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Décision n° 2013-682 DC du 19 décembre 2013 - Saisine par 60 sénateurs

Loi de financement de la sécurité sociale pour 2014
Non conformité partielle

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,

Les sénateurs soussignés ont l'honneur de vous déférer, en application du second alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 et, notamment, ses articles 8, 13, 14, 47, 48, 49 et 82.

A. Concernant l'article 8 de la loi déférée :

L'article 8 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 met fin à l'application du régime dit des « taux historiques » en matière de prélèvements sociaux aux produits de placement dans des contrats d'assurance-vie et applique le taux en vigueur des prélèvements sociaux à l'intégralité des gains constitués depuis 1997, et ce, à l'ensemble des revenus générés dans le cadre d'un contrat d'assurance-vie.

Le texte initial du projet de loi de financement pour la sécurité sociale, tel qu'il avait été soumis à l'Assemblée nationale et adopté par celle-ci en première lecture, prévoyait la suppression du régime des « taux historiques », pour l'ensemble des revenus du capital exonérés d'impôt sur le revenu (à savoir les produits issus des Plans épargne en actions de plus de cinq ans, les primes versées avant le 26 septembre 1997 sur des contrats d'assurance- vie multi-supports, l'épargne salariale, les primes versées dans le cadre des comptes et plans épargne logement ainsi que les intérêts acquis sur des plans d'épargne logement de moins de 10 ans souscrits avant le 1er mars 2011).

L'objectif initial du dispositif était un objectif de simplification par harmonisation des règles de calcul des prélèvements sociaux (1). Il s'agissait, en effet, pour le législateur d'harmoniser les règles de calcul des prélèvements sociaux pour tous les produits de placement.

Néanmoins, par une série d'amendements présentée par le Gouvernement en deuxième lecture devant l'Assemblée nationale et adoptée par cette même Assemblée le 25 novembre 2013, le champ d'application de la mesure de suppression des taux historiques a été limité aux seuls contrats d'assurance-vie exonérés d'impôt sur le revenu, excluant de cette manière les PEL, les CEL, les PEA ainsi que l'épargne salariale.

Les requérants considèrent que la limitation du champ d'application de cette disposition aux produits des contrats d'assurance-vie est contraire au principe d'égalité devant l'impôt et devant les charges publiques, en tant que corolaire de l'article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen (« La loi est l'expression de la volonté générale. [. . .] Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ») et en application de l'article 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen (« Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés »).

Or, si l'objectif initial du texte visait à harmoniser les régimes des prélèvements sociaux, cela passait nécessairement par la suppression de l'application du régime des « taux historiques » à l'ensemble des produits de placement exonérés d'impôt sur le revenu.

En ce sens, Bernard Cazeneuve, ministre délégué auprès du ministre de l'Economie et des Finances, chargé du Budget, a rappelé durant les débats au Sénat, en première lecture, lors de la séance du 13 novembre 2013, que la mesure en cause consiste « à faire en sorte que tous les produits d'épargne, par souci de simplification et d'harmonisation, soient taxés de manière identique ».

Cependant, le législateur en écartant du champ d'application de cette mesure la plupart des produits de placement exonérés d'impôt sur le revenu mais soumis aux prélèvements sociaux selon le régime des « taux historiques » pour ne conserver que les contrats d'assurance-vie, est apparue une différence de traitement entre les produits de placement soumis jusqu'alors au principe des « taux historiques » ne reposant sur aucun critère objectif et rationnel au regard de l'objet de la loi. En cela, elle entraîne donc une rupture d'égalité entre les redevables des prélèvements sociaux.

Les requérants considèrent également que le dispositif de l'article 8 est rétroactif et ne respecte pas les exigences de l'article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, selon lequel il ne saurait porter « aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant » ni la jurisprudence constante de votre conseil.

D'abord, la réforme du calcul des prélèvements sociaux sur les produits de placement, prévue à l'article 8 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, porte atteinte à une situation légalement acquise.

En effet, il ressort de l'examen des travaux parlementaires dont est issue la loi ayant institué le régime du taux historique qu'il s'agit d'une disposition qui, aux yeux du législateur, n'avait pas pour objet d'introduire un régime dérogatoire mais précisément d'éviter la rétroactivité qui aurait découlé de l'absence d'une telle mesure.

En faisant référence au caractère « rétroactif » de l'augmentation du taux des prélèvements sociaux pour les produits de placement dont le fait générateur se situe au dénouement du contrat de capitalisation, alors même que les produits en question ont été acquis précédemment, le législateur a donc entendu sanctuariser le régime fiscal applicable aux produits acquis sur ces contrats avant chacune des dispositions ayant entraîné une augmentation des prélèvements sociaux.

Par suite, le contribuable pouvait légitimement se fonder sur cette pratique législative pour considérer que les augmentations successives ne seraient jamais applicables aux produits acquis avant leur entrée en vigueur. Dès lors, modifier ce taux a posteriori, en remettant en cause ces dispositions législatives sanctuarisant, à chaque augmentation, les produits acquis antérieurement, revient à porter atteinte à une situation légalement acquise pour le contribuable.

En outre, au cas présent, l'objectif de simplification et d'harmonisation des règles de calcul d'une imposition ne saurait constituer un motif d'intérêt général suffisant permettant de justifier la remise en cause d'une disposition dont l'objectif était de limiter les effets dans le temps d'une modification de la loi fiscale. Et, admettre qu'un objectif d'harmonisation et de simplification soit de nature à justifier la remise en cause de ce qu'il est convenu de qualifier de « clauses de grand père » reviendrait à priver totalement de portée le principe même de ces dispositions, qui ont pour objet, tout au contraire, de stabiliser les situations juridiques existantes à une date donnée, en maintenant des régimes distincts de ceux qui ont vocation à s'appliquer pour les mêmes situations juridiques constatées pour l'avenir.

B. Concernant l'article 13 de la loi déférée :

Les requérants estiment que l'article 13 de la loi de financement de la sécurité sociale qui a pour objet de créer, à rendement constant, une troisième tranche de la taxe sur le chiffre d'affaires de la vente en gros, assise sur le montant de la marge rétrocédée aux pharmacies d'officine est contraire aux principes constitutionnels de liberté d'entreprendre et de liberté contractuelle.

