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Décision n° 2013-676 DC du 9 octobre 2013 - Saisine par 60 sénateurs

Loi relative à la transparence de la vie publique
Non conformité partielle - réserve

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,

Les Sénateurs soussignés ont l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi relative à la transparence de la vie publique.
Les sénateurs auteurs de la présente saisine considèrent en effet que les dispositions de cette loi contreviennent à des dispositions et principes de valeur constitutionnelle, telle que le droit au respect de la vie privée, la liberté d'entreprendre, le principe d'égalité, le droit de la défense, la légalité des délits et des peines et la séparation des pouvoirs.

I. Sur l'atteinte au respect de la vie privée

Votre conseil, par sa décision du 22 avril 1997 sur la loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration (1), a estimé que les méconnaissances graves du droit au respect de la vie privée affectent la liberté individuelle. Par suite, dans la décision du 23 juillet 1999 sur la loi portant création d'une couverture maladie universelle (2), votre Conseil a rattaché le respect de la vie privée à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui dispose que : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression », précisant ensuite que cet article 2 « implique le respect de la vie privée ».
A mesure que la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, en matière de respect de la vie privée s'est développée, le droit au respect de la vie privée a trouvé à s'appliquer à de nombreux domaines, parmi lesquels figure le traitement de données à caractère personnel (fichiers de police et de justice, inscriptions au casier judiciaire, protection des données médicales) comme le montre le commentaire de la décision du 30 mars 2012 sur les conditions de contestation par le procureur de la République de l'acquisition de la nationalité par mariage (3).

Après avoir identifié les dispositions constitutionnelles fondant le respect de la vie privée, et définissant le champ de son application, votre Conseil a progressivement détaillé la manière dont il entendait faire appliquer ce principe constitutionnel du droit au respect de la vie privée.

La décision du 10 juin 2009 sur la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet (4), met en lumière qu'il appartient au législateur « d'assurer la conciliation entre le respect de la vie privée et d'autres exigences constitutionnelles, telles que la protection du droit de propriété ».

C'est donc par une jurisprudence constante que votre Conseil a estimé que le législateur, dans le cadre du traitement de données à caractère personnel, devait concilier le respect de la vie privée avec les autres exigences constitutionnelles.

Or, la loi relative à la transparence de la vie publique dispose aux articles 3 et 10 que de nombreuses personnalités de la vie publique doivent adresser à la Haute Autorité de la transparence de la vie publique une déclaration de situation patrimoniale et une déclaration d'intérêts.
Ces articles permettent ainsi de dresser une liste de personnalités évoluant dans, ou à proximité de la sphère politique, dont les membres du Gouvernement, les représentants français au Parlement européen, les présidents des exécutifs locaux, les conseillers des collectivités territoriales, selon des critères démographiques, les membres des cabinets ministériels et les collaborateurs du Président de la République, du Président du Sénat, et du Président de l'Assemblée Nationale, ainsi que toute autre personne exerçant un emploi ou des fonctions à la décision du Gouvernement pour lesquels elle a été nommée en conseil des ministres.

La déclaration de patrimoine susmentionnée devra comprendre les immeubles bâtis et non bâtis, les valeurs mobilières, les assurances-vie, les comptes bancaires courants ou d'épargne, les livrets et les autres produits d'épargne, les biens mobiliers divers, les véhicules terrestres à moteur, bateaux et avions, les fonds de commerce ou clientèles et les charges et offices, les biens mobiliers, immobiliers et les comptes détenus à l'étranger, les autres biens, et tout cadeau ou avantage reçu susceptible d'influencer le processus décisionnel.

La déclaration d'intérêts susmentionnée devra quant à elle comprendre les activités professionnelles donnant lieu à rémunération ou gratification exercées à la date de la déclaration, les activités professionnelles ayant donné lieu à rémunération ou gratification exercées au cours des cinq dernières années, les activités de consultant exercées à la date de la déclaration et au cours des cinq dernières années, les participations détenues à la date de la déclaration ou lors des cinq dernières années dans les organes dirigeants d'un organisme public ou privé ou d'une société, les participations financières directes dans le capital d'une société, à la date de la déclaration, les activités professionnelles exercées à la date de la déclaration par le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin, les enfants et les parents, les fonctions bénévoles susceptibles de faire naître un conflit d'intérêts, les autres liens susceptibles de faire naître un conflit d'intérêts, et les fonctions et mandats électifs exercés à la date de la déclaration.

Enfin, il est prévu que la Haute Autorité rende publique la déclaration de situation patrimoniale et la déclaration d'intérêts.
En ce qui concerne les déclarations des membres du Gouvernement, prévues à l'article 3, elles seront rendues publiques dans un délai de trois mois suivant la réception par la Haute autorité de tous les éléments constitutifs du dossier.

