environ 110 % (54,5 % au niveau du salarié et plus de 55 % au niveau de l'entreprise, hors cotisations sociales patronales). Elle est de 130 % dans le cas d'entreprises non soumises à la taxe sur les salaires et de plus de 150 % si on tient compte à la fois de la taxe sur les salaires et des cotisations sociales patronales. Aucun de ces prélèvements acquittés par les sociétés concernées n'est déductible de la base de la haute rémunération soumise à la taxe et à l'impôt sur le revenu.

Certes, il pourra être objecté que cette taxe est assortie d'un mécanisme d'atténuation consistant à plafonner son montant à 5 % du chiffre d'affaires ; mais, la réalité économique consisterait à reconnaître que la véritable capacité contributive de l'entreprise devrait être basée sur ses bénéfices (et non son chiffre d'affaires). On remarquera à cet égard que plus des deux tiers du coût de ce plafonnement pour l'Etat ne bénéficie qu'à cinq entreprises.
Par ailleurs, ce mécanisme de plafonnement ne règle pas la problématique du caractère confiscatoire de la taxe pour l'associé-dirigeant détenant une participation significative dans la société lui versant sa haute rémunération.

3- Sur la méconnaissance du principe de non rétroactivité de la loi

Si le principe de non rétroactivité de la loi fiscale n'a pas, en tant que tel, valeur constitutionnelle (5), votre Conseil a jugé, dans sa décision du 16 août 2007 relative à la loi
« Travail, Emploi, Pouvoir d'achat » (6), qu'un crédit d'impôt accordé aux primo-accédants à la propriété méconnaissait le principe d'égalité devant les charges publiques en tant qu'il s'appliquait, rétroactivement, à toutes les acquisitions et constructions faites moins de cinq ans avant l'entrée en vigueur de la loi.

Or, la taxe instaurée à l'article 15 revêt un caractère rétroactif dans la mesure où elle concerne des charges engagées en 2013 et, plus largement, des rémunérations dont le montant a déjà été fixé contractuellement (ce qui est le cas de la plupart des rémunérations qui seront versées en 2014), enfreignant ainsi le principe de non rétroactivité de la loi, en application des articles 8 et 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen et tel qu'appréhendé par votre Conseil en matière fiscale.
Plus particulièrement, l'application rétroactive de ce dispositif est de nature à priver de garanties légales l'exigence constitutionnelle de sécurité juridique (7) et de confiance légitime des entreprises et de leurs salariés et dirigeants, puisque l'application de cette taxe est de nature à modifier substantiellement l'économie générale des contrats signés par ces derniers, sous l'empire du droit antérieur.

Cette taxe est un nouvel impôt auquel les principes de la « petite rétroactivité fiscale » ne sont pas applicables. En effet, elle constitue un nouveau prélèvement à la charge de l'entreprise, ayant un taux très élevé (compris entre 50 % et 51,8 %) et imposant des hautes rémunérations déjà versées pour tout ou partie au titre de l'exercice 2013.

La rétroactivité pourrait également être contestée au regard du fait que la seule volonté d'assurer des recettes supplémentaires ne constitue pas un motif d'intérêt général suffisant, comme l'indique aussi la décision 2012-662 du 29 décembre 2012.

4- Cette taxe est également contraire aux objecti fs de la loi et revêt le caractère d'une sanction

Cette taxe est contraire aux objectifs de la loi en particulier parce que, si l'objectif est de faire participer au redressement des comptes publics les entreprises versant des hautes rémunérations, le critère de détermination du champ des redevables est sans rapport avec l'objectif de la loi. La capacité contributive d'une entreprise n'a pas de lien direct avec le montant des rémunérations qu'elle doit verser à certains de ses employés.

De même, on peut s'étonner du taux très élevé de la taxe et du faible rendement budgétaire prévu, sans commune mesure avec les risques de fragilisation des entreprises notamment par le départ à l'étranger de cadres supérieurs ou de dirigeants et les baisses d'implantation ou de développement en France d'entreprises françaises et étrangères.

Parallèlement cette imposition revêt le caractère d'une sanction, contraire à l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen qui dispose que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée ». Or, selon votre Conseil, les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle.

Ainsi, le taux élevé de la taxe, le petit nombre de contribuables concernés (la taxe concernerait 478 entreprises et 1000 personnes) et le caractère confiscatoire lié au cumul des impositions acquittées par l'entreprise lui confèrent en fait un caractère de sanction. Cette sanction existe également au niveau des associés-dirigeants détenant une participation significative dans leur société par actions simplifiée ou société anonyme soumise à l'impôt sur les sociétés ; elle est liée aux cumuls de prélèvements dus par la société et son ou ses associés dirigeants et peut se traduire par un taux d'imposition individuel économique consolidé de la haute rémunération pour un associé-dirigeant détenant 70 % de sa société à environ 107 % (70 %x 75 % +54,5 %).

5- Sur la méconnaissance du principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires

L'information transmise aux parlementaires est contradictoire et incomplète.

Or, la lecture combinée des dispositions des articles 3 de la Constitution et 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen a permis à votre Conseil de fonder l'existence de l'exigence constitutionnelle de clarté et de sincérité des débats parlementaires.

L'information est incomplète et donc non sincère en ce qu'elle omet de mentionner le cumul des impôts acquittés par l'entreprise et ceux dus par le salarié ou le dirigeant ainsi que ses conséquences économiques pour les associés-dirigeants, détenant une participation significative dans leur société. La liste des charges sociales et impôts assis sur les salaires acquittés par les entreprises et portée à la connaissance des sénateurs omet de mentionner le versement transport dont le taux maximum est de 2,70 %. Par ailleurs, à aucun moment, les informations transmises aux parlementaires n'attirent leur attention sur les remarques du Conseil d'Etat figurant dans son avis. Ces dernières mentionnent que les deux solutions avancées le sont « sous réserve d'une analyse juridique détaillée » et que leur champ d'application est limité aux traitements et salaires.

Enfin, l'information donnée aux parlementaires est contradictoire sur la nature juridique de la taxe ; elle est parfois présentée comme portant sur les revenus, quand il s'agit d'appréhender sa rétroactivité, ou portant sur les charges, quand il s'agit d'appréhender son caractère confiscatoire.

Pour ces raisons, il appartient à votre Conseil de censurer cet article.

III - Sur l'article 22 qui interdit la déduction des intérêts d'emprunt entre sociétés liées

Cet article vise à interdire la déduction des intérêts d'emprunt versés à des sociétés liées lorsque ces mêmes intérêts ne sont pas soumis, chez l'entreprise prêteuse, à une imposition au moins égale au quart de celle qui aurait été appliquée dans les conditions de droit commun en France.

Les requérants estiment que ce dispositif porte atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques et constitue une atteinte à la garantie des droits, du fait de sa rétroactivité.

Votre Conseil a élaboré une jurisprudence dense sur le principe d'égalité, et, en particulier, sur l'égalité devant les charges publiques au titre des articles 6 et 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, sachant que le législateur peut décider d'avantages fiscaux à condition qu'il fonde son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but qu'il se propose.

Or, le dispositif de l'article 22 crée des situations discriminatoires à l'égard de certaines entreprises, indépendamment de leurs choix fiscaux, c'est-à-dire sans qu'il y ait fraude de la part de l'entreprise qui se voit simplement appliquer des législations fiscales nationales différentes. Ces situations naissent du fait que la qualification juridique des produits financiers considérés peut varier d'un Etat à l'autre en fonction de sa propre législation. Par exemple, les sommes versées sont considérées comme des intérêts en France (donc déductibles du résultat imposable) et peuvent être considérées comme des dividendes dans le pays de l'entreprise qui les perçoit). En conséquence, la déductibilité d'intérêts en France dépendra du régime des intérêts dans l'Etat de localisation de l'entreprise créancière. La situation de deux entreprises françaises pourra alors devenir différente du fait du régime applicable par une législation étrangère représentant par là-même une inégalité entre entreprises.

A ce titre, les Sénateurs requérants s'interrogent aussi sur la situation décrite ci-dessus au regard du respect des buts que se donne le législateur à l'article 22, objectif essentiel de lutte contre l'optimisation fiscale, comme l'atteste l'évaluation préalable de l'article alors qu'il n'existe aucun préjudice de pertes de recettes pour l'Etat français.

Quant à la rétroactivité, les requérants estiment que les dispositions de cet article enfreignent le principe de non rétroactivité de la loi, tel qu'appréhendé par votre Conseil en matière fiscale, comme notamment dans la décision n°98-404 DC du 18 décembre 1998.
Cet article s'applique, en effet, aux intérêts versés à partir de 2013 à raison des contrats en cours. En cela, cet article porte atteinte à la sécurité juridique du contribuable par la modification du traitement fiscal d'opérations en cours (et, souvent, engagées depuis plusieurs années, puisque les contrats concernés s'étendent généralement entre 5 et 8 ans) et à la confiance légitime, garanties par les articles 2 et 16 de la Déclaration de 1789. En pratique, cette non-déductibilité des intérêts, non anticipée à l'origine du contrat, aboutit à augmenter indirectement le coût de l'emprunt et remet en cause l'équilibre économique et financier d'une action engagée.

Pour ces raisons, il appartient à votre Conseil de censurer cet article.

IV - Sur les articles 77 et 78 relatifs aux conditions et contreparties de la diminution de la dotation globale de fonctionnement

Les articles 77 et 78 de la loi de finances pour 2014 sont l'une des traductions législatives du
« Pacte de confiance territorial » conclu entre l'Etat et les collectivités territoriales en juillet dernier. Cette convention a notamment pour objet de fixer les conditions et les contreparties associées à la diminution de la dotation globale de fonctionnement prévue par l'article 24 du présent texte de manière à permettre aux différentes collectivités de continuer de disposer d'un financement pérenne des politiques publiques dont la compétence leur a été transférée.