Il convient donc de rappeler que la liberté d'entreprendre se fonde sur l'article 4 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, il en va de même pour le principe de liberté contractuelle, comme le précise la décision du 19 décembre 2000 sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 : « la liberté contractuelle découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen »(2).

De plus, à travers l'alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946 qui dispose que : « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité », votre conseil se trouve naturellement amené à examiner des dispositions qui auraient pour conséquence de créer une situation monopolistique qui serait par nature contraire à la libre concurrence.

Or, les dispositions de l'article 13 vont immanquablement créer une distorsion de concurrence entre les deux principaux canaux de distribution de médicaments princeps (prescrits remboursables) pour les pharmaciens, que sont les ventes directes et les grossistes, distorsion de concurrence qui conduira mécaniquement à une situation monopolistique en faveur des grossistes contraire au principe de libre concurrence.

Il convient alors de rappeler que les dispositions de l'article 13 consiste à taxer à 20 % la remise concédée au pharmacien sur les médicaments princeps (prescrits remboursables).

Or, le niveau de remise concédée au pharmacien est significativement plus important dans le canal des ventes directes où ce niveau de remise s'élève à 4 % en moyenne, que dans le canal grossiste où le niveau de remise avoisine les 1 %. En conséquence de quoi, la taxe sur les 20 % aura des effets résolument distincts selon que le pharmacien face appel à l'un ou à l'autre des deux canaux de distribution.

Aussi, parce que l'article 13 conduit à une situation de monopole des grossistes sur l'approvisionnement des médicaments prescrits remboursables, cet article est contraire au principe constitutionnel de liberté d'entreprendre et de liberté contractuelle, et doit donc être déclaré contraire à la Constitution.

C. Concernant l'article 14 d e la loi déférée :

L'adoption de l'article 14 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 fait suite à la décision du Conseil constitutionnel du 13 juin 2013 par laquelle il a déclaré contraires à la Constitution le 2 ° du paragraphe II de l'article 1er de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi, ainsi que, par application de sa jurisprudence dite « néo- calédonienne », l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale.

- L'article 14 a pour seul objectif de contourner les précédentes décisions du Conseil constitutionnel.

Depuis la censure par le Conseil constitutionnel des clauses dites de « désignation » le 13 juin dernier, le Gouvernement a plusieurs fois fait part de son intention de réécrire de manière « juridiquement plus fondée » un mécanisme « équivalent » à la clause de désignation. C'est, selon les termes mêmes de l'exposé sommaire de l'amendement pour « tirer les conséquences de la décision n° 2013‑672 DC du 13 juin 2013 du Conseil Constitutionnel » que cette nouvelle rédaction a été proposée par le Gouvernement.

Pourtant, selon l'alinéa 3 de l'article 62 de la Constitution, « les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ».

Le Conseil constitutionnel a plusieurs fois rappelé que « l'autorité de ses décisions s'attache non seulement à leur dispositif mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même » (89-258 DC ; 92-312 DC).

Il a également considéré que si « l'autorité attachée à une décision du Conseil constitutionnel déclarant inconstitutionnelles des dispositions d'une loi ne peut en principe être utilement invoquée à l'encontre d'une autre loi conçue en termes distincts, il n'en va pas ainsi lorsque les dispositions de cette loi, bien que rédigées sous une forme différente, ont, en substance, un objet analogue à celui des dispositions législatives déclarées contraires à la Constitution » (89-258 DC).

Ainsi, l'introduction, sous une forme différente, dans le code de la sécurité sociale, de dispositions ayant un objet analogue à des dispositions déclarées inconstitutionnelles, constitue une méconnaissance de l'autorité qui s'attache aux décisions du Conseil constitutionnel.

- L'article 14 est contraire à l'article 34 de la Constitution et à l'exigence constitutionnelle d'intelligibilité de la loi

Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34. Selon lui, le plein exercice de cette compétence, et l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, lui imposent « d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques » (2006-540 DC).

Les termes du nouvel article L. 912-1 du code de la sécurité sociale sont imprécis et laissent une marge de manoeuvre trop importante aux partenaires sociaux, qui seraient, de facto, libres de fixer librement le périmètre d'une notion (celle de garantie présentant un degré élevé de solidarité). Le législateur se borne ici à renvoyer au pouvoir réglementaire le soin de fixer les conditions dans lesquelles les partenaires sociaux peuvent organiser la mutualisation des risques au sein d'une branche. Il ne lui confie pas la fixation du contenu de ces garanties collectives « présentant un degré élevé solidarité » et ne définit donc pas ce qu'il entend par cette notion, se contentant d'une simple énumération non exhaustive (sous forme de suggestions) de prestations susceptibles de répondre à cette exigence.

Au contraire, le législateur aurait dû définir lui-même précisément le périmètre qu'il affecte à la notion de « garantie collective présentant un degré important de solidarité ». Il n'appartient pas aux partenaires sociaux de définir les exigences de solidarité auxquelles devront se soumettre les contrats de couverture complémentaire, d'autant plus, d'une part, que cette définition aura pour conséquence directe de créer une différence de traitement entre les entreprises qui suivraient la recommandation et celles qui ne la suivraient pas et, d'autre part, que le législateur prétend poursuivre un objectif d'intérêt général. C'est donc le seul fruit de la négociation des partenaires sociaux qui génèrera une discrimination des entreprises concernées au regard du forfait social dont elles devront s'acquitter. Cela est d'autant plus injustifié que, d'une branche professionnelle à une autre, ces exigences pourront être très différentes.

D'un point de vue général, la notion de garanties présentant un haut « niveau de solidarité » ne peut se contenter d'une qualification floue et dépourvue de contenu. En effet, laisser toute latitude aux branches professionnelles pour fixer les contours de cette protection complémentaire, reviendrait, par hypothèse, à permettre une confusion avec les missions de la sécurité sociale ; or, la définition de la sécurité sociale est précise et limitative. Les branches ne peuvent pas se voir conférer, et encore moins s'auto-attribuer, des prérogatives relevant de la sécurité sociale. C'est pourquoi le législateur aurait dû se positionner précisément sur ce qu'il entendait par la notion à laquelle l'article 14 de la présente loi fait référence.