En ce qui concerne les autres déclarations déposées, en application de l'article 10, elles seront rendues publiques, alors que les déclarations de situation patrimoniale sont, aux seules fins de consultation, tenues à la disposition des électeurs inscrits sur les listes électorales.

Par conséquent, l'énoncé de ces nouvelles obligations légales ne laisse aucun doute sur le fait que cette loi relative à la transparence de la vie publique est composée de nombreuses atteintes au respect de la vie privée.

Il convient donc de s'interroger, d'abord sur la conciliation par le législateur, du respect de la vie privée avec les autres exigences constitutionnelles, et ensuite sur la justification apportée par le législateur et sur la proportionnalité de l'atteinte au respect de la vie privée avec l'objectif poursuivi.

Votre conseil admet certaines atteintes au respect de la vie privée à la condition expresse que le législateur se trouve dans une situation où il lui est imposé de concilier deux impératifs constitutionnels. Cette conciliation, notamment en ce qui concerne le traitement de données à caractère personnel, se fait entre la sécurité (intégrée au principe constitutionnel de liberté), et le respect de la vie privée.

Or, dans le cas en l'espèce, l'atteinte au respect de la vie privée n'est nullement le fuit d'une conciliation avec un autre principe constitutionnel puisque l'exposé des motifs de la loi précise que celle-ci s'inscrit dans le cadre de la « lutte contre les conflits d'intérêts », et que l'ambition portée par cette loi est de « placer notre pays au rang des démocraties les plus avancées en matière de prévention des conflits d'intérêts, et d'utiliser le principe de transparence au service de cet objectif ».

En ce qui concerne les obligations de déclaration de patrimoine, prévues à l'article 3, l'exposé des motifs indique que ces dispositions ont pour objet de lutter contre un enrichissement inexpliqué. Il convient donc de rappeler que l'enrichissement inexpliqué n'est pas un délit pénal mais relève de considérations déontologiques, que ni la loi, ni la Constitution ne traduisent.

De la même manière, les déclarations d'intérêts, prévues à l'article 3, ont pour objet de prévenir les conflits d'intérêts ; là encore, il convient de rappeler que le conflit d'intérêts n'est pas un délit pénal et que par conséquent, si l'ambition est louable, celle-ci ne trouve aucune traduction dans la loi et dans la Constitution.

S'il est respectable pour le législateur de lutter contre les conflits d'intérêts ou les enrichissements inexpliqués, il ne lui est cependant pas permis de déroger à des principes constitutionnels dans le but d'atteindre ces objectifs, car ceux-ci ne sont nullement fondés sur un impératif constitutionnel. La lutte contre les conflits d'intérêts ou les enrichissements inexpliqués sont en effet le fruit d'une exigence déontologique qui ne peut donc en aucun cas justifier des atteintes aussi manifestes au respect de la vie privée.

Par conséquent, l'atteinte au respect de la vie privée ne s'imposant pas par la conciliation entre cet impératif constitutionnel et un autre impératif du même rang, les dispositions afférentes aux déclarations d'intérêts de l'article 3 ne sauraient satisfaire un contrôle de constitutionnalité.

De plus, afin d'apprécier l'atteinte au respect de la vie privée qu'introduit cette loi, et après avoir constaté que le législateur n'était nullement en situation de conciliation entre deux exigences constitutionnelles, il faut se pencher sur la justification apportée par le législateur de cette atteinte, et sur la proportionnalité de cette atteinte au respect de la vie privée avec l'objectif poursuivi.

Dans ce cas, le législateur peut légitimement invoquer la poursuite de l'intérêt général pour justifier cette loi. Cet intérêt général serait alors de s'assurer de la probité des élus et autres personnes concernées par ces déclarations de patrimoine, de la même manière que la déclaration d'intérêts doit permettre de prévenir d'éventuels conflits d'intérêts.

Il convient donc de s'interroger sur la proportionnalité des mesures adoptées aux objectifs poursuivis par la loi.

Or, la lecture concomitante de l'article 3, qui dresse la liste des éléments à fournir dans les déclarations de patrimoine et d'intérêts, et des articles 4 et 11, qui déterminent les modalités de la publication de ces éléments, laissent entrevoir une grave disproportion entre l'atteinte au respect de la vie privée et le but poursuivi par la loi.

En effet, le législateur justifie son œuvre législative par la poursuite de deux objectifs, s'assurer de la probité des élus en identifiant d'éventuels enrichissements inexpliqués, et prévenir des situations de conflits d'intérêts.