L'article 77 prévoit plus spécifiquement de doter les départements d'une recette nouvelle au moyen d'un déplafonnement, dans la limite de 0,7 point de base, du taux applicable aux droits de mutations à titre onéreux (DMTO) perçus par les départements afin de compléter le financement des allocations de solidarité dont ils ont la charge. L'article 78 est indissociable du précédent puisqu'il dispose de la péréquation des recettes départementales des DMTO et notamment, de la péréquation des recettes nouvelles dégagées par la possibilité laissée aux conseils généraux de majorer leur taux de DMTO.

En effet, tous les départements ne disposant pas de la même base fiscale de DMTO, le présent article projette de ponctionner 0,35 point de base des recettes totales afin d'abonder un fond de péréquation dédié. Cet article fixe également les critères de reversement des sommes allouées à ce même fond. Un tel mécanisme pose de nombreux problèmes en droit et en fait.

Dans les faits, les simulations effectuées dans de nombreux départements convergent pour établir que la grande majorité des territoires concernés seraient, en réalité, des contributeurs obligatoires nets absolus, c'est-à-dire qu'ils ne seraient pas éligibles au reversement de ce nouveau fonds de péréquation. Ce prélèvement conduira nécessairement les exécutifs départementaux à relever leur taux applicable aux DMTO afin de conserver un niveau équivalent de recettes propres.

La question de droit porte donc sur la nature de la délibération du Conseil général qui conduira au relèvement des taux. En effet, au regard de la contrainte imposée par la loi de Finances pour 2014, le législateur préempte une compétence propre aux exécutifs locaux de manière indirecte. Les Sénateurs, auteurs de la présente saisine, estiment ainsi que ces articles présentent de graves vices d'inconstitutionnalité sur la forme et sur le fond.

1- Concernant la méconnaissance formelle et procédurale des dispositions de la Constitution

Au plan formel et procédural, les articles 77 et 78 sont issus d'une violation manifeste du domaine de la loi et de la hiérarchie des normes ainsi que des principes constitutionnels liés à la protection des débats parlementaires.

a) Sur la méconnaissance de la hiérarchie des normes et du droit d'initiative du Gouvernement en matière législative

Les deux articles ici visés sont atteints par deux défaillances majeures de l'ordonnancement de notre ordre normatif, protégé par la Constitution.

Premièrement, ces articles sont la traduction législative d'une convention politique formée entre l'Etat et les collectivités territoriales. Or, une convention ne peut en matière fiscale précéder l'action du législateur. En effet, l'article 34 de la Constitution dispose notamment dans son 5e alinéa que la loi fixe les règles relatives à « l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ».

La loi étant l'expression de la volonté générale selon la lettre de l'article 6 de la Déclaration de 1789, elle ne saurait procéder d'une convention synallagmatique entre plusieurs parties, y compris dans les termes de l'article 1341 du Code civil. Les articles 77 et 78 procédant ainsi d'une convention, le législateur semble avoir méconnu la hiérarchie des normes et par conséquent, à entaché ces dispositions d'un vice dans la procédure parlementaire.

b) Sur la violation des principes liés à la procédure parlementaire

L'initiative du dépôt d'un projet de loi est une règle fixée par l'article 39 de la Constitution. En matière financière, cette compétence est liée aux dispositions de l'article 47 de la Constitution de telle sorte que le projet de loi de finances de l'année est déposé par le Gouvernement conformément à la volonté du Constituant. Une convention ne saurait donc faire écran entre le caractère lié de cette compétence et son exercice effectif.

De plus, les dispositions de l'article 78 qui instaure la péréquation des recettes issues des DMTO sont issues d'un amendement du Gouvernement. Elles n'ont donc pas été soumises à l'avis du Conseil d'Etat ni à aucune forme d'études d'impact et de simulation publique. Une telle démarche procédurale nuit mécaniquement à la sincérité et à la lisibilité des débats parlementaires.

c) Sur la méconnaissance de la répartition des domaines respectifs de la loi et du règlement

Il apparaît également que le législateur, en préemptant le contenu des délibérations des Conseil généraux, s'immisce dans le domaine du pouvoir règlementaire local fixé par l'article 72 de la Constitution qui bénéficie des mêmes protections constitutionnelles que le pouvoir réglementaire de droit commun régi par les dispositions des articles 21 et 37 de la norme fondamentale.

Le législateur est donc incompétent pour contraindre les départements à relever leur taux d'imposition conformément à la lecture combinée des articles 34, 37 et 72 de la Constitution. Les articles 77 et 78 semblent ainsi entachés d'un vice d'incompétence puisqu'ils reviennent indirectement à administrer en lieu et place des Conseils généraux par le biais des effets de ces deux dispositions législatives.

2- Concernant les motifs d'inconstitutionnalité de fond

Au-delà des questions formelles et procédurales, les articles 77 et 78 méconnaissent les principes de libre administration et d'autonomie financière des collectivités territoriales tout en conduisant à une rupture manifeste du principe de l'égalité devant la loi et devant les charges publiques.

a) Sur la méconnaissance des dispositions de l'article 72 de la Constitution et du principe de libre administration des collectivités territoriales

Le principal grief d'inconstitutionnalité est celui lié à la violation des dispositions de l'article 72 de la Constitution et notamment du principe de libre administration des collectivités territoriales. Votre jurisprudence protège fermement la libre administration des collectivités territoriales. Dans votre décision 91-298 DC du 26 juillet 1991, vous avez notamment rappelé
« qu'Il appartient au législateur sur le fondement des articles 34 et 72 de la Constitution de déterminer les limites à l'intérieur desquelles une collectivité territoriale peut être habilitée à
fixer elle-même le taux d'une imposition établie en vue de pourvoir à ses dépenses. Toutefois, les
règles posées par la loi ne sauraient avoir pour effet de restreindre les ressources fiscales de collectivités territoriales au point d'entraver leur libre administration. ».

Or, la création d'un prélèvement de 0,35 point du produit total des DMTO conjugué avec la possibilité de relever le taux applicable de 0,7 point de base conduit nécessairement les exécutifs locaux à opter pour le relèvement de leur taux d'imposition afin de conserver un niveau inchangé de recettes. Cela revient à préempter les délibérations de l'exécutif local et donc, à faire du législateur l'administrateur public départemental puisque la loi ne permet que le choix suivant : majorer le taux applicable aux DMTO pour financer le nouveau fonds de péréquation ou perdre des recettes fiscales locales. Dès lors, les articles 58 et 58 bis méconnaissent manifestement le principe de la libre administration des collectivités territoriales.

b) Sur la méconnaissance de l'article 72 -2 de la Constitution et du principe de l'autonomie financière des collectivités territoriales

Le dispositif issu des articles 77 et 78 permettant aux départements de dégager des recettes nouvelles et d'assurer leur péréquation présente une double atteinte du principe d'autonomie financière des collectivités territoriales tel que fixé par l'article 72-2 de la Constitution.

La première atteinte porte la minoration obligatoire des ressources propres locales. En effet, la possibilité de majorer le taux applicable aux DMTO est une faculté temporaire laissée aux départements alors que le prélèvement pour le fonds de péréquation du financement du reste à charge des allocations de solidarité est une disposition obligatoire, générale et permanente. Le Conseil général qui se refuserait à majorer son taux afin de préserver sa liberté d'appréciation conformément au respect du principe de libre administration perdrait ainsi une partie de ses ressources propres. Le volume de cette ressource est variable d'un département à l'autre au regard des dynamiques financières différentes des DMTO selon les territoires concernés.

Toujours est-il que votre jurisprudence constante en la matière rappelle que le législateur ne peut édicter des règles pouvant restreindre les ressources fiscales au point d'entraver la libre administration des collectivités. Dès lors, dans l'hypothèse où un Conseil général se refuserait à majorer son taux, il pourrait, selon la dynamique de sa base de DMTO, être contraint dans sa libre administration et dans l'organisation des politiques publiques dont il a la charge.

Cette hypothèse tendra à se généraliser puisque la faculté de majoration des taux ouverte par l'article 77 est temporaire. Le premier alinéa de cet article est sans ambigüité sur cette question. Cette majoration ne peut-être ouverte que pour « les actes passés et les conventions conclues entre le 1er mars 2014 et le 29 février 2016 » alors que la péréquation de cette ressource tirée du prélèvement opéré par l'Etat est définitive selon la lettre de l'article 58 bis.

Dès lors, au-delà du 29 février 2016, le prélèvement des recettes équivalentes aux 0,35 point de base de DMTO s'effectuera sans compensation financière ce qui est contraire au principe de garantie de l'autonomie financière des collectivités territoriales dans un contexte où les dotations de l'Etat aux collectivités devraient tendanciellement diminuer à long terme.

c) Concernant la méconnaissance de l'article 6 d e la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen , de l'article premier de la Constitution et du principe d'égalité de manière générale

Enfin, le dispositif combiné des articles 77 et 78 méconnaît le principe d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.

En effet, la péréquation de recettes potentiellement additionnelles de DMTO effectuées via le fond dédié à cette tâche se réalise suivant des critères définis à l'article 58 bis. Ces critères portent sur la détermination d'un solde constitué :

- des sommes engagées l'année précédente au titre du versement des allocations de solidarité ;

- des sommes des compensations versées au titre de la prise en charge par les départements du versement de ces allocations ;

- de la population du département.

