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Décision n° 2013-669 DC du 17 mai 2013 - Saisine par 60 sénateurs

Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
Conformité - réserve

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,

Les Sénateurs soussignés ont l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe aux fins de déclarer les articles 1er, 7, 8, 11, 12, 13, 14, 16, 17, 18, 19, 21, 22 contraires aux principes d'intelligibilité de la loi et d'égalité, au respect de la vie privée et familiale, et à l'obligation du législateur d'assurer à l'individu les conditions nécessaires à son développement, ainsi qu'aux articles 1er, 34, 38, 55, 69, 74 et 77 de la Constitution, de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et du préambule de 1946.

1. Sur l'insuffisance manifeste des travaux préparatoires

Les auteurs de la saisine tiennent à souligner la particulière insuffisance de l'étude d'impact alors même que ce texte entraîne un bouleversement majeur de société ; ils tiennent à ajouter qu'aucun des avis obligatoires ou facultatifs requis n'a été favorable à la loi déférée et que le texte contient des contradictions et lacunes qui sont autant d'incitations à frauder la loi. Ces éléments montrent, entre autres, que la loi déférée ne respecte pas le principe d'intelligibilité de la loi, régulièrement réaffirmé par votre Conseil.

1-1-1. En vertu de l'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009, les projets de loi doivent être accompagnés d'une étude d'impact dont les documents doivent exposer « avec précision » notamment : l'impact du projet de loi sur l'ordre juridique interne, l'état d'application du droit dans le ou les domaines visés ; les modalités d'application dans le temps des dispositions envisagées, les textes législatifs et réglementaires à abroger et les mesures transitoires proposées ; les conditions d'application des dispositions envisagées dans les collectivités d'Outre-mer, en justifiant, le cas échéant, les adaptations proposées et l'absence d'application des dispositions à certaines de ces collectivités ; l'évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie de personnes physiques et morales intéressées, en indiquant la méthode de calcul retenue ; les consultations qui ont été menées avant la saisine du Conseil d'État ; la liste prévisionnelle des textes d'application nécessaires.
Or, le rapport rendant compte de cette étude est notoirement insuffisant et ne répond pas aux exigences posées par le législateur organique. Il n'a donc pu mettre le Parlement en mesure d'apprécier sincèrement les considérables impacts de la loi, tant sur le plan juridique interne et international que sur le plan social.

1-1-2. Les auteurs de la saisine ont notamment relevé de graves carences dans les domaines suivants.
Pour justifier le recours à cette loi, l'étude se fonde sur un sondage prétendant qu'une majorité des Français y serait favorable, ou invoque encore la nécessité de régler un ce1iain nombre de difficultés catégorielles liées à des situations de fait volontairement provoquées, sans les décrire ni démontrer que le droit positif n'y répondrait pas, alors même que la loi est censée être guidée par l'intérêt général et non par les revendications d'une minorité de personnes.
L'étude d'impact n'évoque aucune des conséquences, notamment sociales de la loi déférée, pourtant prévues à l'article 8 de la loi n° 2009-403, notamment en ce qui concerne l'évolution de la famille et le sort des enfants adoptés qui auront pour « parents » deux personnes de même sexe. L'évaluation de l'impact psychologique, affectif et éducatif sur ces enfants est totalement absente.
De même, l'étude d'impact n'évoque pas les conséquences financières, ni les coûts et bénéfices financiers attendus alors même, à titre d'exemple, que le « mariage » entre deux personnes de même sexe aura des conséquences sur le budget de la nation, compte tenu des avantages fiscaux dont bénéficient les couples mariés.
Si l'étude d'impact évoque superficiellement l'impact juridique du texte en droit interne, elle ne traite pas sérieusement de la question de la constitutionalité du projet de loi en s'abritant derrière une interprétation contestable de la portée de la décision n° 2010-92 QPC du 28 janvier 2011. Son contenu est aussi particulièrement indigent s'agissant des conséquences du texte sur le droit de la filiation, notamment concernant la présomption de paternité dans le cas d'un « mariage » entre deux personnes de même sexe. De même, elle néglige d'examiner sérieusement la question de l'impact réel sur les mariages existants et sur les remariages d'un conjoint divorcé avec un nouveau « conjoint » du même sexe.
De plus, l'étude d'impact n'apporte aucun éclairage précis sur le droit en la matière dans les différents pays qui ont adopté une législation, présentée à tord comme similaire, par des pays étrangers. En effet, quinze pays ont, à l'heure actuelle, reconnu le « mariage pour tous » : les cinq États scandinaves, le Portugal, l'Espagne, le Royaume-Uni, mais avec des conditions différentes des nôtres, le Canada, quelques États aux États-Unis et au Brésil, l'Argentine, l'Uruguay depuis hier, et l'Afrique du Sud. Mais en réalité le mariage n'a pas, dans ces pays, la même signification qu'en France. Ils ne transposent pas le mariage, à l'origine institution religieuse catholique, inscrit dans notre droit depuis 1804. Le droit français a en effet voulu faire du mariage une institution et un contrat solennels. Or, dans les pays précités, le mariage n'a pas ce caractère. Par exemple, dans les États protestants, le mariage n'a pas du tout la même signification : il peut être dissous dans des conditions différentes des nôtres, et les règles applicables à l'adoption ne sont pas les mêmes. Par ailleurs, au Portugal, on ne peut pas adopter et aux Pays-Bas on ne peut adopter un enfant que si celui-ci a la nationalité de ce pays. C'est pourquoi les requérants ont proposé un système d'union civile, proche de celui existant en Allemagne et dans d'autres États, qui ont établi légalement la différence entre le mariage, institution consacrée par le code civil depuis deux siècles, et l'union civile, réservée aux couples homosexuels.
Enfin, l'étude d'impact ne présente aucun élément relatif à l'impact de la loi déférée sur l'évolution de l'adoption internationale et les conséquences en matière d'autorité parentale, l'étude d'impact ne faisant même pas état d'une étude de législation comparée.