Pour ce faire, il apparait nécessaire que la Haute autorité d'abord, et la justice ensuite, disposent des déclarations de patrimoine et d'intérêts qui leur permettront d'identifier puis de sanctionner des enrichissements suspects ou de graves situations de conflits d'intérêts. Cependant, la Haute autorité, comme la justice, n'ont nullement besoin, pour faire la preuve d'un enrichissement inexpliqué induit par un manquement à la probité, ou d'un conflit d'intérêts, de communiquer aux électeurs le détail des biens d'une personne, la valeur de ceux-ci, ni-même la liste de ces intérêts parmi lesquels ses anciennes activités professionnelles ou celles de son entourage. Au contraire, la publicité qui sera faite autour de ces déclarations ne sera pas de nature à favoriser le travail de la justice.

La publication et la libre consultation de ces déclarations par les électeurs, comme les prévoient les articles 4 et 11, permettront une incursion injustifiée dans la vie privée de ces personnes et de leur entourage, en violation du principe de respect de la vie privée.

Par conséquent, la publicité faite des déclarations de patrimoine et les déclarations d'intérêts, prévues aux articles 4 et 11, des personnes mentionnées aux articles 3 et 10 est un manquement caractérisé au principe constitutionnel de respect de la vie privée car ce manquement manifeste ne saurait se justifier au regard de l'objectif poursuivi par la loi.

Mais l'atteinte au respect de la vie privée ne se limite pas à la publication des déclarations de patrimoine et d'intérêts. En effet, indépendamment de la publicité qui en sera faite, les déclarations d'intérêts, prévues à l'article 3, comporteront en elles-mêmes des dispositions qui mettent à mal le respect de la vie privée.

La principale disposition contestée se trouve être la présence dans les déclarations d'intérêts, des éléments suivants : « les activités professionnelles exercées à la date de la déclaration par le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin, les enfants et les parents ».
En effet, rien ne peut justifier que des informations relevant de l'intimité, de la vie familiale puissent être exigées. Là encore, il semble qu'il y ait une disproportion manifeste entre l'atteinte profonde à la vie privée que la déclaration de ces informations entraine, et le but poursuivi qui ne les nécessite pas et qui ne saurait justifier de tels manquements.

II. Sur l'atteinte à la liberté d'entreprendre

A. Le principe de liberté d'entreprendre menacé par la déclaration d'intérêts

Le principe constitutionnel de liberté d'entreprendre est fondé par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui dispose que : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ».

Dans sa jurisprudence, votre conseil a eu régulièrement l'occasion de rappeler comment cette liberté a trouvé à s'appliquer. Aussi, la décision du 7 décembre 2000 sur la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (5) précise que : « le législateur a apporté, en l'espèce, tant au droit de propriété qu'à la liberté d'entreprendre qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, une atteinte disproportionnée à l'objectif poursuivi ».
En conséquence de quoi, la liberté d'entreprendre, à l'instar de nombreux autres principes constitutionnels peut connaitre des limitations, mais à la condition que celles-ci se justifient par la poursuite de l'intérêt général, et que ses limitations soient proportionnées à l'objectif poursuivi.

Or, les déclarations d'intérêts, prévues à l'article 3 de la présente loi, conduisent les personnes mentionnées aux articles 3 et 10 à fournir à la Haute autorité les activités professionnelles exercées à la date de la déclaration par le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin, les enfants et les parents.

Or, ces informations sur les activités professionnelles exercées à la date de la déclaration par le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin, les enfants et les parents sont personnelles et non publiques. Aussi, malgré la proximité entre les personnes mentionnées aux articles 3 et 10 et leur entourage, les personnes soumises à la déclaration d'intérêts ne sont de fait pas en possession de ces informations.

En conséquence, l'entourage de ces personnalités devra transmettre les activités professionnelles exercées à la date de la déclaration, ce qui revient à imposer une obligation légale à l'entourage de ces élus, au motif de leur proximité familiale et ou affective supposée avec ces-derniers.

Dans ce cas, l'obligation légale sera la conséquence directe du choix d'un des membres de leur famille ou de leur entourage d'exercer une des activités professionnelles, ou de briguer un des mandats, mentionnés aux articles 3 et 10.
En d'autres termes, le libre choix d'un citoyen d'exercer les mandats, fonctions et emplois qui lui est assuré par l'article 4 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, entrainera une obligation légale pour un membre de son entourage qui ne sera pas lié à ce choix puisque celui-ci est personnel et individuel.

Pour conclure, les déclarations d'intérêts, telles que définis à l'article 3, contreviennent à l'article 4 de la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen de 1789, ce qui implique que le 6 ° du I ter de l'article 3 soit déclaré contraire à la Constitution.

B. Le principe de liberté d'entreprendre menacé par le pouvoir d'injonction de la Haute autorité.

Comme les requérants l'ont rappelé précédemment, la liberté d'entreprendre se fonde sur l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Or, en ce qui concerne les situations de conflit d'intérêts pour les membres du Gouvernement, le II de l'article 9 dispose que : « Lorsqu'elle constate qu'une personne soumise aux obligations de déclaration prévues à l'article 3 se trouve en situation de conflit d'intérêts, la Haute Autorité lui enjoint de faire cesser cette situation ».