Les sommes sont ensuite reversées en deux tranches :

- 30 % des ressources bénéficient aux départements dont le potentiel fiscal par habitant tel que défini est inférieur au potentiel fiscal moyen par habitant de l'ensemble des départements ou dont le revenu par habitant est inférieur à 1,2 fois le revenu moyen par habitant de l'ensemble des départements ;

- 70 % des ressources bénéficient à la première moitié des départements éligibles à la première tranche. Ces départements sont classés en fonction décroissante de leur solde par habitant

Deux précisions doivent être apportées à ce stade :

- les départements dont le montant par habitant des droits de mutation à titre onéreux perçu l'année précédente est supérieur à 1,4 fois le montant par habitant de l'ensemble des départements ne peuvent pas bénéficier d'une attribution au titre du fonds ;

- le potentiel fiscal utilisé pour déterminer l'éligibilité des départements à la première tranche et donc, à la seconde tranche, est majoré ou minoré d'une fraction de correction égale pour chaque département à la différence entre les deux termes suivants :

o la somme du produit déterminé par l'application aux bases départementales de taxe foncière sur les propriétés bâties, de taxe foncière sur les propriétés non bâties et de taxe d'habitation du taux moyen national d'imposition de chacune de ces taxes au titre de l'année 2010 et du produit déterminé par l'application aux bases départementales de taxe professionnelle du taux moyen national d'imposition de cette taxe au titre de l'année 2009 ;

o la somme du produit déterminé notamment par l'application aux bases départementales de taxe foncière sur les propriétés bâties du taux moyen national de cette taxe au titre de l'année 2011, des produits perçus en 2011 par le département au titre de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et des impositions forfaitaires sur les entreprises de réseaux.

L'article 78 modifie ainsi spécifiquement les modalités de calcul du potentiel fiscal tout en excluant les départements disposant d'une base dynamique de DMTO du reversement des fonds de péréquation dont ils seront donc contributeurs nets et exclusifs. Il alloue ensuite une première tranche de ressources à certains départements selon des critères stricts qui apportent une prime obligatoire aux départements les plus peuplés et qui sont donc mécaniquement les plus exposés aux dépenses engagées par les allocations de solidarité sans toutefois disposer de bases de DMTO dynamiques. Cet article pose donc comme postulat que les charges liées au versement des allocations de solidarité sont soutenables dans les départements ayant une base établie de DMTO et que cette base peut financer le reste à charge de quelques départements spécifiquement visés par ce système de critères particulièrement restrictifs.

Or, cette restriction entraine mécaniquement une orientation et une concentration des fonds vers un très petit nombre de départements. Cette concentration génère une inégalité de traitement manifeste entre les départements les plus peuplés et les moins peuplés et entre les départements disposant d'une base large ou étroite de DMTO et cela, sans aucune forme de pondération au regard de la nature et du volume des charges liées aux allocations de solidarité puisque dès lors que la dynamique de recettes de DMTO est ascendante et progresse au-delà de 0,4 point de base de la moyenne nationale, le département est exclu du reversement.

Cette exclusion est d'autant plus manifeste que les départements disposant d'une base large de DMTO sont principalement concentrés en Ile-de-France et en Provence-Alpes-Côte d'Azur. Dès lors, la barre des 0,4 point de base est aisément franchie et opère en réalité un transferts de ressources d'un département à l'autre sans autre motifs que celui du financement du reste à charge des allocations de solidarité qui n'est plus assuré du fait de la baisse de la DGF prévue à l'article 24 de la loi de finances pour 2014.

Dès lors, le principe d'égalité devant la loi n'est plus assuré et l'article 58 bis entraine donc manifestement une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques puisqu'un département contributeur net du fond ne pourra, par définition, être bénéficiaire de ce même fond de péréquation pour des charges parfois lourdes et difficilement soutenables liées aux allocations de solidarité.

Pour ces raisons, il appartient à votre Conseil de censurer cet article.

V - Sur l'article 92 portant création d'un fonds de soutien aux collectivités territoriales ayant contracté des produits d'emprunt structurés

L'article 92 crée un fonds de soutien aux collectivités territoriales ayant contracté des produits d'emprunt structurés.

Cet article valide rétroactivement les contrats passés, comme les contrats de prêts et leurs avenants conclus antérieurement à la publication de la loi entre un établissement de crédit et une personne morale et interdit tout recours contentieux à l'égard des banques qui auraient octroyé un prêt ne mentionnant pas le taux effectif global (TEG) (8).

1- Sur la méconnaissance du principe de prééminence du droit et la notion de procès équitable

Les requérants estiment que cet article est contraire au principe de prééminence du droit et à la notion de procès équitable, tels qu'établis par votre Conseil et la Cour Européenne des Droits de l'Homme.

Ainsi, au regard d'une jurisprudence constante (9), si le législateur a la faculté de prendre, sauf en matière répressive et sous réserve du respect des décisions de justice ayant force de chose jugée, des dispositions rétroactives, il ne peut le faire qu'en considération de motifs d'intérêt général suffisants ou liés à des exigences constitutionnelles.

Or, il apparaît qu'en la circonstance, le motif d'intérêt général n'est pas suffisant ni impérieux - votre Conseil ayant jugé qu'un motif purement financier n'est pas de nature à fonder une validation législative sauf si les montants en cause paraissent suffisamment importants pour mettre en péril un intérêt public. Plus particulièrement, votre Conseil (10) a pu justifier une loi de validation afin d' « éviter un développement des contentieux d'une ampleur telle qu'il aurait entrainé des risques considérables pour l'équilibre financier du système bancaire dans son ensemble et, partant, pour l'activité économique générale ». La Cour Européenne des Droits de l'Homme a également jugé que « Si les bénéfices des établissements concernés auraient pu souffrir de l'absence de la loi, il n'est pas établi que leur survie et, a fortiori, l'équilibre de l'économie nationale auraient été menacés » (11) ou « Aucun élément ne vient étayer l'argument du gouvernement français selon lequel sans l'adoption de la loi litigieuse, l'imact aurait été d'une telle importance que l'équilibre du secteur bancaire et l'activité économique en général auraient été mis en péril » (12).

Plus particulièrement, les débats parlementaires n'ont pas fourni d'informations chiffrées détaillées démontrant l'enjeu financier pour les banques ou le risque sur les finances publiques de l'éventuelle poursuite des contentieux.
Or, en l'espèce, il ne paraît pas y avoir de risque de destabilisation global du système bancaire français dans le cas où les contentieux se développeraient, tant avec des banques françaises qu'étrangères, privées ou publiques et partant pour l'activité économique générale ; il n'y a d'ailleurs que certaines banques qui n'ont pas respecté l'obligation prévue par l'article L. 312- 3 du Code de la consommation. D'autre part, le risque bancaire paraît concentré sur certains établissements. Enfin, le nombre de collectivités locales concernées demeure minoritaire bien que concentré (13) et si leur équilibre financier peut être individuellement menacé, cela ne constitue pas un risque global.

Votre Conseil a également jugé que l'intérêt général s'appréciait concrètement, notamment en considérant les effets d'aubaine et la stabilité des situations juridiques. Or, par cet article, la stabilité des situations juridiques est loin d'être acquise, puisqu'il revient à effacer une irrégularité commise par l'une des parties.

2- Sur la méconnaissance du principe de libre administration des collectivités territoriales et de protection du patrimoine des personnes publiques

Les requérants estiment que les conditions imposées par l'article 92 pour que les collectivités locales bénéficient de ce fonds méconnaissent l'article 72 de la Constitution ainsi que le principe de protection du patrimoine des personnes publiques résultant des articles 2, 6, 13 et 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.

En effet, le législateur s'immisce dans l'administration des collectivités territoriales en leur imposant une décision de gestion lourde de conséquences puisqu'elle consiste à renoncer, au moins partiellement, à leurs droits pour déterminer « une contestation née ».

En outre, les transactions imposées par l'article 92 I, al. 5 pour accéder au fonds ne sauraient être qualifiées de véritables transactions dès lors que leurs modalités ne sont pas précisées dans la loi et que rien n'établisse la réalité des concessions qui devraient être consenties par les établissements bancaires (14).

Par ailleurs, les dispositions de l'article 92 II méconnaissent le principe de protection du patrimoine des personnes publiques au profit d'établissements poursuivant des intérêts privés sans contrepartie appropriée ainsi que le principe d'égalité devant la loi et les charges publiques (articles 6 et 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen) et du droit de propriété (articles 2 et 7 de la même Déclaration).

3- Atteinte au principe d'intangibilité des contrats

Le dispositif de l'article 92 porte atteinte au principe d'intangibilité des contrats, fruits de la volonté des parties.

En effet, par cet article, le législateur intervient dans une relation contractuelle entre une banque et ses créanciers, fondée notamment sur la liquidité de leur créance. De telles dispositions sont contraires à la jurisprudence constante de la Cour Européenne des Droits de l'Homme comme de votre Conseil, pour qui l'espérance légitime de pouvoir obtenir le remboursement de sa créance est un droit fondamental (15).

4- Méconnaissance du principe d'égalité de traitement

Par ailleurs, le dispositif de l'article 92 crée une rupture dans l'égalité de traitement entre les personnes morales car il prive des entreprises privées, des entreprises publiques, des associations, des établissements publics, de leur pouvoir de formuler un recours pour mettre en jeu la responsabilité des banques - alors qu'elles ne sont pas éligibles au fonds de soutien, dédié aux seules collectivités locales.
A ce titre, l'article 60 est contraire au principe de prééminence du droit et de la notion de procès équitable, tels que consacrés à l'article 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales.
Dans cette perspective, en particulier, la discrimination des établissements hospitaliers est en contradiction avec les décisions prises depuis trois ans en matière de soutien au financement qui tendaient à faire bénéficier les hôpitaux comme les collectivités locales des mêmes aides (par exemple, l'enveloppe de prêt exceptionnel gérée par la Caisse des Dépôts).

5- Cet article constitue, partiellement, un cavalier

Enfin, les requérants estiment que le II de cet article ne relève pas explicitement d'une loi de finances et constitue en cela un « cavalier », selon une jurisprudence constante de votre Conseil, en particulier parce que le législateur intervient dans une relation contractuelle entre une banque et ses créanciers, comme il a été démontré.

Pour ces raisons, il appartient à votre Conseil de censurer cet article.