Ainsi, en ne définissant pas lui-même le contenu des garanties présentant un « degré élevé de solidarité » et en déléguant cette compétence aux partenaires sociaux, le législateur n'a respecté ni l'article 34 de la Constitution, ni l'exigence constitutionnelle d'intelligibilité de la loi.

- Les auteurs de la saisine considèrent que l'article 14 ne répond pas à l'objectif qu'il s'assigne.

La volonté du Gouvernement de mettre en place des « clauses de recommandation » se fonde sur un postulat erroné, sans lien avec l'objectif poursuivi. Rien ne permet sérieusement de démontrer, dans l'article 14, que l'existence de la clause de recommandation permettra une meilleure mise en oeuvre de la généralisation de la complémentaire santé obligatoire à tous les salariés, contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement. Comme cela a été maintes fois rappelé lors des débats parlementaires relatifs à la loi de sécurisation de l'emploi, les partenaires sociaux n'avaient pas souhaité, dans l'accord national interprofessionnel donner la possibilité aux branches de procéder à des désignations ou à des recommandations assorties d'une incitation ou de sanctions.

- Par ailleurs, les sénateurs signataires de la présente saisine considèrent que cet article n'a pas sa place dans une loi de financement de la sécurité sociale.

- Tout d'abord, l'article 14 ne relève d'aucune des matières énumérées par l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale qui définit le champ des lois de financement de la sécurité sociale.

Tel qu'il est rédigé, cet article ne concerne pas l'organisation d'un régime obligatoire de base de la sécurité sociale. Il se borne à organiser les modalités facultatives d'organisation par les partenaires sociaux de la couverture des risques au sein des branches professionnelles dans le cadre d'un ou de plusieurs régimes complémentaires. Plusieurs députés et sénateurs ont, en vain, lors des débats, soulevé le caractère irrecevable de l'amendement du Gouvernement insérant l'article 14, dans la mesure où celui-ci ne concerne que des régimes complémentaires. En effet, le Conseil constitutionnel a, dans ses décisions n° 2005-544 DC et n° 2004-508 DC, jugé étrangères au domaine de la loi de financement des dispositions interdisant, pour l'une, la création de certains régimes de retraite complémentaire facultatifs, ou prévoyant, pour l'autre, d'associer les organismes d'assurance maladie complémentaire aux recours des organismes de sécurité sociale contre les tiers responsables.

Comme le rappelle le Conseil d'Etat3, le caractère obligatoire de ce régime complémentaire n'est pas de nature à rendre ces dispositions recevables en loi de financement4. Ce dernier a estimé qu'un article du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 qui étendait le bénéfice de la pension de réversion du régime de retraite complémentaire obligatoire des exploitants agricoles n'entrait pas dans le champ des lois de financement de la sécurité sociale, dont le contenu ne peut concerner que les régimes obligatoires de base.

L'article 14, relatif, comme le prétend le Gouvernement, à la mise en oeuvre de la généralisation de la complémentaire santé à tous les salariés dont le principe a été voté dans la loi de sécurisation de l'emploi du 14 juin dernier, ne relève donc pas du domaine des lois de financement de la sécurité sociale.

- Le paragraphe comportant une modulation du forfait social pour les entreprises qui décideraient de choisir librement leur organisme assureur n'est pas de nature à rendre l'article 14 conforme à l'objet des lois de financement de la sécurité sociale

Madame la Ministre s'exprimait ainsi : « il y aura simplement une incitation fiscale : c'est précisément la raison pour laquelle cette disposition a sa place dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Vous pouvez faire toutes les digressions que vous souhaitez sur le thème du cavalier social : cela n'a pas de sens, puisque cet amendement, qui a une dimension fiscale, a toute sa place ici. » (5).

Les sénateurs requérants contestent vigoureusement une telle justification. La « dimension » fiscale de la mesure ne suffit pas, à elle seule, à justifier la place de cet article en loi de financement.

En effet, l'objet principal de l'article 14 (le 1 ° du I de l'article) concerne les modalités d'organisation par les partenaires sociaux de la couverture des risques au sein de chaque branche. L'objet principal de cet article n'a donc pas sa place en loi de financement de la sécurité sociale comme démontré plus haut.

Le 3 ° du I de cet article se contente de tirer des conséquences du 1 ° en fixant une majoration ou une pénalité fiscale. Il s'agit ni plus ni moins d'un mécanisme de sanction ou d' « incitation ». La disposition dite « fiscale » ne constitue que l'accessoire de l'objet principal de l'article 14.

La présence d'une sanction ou d'une incitation fiscale dans l'article ne suffit donc pas à faire entrer la mesure dans le domaine de la loi de financement de la Sécurité sociale puisque cette mesure fiscale n'est pas séparable d'une mesure qui n'a pas sa place en loi de financement de la sécurité sociale.

Le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion d'appliquer une telle jurisprudence dans sa décision n°2012-662 DC sur la loi de finances pour 2013.

Selon le même raisonnement, l'article 14 constitue ainsi un « cavalier social » et doit être considéré comme ayant été adopté selon une procédure contraire à la Constitution.

- En tout état de cause, l'article 14 n'a pas une incidence financière suffisamment directe et conséquente sur les comptes de la sécurité sociale

Le Conseil constitutionnel a, notamment dans sa décision 2009-596 DC, déclaré non conformes à la Constitution des dispositions votées en loi de financement de la sécurité sociale n'ayant pas d'effet ou ayant un effet trop indirect sur les recettes des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement. Conformément à cette jurisprudence, une mesure n'ayant qu'une faible incidence financière n'a pas sa place en loi de financement de la sécurité sociale.