De la même manière, mais pour les conflits d'intérêts des personnes mentionnées à l'article 10, le II de l'article 15 dispose que : « Lorsque la Haute Autorité rend un avis d'incompatibilité, la personne concernée ne peut pas exercer l'activité envisagée ».

Mais ces dispositions doivent être analysées à l'aune de l'article 3, et des informations qui y figurent. En effet l'article 3 prévoit que les déclarations d'intérêts mentionnent : « les activités professionnelles exercées à la date de la déclaration par le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin, les enfants et les parents ».

De cette manière, lorsque la Haute autorité rendra un avis d'incompatibilité, que cela soit pour un membre du Gouvernement ou une autre personne mentionnée à l'article 10, la Haute autorité fondera aussi sa décision sur les activités professionnelles de l'entourage de ces personnalités.

Ainsi, les situations d'incompatibilités que la Haute autorité découvrira concerneront également les activités professionnelles de l'entourage. Aussi, la cessation de ce conflit d'intérêts passera par la cessation de l'activité professionnelle qu'exerce le membre de l'entourage.

De cette manière, les injonctions de la Haute autorité, énoncées aux articles 9 et 15, devront mécaniquement porter sur les membres de l'entourage des élus et autres personnes mentionnées aux articles 3 et 10.

Il résulte de cette situation que des personnes se verront imposer une obligation légale, non du fait d'un choix dont ils sont responsables, mais du choix d'un tiers pour lequel ils ne sont liés d'aucune manière en terme de responsabilité.
En conséquence, il convient de déclarer le II de l'article 9 et le II de l'article 15 contraires au principe constitutionnel de liberté d'entreprendre.

C. Le principe de liberté d'entreprendre menacé par les conséquences des avis de compatibilités rendus par la Haute autorité de la transparence de la vie publique.

La présente loi dispose, dans son article 15, qu'à partir des déclarations d'intérêts prévues à l'article 3, la Haute autorité de la transparence de la vie publique rendra des avis de compatibilités.
Ces avis, lorsqu'ils seront négatifs, devront être respectés de telle manière que le fait d'exercer une « activité en violation d'un avis d'incompatibilité ou d'une activité exercée en violation des réserves prévues par un avis de compatibilité », amène la Haute Autorité à publier au Journal officiel un rapport spécial qui sera ensuite transmis au procureur de la République comme le dispose l'article 15.
Enfin, l'article 18 prévoit dans son alinéa 4 que « Le fait, pour une personne mentionnée aux articles 3, 10 ou 15, de ne pas déférer aux injonctions de la Haute Autorité de la transparence de la vie publique ou de ne pas lui communiquer les informations et pièces utiles à l'exercice de sa mission est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende ».

Ainsi, l'exercice d'une activité professionnelle que la Haute autorité aura jugé incompatible avec une fonction, un mandat, ou une autre activité professionnelle au service de l'Etat deviendra un délit pénal.

Conséquence directe de ce texte, les personnes mentionnés aux articles 3 et 10 se verront limiter l'exercice de leur liberté d'entreprendre car leur activité professionnelle pourra entrainer un délit pénal.

Or, si le Conseil Constitutionnel admet que la liberté d'entreprendre puisse être limitée, cette limitation doit être strictement proportionnée à l'objectif poursuivi, ici la prévention des conflits d'intérêts.

En l'espèce, il apparait donc illégitime d'empêcher certaines personnes d'exercer librement une activité professionnelle au motif que cette activité pourrait induire un conflit d'intérêts, alors même que la définition des conflits d'intérêts présentée à l'article 2 n'est pas de nature à identifier précisément des activités manifestement incompatibles avec l'exercice des mandats fonctions, ou activités professionnelles mentionnées aux articles 3 et 10.

Par conséquent, les avis de compatibilités rendus par la Haute autorité, prévus aux II et IV de l'article 15 et la qualification, en délit pénal, du fait de ne pas déférer aux injonctions de cette haute autorité, prévues au III de l'article 18, méconnaissent la principe constitutionnel de liberté d'entreprendre, et doivent donc être déclaré contraire à la Constitution.

III. Sur l'atteinte au principe d'égalité

Le principe d'égalité se fonde sur l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui dispose que la loi : « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens, étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ».

Ce principe constitutionnel s'applique dans de très diverses matières, et notamment en matière électorale dans laquelle le principe d'égalité devient l'égalité des conditions de la compétition, c'est-à-dire une déclinaison de la sincérité du scrutin.

Cette exigence constitutionnelle d'égalité des conditions de la compétition est résumée dans les cahiers du Conseil Constitutionnel (6) comme l'exigence : « que toutes les candidatures (individuelles ou collectives) doivent être soumises au même traitement. Cela concerne surtout les campagnes électorales aussi bien à travers leur financement qu'à travers l'accès aux médias audiovisuels ».