VI - Sur l'article 96 qui instaure une déclaration à l'administration fiscale des schémas d'optimisation fiscale

Cet article introduit dans le code général des impôts une obligation générale de déclaration des schémas d'optimisation fiscale à la charge non seulement des personnes les commercialisant mais aussi de toute personne élaborant et mettant en oeuvre un tel schéma, sous peine d'une sanction constituée d'une amende égale à 5 % de l'avantage fiscal procuré par le schéma d'optimisation.

A titre liminaire, les requérants soulignent la similitude des formulations de cet article avec celles de l'article 100 de la présente loi déférée, relatif à l'abus de droit, et notent que les champs d'application de ces deux articles peuvent se cumuler, sachant que l'article L 64 du Livre des procédures fiscales tel que modifié par la loi déférée vise désormais des opérations ayant un motif principalement fiscal. Dans ces conditions, il est impérieux de redoubler de vigilance quant au respect des principes constitutionnels, le cumul de ces deux dispositions étant susceptible d'entraîner un cumul des pénalités (5 % de l'avantage fiscal procuré en application du présent texte et 80 % des montants redressés en application de l'article L. 64 du Livre des procédures fiscales à l'encontre du contribuable ayant mis en oeuvre le schéma).

Les requérants estiment que cet article contrevient, d'une part, au principe de qualité de la loi et de sécurité juridique ainsi qu'à la notion, consacrée par la doctrine constitutionnelle de
« garantie des droits » inscrite à l'article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen et, d'autre part, au principe de légalité et proportionnalité des peines, compte tenu de l'imprécision des termes de la loi au regard de la gravité des sanctions encourues.

L'obligation de déclaration instaurée par cet article se révèle extrêmement large en termes de personnes, morale ou privée, soumises à déclaration puisque devra déclarer toute personne élaborant ou mettant en oeuvre un schéma d'optimisation fiscale non seulement en tant que conseils des contribuables mais aussi les contribuables eux-mêmes ; surtout, cette obligation de déclaration n'est pas claire quant aux termes de l'objet de la déclaration. En effet, la définition de ce qu'est un schéma d'optimisation fiscale est large et par là même imprécise, à savoir : « toute combinaison de procédés et instruments juridiques, fiscaux, comptables ou financiers (. . .) dont l'objet principal est de minorer la charge fiscale d'un contribuable, d'en reporter l'exigibilité ou le paiement ou d'obtenir le remboursement d'impôts, taxes ou contributions (. . .) et qui remplit les critères prévus par décret en Conseil d'Etat ».

Concrètement, une telle définition implique que l'entreprise serait dans l'obligation de déclarer toute opération ayant un objet ou un effet principalement fiscal, tels, par exemple, tous les crédits d'impôt ou toutes les mesures incitatives en ce sens qu'ils sont des instruments fiscaux dont l'objet principal est de minorer la charge fiscale ou encore des décisions de gestion présentant un avantage fiscal.

En renvoyant à un décret en Conseil d'Etat la définition des critères des opérations devant être déclarées, les requérants estiment que le législateur a fait preuve d'incompétence négative en ce que c'est « au législateur qu'il incombe d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et en particulier son article 34 » et « que le plein exercice de cette compétence, ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 lui impose d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ». (CC, décision n° 2013-673 du 18 juillet 2013). A tout le moins, le législateur aurait dû donner des précisions sur les intervenants soumis à obligation de communication, la nature des renseignements communiqués, le délai de transmission des informations, les actions en cas de défaut de déclaration ou de déclaration mensongère.

Par ailleurs, que le schéma soit établi par un professionnel commercialisant des schémas d'optimisation fiscale ou mis en oeuvre par une personne physique ou morale, l'obligation déclarative établie par le présent article constitue une intrusion grave dans la vie privée des citoyens et des entreprises alors que les opérations fiscales visées sont autorisées par la loi.

Enfin, cet article prévoit que le défaut de déclaration est sanctionné par une amende égale à 5 % des revenus perçus pour la commercialisation d'un schéma d'optimisation fiscale par un professionnel et de 5 % de l'avantage fiscal procuré par la mise en oeuvre du schéma d'optimisation. Les requérants estiment que cette sanction est contraire à l'exigence d'intelligibilité de la loi en ce que le calcul de l'avantage, sous une apparence de précision, sera, concrètement, difficile à calculer en fonction de situations légales et économiques virtuelles imprécises (« Cet avantage correspond à la différence entre le montant de l'impôt effectivement dû par la personne et le montant de l'impôt que cette personne aurait supporté si elle n'avait pas mis en oeuvre ledit schéma »). Ils estiment qu'elle est aussi contraire au principe de proportionnalité alors qu'il n'y a aucune intention frauduleuse et qu'il s'agit d'une formalité déclarative pouvant porter sur un nombre important d'opérations.

Pour ces raisons, il appartient à votre Conseil de censurer cet article.

VII - Sur l'article 97 relatif au renforcement des sanction lorsque la documentation relative aux prix de transfert est considérée comme insuffisante

Le présent article vise à aggraver la pénalité applicable aux entreprises n'ayant pas fourni la documentation expliquant les modalités de détermination de leurs prix de transfert, ou ayant transmis une documentation incomplète, en prévoyant que cette pénalité puisse atteindre 0,5 % du chiffre d'affaires.

Les requérants estiment que la présente disposition est contraire aux principes constitutionnels de nécessité et de proportionnalité.

La documentation du Conseil Constitutionnel permet de distinguer l'existence d'un principe de nécessité que l'on peut associer au principe de proportionnalité (16). Comme le précise la contribution sur le droit pénal et le droit constitutionnel référencée ci-dessus : « Ce principe est affirmé par l'article 5 et surtout par l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ».
A travers ce principe et le corpus constitutionnel y afférant, votre Conseil a régulièrement fondé son contrôle de constitutionnalité sur les principes de nécessité et de proportionnalité. Ainsi, le principe de proportionnalité est apparu pour la première fois dans la décision du 3 septembre 1986 portant sur la loi relative à la lutte contre la criminalité et la délinquance (17). Très récemment, ce principe a de nouveau été invoqué à l'occasion de la décision du 4 décembre 2013 portant sur la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (18).
Dans cette décision, votre Conseil déclare que : « le législateur a retenu un critère de fixation du montant maximum de la peine encourue qui ne dépend pas du lien entre l'infraction à laquelle il s'applique et le chiffre d'affaires et est susceptible de revêtir un caractère manifestement hors de proportion avec la gravité de l'infraction constatée ; que, par suite, les dispositions de l'article 3 méconnaissent les exigences de l'article 8 de la Déclaration de 1789 » .

En d'autres termes, le critère de fixation de la peine doit dépendre du lien entre l'infraction et l'assiette retenue pour ne pas apparaître manifestement hors de proportion avec la gravité de l'infraction constatée.
Or, l'analyse de l'article 97 amène les requérants à constater que le chiffre d'affaires, qui est l'assiette retenue pour établir la pénalité, est sans rapport avec le montant du redressement, à tel point que l'amende est due même en l'absence de redressement. En effet, selon cet article, la pénalité n'est pas liée à l'existence d'un redressement fiscal de l'entreprise et, si la documentation est incomplète et que le contrôle fiscal se solde par une absence de redressement car l'entreprise a correctement calculé ses prix de transfert, elle risque néanmoins une pénalité de 5 % de son chiffre d'affaires.

La lecture de la disposition contestée nous indique donc que l'assiette de la pénalité est totalement déconnectée de l'infraction. Par conséquent, le critère de fixation de la peine introduite à l'article 97 ne peut dépendre du lien entre l'infraction et l'assiette retenue.

L'autre manifestation du caractère disproportionné de la pénalité prévue à l'article 97 tient au fait qu'elle repose sur une appréciation subjective relative au caractère suffisant ou non des éléments portés dans la documentation. Ainsi, le fait générateur des poursuites engagées par l'administration fiscale reposera sur une appréciation subjective.

Par conséquent, puisque le présent article conduit à créer une amende hors de proportion avec la gravité de l'infraction constatée, celui-ci est contraire aux principes constitutionnels de nécessité et de proportionnalité, et doit donc être déclaré contraire à la Constitution.

VIII- Sur l'article 98 qui oblige les entreprises françaises à communiquer les rescrits des administrations étrangères

L'article 98 impose aux entreprises d'inclure dans leur documentation « prix de transfert », mise à disposition de l'administration en cas de contrôle fiscal, « les décisions de même nature que les interprétations, instructions et circulaires mentionnées à l'article L.80 A prises par les administrations fiscales étrangères à l'égard des entreprises associées ». Si cette obligation n'est pas respectée, l'entreprise encourt la pénalité prévue à l'article 1735 ter du code général des impôts modifié par l'article 97 de la présente loi de finances, c'est-à-dire une pénalité de 0,5 % de son chiffre d'affaires.

En pratique, ces dispositions imposent à l'entreprise française soumise à contrôle de transmettre à l'administration fiscale française les solutions d'interprétation accordées par une administration étrangère, à une entreprise étrangère, sur les modalités d'application d'une loi étrangère (« rulings »).

En ce sens, cette disposition doit être considérée comme un cavalier budgétaire dès lors que cette obligation ne concerne « ni les ressources, ni les charges, ni la trésorerie, ni les emprunts, ni la dette, ni les garanties ou la comptabilité de l'Etat [. . . » (Cons. Const. n°2012- 662 DC du 29 décembre 2012, considérant n°142).

Cet article doit également être considéré comme faisant peser sur l'entreprise « une formalité impossible ». En effet, le document demandé a été attribué au profit d'une entité étrangère. Même appartenant au même groupe, cette entité étrangère a une personnalité juridique autonome et il n'existe pas de moyen contraignant pour l'entreprise française d'obtenir la transmission des solutions accordées par les administrations étrangères à cette entreprise étrangère.