Insérée dans la troisième partie de la loi de financement de la sécurité sociale relative aux recettes, cette mesure se contente de moduler, par dérogation, le forfait social dont devraient s'acquitter les seules entreprises qui décideraient de contracter avec un organisme assureur non recommandé par la branche. Pour celles qui respecteraient la recommandation de l'accord de branche, le forfait serait maintenu au taux qui s'applique habituellement pour ce type de contrat, soit 8 %. De même, en cas d'absence d'accord de branche et donc d'absence de recommandation, c'est le taux de 8 % qui s'appliquerait.

Les recettes issues de cet article seront au mieux faibles et, en tout état de cause, incertaines. Le Gouvernement en a lui-même fait l'aveu en proposant, dans un premier temps, son insertion dans la quatrième partie du projet de loi relative aux dépenses avant de l'insérer par une rectification de son amendement, dans la troisième partie dudit projet de loi relative aux recettes.

Les sénateurs auteurs de la présente saisine ajoutent que, selon le II de l'article 14, le 3 ° du I, prévoyant la modulation du forfait social, n'entrera en vigueur qu'au 1er janvier 2015. Ainsi, le seul paragraphe susceptible d'avoir une incidence, extrêmement faible, sur les recettes de la sécurité sociale sera dépourvu d'effet en 2014.

Cet article qui n'aura donc pas d'effet sur les recettes de la sécurité sociale en 2014, n'aura, par la suite, aucun effet ou un effet trop indirect sur les recettes des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale ou des organismes concourant à leur financement. Or, notamment dans sa décision n°2003-486 DC, le Conseil constitutionnel a censuré des dispositions aux motifs que celles-ci « par leur portée limitée, n'affecteraient pas de façon significative l'équilibre financier des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale ».

L'article 14 ne trouve donc pas sa place dans une loi de financement de la sécurité sociale et doit être déclaré contraire à la Constitution.

- Les sénateurs requérants estiment enfin que l'article 14, qui n'est pas motivé par un but d'intérêt général suffisant, porte atteinte à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre et est contraire au principe d'égalité devant les charges publiques.

Le Gouvernement présentait ainsi la mesure en séance publique : « cet amendement s'inscrit dans le cadre de la politique du Gouvernement qui vise à assurer à chaque salarié, quelle que soit l'entreprise dans laquelle il travaille, un bon niveau de protection complémentaire collective. Son objectif est l'équité, la justice sociale et l'efficience économique ».

Cependant, le texte même de l'article 14 n'est pas de nature à justifier que le mécanisme de la clause de recommandation permettra d'atteindre les objectifs ainsi posés. Comme ils l'ont déjà démontré, les sénateurs requérants rappellent que si l'objectif de l'article 14 est d' « assurer à chaque salarié, quelle que soit l'entreprise dans laquelle il travaille, un bon niveau de protection complémentaire collective », alors il est inutile, puisque l'article 1er de la loi de sécurisation de l'emploi suffit à permettre la généralisation et le bon niveau de cette protection complémentaire.

Rien ne permet en outre de prouver, dans le dispositif prévu, l'adéquation entre le but que le Gouvernement s'assigne (permettre une meilleure mutualisation dans un souci d'équité, de justice sociale et d'efficience économique) et le moyen qu'il met en oeuvre pour atteindre cet objectif (mettre en place une clause de recommandation).

L'article 14 ne renforce ni l'équité ni la justice sociale entre les salariés ni entre les entreprises, dans la mesure où, d'une part, les branches ne sont pas contraintes de recommander des organismes assureurs. Certaines entreprises et certains salariés seront donc susceptibles de n'être couverts par aucun accord offrant des « garanties collectives présentant un degré élevé de solidarité ». D'autre part, le législateur ne définit pas avec précision le contenu de ces contrats et laisse donc aux partenaires sociaux toute latitude pour en fixer le contenu. Ainsi, il ne garantit pas l'équité entre les branches professionnelles.

L'article 14 ne garantit pas l'efficience économique En effet, la mutualisation est le principe qui sous-tend tout contrat d'assurance. Recommander tel ou tel organisme assureur en assortissant cette recommandation d'une incitation fiscale n'est pas générateur d'une meilleure mutualisation. Au contraire, limiter la mutualisation des risques à une même catégorie professionnelle ou une même activité peut avoir effet inverse, puisque la mutualisation se limite alors au seul périmètre de la branche concernée, ce qui fragilise la sécurité économique du régime. La mutualisation est nécessairement meilleure si elle est répartie sur l'ensemble des assureurs. De la même manière, concentrer les risques sur un seul ou sur un nombre limité d'organismes recommandés affaiblit la sécurité économique des entreprises et de leurs salariés (6).

Cette analyse est partagée par l'Autorité de la concurrence : « les bénéfices attendus d'une mutualisation des risques à l'échelle de l'ensemble de la branche doivent être relativisés. En effet, les prestations complémentaires en matière de santé diffèrent des prestations de prévoyance dite « lourde » par l'importance de leur fréquence - dix prestations par an et par bénéficiaire en moyenne - et le caractère modeste du montant moyen de remboursements. Le nombre d'assurés n'est donc pas, dans un tel contexte, un facteur déterminant dans la maîtrise de la sinistralité car il ne fait pas baisser la volatilité et ne diminue pas le coût de l'assurance »(7).

Ainsi, la mise en place d'une clause de recommandation ne facilitera nullement la généralisation de la complémentaire santé ni ne permettra une meilleure mutualisation des risques. L'article 14 ne répond donc à aucun des objectifs qu'il se fixe. Pour toutes ces raisons, les prétendus motifs d'intérêt général poursuivis par cet article et notamment la recherche d'une meilleure mutualisation au sein de chaque branche ne peuvent donc, à elles seules, justifier les atteintes, détaillées ci-après, portées aux principes constitutionnels susvisés.

- L'article 14 est contraire au principe de liberté contractuelle et de liberté d'entreprendre

Découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (« la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui »), la liberté contractuelle est reconnue par le Conseil constitutionnel (2000-437 DC). Il a estimé que le législateur pouvait apporter à ce principe des limites justifiées par des fins d'intérêt général ou liées à des exigences constitutionnelles, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi (2006-543 DC, 2012-242 QPC, 2013- 672 DC). De même, le législateur ne peut, sans méconnaitre la Constitution et les principes constitutionnels porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant.