Or, la loi déférée introduit des déclarations de patrimoine et des déclarations d'intérêts qui seront publiques ou librement consultables par les électeurs. Ces déclarations concernent bon nombre de présidents d'exécutifs locaux, ainsi que leurs adjoints ou conseillers, et bon nombre d'autres élus.
Ces élus seront donc dans l'obligation de fournir le détail de leur patrimoine et de leurs intérêts, au début et à la fin de leur mandat, ainsi qu'en cas de modification substantielle de leur patrimoine ou de leurs intérêts.

Or, ces élus, seront dans de nombreux cas appelés à briguer de nouveaux mandats. Par conséquent, dans le cadre des campagnes électorales qu'ils seront amenés à réaliser, les électeurs de leur circonscription d'élection auront toute la liberté de consulter leurs déclarations de patrimoine et d'intérêts. Ces consultations libres ne seront bien-sûr pas neutres d'un point de vue électoral.

En d'autres termes, avec la libre consultation des déclarations, prévue à l'article 3, les candidats sortants, soumis à ces obligations de déclaration, ne seront pas traités de la même manière dans la compétition électorale que leurs concurrents non sortants, qui eux ne seront pas soumis à ces obligations déclaratives.

Il en résulte donc une inégalité des conditions de la compétition électorales selon que l'on soit candidat sortant ou non sortant.

Par conséquent, la publication et la libre consultation des déclarations par les électeurs prévues aux articles 4 et 11, parce qu'elles entrainent une rupture d'égalité entre les candidats, doivent être déclarées comme contraire à la Constitution.

IV. Sur l'inversion de la charge de la preuve

Le principe constitutionnel de respect de la charge de la preuve se fonde sur l'article 9 de la Déclaration de 1789 qui dispose que : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ».

Ce principe a trouvé à s'appliquer dans de nombreuses situations comme dans la décision du 20 janvier 1981 sur la loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes (7), puis par la décision du 16 juin 1999 sur la loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs (8). Dans cette dernière décision, votre Conseil a estimé « qu'en principe le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive ; que, toutefois, à titre exceptionnel, de telles présomptions peuvent être établies, notamment en matière contraventionnelle, dès lors qu'elles ne revêtent pas de caractère irréfragable, qu'est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l'imputabilité ».

Or, l'article 6 de la loi déférée dispose que « Lorsqu'elle constate une évolution de la situation patrimoniale pour laquelle elle ne dispose pas d'explications suffisantes, après que le membre du Gouvernement a été mis en mesure de présenter ses observations, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique publie au Journal officiel un rapport spécial, assorti des observations de l'intéressé, et transmet le dossier au parquet ». Dans ce cas, il est dit explicitement que c'est au membre du Gouvernement de fournir des observations afin de justifier l'évolution de sa situation patrimoniale.

De la même manière, le II de l'article 9 dispose que « Lorsqu'elle constate qu'un membre du Gouvernement se trouve en situation de conflit d'intérêts, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique lui enjoint de faire cesser cette situation. Après avoir mis à même l'intéressé de faire valoir ses observations dans un délai d'un mois, elle peut décider de rendre publique cette injonction ». Dans ce cas, une fois encore, il revient au membre du Gouvernement de fournir les observations qui lui permettront d'échapper à cette injonction.

Quant à l'article 15, il est sans doute encore plus éclairant sur l'inversion de la charge de la preuve puisqu'il dispose, à propos de la Haute autorité que celle-ci « peut rendre un avis d'incompatibilité lorsqu'elle estime ne pas avoir obtenu de la personne concernée les informations nécessaires ». Le II de ce même article 15 dispose ensuite que : « lorsque la Haute Autorité rend un avis d'incompatibilité, la personne concernée ne peut pas exercer l'activité envisagée pour une durée maximale de trois ans », le IV de l'article 15 disposant enfin qu'en cas de non-respect de cette injonction, la Haute autorité : « transmet au procureur de la République le rapport spécial mentionné au premier alinéa du présent IV et les pièces en sa possession relatives à cette violation de son avis ». Avec ces dispositions, les personnes soumises aux obligations déclaratives n'auront d'autres choix que de se mettre en mouvement pour prouver de leur non culpabilité.

Ainsi, puisque le II de l'article 6, le II de l'article 9 et les II et IV de l'article 15 inversent la charge de la preuve, sans que cette inversion rentre dans le cadre des inversions tolérées au sens de la décision du 16 juin 1999 susmentionnée, il convient de déclarer le II de l'article 6, le II de l'article 9 et les II et IV de l'article 15, contraires à la Constitution.

V. Sur l'atteinte aux droits de la défense

Les droits de la défense sont, depuis la décision du 2 décembre 19769 sur la loi relative au développement de la prévention des accidents du travail, un des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ».