Il n'est d'ailleurs pas certain que la loi du pays l'y autorise dès lors que la loi française elle- même l'interdit. L'article 1er de la loi n°68-678 du 26 juillet 1968 prévoit, en effet, que « sous réserve des traités ou accords internationaux, il est interdit à toute personne physique de nationalité française ou résidant habituellement sur le territoire français et à tout dirigeant, représentant, agent ou préposé d'une personne morale y ayant son siège de communiquer par écrit, oralement ou sous une autre forme, en quelque lieu que ce soit à des autorités étrangères, les documents ou les renseignements d'ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique dont la communication est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité aux intérêts économiques essentiels de la France ou l'ordre public, précisés par l'autorité administrative en tant que de besoin ».

Au demeurant, l'article 98 en articulation avec l'article 97 fait encourir à l'entreprise une pénalité disproportionnée (0,5 % de son chiffre d'affaires) eu égard aux difficultés, voire à l'impossibilité, que l'entreprise française pourrait rencontrer dans l'accomplissement de la formalité exigée. Cette pénalité, assise sur le chiffre d'affaires, est en tout état de cause sans lien avec l'infraction commise et, est, à cet égard, contraire à votre jurisprudence et notamment votre décision n°2013-679 du 4 décembre 2013 (considérant 43) selon laquelle doivent être considérées comme contraires à la constitution les sanctions « sans lien avec les infractions, et qui revêtent un caractère manifestement hors de proportion avec la gravité des infractions réprimées ».

Cette absence de lien entre la sanction et la formalité exigée existerait même sous l'empire de la rédaction actuelle de l'article 1735 ter du code général des impôts qui prévoit une sanction de 5 % des bénéfices transférés : cette sanction n'est en effet pas limitée au transfert de bénéfices au profit de l'entité étrangère à qui le « ruling » aurait été octroyé.

Pour l'ensemble de ces raisons, l'article 98 doit être déclaré inconstitutionnel.

IX - Sur l'article 99 qui impose aux entreprises de déclarer leur comptabilité analytique

Le présent article impose aux entreprises de communiquer à l'administration fiscale leur comptabilité analytique et leurs comptes consolidés sous peine d'une amende de 5 %o de leur chiffre d'affaires.

Les requérants estiment que l'article 99 est contraire au principe constitutionnel de respect de la vie privée et à l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ; ils relèvent également l'absence de lien entre le manquement reproché et l'assiette de la pénalité appliquée et, d'autre part, de son caractère disproportionné.

1 - Sur le motif d'atteinte au respect de la vie privée

Le principe de respect de la vie privée tire son origine de l'article 2 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 à travers « les droits naturels et imprescriptibles de l'homme ».
Comme pour beaucoup d'autres principes constitutionnels, votre Conseil a admis par une jurisprudence constante que cette protection pouvait connaître des limites, notamment pour un motif d'intérêt général comme votre Conseil le rappelle régulièrement dans ses considérants de principe.
Cette jurisprudence s'est par la suite affinée pour définir la manière dont ces limites devaient se concevoir. Ainsi, la justification de cette atteinte à la vie privée doit se faire pour un motif d'intérêt général, et cette atteinte doit être proportionnelle aux objectifs qui sont assignés aux dispositions contestées.

Or, les dispositions de l'article 99 imposent aux entreprises de communiquer à l'administration fiscale leur comptabilité analytique qui doit être différenciée de la comptabilité sociale de l'entreprise, qui retrace l'ensemble des produits et des charges de l'entité juridique - objet du contrôle fiscal. Cette comptabilité ne fait l'objet d'aucun encadrement juridique et ne saurait en faire l'objet, compte tenu de l'objectif opérationnel auquel elle est destinée répondre et qui est propre à chaque entreprise ou groupe d'entreprises.

Ainsi, il découlera de ces dispositions une profonde insécurité juridique puisqu'il faut exclure toute possibilité de standardisation de ces compatibilités analytiques.

Plus grave encore, parce que cette comptabilité est matricielle, l'article 99 permettra à l'administration d'avoir accès à des informations très sensibles sur le plan de la stratégie de ces entreprises, augmentant ainsi considérablement le risque de divulgation d'informations industrielles et commerciales internes, liées à leurs choix de développement. Cela permettra, en outre, à l'administration d'avoir accès à des informations sur des entités du groupe qui ne sont pas l'objet du contrôle fiscal et ne bénéficient donc pas des garanties y afférentes.

L'article 99 contrevient également au respect de la vie privée en autorisant l'accès de l'administration aux comptes consolidés.

Les comptes consolidés des entreprises font aujourd'hui l'objet d'une publication accessible à tous dans le cadre de leur documentation de référence. Dans ce contexte, l'obligation introduite par cet article de remettre les comptes consolidés sous peine d'amende est dépourvue de sens sauf s'il s'agit, et le texte est peu clair sur ce point, de remettre l'ensemble de la comptabilité consolidée, c'est-à-dire l'ensemble des écritures - non publiées celles-ci - qui concourent à la détermination des comptes consolidés et qui recouvrent en pratique la comptabilité de toutes les entités d'un groupe y compris ses entités étrangères (la comptabilité consolidée est, en effet, la consolidation sous une même entité, la société mère, de l'ensemble des agrégats comptables des entités de son groupe que celles-ci soient françaises ou étrangères). Au-delà de la lourdeur administrative extrême d'une telle exigence, celle-ci va bien au-delà de l'objectif du texte visant à « améliorer la connaissance de l'activité des groupes » : elle permet à l'administration d'obtenir des informations sur des entités qui ne sont pas l'objet du contrôle fiscal, qui sont même étrangères à la juridiction française, étant précisé, au surplus, que ces comptes sont établis selon des normes différentes de la comptabilité sociale sur la base de laquelle est déterminé le résultat fiscal, objet du contrôle fiscal.

De cette manière, au-delà du risque économique consécutif de ces dispositions lié à la sensibilité des informations transmises, les requérants estiment qu'il y a ici une atteinte grave au respect de la vie privée.

En outre, la lecture concomitante de l'article 44 de la loi sur la fraude fiscale indique que les vérificateurs pourront accéder à cette comptabilité dans les locaux de l'entreprise, mais qu'ils pourront également en prendre copie et l'emporter, d'où un plus grand risque de divulgation.

Il ressort donc de l'analyse de l'article 99 que l'atteinte au respect de la vie privée ne peut pas être justifiée par un motif d'intérêt général, ni même regardée comme proportionnée. En conséquence, l'article 99 est contraire au principe constitutionnel de respect de la vie privée et doit être déclaré contraire à la Constitution.

Conformément à la jurisprudence de votre Conseil, il convient alors de s'interroger sur la justification et la proportionnalité d'un tel dispositif.
La lecture de l'exposé sommaire de l'amendement n°II-529 qui a introduit cet article ne fournit aucune justification au contournement du principe de respect de la vie privée : « Cette mesure permettra d'améliorer la connaissance générale et la compréhension de l'activité des groupes et des grandes entreprises par l'administration fiscale, notamment dans le cadre du contrôle des prix de transfert. La comptabilité analytique et les comptes consolidés sont, en effet, essentiels pour prendre connaissance des différentes fonctions assumées par l'entreprise et des modalités d'évaluation de certains éléments d'actifs (stocks, production en cours. . .) qui interviennent dans la détermination du résultat ».

La connaissance et la compréhension de l'activité des groupes et des grandes entreprises par l'administration fiscale ne peut se suffire à elle-même comme justification à une atteinte au principe constitutionnel du respect de la vie privée. En effet, l'obtention d'une simple information en vue d'améliorer la connaissance générale des groupes ne saurait constituer un motif d'intérêt général justifiant la violation d'une garantie constitutionnelle.

2- Sur le motif de la proportionnalité de la sanction

De plus, au regard de l'objectif plus qu'incertain de telles dispositions, il apparaît disproportionné de demander à toutes ces entreprises des informations qui ne rentreront pas dans le champ du contrôle de l'administration fiscale, et ne bénéficieront pas des garanties y afférentes.

Or il résulte de votre jurisprudence et notamment de votre décision n°2013-679 du 4 décembre 2013 (considérant 43) que doivent être considérées comme contraires à la Constitution les sanctions « sans lien avec les infractions, et qui revêtent un caractère manifestement hors de proportion avec la gravité des infractions réprimées”.

Force est de constater que l'amende prévue par l'article 99 est en tout point similaire à celle que vous avez déjà sanctionnée : il s'agit, en effet, d'une amende en proportion du chiffre d'affaires qui n'a pas de lien avec l'absence de remise d'une documentation visant à améliorer la connaissance des groupes par l'administration et que cette amende est disproportionnée dès lors qu'elle ne concerne que les sociétés cotées - seules astreintes à la tenue de comptes consolidés - donc, en pratique, des montants de chiffre d'affaires extrêmement élevés.

Pour l'ensemble de ces raisons, l'article 99 doit être déclaré inconstitutionnel.

X - Sur l'article 100 relatif à l'abus de droit

L'article 100 de loi de finances pour 2014 modifie profondément la définition de l'abus de droit retenue par l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans le but de donner à l'administration fiscale les armes nécessaires pour lutter contre les pratiques d'« optimisation fiscale agressive » des « grandes entreprises multinationales » (19).

Cet article substitue au critère actuel du but exclusivement fiscal des opérations poursuivies par le contribuable celui du but principalement fiscal. Désormais, l'administration fiscale serait en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes qui, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, « ont pour motif principal » d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. Les dispositions de l'article 100 auraient vocation à s'appliquer « aux rectifications notifiées à compter du 1er janvier 2016 ».