L'article 14 n'est motivé par aucune exigence constitutionnelle et ne fait pas apparaître de motif d'intérêt général suffisant. La recherche d'une mutualisation au sein des branches professionnelles ne saurait à cet égard constituer un motif d'intérêt général suffisant puisque, comme le rappelle l'Autorité de la concurrence : « le nombre d'assurés n'est donc pas, . . ., un facteur déterminant dans la maîtrise de la sinistralité car il ne fait pas baisser la volatilité et ne diminue pas le coût de l'assurance. ». Ainsi, pour atteindre l'objectif d'intérêt général qui consiste à ce que les branches puissent organiser la protection des salariés par le biais de garanties collectives présentant un degré élevé de solidarité, il n'y a aucun besoin d'avoir recours à cette procédure de recommandation.

La nouvelle rédaction de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale porte une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle au regard de l'objectif poursuivi. Les entreprises bénéficieront d'une liberté de choix contrainte puisqu'elles n'auront aucune raison de se tourner vers l'organisme assureur de leur choix, dans la mesure où elles seront frappées par une fiscalité beaucoup plus lourde. Il ne s'agit donc pas d'une réelle mesure incitative, mais plutôt d'un mécanisme de sanction. Une vraie mesure d'incitation aurait plutôt constitué à minorer le taux appliqué aux entreprises qui respecteraient la recommandation émanant de leur branche.

La rédaction de l'article 14 est contraire à la liberté contractuelle en ce sens qu'elle dissuade les entreprises concernées de l'exercer. Il s'agit donc d'une recommandation « forcée » par la sanction qui est assortie à l'exercice de sa prétendue liberté et qui n'a, au fond, d'autre objectif que de réintroduire dans le code de la sécurité sociale les effets des clauses de désignations déclarées contraires à la Constitution au mois de juin dernier. Une telle atteinte à la liberté contractuelle n'est pas justifiée et est disproportionnée par rapport à l'objectif d'intérêt général prétendument poursuivi.

Les sénateurs auteurs de la saisine considèrent également qu'il est porté, par l'article 14, une atteinte injustifiée à la liberté d'entreprendre.

La liberté d'entreprendre, également tirée de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ne saurait, selon le Conseil constitutionnel, être préservée si des restrictions arbitraires ou abusives lui étaient apportées (81-132 DC). Il a également jugé qu'il était loisible au législateur d'apporter à cette liberté des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi (2010-89 QPC).

La majoration du forfait social qui sera appliquée aux entreprises qui ne suivraient pas la recommandation de leur branche constitue un outil suffisamment dissuasif pour que ces entreprises suivent la recommandation de leur branche. En effet, quelles sont les entreprises qui décideront, à garanties et prix exactement équivalents, de se tourner vers l'organisme assureur de leur choix, si elles voient leur forfait social plus que doublé ?

Les entreprises se rangeront donc massivement derrière la recommandation découlant de l'accord collectif de leur branche pour éviter d'avoir à surmonter la sanction fiscale qui constitue la contrepartie de leur liberté de choix. Ainsi, de très nombreux organismes assureurs se verront de facto exclus d'un marché, ce qui constitue une atteinte disproportionnée et injustifiée à la liberté d'entreprendre.

Enfin, il convient d'ajouter que les organismes assureurs recommandés bénéficieront d'une position prédominante par rapport à leurs concurrents sur le marché leur permettant de proposer, au-delà des risques garantis au niveau de la branche, d'autres types de produits d'assurance aux salariés de la branche à des tarifs différents. L'autorité de la concurrence l'a rappelé en mars dernier (8). Si la volonté d'offrir aux salariés des garanties collectives présentant un haut degré de solidarité était réellement la volonté du législateur, il aurait dû imposer à l'organisme recommandé de se concentrer sur le seul objectif de solidarité que l'accord collectif impose, et ainsi lui interdire de proposer aux entreprises couvertes par la clause de recommandation tout produit « surcomplémentaire » ne correspondant pas exactement à ce que l'accord collectif impose.

Ainsi, avoir substitué à la désignation un mécanisme de recommandation, ne suffit pas à garantir la constitutionnalité de l'article 14, puisque cette recommandation est si contraignante pour les entreprises, qu'elle a les effets d'une désignation. Ce nouveau mécanisme ne préserve pas la liberté contractuelle des entreprises comme il le prétend, puisque celles-ci devront s'acquitter d'un forfait social deux fois plus élevé si elles décident d'exercer leur libre choix en s'affranchissant de la recommandation de la branche à laquelle elles appartiennent sans qu'aucun motif d'intérêt général suffisant ne le justifie. Il contrevient en outre à la liberté d'entreprendre en excluant du marché les organismes assureurs n'ayant pas fait l'objet d'une recommandation, y compris dans le cas où ils proposeraient des contrats présentant des garanties ayant un haut degré de solidarité au moins équivalent à celui déterminé par la branche.

L'ensemble de ces raisons doit conduire le Conseil constitutionnel à déclarer l'article 14 contraire à la Constitution.

- L'article 14 engendre rupture d'égalité devant les charges publiques

Le principe d'égalité devant les charges publiques est tiré de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Le Conseil constitutionnel a plusieurs fois rappelé que « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit » (notamment, 2008-571 DC).

Le Conseil constitutionnel a jugé qu'il appartenait « au législateur, lorsqu'il institue une imposition, d'en déterminer librement l'assiette et le taux, sous réserve du respect des principes et règles de valeur constitutionnelle et compte tenu des caractéristiques de l'imposition en cause ; qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il devait fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose (2000-437 DC).

