Décision n° 2013-670 DC du 23 mai 2013 - Observations du gouvernement
Le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de soixante députés d'un recours dirigé contre la loi portant diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transport.
Les auteurs du recours contestent la conformité à la Constitution de l'article 16 de la loi qui prévoit, à l'article L. 3222-3 du code des transports, une majoration de plein droit du prix de la prestation de transport routier contractuellement défini afin de prendre en compte la taxe nationale sur les véhicules de transports de marchandises instituée par les articles 269 à 283 quater du code des douanes. Ils considèrent que ce dispositif méconnaît les principes d'égalité devant la loi fiscale et devant les charges publiques, les principes de la liberté d'entreprendre et de libre concurrence, ainsi que les principes d'unité du budget de l'Etat, de spécialité de ce dernier et de non-affectation des recettes au sein du budget.
Ce recours appelle de la part du Gouvernement les observations suivantes.
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1. - L'article 153 de la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009 a créé une taxe sur les véhicules de transport de marchandises qui empruntent le réseau routier constitué des routes et autoroutes nationales (sauf celles soumises à péage et certaines portions) et des routes appartenant à des collectivités territoriales qui supportent ou sont susceptibles de supporter un report significatif de trafic. Cette taxe - généralement qualifiée de « (éco)taxe poids lourds » - est due par le propriétaire du véhicule de transport de marchandises. Son assiette, son taux et son barème sont déterminés par les articles 269 à 283 quater du code des douanes. Son produit est affecté à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France, et en partie rétrocédé aux collectivités territoriales concernées.
Par ailleurs, l'article 11 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement a prévu, au IV, que cette « taxe sera répercutée par les transporteurs sur les bénéficiaires de la circulation des marchandises » et que « l'Etat étudiera des mesures à destination des transporteurs permettant d'accompagner la mise en œuvre de la taxe et de prendre en compte son impact sur les entreprises ».
L'article L. 3222-3 du code des transports dispose actuellement que le prix du transport est majoré de plein droit de la taxe sur les véhicules de transport supportée pour la réalisation de l'opération de transport, sur des bases réelles ou forfaitaires et selon des conditions établies par décret - actuellement le décret n° 2012-670 du 4 mai 2012.
2. - Ces dispositions se sont révélées très difficiles à concevoir et à appliquer et l'ensemble des acteurs concernés ont appelé à la mise en place d'un nouveau dispositif. Il a été décidé de revenir sur le principe d'une répercussion du prix de la taxe au profit d'un dispositif plus global de majoration forfaitaire du prix de la prestation de transport acquitté par le commanditaire auprès du transporteur.
L'article 16 de la loi déférée prévoit ainsi que le prix contractuellement défini fera l'objet de plein droit, pour la partie du transport effectuée sur le territoire métropolitain, d'une majoration, quel que soit l'itinéraire emprunté. Elle résultera de l'application d'un taux qui est fonction des régions de chargement et de déchargement des marchandises transportées - et, pour les transports internationaux, à défaut de régions de chargement et de déchargement, des régions où se situent les points d'entrée et de sortie du territoire métropolitain. Un taux par région sera déterminé pour les transports intra-régionaux et un taux unique pour les transports effectués entre régions et pour les transports internationaux dont la partie effectuée sur le territoire métropolitain l'est sur plusieurs régions.
3. - Ce dispositif vise à accompagner la mise en œuvre de la taxe poids lourds. Il associe les commanditaires, à commencer par les chargeurs, à la prise en charge par les transporteurs de la taxe afin d'éviter que l'acquittement de cette dernière ne pèse trop lourdement sur leurs marges, qui sont particulièrement faibles. Sans cette majoration de plein droit, les transporteurs auraient des difficultés à intégrer le coût de la taxe au prix négocié dès lors que les relations commerciales existant sur le marché du transport sont déséquilibrées au détriment des transporteurs.
Le dispositif de l'article 16 répond par conséquent à un souci de régulation du marché du transport. S'il vise, comme le dit l'article L. 3222-3, à « prendre en compte la taxe » poids lourds, il est distinct de cette dernière. Il s'agit non de faire supporter la taxe par le commanditaire à la place du transporteur mais d'intégrer dans la négociation contractuelle du prix de la prestation de transport un élément obligatoire dans le but d'assurer un meilleur équilibre sur le marché du transport.