Cette nouvelle définition de l'abus de droit a été vivement critiquée par la doctrine, le Président Olivier Fouquet allant même jusqu'à en dénoncer le caractère « baroque » et
« utopique » (O. Fouquet, « La réforme de l'abus de droit : pour quoi faire ? », FR Francis Lefebvre, 27 septembre 2013). Elle a également suscité les plus grandes réserves du Gouvernement qui, par la voie de son ministre délégué au budget, en a énuméré la liste des inconvénients au cours des débats parlementaires. Parmi ceux-ci figuraient en bonne place la difficulté pour l'administration fiscale d'apprécier in concreto le poids respectif des différents motifs d'une opération et « l'insécurité juridique » qui en découlera pour le contribuable
« compte tenu des positions divergentes que pourraient prendre les différentes juridictions, faute de critères juridiques avérés caractérisant un but « principalement fiscal ». Le ministre délégué au budget concluait son intervention en exprimant sa crainte que « l'insécurité fiscale, compte tenu des sanctions qui s'y rattachent, risquerait de se voir immédiatement condamner par la Cour Européenne des Droits de l'Homme » (20).

Sur le plan strictement constitutionnel, l'article 100 est critiquable à plus d'un titre. Il méconnaît ensemble le principe de légalité des délits et des peines, l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi et l'article 34 de la Constitution (1), le principe de liberté (2) et le principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère (3).

Avant d'examiner plus en détail chacun de ces trois griefs, les sénateurs auteurs de la présente saisine entendent rappeler que l'abus de droit constitue l'un des manquements à la législation fiscale les plus lourdement sanctionnés. En effet, outre le rétablissement de l'impôt normalement dû et le paiement d'intérêts de retard, le contribuable s'expose à une majoration de 80 %, lorsqu'il est établi qu'il a eu l'initiative principale du ou des actes constitutifs de l'abus de droit ou en a été le principal bénéficiaire. Sous cet angle, deux observations préliminaires s'imposent.

D'une part, il ne fait guère de doute que l'abus de droit constitue une « sanction ayant le caractère d'une punition » relevant en tant que telle du champ d'application de l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 (v. en ce sens : décision n° 82- 155 DC du 30 décembre 1982, Loi de finances rectificative pour 1982). Par suite, toute loi modifiant sa définition ou le taux de la majoration encourue doit respecter les principes constitutionnels de base applicables à la répression pénale et, en particulier, les principes de légalité des délits et des peines et de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère.

D'autre part, compte tenu du caractère exceptionnellement élevé du taux de la pénalité encourue, la conformité à la Constitution de toute disposition législative tendant à élargir le champ d'application de la définition de l'abus de droit implique un examen particulièrement rigoureux.

1. Sur la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines, du principe de sécurité juridique, de l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi et de l'article 34 de la Constitution

En raison de son imprécision et de l'imprévisibilité de ses effets, la nouvelle définition de l'abus de droit retenue par l'article 100 engendrerait pour les contribuables une grande insécurité juridique.

Erigé en principe général du droit par le Conseil d'Etat (21) et en principe fondamental du droit de l'Union européenne par la Cour de justice de l'Union européenne (22), le principe de sécurité juridique a de toute évidence une valeur constitutionnelle. Même si le Conseil constitutionnel n'a pas encore eu l'occasion de le consacrer explicitement, il a néanmoins élevé à un tel rang plusieurs des exigences qui en découlent : ainsi en va-t-il notamment de l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.

Le juge constitutionnel considère sur ce point qu' « il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ; que le plein exercice de cette compétence ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, lui imposent d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ; qu'il doit en effet prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi » (décision n° 2009-592 DC du 19 novembre 2009, « Loi relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie »).

Les exigences qui découlent du principe de sécurité juridique s'imposent avec une rigueur particulière lorsque le législateur intervient en matière pénale. Le Conseil constitutionnel estime en effet que ce dernier tient de l'article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis. Cette obligation s'impose non seulement « pour exclure l'arbitraire dans le prononcé des peines », mais encore « pour éviter une rigueur non nécessaire lors de la recherche des auteurs d'infractions » (décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006, « Loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information »).

Le principe de légalité des délits et des peines a donné lieu à une jurisprudence particulièrement abondante. Ainsi, le Conseil constitutionnel censure l'usage de notions courantes mais trop imprécises pour pouvoir servir de fondement à des poursuites pénales, tel, par exemple, l'emploi du terme « famille » pour définir les crimes et délits incestueux. Ce terme, en ce qu'il ne permet pas de connaître précisément les personnes qui doivent être regardées comme membres de la famille au sens de cette qualification, a entraîné la censure de l'article 222-31-1 du code pénal relatif à ces crimes et délits (décision n° 2011-163 QPC du 16 septembre 2011, M. Claude N.). Toutefois, le juge constitutionnel admet que le principe de légalité des délits et de peines n'est pas méconnu, lorsque la jurisprudence ou d'autres textes intervenant dans le même domaine permettent d'éclairer le terme imprécis (décision n° 2010- 604 DC du 25 février 2010, « Loi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public »).

A la lumière de la jurisprudence constitutionnelle, l'imprécision du terme « motif principal » pour définir l'abus de droit, qu'aucun texte, ni aucune jurisprudence ne permettrait d'éclairer, rend clairement l'article 100 contraire au principe de légalité des délits et des peines, à l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi et à l'article 34 de la Constitution. Pour prendre la mesure, il faut rappeler les principes qui gouvernent la jurisprudence administrative et communautaire en la matière.

Pour le Conseil d'Etat, la condition relative à l'existence d'un but exclusivement fiscal est remplie, lorsque l'administration fiscale réunit un certain nombre d'éléments objectifs tendant à démontrer le caractère purement artificiel du montage pratiqué par le contribuable. Un tel caractère se déduit notamment de l'absence de substance juridique et économique du montage en cause (CE 18 mai 2005, Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie c/ SA Sagal, req. n° 267087).

Dans sa jurisprudence Halifax, dont le législateur prétend pourtant vouloir s'inspirer (23), la Cour de justice de l'Union européenne ne dit pas autre chose. Pour elle, l'existence d'une pratique abusive est caractérisée par deux éléments. D'une part, elle exige, dans le domaine de la TVA, que « les opérations en cause, malgré l'application formelle des conditions prévues par les dispositions pertinentes de la sixième directive et de la législation nationale transposant cette directive, aient pour résultat l'obtention d'un avantage fiscal dont l'octroi serait contraire à l'objectif poursuivi par ces dispositions ». D'autre part, « il doit également résulter d'un ensemble d'éléments objectifs que le but essentiel des opérations en cause est l'obtention d'un avantage fiscal » (CJUE 21 février 2006, Halifax plc, préc., points 74 et 75). A l'instar du Conseil d'Etat, la Cour de justice considère que le but poursuivi par le contribuable ne doit pas être apprécié subjectivement mais doit être déduit de circonstances objectives faisant ressortir notamment « le caractère purement artificiel » de l'opération ou
« les liens de nature juridique, économique et/ou personnelle entre les opérateurs impliqués dans le plan de réduction de la charge fiscale ». Le terme « essentiel » utilisé par le juge communautaire ne doit pas induire en erreur. La Cour de justice précise, en effet, dans le même arrêt que « l'interdiction de pratiques abusives n'est pas pertinente lorsque les opérations en cause sont susceptibles d'avoir une justification autre que la simple obtention d'avantages fiscaux » (24). Pour lever toute ambiguïté résultant de l'utilisation du terme « but essentiel », la Cour de justice a, par ailleurs, ultérieurement réaffirmé que le principe d'interdiction de l'abus de droit devait conduire « à prohiber les montages purement
artificiels, dépourvus de réalité économique, effectués à la seule fin d'obtention d'un avantage fiscal » (CJUE 22 mai 2008, Ampliscientifica Srl et Amplifin SpA c/ Ministero dell'Economia e delle Finanze et Agenzia delle Entrate, aff. C-162/07, point 28 ; 20 juin 2013, Her's Majesty's Commissioners of Revenue and Customs, aff. C-653/11).

En définitive, lorsqu'ils examinent le but poursuivi par le contribuable, le Conseil d'Etat comme la Cour de justice fondent l'existence de l'abus de droit sur un critère purement objectif : l'artificialité des montages dépourvus de toute substance juridique ou économique. Ce critère a été édicté pour ne pas laisser à l'administration fiscale un pouvoir d'appréciation trop important pour déterminer le motif prépondérant d'une opération.

L'article 100 s'inscrit en marge de tous ces principes.

En substituant au critère du but « exclusif » celui du but « principal », il confère en effet à la notion d'abus de droit une dimension subjective, inquisitoriale et arbitraire, centrée exclusivement sur la pesée des différents motifs poursuivis par le contribuable. Alors même que ce dernier ferait état de justifications juridiques, économiques ou personnelles qui, par elles-mêmes, suffiraient à justifier l'opération, il pourrait être sanctionné au prétexte que les considérations fiscales seraient sa « principale » motivation. L'abus de droit ne serait plus ainsi caractérisé par des circonstances objectives, comme l'absence de réalité économique de l'opération critiquée, mais par la seule prédominance du motif fiscal sur les autres motifs justifiant l'opération.

Cette nouvelle définition de l'abus de droit crée une grande incertitude pour le destinataire de la règle. Elle impliquerait pour l'administration fiscale comme pour le juge de « sonder les reins et les coeurs » du contribuable pour rechercher les motifs qui l'ont guidé et pour déterminer lequel a été le principal. Or, en l'absence de précisions apportées par le législateur sur les conditions et modalités d'encadrement de cet examen, ce dispositif laisserait une importante marge d'appréciation à l'administration pour caractériser l'objectif prédominant d'une opération donnée et ne prémunirait pas les contribuables du risque d'arbitraire. Contrairement aux exigences du principe de sécurité juridique et de l'objectif de clarté de la loi qui en découle, le législateur a ainsi reporté « sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi » (25).

Par ailleurs, il rendrait non seulement très aléatoire l'interprétation et l'application du texte qui en serait faite par le juge mais aussi impossible le contrôle du juge de cassation. Déjà en 2008, la commission Fouquet chargée de réfléchir aux pistes d'amélioration des relations entre l'administration fiscale et les contribuables relevait qu'avec une telle réforme, « le Conseil d'Etat risquerait de n'être plus en mesure d'assurer l'application uniforme du concept d'abus de droit en laissant aux juges du fond une marge d'appréciation souveraine sur le caractère « essentiel » du but fiscal poursuivi. Au regard de la sécurité juridique, il s'agirait d'une régression importante et coûteuse en termes d'image pour notre pays » (O. Fouquet, « Améliorer la sécurité juridique des relations entre l'administration fiscale et les contribuables : une nouvelle approche », rapport remis au mois de juin 2008 au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique).