Ce principe constitutionnel du droit de la défense a été par la suite rattaché au bloc de constitutionnalité puisque le Conseil Constitutionnel « a donc donné aux droits de la défense un nouvel ancrage, textuel cette fois, à savoir l'article 16 de la Déclaration de 1789, qui dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution », comme le précise le Président Pierre Mazaud (10).

Mais le droit de la défense est vaste, il trouve donc à s'appliquer de manières très diverses, et parmi elles on compte le droit des personnes intéressées d'exercer un recours juridictionnel effectif (11).

Cette exigence de recours juridictionnel fut consacrée par votre Conseil dans sa du 23 janvier 1987 (12) sur la loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence, qui précisa que « compte tenu de la nature non juridictionnelle du conseil de la concurrence, de l'étendue des injonctions et de la gravité des sanctions pécuniaires qu'il peut prononcer, le droit pour le justiciable formant un recours contre une décision de cet organisme de demander et d'obtenir, le cas échéant, un sursis à l'exécution de la décision attaquée constitue une garantie essentielle des droits de la défense ».

De plus, comme le précise une nouvelle fois le Président Pierre Mazaud : « dans la décision du 27 juillet 2006 sur les droits d'auteur, les droits de la défense s'appliquent lorsqu'est en cause une sanction ayant le caractère d'une punition qu'elle soit de nature pénale, administrative ou disciplinaire » (13).

En d'autres termes, « le recours contre la décision d'un organe non juridictionnel doit être assorti d'un sursis à exécution » (14), et cela même si la punition n'est pas pénale.

Or, la Haute autorité de la transparence de la vie publique, parce qu'elle est un organe non juridictionnel, doit impérativement prévoir un droit pour le justiciable de former un recours, un sursis à exécution, pour que ses prérogatives puissent satisfaire les exigences constitutionnelles entourant les droits de la défense.

Or, la lecture de l'article 15 de la loi relative à la transparence de la vie publique montre qu'une fois son avis d'incompatibilité rendu, les personnes soumises à son contrôle, par les articles 3 et 10, n'ont aucune voie de recours à l'encontre des décisions de la Haute autorité de la transparence de la vie publique.

Or, il ne peut être répondu à cette affirmation que la Haute autorité ne sanctionne pas elle- même parce qu'elle ne ferait que transmettre son rapport spécial au Procureur de la République après avoir constaté le non-respect de ses injonctions, comme il est possible de le lire aux articles 6 et 15.

En effet, le II de l'article 9 dispose que : « Lorsqu'elle constate qu'un membre du Gouvernement se trouve en situation de conflit d'intérêts, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique lui enjoint de faire cesser cette situation ».
Ensuite, le II de l'article 15 dispose que : « Lorsque la Haute Autorité rend un avis d'incompatibilité, la personne concernée ne peut pas exercer l'activité envisagée pendant une période expirant trois ans après la fin de l'exercice des fonctions gouvernementales ou des fonctions exécutives locales.
La Haute Autorité notifie sa décision à la personne concernée et, le cas échéant, à l'organisme ou à l'entreprise au sein duquel celle-ci exerce d'ores et déjà ses fonctions en violation du premier alinéa du I. Les actes et contrats conclus en vue de l'exercice de cette activité :
1 ° Cessent de produire leurs effets lorsque la Haute Autorité a été saisie dans les conditions fixées au 1 ° du I ;
2 ° Sont nuls de plein droit lorsque la Haute Autorité a été saisie dans les conditions fixées au 2 ° du I. »

Il ne peut donc être entendu que la Haute autorité pour la transparence de la vie publique ne sanctionne pas elle-même, puisqu'elle peut unilatéralement interdire l'exercice de l'activité envisagée par les personnes mentionnées aux articles 3, 10 et 15.

Aussi, la Haute autorité est implicitement reconnue comme un organe non juridictionnel émetteur de sanctions. Par conséquent, la Haute autorité doit impérativement prévoir un droit pour le justiciable de former un recours, un sursis à exécution.

Ces recours ou sursis n'étant pas prévus par la loi déférée, les requérants estiment qu'il convient de déclarer contraire à la Constitution le II de l'article 9, et le II de l'article 15 de la présente loi.

VI. Sur l'atteinte au principe de légalité des délits et des peines

Le principe de légalité des délits et des peines est issu de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui dispose que : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ».

Ce principe de légalité des délits et des peines se fonde également sur l'article 34 de la Constitution qui dispose que la loi fixe les règles concernant : « la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ; la procédure pénale ; l'amnistie ; la création de nouveaux ordres de juridiction et le statut des magistrats ».