Comme démontré plus haut, les sénateurs requérants estiment que les justifications ayant présidé à l'adoption de l'article 14 (par la seule Assemblée nationale, le Sénat l'ayant rejeté avec les voix de cinq des six groupes le constituant) ne sont ni suffisamment objectives ni rationnelles. En effet, ce n'est pas le législateur qui fixe ici les critères déterminant ce que doivent recouvrir les contrats proposant garanties collectives ayant un degré élevé de solidarité. Il délègue au contraire cette mission aux branches professionnelles. L'article 14 fait donc dépendre l'inégalité de traitement concernant l'application ou non d'un forfait social majoré aux entreprises concernées des partenaires sociaux de sélectionner tel organisme plutôt qu'un autre sans que le législateur ait préalablement défini précisément les critères auxquels devraient répondre les contrats proposés par ces organismes. La rupture d'égalité reposera donc uniquement sur la décision des partenaires sociaux et non sur le contenu objectif des contrats visés.

Si une entreprise couverte par une clause de recommandation choisit un organisme assureur différent de celui recommandé par l'accord collectif, elle subira un doublement du forfait social dont elle devra s'acquitter. Un tel mécanisme de sanction, que rien ne permet de justifier, est parfaitement disproportionné.

Il n'existe ainsi que deux situations qui autorisent des dérogations au principe d'égalité devant les charges publiques : la nécessité de régler de façon différente des situations différentes, ou bien des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte, soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. L'article 14 n'est justifié par aucune de ces deux situations.

Une telle rupture d'égalité n'est pas justifiée par la nécessité de traiter de manière différente des situations différentes.

Ainsi, deux entreprises choisissant de contracter, à garanties exactement identiques, avec deux organismes assureurs différents, le premier recommandé par la branche, le second ne l'étant pas, devront s'acquitter d'un forfait social différent. Une telle différence de traitement ne trouve donc pas sa justification dans la nécessité de régler différemment deux situations différentes.

Cette rupture d'égalité n'est pas justifiée par un objectif d'intérêt général suffisamment probant. Car comme démontré plus haut :

- l'objectif de l'article 14 n'est pas de permettre la généralisation de la complémentaire santé pour tous les salariés puisque c'est l'objet de l'article 1er de la loi de sécurisation de l'emploi ;
- la recommandation d'un seul ou d'un petit nombre d'organismes assureurs n'est pas nécessaire à la mutualisation des risques. Cet objectif d'intérêt général est assuré par les principes même du système assurantiel.

Enfin, cette rupture d'égalité n'a pas de rapport direct avec l'objectif de la loi qui est, selon le gouvernement, de permettre une bonne protection des salariés. Il n'existe aucun rapport direct entre cet objectif et la majoration du forfait social.

Ainsi, cette disposition engendre une rupture caractérisée de l'égalité des personnes concernées devant les charges publiques, qu'aucune différence de situation ni aucun motif d'intérêt général suffisant n'est de nature à justifier. C'est pourquoi l'article 14 de la présente loi doit être déclaré contraire à la Constitution.

D. S'agissant d e l'article 47 de la loi déférée :

Cet article tend à promouvoir la diffusion des médicaments biologiques similaires en autorisant la « substitution » en initiation de traitement par le pharmacien.

Aussi, les requérants estiment que l'article 47 relève du « cavalier social », tel que défini à l'article 34 alinéa 20 de la Constitution.

Le Conseil Constitutionnel fonde son contrôle de constitutionnalité sur l'impact financier de la disposition soumise à son examen. En d'autres termes, doit être considéré comme cavalier social une disposition d'une loi de financement de la sécurité sociale qui n'a pas d'effet financier direct.

L'étude d'impact nous révèle seulement que cette disposition « devrait permettre à la collectivité de tirer pleinement partie des chutes de brevet des médicaments biologiques grâce au développement de ce marché et d'accroître les économies pour l'assurance maladie par des mesures progressives de baisse des prix ». La lecture de l'évaluation des impacts de la mesure nous indique clairement que cette mesure ne peut avoir d'effet direct sur les dépenses de l'assurance maladie, et que si effet il doit y avoir, celui-ci n'interviendra pas avant 2016, et à la faveur d'un impact incertain sur le bénéfice tiré de la chute de brevet qui lui-même entrainerait une baisse des prix non moins hypothétique.

Pour ces raisons, les dispositions de l'article 47 relatives à la promotion des médicaments biologiques similaires relèvent d'une loi de santé publique et non d'une loi de financement de la sécurité sociale et doivent donc être déclarées comme contraire à la Constitution.

Les requérants estiment par ailleurs que les dispositions précitées sont contraires à l'alinéa 11 du préambule de la constitution de 1946 qui garantit la protection de la santé.

En effet, comme le souligne Olivier Dutheill et de Lamothe dans les cahiers du Constitutionnel sur les normes constitutionnelles en matière sociale, « Le Conseil constitutionnel a également déduit du 11e alinéa du Préambule de 1946 un droit à la protection de la santé » (9).

Il résulte de cette exigence constitutionnelle une jurisprudence qui s'attache à vérifier que les conditions de sécurité ont été prises pour que la santé ne soit pas menacée. Tel est le cas de la décision du 27 juin 2001 sur la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception où le Conseil Constitutionnel déclara conformes à la Constitution les dispositions de l'article 2 de la loi précitée au motif que la santé de la femme n'était pas menacée (10).

Aussi, il convient d'examiner les dispositions de l'article 55 en s'assurant de l'absence de menaces sur la santé des personnes qui auront recours à ces traitements médicamenteux.

Or, la prescription par le médecin d'un médicament biosimilaire est très technique et tient compte du profil de chaque patient, aussi, en conférant au pharmacien d'officine la possibilité de prescrire un médicament biologique, même en initiation de traitement, on ne peut pas garantir aux patients que le nouveau traitement ne sera pas sans effets nocifs pour ces derniers.

En effet, le pharmacien est dans l'impossibilité de savoir si le patient est naïf de traitement, dans le cas fréquent où le patient n'aurait pas de dossier pharmaceutique. Le dossier pharmaceutique ne couvrant pas la moitié des Français.

Aussi, par les présentes dispositions de l'article 48, le législateur n'est pas en mesure de garantir que l'utilisation des médicaments biologiques ne sera pas sans effets secondaires pour les patients, et est donc contraire au principe constitutionnel de droit à la protection de la santé reconnu à l'alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946. De ce fait, l'article 47 doit être déclaré contraire à la Constitution.