1-2-1. Les auteurs de la saisine avisent votre Conseil qu'aucun avis favorable à la loi déférée, qu'il soit obligatoire ou facultatif, n'a été rendu par un organisme ayant une compétence réelle en matière familiale.

1-2-2. Les organismes devant être obligatoirement consultés n'ont pas rendu d'avis favorable ; il s'agit des avis rendus par la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), émis le 18 octobre 2012, celui rendu, le 9 janvier 2013, par le Conseil Supérieur de l'Adoption fait état de nombreuses réserves et inquiétudes, et l'avis du Conseil d'État, en date du 31 octobre 2012, comporte de si nombreuses réserves qu'il ne peut être considéré comme favorable.

1-2-3. L'Académie des sciences morales et politiques, dont la consultation n'était pas obligatoire, a rendu, le 21 janvier 2013, un avis défavorable à la loi déférée.

1-2-4. Enfin, d'autres instances, dont l'éclairage aurait été nécessaire, n'ont pas été consultées. L'Académie française, dont l'avis sur les terminologies imposées par la loi déférée et leur conformité à la langue française et aux notions constitutionnelles aurait pu être sollicitée. Le Conseil économique, social et environnemental, dont la compétence sur le sujet ne fait aucun doute selon les requérants, n'a pas été saisi par le Premier ministre et a, selon la logique avancée par le Gouvernement, refusé d'examiner une pétition déposée par plus de 700 000 citoyens, contrairement aux dispositions de l'article 69 de la Constitution. Enfin, le Comité consultatif national d'éthique, dont la mission est pourtant de donner des avis sur les questions éthiques et de société, soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé, a délibérément été ignoré.

2. Sur le conflit de loi engendré avec les règles du droit public international

2-1. L'étude d'impact, précédemment critiquée, a également fait preuve d'une insuffisance significative quant à la compatibilité de la loi avec les conventions internationales conclues par la France. Elle ne mentionne qu'une minorité d'accords bilatéraux impactés par le changement (unilatéral à l'égard de nos cocontractants) de la définition du mariage. Comme en témoigne le refus du ministre des affaires étrangères d'informer un parlementaire (1), l'inventaire très incomplet des conventions internationales concernées n'a nullement mis le Parlement en situation d'apprécier l'impact international du texte. En particulier, les conséquences au .regard de la .règle Pacta sunt servanda, de la règle d'interprétation des traités de bonne foi, selon leur sens originel, en fonction du contexte existant au moment de leur négociation (article 31 de la Convention de Vienne), ainsi que des coutumes de droit international relatives aux droits des personnes, n'ont pas été évaluées. De nombreux accords bilatéraux contractés par la France renferment des stipulations relatives aux régimes matrimoniaux, à la filiation, à l'adoption, au mariage, à l'acquisition de la nationalité par mariage, par exemple, dont les effets peuvent être très variés, selon l'objet de l'accord et qui n'ont pas été envisagés dans l'étude d'impact.

2-2. Le Conseil constitutionnel n'est certes pas juge de la conformité des lois aux engagements internationaux mais les auteurs de la saisine se doivent d'attirer votre attention sur le quatorzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 qui dispose que « la République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international ».
Votre Conseil a précisément reconnu qu'au nombre de ces règles figure la règle Pacta sunt servanda qui implique que tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi (2).
Il résulte de cet alinéa, et de l'article 55 de la Constitution, qu'il appartient aux divers organes de l'État - et notamment au Parlement - de veiller, dans le cadre de leurs compétences respectives, à l'application des conventions internationales dès lors que celles-ci restent en vigueur (3).