Il ne fait ainsi guère de doute qu'en retenant une définition de l'abus de droit qui, par son caractère imprécis et équivoque, laisse prise à des appréciations subjectives de la part de l'administration fiscale, rend malaisée l'interprétation du texte qui serait faite par le juge selon les cas d'espèce et n'offre pas de garanties réelles quant à la prévisibilité des poursuites, le législateur a méconnu le principe de légalité des délits et de peines, le principe de sécurité juridique, l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, ainsi que l'étendue de sa compétence.

2. Sur la méconnaissance du principe de liberté

Au-delà du flou juridique qu'entretient l'article 100, le nouveau dispositif de répression de l'abus de droit aura directement pour effet d'obliger les contribuables à choisir, entre deux opérations produisant les mêmes effets juridiques ou économiques, celle qui, sur le plan fiscal, sera la plus imposée. Dans le cas contraire, le choix de l'opération la moins imposée pourrait en effet être regardé comme ayant pour but principal d'atténuer la charge fiscale du contribuable et entrerait, par suite, dans le champ d'application de la nouvelle définition de l'abus de droit.

A titre d'illustration, si à l'occasion d'une fusion entre deux sociétés A et B pleinement fondée économiquement, il est décidé de privilégier l'absorption de A par B afin de préserver les déficits fiscaux de B qui seraient en principe perdus en cas de fusion en sens inverse (absorption de B par A), une telle décision n'encourt actuellement aucune critique sur le terrain de l'abus de droit, conformément à une jurisprudence bien établie du Conseil d'Etat. Si le critère du but « principalement fiscal » est substitué à celui du but « exclusivement fiscal », la décision de privilégier la réalisation de la fusion dans un sens permettant de préserver les déficits fiscaux de l'une des sociétés parties à l'opération encourra la critique sur le terrain du nouvel article L. 64 du livre des procédures fiscales. Cette décision exposera alors son bénéficiaire à la majoration de 80 % prévue à l'article 1729 du code général des impôts.

En édictant une telle règle, l'article 100 porte une atteinte grave et injustifiée à la liberté du contribuable de choisir, pour une opération donnée, la voie fiscale la moins onéreuse. Or, cette liberté, qui peut se rattacher au principe plus général de liberté posé à l'article 2 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, est reconnue et protégée de longue date par le juge administratif (v. par ex. : CE 20 mars 1989, Société Malet Matériaux, req. n° 56087 : sur le choix entre l'abandon de créance ou la recapitalisation de la filiale ; CE 21 mars 1986, Société Auriège, req. n° 53002 : sur le choix du sens des fusions) comme par la Cour de justice de l'Union européenne.

Dans son arrêt Halifax du 21 février 2006, la Cour affirme en effet très clairement le droit du contribuable à l'optimisation fiscale, en rappelant que : « Lorsque l'assujetti a le choix entre deux opérations, la sixième directive ne lui impose pas de choisir celle qui implique le paiement du montant de la TVA le plus élevé. Au contraire, ainsi que l'a rappelé M. l'avocat général au point 85 de ses conclusions, l'assujetti a le droit de choisir la structure de son activité de manière à limiter sa dette fiscale » (CJUE 21 février 2006, Halifax plc, Leeds Permanent Development Services Ltd, County Wide Property Investments Ltd, aff. C-255/02,
point 73) (26).

En portant une atteinte grave et manifestement excessive à la liberté de choix des contribuables, l'article 100 méconnaît donc l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et encourt, à ce titre encore, la censure.

3. Sur la méconnaissance du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère

L'article 100 est enfin directement contraire au principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère.

Ce principe, qui découle de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, fait obstacle à « l'application rétroactive de dispositions permettant d'infliger des sanctions ayant le caractère d'une punition à des contribuables à raison d'agissements antérieurs à l'entrée en vigueur des dispositions nouvelles » (décision n° 2013-327 QPC du
21 juin 2013, SA Assistance Sécurité et Gardiennage ; décision n° 89-268 DC du 29 décembre 1989, « Loi de finances pour 1990 » ; décision n° 88-250 DC du 29 décembre 1988,
« Loi de finances rectificative pour 1988 »). Il s'applique tout aussi bien aux dispositions législatives qui durcissent le régime des peines qu'à celles qui élargissent le champ d'application d'une infraction.

Or, en fixant le point de départ du nouveau régime de l'abus de droit aux rectifications notifiées à compter du 1er janvier 2016, l'article 100 expose les contribuables à ce qu'ils soient sanctionnés pour des actes antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi et qui n'étaient pas susceptibles d'être qualifiés d'abus de droit sous l'empire de l'ancien article L. 64 du livre des procédures fiscales.

En effet, il convient de garder à l'esprit que l'administration fiscale dispose d'un droit de reprise, qui lui permet de réparer les omissions totales ou partielles constatées dans l'assiette ou le recouvrement de tous impôts, taxes ou redevances dus en vertu des lois fiscales, ainsi que les erreurs susceptibles d'entacher leur détermination.

Aux termes de l'article L. 186 du livre des procédures fiscales, lorsqu'il n'est pas expressément prévu de délai de prescription plus court ou plus long, ce droit de reprise s'exerce ainsi jusqu'à l'expiration de la sixième année suivant celle du fait générateur de l'impôt. Cette prescription sexennale s'applique, en particulier, en matière d'impôt de solidarité sur la fortune, de droits d'enregistrement, de taxe de publicité foncière, de droits de timbres, ainsi que de taxes, redevances et impositions assimilées ou recouvrées suivant les mêmes modalités, lorsque les conditions requises pour l'intervention de la prescription abrégée de trois ans prévue par l'article L. 180 du livre des procédures fiscales ne sont pas remplies.

En exerçant son droit de reprise, l'administration fiscale pourrait ainsi sanctionner un contribuable pour des opérations réalisées en 2013 ou avant cette date, ne répondant pas à un but exclusivement fiscal, mais ayant « pour motif principal » d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales. Pour ce motif, l'article 100 méconnaît à l'évidence le principe de valeur constitutionnelle de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère.

Pour ces raisons, il appartient à votre Conseil de censurer cet article.

XI - Sur l'article 101 relatif à la suppression de la suspension automatique de la mise en recouvrement en cas de procédure amiable

L'article 101 vise à supprimer l'article L. 189 A du Livre des procédures fiscales qui prévoit la suspension du recouvrement des impositions dans l'hypothèse de l'ouverture d'une procédure amiable et pour la durée de celle-ci.

Les requérants estiment que cette disposition est contraire au principe constitutionnel des droits de la défense.

Ce principe constitutionnel a été rattaché à la « garantie des droits » proclamée par l'article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, comme le déclare votre Conseil dans sa décision du 30 mars 2006 portant sur la loi pour l'égalité des chances (27). Les droits de la défense peuvent se décliner sous plusieurs catégories, au premier rang desquelles : le droit à l'exercice de recours juridictionnels effectifs. Ce droit a été consacré par la décision du 13 août 1993 portant sur la loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France (28).

Les requérants estiment que le droit à l'exercice de recours juridictionnels effectifs est absent de l'article 101.

L'article L. 189 A du Livre des procédures fiscales permet aujourd'hui que l'ouverture de la procédure amiable entraîne la suspension du recouvrement des impositions notifiées l'entreprise, tant que la procédure se poursuit. La suppression du régime existant va conduire à placer les entreprises dans le cadre du droit commun du contrôle fiscal français.
Or, ce droit commun autorise, certes, le sursis de paiement des impositions mais, contrairement au régime actuel de l'article L 189 A, seulement sous réserve de la constitution de garanties financières par l'entreprise française (soit une garantie bancaire qui peut s'avérer extrêmement coûteuse, soit le placement des sommes correspondant à l'impôt dans un compte bloqué assimilé à une sortie de trésorerie dans les comptes consolidés) et de la contestation du redressement devant les tribunaux français.

Cette dernière condition aboutit en pratique à priver le contribuable français du recours à la procédure arbitrale prévue par le droit européen et plus précisément par la Convention 90/436/CEE relative à l'élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d'entreprises associées du 23 juillet 1990.

Cette procédure est pourtant une garantie essentielle du contribuable car elle seule permet d'éviter la double imposition de l'entreprise à raison d'une transaction internationale. Par exemple, si dans le cadre d'un contrôle fiscal, la France refuse la déductibilité d'une partie d'une charge versée en contrepartie d'une prestation réalisée par une société du groupe résidente d'un autre Etat, il en résultera une double imposition puisque dans l'autre Etat, le montant du produit correspondant n'aura, quant à lui, pas été modifié. Pour que cette double imposition soit évitée, l'entreprise redressée, ici française, va demander l'ouverture d'une procédure amiable au terme de laquelle les deux Etats doivent, en principe, parvenir à un accord. A défaut d'accord dans les deux ans, la Convention précitée prévoit que la France doit proposer à l'entreprise l'ouverture d'une procédure arbitrale.

Or, l'article 7, paragraphe 3 de la Convention européenne d'arbitrage stipule que dans les cas où la législation interne d'un État contractant ne permet pas de déroger aux décisions de leurs instances juridictionnelle, la procédure d'arbitrage n'est possible que si l'entreprise a laissé s'écouler le délai de présentation du recours auprès des juridictions nationales ou s'est désistée de ce recours avant qu'une décision ait été rendue.

Dans une déclaration unilatérale adoptée le jour de la signature de la convention européenne d'arbitrage et publiée conjointement avec celle-ci au journal officiel de l'Union européenne, la France a indiqué qu'elle ferait application de cette disposition.