Le principe de légalité des délits et des peines est donc voisin du grief d'incompétence négative qui veut que le législateur ne méconnaisse pas ses propres compétences qu'il tient de l'article 34 de la Constitution. Aussi, le législateur doit rédiger une loi complète, dont l'application ne peut pas faire l'objet d'interprétation différente ou contraire.

Dans le cas du respect du principe de légalité des délits et des peines, le législateur doit adopter une loi dont les délits et les peines qui lui sont applicables sont compréhensibles par tous, cela afin de prévenir l'arbitraire.

Cette analyse est celle que votre Conseil réalisa à l'occasion de la décision du 4 mai 2012 sur la constitutionnalité de l'article 222-33 du code pénal (15), dans laquelle il est précisé que le législateur doit : « fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis ».

Cette exigence doit donc se comprendre comme le devoir pour le législateur de définir des délits suffisamment clairs et précis pour que chacun puisse connaitre par avance le caractère légal de son comportement.
Or, il semble que la présente loi contrevienne à ce principe à travers plusieurs dispositions. L'article 6 dispose en effet qu'en ce qui concerne la variation de la situation patrimoniale des membres du Gouvernement : « Lorsqu'elle constate une évolution de la situation patrimoniale pour laquelle elle ne dispose pas d'explications suffisantes, après que le membre du Gouvernement a été mis en mesure de présenter ses observations, la Haute

Autorité pour la transparence de la vie publique publie au Journal officiel un rapport spécial, assorti des observations de l'intéressé, et transmet le dossier au parquet ».
Dans ce cas, les membres du Gouvernement pourront être poursuivis car ils n'auront pas fournis d'explications satisfaisantes à la variation de leur patrimoine, ou du moins, les explications qu'ils auront fournies auront été jugées insatisfaisantes par la Haute autorité de la transparence de la vie publique. Les membres du Gouvernement seront donc soumis à l'arbitraire puisque rien ne leur permettra de savoir à l'avance si leurs explications seront satisfaisantes. Ils pourront donc être condamnés pour des motifs qu'ils ignorent puisqu'ils ne sont pas en mesure de juger du caractère légal de leur comportement.

Le II de l'article 15 dispose ensuite que : « Lorsque la Haute Autorité rend un avis d'incompatibilité, la personne concernée ne peut pas exercer l'activité envisagée pendant une période expirant trois ans après la fin de l'exercice des fonctions gouvernementales ou des fonctions exécutives locales ». Ce même article dispose ensuite que : « les actes et contrats conclus en vue de l'exercice de cette activité : 1 ° Cessent de produire leurs effets lorsque la Haute Autorité a été saisie dans les conditions fixées au 1 ° du I ; 2 ° Sont nuls de plein droit lorsque la Haute Autorité a été saisie dans les conditions fixées au 2 ° du I. »
En l'espèce, la Haute autorité pourra unilatéralement interdire l'exercice de l'activité envisagée par un membre du Gouvernement ou le titulaire d'une fonction exécutive locale, suite à un avis d'incompatibilité. Cette décision se fondera uniquement sur l'appréciation que la Haute autorité aura faite de la compatibilité entre l'activité envisagée avec l'exercice des fonctions gouvernementales ou des fonctions exécutives locales. Les personnes soumises à ce contrôle seront là encore soumises à l'arbitraire puisqu'elles ne seront pas en mesure de juger du caractère légal de leur comportement, en l'occurrence de la comptabilité entre l'activité qu'elles envisagent d'exercer et leurs fonctions ou mandats.

Enfin, le III de l'article 18 dispose que : « Le fait, pour une personne mentionnée aux articles 3, 10 ou 15, de ne pas déférer aux injonctions de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ou de ne pas lui communiquer les informations et pièces utiles à l'exercice de sa mission est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende ».
Si ne pas répondre à une injonction semble être un délit clair, encore faut-il connaitre la nature de cette injonction. Or, l'article 13 dispose que : « La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique peut demander aux personnes mentionnées aux articles 3, 10 et 15 toute explication ou tout document nécessaire à l'exercice de ses missions prévues au I du présent article. Elle peut entendre ou consulter toute personne dont le concours lui paraît utile ». Ces injonctions peuvent donc prendre la forme de demande d'explication. En d'autres termes, les personnes mentionnées aux articles 3, 10 ou 15 pourront être poursuivies et condamnées faute d'avoir fournies des explications que la Haute autorité aura jugées satisfaisantes. Ces personnes seront donc soumises à une décision unilatérale et arbitraire de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Là encore, les personnes soumises à ce contrôle ne seront pas en mesure de juger du caractère légal de leur comportement puisqu'elles ne pourront pas savoir par avance dans quelle mesure la Haute autorité se satisfait de leurs explications.

Pour toutes ces raisons, il convient de déclarer contraire à la Constitution l'article 6, le II de l'article 15, et le III de l'article 18 au motif qu'ils ne respectent pas le principe de légalité des délits et des peines.