E. S'agissant de l'article 48 de la loi déférée :

Les requérants font valoir que l'article 48 est lui aussi contraire au principe constitutionnel énoncé à l'alinéa 11 du préambule de la constitution de 1946 qui garantit la protection de la santé.

L'article 48 prévoit le reversement à l'assurance maladie de la différence entre le prix fixé par le Comité économique des produits de santé lorsque le médicament sous autorisation temporaire d'utilisation (ATU) obtient une autorisation de mise sur le marché (AMM), et le montant notifié par le laboratoire au moment où celui-ci bénéficiait d'une ATU.

En conséquence, l'article 48 va empêcher les patients sans alternative thérapeutique de bénéficier du système des autorisations temporaires d'utilisation, les ATU.

En effet, les patients dont l'indication de traitement n'est pas incluse dans les ATU initiales ne pourront bénéficier de la procédure dérogatoire. Ils ne seront donc pas éligibles au remboursement, et donc à la prescription d'une molécule innovante pourvue d'une autorisation de mise sur le marché tant que le prix de ce médicament n'aura pas été officialisé.

Or le périmètre d'indication d'autorisation temporaire d'utilisation est plus restreint que celui qui a été obtenu lors de l'autorisation de mise sur le marché, l'AMM. Cette mesure sera donc une source de régression majeure dans l'accès aux traitements les plus innovants pour les patients atteints de pathologies graves.

Aussi, puisque l'article 48 va empêcher les patients sans alternative thérapeutique de bénéficier des dernières innovations thérapeutiques, l'article précité est contraire au principe constitutionnel énoncé à l'alinéa 11 du préambule de la constitution de 1946 qui garantit la protection de la santé, et doit donc être déclaré contraire à la Constitution.

F. S'agissant de l'article 49 de la loi déférée :

L'article 49 de la loi de financement de la sécurité sociale 2014 a pour objet de modifier les règles relatives aux plafonds des remises sur les médicaments remboursables (article L.138-9 du code de la sécurité sociale), tout en introduisant une obligation de déclaration de ces plafonds, à la charge des seuls fournisseurs des officines de spécialités génériques (nouvel article L.138-9-1 du même code).

Le Conseil constitutionnel considère que des dispositions n'ont pas leur place dans une loi de financement de la sécurité sociale lorsqu'elles « n'ont pas d'effet direct ou ont un effet trop indirect sur les dépenses des régimes obligatoires » (11)

Concernant les dispositions de l'article 49, I, 1 ° et 2 °, paragraphe 1, il apparaît qu'elles ont un effet incertain et trop indirect sur les dépenses de l'assurance maladie.

L'objectif du texte est de permettre au comité économique des produits de santé (CEPS) d'adapter la décote aux remises effectivement pratiquées. Or, les remises et rémunérations de services négociées par le pharmacien pouvant aller jusqu'à 50 % ne pourraient être répercutées qu'au mieux avec un retard important, et encore à condition que le CEPS ajuste le prix à la baisse suite aux déclarations des laboratoires de génériques.

G. S'agissant de l'article 82 de la loi déférée :

L'article 82 du projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit de confier à la Mutualité Sociale Agricole (MSA) la totalité de la gestion des branches maladie (Amexa) et accidents du travail (Atexa) des exploitants agricoles. La protection sociale de l'exploitant agricole a été organisée par les lois de 1961 et de 2001. Les assurés ont le libre choix de leur assureur. Ce principe est inscrit dans la loi aux articles L 731-30 et L 752-13 du code rural.

Par décision 2012-659 DC du 13 décembre 2012, le Conseil constitutionnel a censuré une partie de l'article 37 du PLFSS 2013 qui prévoyait le transfert de la propriété des réserves du Gamex à la CCMSA. Il a estimé que les dispositions qui opéraient, à l'égard des assureurs privés, la centralisation de la trésorerie au niveau de la Caisse centrale de la MSA n'en étaient pas séparables et les a également déclarées contraires à la Constitution.

Certes le contexte de l'article 82 est différent mais ses dispositions sont contraires à la Constitution pour les raisons suivantes :

- La nécessité publique n'est pas démontrée

Aucune faute de gestion n'est en effet reprochée aux organismes dessaisis de la gestion des branches maladies et accidents et l'efficience de la gestion du service public alléguée n'est justifiée que par des économies de coûts de contrôles dont l'évaluation n'est pas expliquée et par des suppressions de dotations dont les montants sont cités et seraient inférieurs à des coûts de gestion marginaux des caisses des MSA, sans que ces derniers soient précisément évalués.

- Le caractère effectif, juste et préalable de l'indemnisation n'est pas respecté

L'article 82 prévoit une indemnisation « susceptible » de résulter d'un transfert de gestion, ce qui revient à en contester le principe en le subordonnant à la procédure d'indemnisation.

Cette indemnisation est ensuite renvoyée à une procédure dont le caractère préalable n'est pas affirmé par ce texte.

Enfin en supprimant les « groupements », et en indiquant que la « gestion » des réserves est
« assurée » par la CCMSA, le Gouvernement cherche à contourner la décision précitée mais le but reste le même : capter les réserves constituées sur la gestion de ces régimes.

- Or, les groupements ne disposent pas de « réserves antérieurement constituées pour le compte des branches instituées » pour la gestion des deux régimes obligatoires agricoles

Les deux groupements ont pour objet d'encaisser les cotisations et de payer les prestations pour le compte de la CCMSA. Ils ne portent pas le risque qui est assumé par la CCMSA. Celle-ci a en effet pour mission « d'assurer la gestion de risques ou de fonds dans les cas prévus par la législation » (article L 723-11 3 °). La MSA est également « chargée de la gestion de la trésorerie des différentes branches du régime » (article L. 731-1).

Pour assurer leurs missions, les deux groupements appellent donc auprès de la CCMSA les fonds nécessaires et reversent à la CCMSA les fonds qu'ils encaissent. Les comptes techniques (produits des cotisations et montants des prestations) sont portés en comptes de tiers aux bilans des deux associations (soldes débiteurs et créditeurs des opérations techniques) et sont donc sans influence sur le résultat de chacune des associations.