Par conséquent, les contribuables concernés doivent faire le choix soit de poursuivre la procédure juridictionnelle française jusqu'à son terme, soit d'y renoncer afin que la procédure d'arbitrage puisse être conduite.
Il résulterait ainsi des dispositions de l'article 101 que le recours à la procédure arbitrale supposerait de fait de renoncer au sursis de paiement des impositions puisqu'il est subordonné à la conduite d'une procédure juridictionnelle française.

Or, compte tenu des enjeux en cause, et du fait que l'entreprise a déjà payé l'impôt correspondant à la transaction objet du litige (la question étant de savoir la répartition de l'impôt entre les deux Etats), la suppression du sursis de paiement revient à rendre hypothétique cette possibilité de recours international.

Les requérants estiment dès lors que l'article 101 méconnait le droit à l'exercice de recours juridictionnels effectifs, et donc le principe constitutionnel de droits de la défense. Pour ces raisons, l'article 101 doit être déclaré contraire à la Constitution.

XII - Sur l'article 106 qui instaure une obligation de rémunérer les transferts de risques ou de fonctions

Cet article modifie l'article 57F du Code général des impôts et introduit une obligation de rémunérer les transferts de fonctions et de risques vers une entreprise liée, française ou étrangère.

Les Sénateurs requérants estiment que ces dispositions contreviennent à l'article 34 de la Constitution et aux articles 13 et 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du fait de l'imprécision de leur rédaction et portent ainsi atteinte aux principes de clarté et d'intelligibilité de la loi.

Il apparaît, en effet, que les termes utilisés sont imprécis et que ni le texte de cet article ni le Code général des impôts, ni un éventuel renvoi par décret n'établissent une définition des notions de « risque » ou de « fonction » alors que leur transfert constitue le fait générateur de l'imposition au travers de la nécessité pour l'entreprise de percevoir une indemnité correspondant à leur valeur. Cette définition aléatoire de l'assiette n'offre aucune sécurité pour les entreprises. Surtout, elle est en contradiction avec l'article 34 de la Constitution qui stipule que la loi fixe les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures. En l'état de la rédaction de l'article 106, l'assiette de l'imposition de l'indemnité qui serait générée par le transfert de fonction ou de risques ne peut être considérée comme étant clairement déterminée.

On peut ainsi s'interroger sur la définition de la « fonction » ou du « risque » : par exemple, l'affectation d'un vendeur d'une entreprise à une autre constitue-t-il un transfert de fonction taxable à lui seul ? Faut-il que le transfert soit accompagné de celui du fichier client ou du droit de négocier ces contrats ? Et la question se pose à tous niveaux de responsabilité. Dans ces conditions, comment définir le montant de l'indemnité taxable en vertu de cet article ?

Ces notions font d'ailleurs l'objet d'un débat au niveau international depuis plusieurs années et n'ont pas encore abouti en raison de la complexité même du sujet.
La recherche d'une définition de ces notions est d'autant plus difficile que l'approche est différente suivant les Etats ; par exemple, les pays occidentaux mettront l'accent sur la valeur attachée aux fonctions de direction alors que les pays émergents donneront la priorité aux fonctions d'exécution, avec un enjeu - et un risque - pour les entreprises non seulement économique mais aussi fiscal (au titre de doubles impositions). La complexité de ces sujets est telle que les travaux, en cours depuis une dizaine d'années au niveau de l'OCDE, n'ont pas encore abouti à la stabilisation de la définition de ces concepts et les échanges se poursuivent
- un projet de rapport pour discussion révisé, établi le 30 juillet 2013 est la base de travail.

Ainsi, les requérants estiment que non seulement l'article 106 contrevient au principe d'intelligibilité de la loi mais également sera source de nombreux contentieux, dans une économie désormais mondialisée sans approche partagée, par les différents Etats, des notions générant une base taxable.

D'autre part, ils estiment aussi que l'article 106 revêt un caractère rétroactif contraire au principe de non rétroactivité de la loi, tel qu'appréhendé par votre Conseil en matière fiscale, comme notamment dans la décision n°98-404 DC du 18 décembre 1998, en cela que ces dispositions s'appliquent aux exercices clos à compter du 31 décembre 2013, s'appliquant par la même à des opérations de réorganisation déjà intervenues dans un cadre légal n'exigeant aucune rémunération ou indemnité.

Pour ces raisons, il appartient à votre Conseil de censurer cet article.

Les Sénateurs soussignés complèteront, le cas échéant, cette demande dans des délais raisonnables.

***
(1) Cf. Liste jointe
(2) Cf. Rep min à QE n°8453, Haenel, JO Sénat Q, 12 janvier 1995
(3) BOFIP-PAT-ISF-40-60
(4) Cf. exposé des motifs de l'amendement I-CF 282
(5) CC, Décision n°84-184 DC du 29 décembre 1984, « Loi de finances pour 1985 »
(6) CC, décision n°2077-555 DC du 16 août 2007
(7) Votre Conseil juge ainsi, de manière constante, que « si le législateur a la faculté d'adopter des dispositions fiscales rétroactives, il ne peut le faire que pour un motif d'intérêt général suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ». Cf. CC, décision n°98-104 DC du 18 décembre 1998, Loi de financement de la sécurité sociale pour 1999
(8) L'article L. 313-2 du Code de la consommation précise que le TEG doit être mentionné dans tout écrit constatant un contrat de prêt
(9) Notamment CC, décision n°97-393 DC, 18 décembre 1997 et CC, décision n°2005-531 DC du 29 décembre 2005
(10) Décision n°96-375 DC du 9 avril 1996
(11) Lecarpentier et autre c/ France
(12) Vezon c/ France
(13) Cf . Cour des Comptes, Rapport public thématique, « La gestion de la dette publique locale » (juillet 2011) et Cour de Comptes, Rapport sur Les finances locales (octobre 2013), p. 271 : « Il a ainsi recensé 1 478 collectivités concernées avec un encours d'emprunts les plus risqués de 14 Mds, soit 9 % du total de la dette des collectivités locales »
(14) Cf. Civ. 1ère, 4.05.76, Bull. Civ N°157 : « Il n'y a pas de transaction lorsqu'une partie abandonne ses droits pour une contrepartie si faible qu'elle est pratiquement inexistante »
(15) Cf. CEDH, 14 février 2006, Lecarpentier et autre c. France et CEDH, 3 octobre 2006, Achache c. France
(16)http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseilconstitutionnel/root/bank_mm/pdf/Conseil/penal.pdf
Droit pénal et droit constitutionnel (Exposé fait lors de la visite au Conseil d'un groupe de magistrats judiciaires)
(17) Décision n° 86-215 DC du 3 septembre 1986 portant sur la loi relative à la lutte contre la criminalité et la délinquance
(18) Décision n° 2013-679 DC du 04 décembre 2013 portant sur la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, considérant n°10.
(19) Intervention de M. Pierre-Alain Muet lors de la séance du 15 novembre 2013 à l'Assemblée nationale.
(20) Intervention de M. Bernard Cazeneuve lors de la séance du 15 novembre 2013 à l'Assemblée nationale.
(21) CE 24 mars 2006, Société KMPG, rec. Lebon p. 154.
(22) Pour la Cour de justice de l'Union européenne, « la législation communautaire doit être certaine et son application prévisible pour les justiciables » (CJUE 15 décembre 1987, Irlande c/ Commission, aff. C-325/85, rec. p. 5041) ; de même, « le caractère de certitude et de prévisibilité de la réglementation communautaire constitue un impératif qui s'impose avec une rigueur particulière lorsqu'il s'agit d'une réglementation susceptible de comporter des incidences financières » (CJUE 13 mars 1990, Commission c/ France, C-30/89, rec. p. I-691) ; enfin, « les principes de sécurité juridique et de protection des particuliers exigent que, dans les domaines couverts par le droit communautaire, les règles du droit des États membres soient formulées de manière non équivoque qui permette aux personnes concernées de connaître leurs droits et obligations d'une manière claire et précise et aux juridictions nationales d'en assurer le respect » (CJUE 21 juin 1988, Commission c/ Italie, aff. C-257/86, Rec. p. 3249).
(23) Intervention de M. Pierre-Alain Muet lors de la séance du 15 novembre 2013 à l'Assemblée nationale.
(24) Le bien-fondé de cette solution a été expliqué par l'avocat général Poaires Maduro dans ses conclusions :
« L'interdiction des pratiques abusives, en tant que principe d'interprétation, n'est plus pertinente lorsque l'activité économique exercée est susceptible d'avoir une justification autre que la simple obtention d'avantages fiscaux vis-à-vis des autorités fiscales. En pareil cas, interpréter une disposition juridique comme ne conférant pas un tel avantage sur le fondement d'un principe général non écrit octroierait aux autorités fiscales un pouvoir d'appréciation beaucoup trop vaste lorsqu'elles décident quel objectif d'une opération donnée devrait être considéré comme prédominant. Cela introduirait un degré élevé d'incertitude quant aux choix légitimes arrêtés par les opérateurs économiques et cela porterait atteinte aux activités économiques qui méritent clairement d'être protégées à condition qu'elles soient, au moins dans une certaine mesure, justifiées par des buts commerciaux ordinaires ».
(25) Pour reprendre la formule de la décision n° 2009-592 DC du 19 novembre 2009, « Loi relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie ».
(26) Dans ses conclusions, l'avocat général Poaires Maduro soulignait à cet égard qu'« il n'existe aucune obligation juridique d'exercer une activité de manière à maximiser les recettes fiscales pour l'État » et que « le principe de base est celui de la liberté de choisir la voie la moins taxée pour exercer une activité afin de minimiser les coûts ».
(27) Décision n° 2006 - 535 DC portant sur la loi pour l'égalité des chances, considérant n°24.
(28) Décision n° 93-325 DC du 13 août 1993 portant sur la loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France