VII. Sur l'atteinte à la séparation des pouvoirs

Le principe de séparation des pouvoirs est une exigence constitutionnelle qui se fonde sur l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui dispose que : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».

Cette séparation des pouvoirs trouve à s'appliquer dans les relations qu'entretiennent le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif, et enfin l'autorité judiciaire. Elle implique donc que chacun de ces pouvoirs et autorité puissent exercer ses prérogatives en toute indépendance.

Cette exigence d'indépendance est consacrée par l'article 64 de la Constitution en ce qui concerne le pouvoir judiciaire puisqu'il y est écrit que : « Le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire ».
C'est donc par sa décision du 9 juillet 1970 (16) sur la loi organique relative au statut des magistrats que votre conseil censura pour la première fois les dispositions d'une loi pour non-respect du principe de séparation des pouvoirs, et notamment pour non-respect de l'indépendance de l'autorité judiciaire.

Par suite, votre Conseil précisa ce principe d'indépendance de l'autorité judiciaire grâce notamment à sa décision du 21 février 2008 (17) sur la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ou il disposa que : « Considérant qu'en subordonnant à l'avis favorable d'une commission administrative le pouvoir du tribunal de l'application des peines d'accorder la libération conditionnelle, le législateur a méconnu tant le principe de la séparation des pouvoirs que celui de l'indépendance de l'autorité judiciaire ; qu'il s'ensuit qu'il y a lieu de déclarer contraire à la Constitution le mot : « favorable » à l'article 12 de la loi déférée ».
Cette décision réaffirma l'indépendance de la justice en précisant qu'on ne peut pas subordonner le pouvoir de la justice à un organe administratif.

Or, avec la loi déférée, il est justement prévu, à l'article 15, que la capacité de poursuivre, et donc de sanctionner, de la justice sera subordonné aux décisions de la Haute autorité de transparence de la vie publique.

En effet, l'article 6 dispose que la Haute autorité : « Lorsqu'elle constate une évolution de la situation patrimoniale pour laquelle elle ne dispose pas d'explications suffisantes, après que le membre du Gouvernement a été mis en mesure de présenter ses observations, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique publie au Journal officiel un rapport spécial, assorti des observations de l'intéressé, et transmet le dossier au parquet ».

De plus, c'est la Haute autorité qui sera chargée de transmettre « au procureur de la République le rapport spécial mentionné au premier alinéa du présent IV et les pièces en sa possession relatives à cette violation de son avis ». Ces rapports étant la conséquence directe des avis que la haute autorité rend en toute indépendance.

En conséquence, l'article 6 et le IV de l'article 15 de la présente loi empêchent la justice d'exercer les compétences qu'elle tient de la Constitution, et doit donc être considéré comme contraire à la Constitution.

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(1) Décision n° 97-389 DC du 22 avril 1997 sur la loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration, Considérant n°44.
(2) Décision n° 99-416 DC du 23 juillet 1999 sur la loi portant création d'une couverture maladie universelle. Considérant n°45.
(3) Commentaire de la décision n°2012-227 QPC du 30 mars 2012 sur les conditions de contestation par le procureur de la République de l'acquisition de la nationalité par mariage. Page 6.
(4) Décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009 sur la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet. Considérant n°23.
(5) Décision n° 2000-436 DC du 07 décembre 2000 sur la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain, considérant n°20.
(6) Richard GHEVONTIAN - Cahiers du Conseil constitutionnel n° 13 (Dossier : La sincérité du scrutin) - janvier 2003.
(7) Décision n° 80-127 DC du 20 janvier 1981 sur la loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes. Considérant n°5.
(8) Décision n° 99-411 DC du 16 juin 1999 sur la loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs
(9) Décision n° 76-70 DC du 02 décembre 1976 sur la loi relative au développement de la prévention des accidents du travail.
(10) Discours prononcé par le Président Mazeaud le 3 janvier 2007à l'occasion de la rentrée solennelle de l'Ecole de formation des barreaux de la cour d'appel de Paris. Page n°5.
(11) Ibid.
(12) Décision n° 86-224 DC du 23 janvier 1987 sur la loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence. Considérant n°22.
(13) Discours prononcé par le Président Mazeaud le 3 janvier 2007à l'occasion de la rentrée solennelle de l'Ecole de formation des barreaux de la cour d'appel de Paris. Page n°6.
(14) Paul MARTENS - Cahiers du Conseil constitutionnel n° 14 (Dossier : La justice dans la constitution) - mai 2003
(15) Décision n° 2012-240 QPC du 04 mai 2012. Considérant n°3.
(16) Décision n° 70-40 DC du 9 juillet 1970 sur la loi organique relative au statut des magistrats. Considérant n° 4.
(17) Décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008 sur la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Considérant n°34.