- Ensuite, les fonds associatifs du Gamex et de l'Aaexa sont constitués par le résultat de la gestion de l'exploitation des deux associations et n'ont pas le caractère de réserves techniques.

Le Gamex dispose de fonds associatifs au 31 décembre 2012 d'un montant positif de 17, 6 M€. Pour l'Aaexa, ces fonds associatifs sont négatifs à hauteur de 4,7M€.

Ces fonds associatifs sont le cumul des résultats de gestion administrative (produits d'exploitation diminués des charges d'exploitation : personnels, informatique etc. . .) constatés sur les exercices passés. Ces fonds associatifs sont l'équivalent pour une société de ses capitaux propres. Le Gamex a été créé en 1961. L'Aaexa a été créé en 2001. Ces deux groupements reçoivent chaque année des dotations, en application du contrat d'objectif et de performance qui a été négocié avec le Ministère de l'agriculture (le dernier en date pour les années 2014 et 2015), à charge pour les gestionnaires d'équilibrer autant qu'il est possible ces gestions.

- Enfin, ces fonds associatifs, qu'ils soient positifs ou négatifs, appartiennent aux associations.

Suivant les statuts des deux associations, « L'Assemblée Générale décide de l'affectation de l'excédent éventuel des recettes sur les dépenses » (art 10 des statuts du Gamex et art 10 des statuts de l'Aaexa).

Les statuts de ces associations, comme pour toute association, ne permettent pas de distribuer les excédents à leurs membres. La seule possibilité est de les affecter en report à nouveau. Ce qui est fait pour le Gamex en report positif. Et ce qui est fait pour l'Aaexa en report négatif.

-La reprise par la CCMSA de ces fonds associatifs méconnaîtrait le principe fondamental reconnu par la loi de la République de la liberté associative.

Les groupements, supprimés par le I de l'article 82, subsistent en tant qu'associations. Associations aux statuts agréés, dotées de prérogatives de puissance publiques, elles reçoivent des dotations et sont soumises à des contrôles de plusieurs niveaux des services de l'Etat.

Or, les instances statutaires du GAMEX ou de l'Aaexa n'ont jamais été saisies ni consultées sur la disposition contestée ce qui est d'abord une atteinte directe et manifeste à leur autonomie. Le transfert, sans délibération des instances statutaires, de « la gestion de ses réserves » à un tiers (la CCMSA) qu'elles n'ont donc pas choisi, réduit leur autonomie de gestion et de gouvernance et méconnait la liberté associative.

Il appartient en effet à leurs administrateurs, conformément aux statuts, de « décider souverainement » de l'affectation des résultats positifs ou négatifs et en particulier de ceux à venir pour les exercices 2013 et 2014. Il leur appartiendra également de procéder s'ils l'entendent ainsi à la dissolution des associations en désignant un ou plusieurs liquidateurs.

Cette disposition de gestion des « réserves » par la CCMSA reviendrait donc de fait à instaurer un régime d'autorisation contraire au principe de liberté associative en portant une atteinte substantielle au principe -qui en est son corollaire- de libre administration tel que posé par les articles 5 et 6 de la loi du 1er juillet 1901(12).

C'est pourquoi l'article 82 de la présente loi doit être déclaré contraire à la Constitution.

(1) Cf dossier de presse du 26 septembre 2013 du PLFSS pour 2014, page 11.
(2) Décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000 sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001.
(3) Il convient de noter que le Gouvernement, y compris dans l'exposé des motifs de son amendement, n'a cessé de se prévaloir du fait qu'il avait consulté le Conseil d'Etat. Si cette consultation a bien eu lieu sur le fond de la mesure, elle n'a en revanche pas été effectuée dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, ce qui ne lui a pas permis de se prononcer sur sa recevabilité.
(4) Rapport annuel du Conseil d'Etat 2010, page 128.
(5) Assemblée nationale, débats du 23 octobre 2013.
(6) Voir à cet égard l'intervention en séance publique du Sénateur Jean Desessard (Groupe EELV), le 13 novembre 2013 : « [La mutualisation est] en réalité bien mieux garantie par une mutualisation transversale, interbranches, que par une mutualisation de branche, le plus souvent homogène. Il existe en effet un risque systémique à concentrer les risques de branche sur un même organisme assureur, par exemple dans le cas où surviendraient des pathologies de branche, telles celles liées à l'amiante, pathologies qu'il convient évidemment de prévenir.
En outre, la mutualisation par branche génère d'importantes inégalités, les branches étant plus ou moins riches.
Cette segmentation des risques et des revenus peut même être vue comme un détournement de la mutualisation, d'autant que les branches à hauts revenus ne sont généralement pas celles qui présentent les risques les plus élevés. Les hauts revenus ne payeront donc plus les risques supérieurs des plus pauvres.
Par conséquent, il me semble que l'argument d'une meilleure mutualisation est non seulement infondé, mais socialement dangereux. »
(7) Avis de l'Autorité de la concurrence n° 13-A-11 du 29 mars 2013
(8) Extrait de l'avis de l'autorité de la concurrence du 29 mars 2013 : « Dans ce contexte, l'organisme ou les organismes désignés sont placés dans une position prédominante par rapport à leurs concurrents sur le marché, sur laquelle ils sont à même de se fonder pour proposer d'autres types de produits d'assurance aux salariés de la branche, tels que des services d'assurance destinés à renforcer la couverture en matière de prévoyance (dits de « sur complémentaire »), ou tout autre produit d'assurance de personnes ou de biens. »
(9) Dutheillet de Lamothe Olivier, Les normes constitutionnelles en matière sociale, Les cahiers du Conseil Constituionnel, n°29, octobre 2010.
(10) Décision n° 2001-446 DC du 27 juin 2001 sur la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, considérant n°7.
(11) Décision Conseil constitutionnel, n°2012-659 DC du 13 décembre 2012 sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, considérant 64.
(12) Décision n° 96-DC 9 avril 1996 cons 43, Décision n° 2011-138 QPC du 17 juin 2011 et son commentaire aux Cahiers