Le caractère obligatoire de cette créance n'est pas à lui seul de nature à permettre de l'assimiler à une imposition (CC, 17 février 2012, n° 2011-221 QPC), dès lors notamment que le prix global majoré sera versé directement aux transporteurs par leurs cocontractants, sans que le législateur n'entende disposer du produit de cette majoration, par exemple à des fins de redistribution. Cet élément de prix constitue un flux financier entre deux personnes privées et n'assure ni « l'entretien de la force publique », ni « les dépenses d'administration », finalités que l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen assigne à la « contribution commune » et qui peuvent conduire à identifier une imposition de toute nature.
Au regard de ces caractéristiques, le Gouvernement considère que le dispositif de majoration de plein droit du prix de la prestation de transport ne constitue pas une imposition de toute nature au sens de l'article 34 de la Constitution.
4. - Il en résulte, en premier lieu, que les auteurs du recours ne peuvent utilement soutenir que les principes d'unité budgétaire, de spécialité budgétaire et de non-affectation des recettes fiscales ont été méconnus.
5. - S'agissant, en deuxième lieu, du principe d'égalité devant l'impôt, et plus particulièrement du principe d'égalité devant les charges publiques de l'article 13 de la Déclaration, le Gouvernement observe que le Conseil constitutionnel a jugé, dans le cas des contributions volontaires obligatoires que sont habilitées à recouvrer les organisations interprofessionnelles agricoles, lesquelles ne constituent pas des impositions de toute nature, que les dispositions les concernant ne portaient en elles-mêmes aucune atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques (décision précitée du 17 février 2012, ct. 5).
En tout état de cause, il ne résulte des modalités de détermination de la majoration aucune rupture de l'égalité devant les charges publiques.
5.1. - Comme il a été dit, à la différence du dispositif actuel, le nouveau mécanisme ne vise pas une stricte répercussion par le transporteur au commanditaire du montant de la taxe qu'il doit acquitter.
Les réflexions conduites à la suite du décret du 6 mai 2012 ont montré que le prix d'une opération de transport n'est en réalité qu'indirectement et partiellement relié à l'itinéraire suivi - notamment parce que celui-ci n'est pas toujours connu à l'avance et est susceptible de varier. Dans la plupart des opérations de transports, l'entreprise de transport pour compte d'autrui est conduite à optimiser le chargement de ses véhicules en complétant les chargements progressivement, sans connaître systématiquement et a priori quels seront les points de chargement et de déchargement. Par conséquent, la détermination d'une composante individualisable de charges liées à l'acquittement des taxes dans le prix du transport est particulièrement difficile à réaliser, puisque le prix ne repose pas sur les mêmes paramètres que ceux servant au calcul de la taxe.
Le législateur a donc opté pour une appréciation plus globale de l'incidence dans le secteur du paiement de la taxe par les transporteurs. Revêtant un caractère forfaitaire, le niveau de majoration du prix sera déterminé en fonction, d'une part, du caractère limité ou non à une région du transport considéré et, d'autre part, de l'évaluation de l'incidence moyenne de la taxe sur les coûts de transport compte tenu de la consistance du réseau soumis à cette taxe, des trafics de poids lourds et des itinéraires observés ainsi que du barème de la taxe.
Ces critères sont rationnels, objectifs et en rapport avec l'objet du dispositif. Dès lors que le mécanisme vise non à assurer la répercussion auprès du chargeur de la taxe acquittée, mais à accompagner la mise en œuvre de la taxe sur les véhicules en évitant une déstabilisation du marché des transports, les critères peuvent se distinguer des modalités de calcul de cette taxe. La majoration ne devait pas être nécessairement déterminée en fonction de la distance réelle parcourue par le transporteur ou de l'utilisation effective du réseau taxé.
En outre, le prix reste librement fixé par les cocontractants. Dans le cas où le transporteur n'aurait supporté aucune charge (parce qu'il aurait utilisé le réseau non taxé par exemple), on peut s'attendre, dans l'environnement très concurrentiel du transport routier, à un ajustement à la baisse de son prix. L'institution d'un correctif prenant en compte les lieux de chargement et de déchargement permet par ailleurs d'atténuer le caractère forfaitaire de la majoration.
5.2. - Les auteurs du recours estiment par ailleurs qu'est injustifié le traitement différent des « transporteurs qui agissent en compte propre » et des « chargeurs en compte propre », d'une part, et des transporteurs qui facturent le service de transport à un client, ou les « chargeurs qui recourent au service d'un transporteur », d'autre part.
Ces différentes catégories ne renvoient en réalité qu'à deux situations : les entreprises de transport pour compte d'autrui proposant un service de transport et les entreprises effectuant du transport en compte propre. En effet, le chargeur en compte propre ne devient pas transporteur pour autant, contrairement à ce qui est suggéré : il continue à ne vendre qu'un bien, en incorporant le cas échéant le coût du transport - là où le transporteur se borne à vendre une prestation de transport.
Ces deux catégories de personnes se trouvent dans des situations différentes. Elles interviennent sur des marchés distincts : le marché du transport et les marchés des biens ou services commercialisés. Le premier a des caractéristiques propres. Ainsi, les entreprises de transport pour compte d'autrui n'ont pas de prise sur la demande de transport. Elles répondent à une demande d'effectuer un chargement entre une origine et une destination, qu'elles ne déterminent pas. Compte tenu du caractère très standardisé des prestations, elles n'ont aucun moyen d'agir sur cette demande si ce n'est par un ajustement de leurs prix. A l'inverse, les entreprises effectuant du transport en compte propre sont à la fois prestataires et donneuses d'ordre. Elles peuvent notamment ajuster leur besoin de transport par des choix d'organisation interne, voire choisir d'externaliser la prestation de transport. Le coût du transport n'est pour elles que l'un des facteurs de coût de leur activité.
En outre, pour les transporteurs pour compte d'autrui, le transport représente l'intégralité du prix de la prestation vendue alors que pour les personnes qui assurent elles-mêmes le transport des biens qu'elles commercialisent, le coût du transport ne représente qu'une part minoritaire, souvent très faible, du coût des marchandises qu'elles vendent. Il est cohérent de ne permettre qu'aux premiers de bénéficier du mécanisme de majoration forfaitaire du prix de la prestation de transport, la taxe ne pesant que très marginalement sur les secondes.
Par conséquent, eu égard à la nature du dispositif, l'intervention du législateur sur le seul marché du transport pour compte d'autrui ne méconnaît pas le principe d'égalité devant les charges publiques.
5.3. - Pour ce qui est spécifiquement des transports interrégionaux, l'égalité devant les charges publiques n'est pas manifestement rompue. Le fait que les effets de la taxe apparaissent moins dispersés que les effets sur les trafics internes à chaque région justifie la fixation d'un taux interrégional unique, alors qu'il peut y avoir plusieurs taux régionaux. Ainsi, alors que ses effets sur les transports intra-régionaux sont compris entre 0 % pour la Corse et 6,3 % pour l'Alsace, les effets pour les transports interrégionaux sont compris entre 2,8 % et 5,6 %, soit un écart faible avec le taux unique de majoration du prix des contrats (4,4 %) prévu pour les transports interrégionaux.
6. - Les auteurs du recours soutiennent enfin que la liberté d'entreprendre et la libre concurrence ont été méconnues.
Toutefois, le dispositif, qui traite de manière identique toutes les entreprises de transport pour compte d'autrui, ne conduit qu'à une intervention très limitée sur le prix, qui reste librement défini par les parties aux contrats. Il ne peut être regardé comme un obstacle à l'exercice d'une activité professionnelle.
De même, et en tout état de cause, la liberté de formation du prix et le fait que les règles soient identiques au sein d'une même catégorie d'acteurs économiques (les transporteurs pour compte d'autrui ou les chargeurs assurant en propre le transport) assurent le jeu de la libre concurrence.
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Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement estime que le recours dirigé contre la loi portant diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transport doit être rejeté.