2-3. Le législateur ne saurait, sans méconnaître le quatorzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, adopter des dispositions législatives qui violeraient manifestement les conventions internationales auxquelles la France est partie. En effet, l'adoption par le Parlement de la loi déférée, clairement et délibérément contraire aux traités ou accords internationaux en vigueur dans l'ordre interne, caractérise la « mauvaise foi » du législateur dans l'exécution des conventions internationales, et donc la méconnaissance du quatorzième alinéa précité.

2-4. En l'espèce, la définition du« mariage » et de la filiation résultant de la loi déférée violent la règle Pacta sunt servanda qui a valeur supérieure aux lois. L'autorisation du « mariage » en France entre personnes de même sexe dont l'un au moins sera ressortissant d'un État ne reconnaissant pas la validité d'une union entre « personnes de même sexe », n'est donc pour les requérants pas compatible avec les engagements internationaux de la France.

2-5. Il en est de même des accords multilatéraux ; ainsi, la loi déférée méconnaît les articles 3-1 et 7-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989. Son article 7-1, directement applicable en droit français (Cass. 1ère civ., 7 avril 2006, n° 05- 11.285) stipule que « L'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux ». Le terme « parents » visé par cet article ne peut être interprété, « suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes » selon les règles coutumières d'interprétation des traités internationaux et en vertu de l'article 31 de la Convention de Vienne de 1969, que comme renvoyant au père et à la mère de l'enfant, c'est à- dire à ses parents qui lui ont donné la vie. Or, l'adoption plénière de l'enfant du conjoint par le « conjoint » de ce dernier, de même sexe que celui-ci, aura pour effet de rompre le lien de filiation biologique de l'enfant avec son père ou sa mère par l'effet de transcription de la décision d'adoption.

2-6. Les auteurs de la saisine estiment ainsi que les dispositions de la loi déférée violent manifestement et de mauvaise foi les conventions internationales auxquelles la France est partie. Cette négligence est d'ailleurs de nature à engendrer de multiples contentieux internationaux et, plus globalement, une insécurité juridique très préoccupante pour les justiciables.

3. Sur la procédure

3-1. Les requérants ont, à l'occasion des débats, démontré que la procédure législative engagée par le Gouvernement pour discuter cette loi était contraire à Constitution et à la volonté du peuple souverain.

3-2. Ainsi les requérants ont défendu une motion tendant à proposer au. Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi, alors adopté par l'Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. Celle-ci, tout comme celle défendue préalablement par les Députés à l'Assemblée nationale, a été rejetée tandis que le pouvoir exécutif s'est réfugié derrière une distinction, parfaitement inconnue du droit constitutionnel, entre les « questions sociales » et les « questions sociétales » pour prétendre qu'une consultation populaire sur le texte, initiée sur le fondement de l'article 11, serait contraire à la Constitution.

3-3. Alors même que le préambule de la Constitution de 1946 range la « famille » dans le chapitre social, et que le Conseil économique, social et environnemental, auquel est consacré le titre XI de la Constitution de 1958, comporte, en vertu de l'ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958, dix représentants des associations familiales et statue fréquemment sur les affaires familiales, des arguties ont servi de prétexte pour refuser l'arbitrage populaire.

3-4. Le Gouvernement a donc persisté à soumettre un texte aux effets sociaux considérables à la seule procédure parlementaire ordinaire, alors que la Nation apparaît extrêmement divisée sur cette question fondamentale engageant son devenir. Le texte a suscité, en effet, une très forte mobilisation de la société civile qui a abouti à la première pétition constitutionnelle de la Vème République réunissant plus de 700 000 signatures validées par le Conseil économique, social et environnemental. De plus, de nombreuses et importantes manifestations d'opposition à la loi déférée ont eu lieu à travers toute la France, métropolitaine et ultra-marine et jusque devant les ambassades de France à l'étranger.

3-5. Les requérants estiment donc que c'est donc au Conseil constitutionnel qu'il revient désormais de donner la parole au peuple souverain en jugeant que la loi déférée nécessite une révision de la Constitution. Sans doute l'article 89 de la Constitution permet-il indifféremment de soumettre un projet de loi constitutionnelle au référendum ou au Congrès, mais il est clair, compte tenu de la rédaction de cet article, qui fait du référendum le principe et du Congrès l'exception, que les auteurs de la Constitution de 1958 n'ont conçu la révision par voie parlementaire que pour les réformes portant sur des « révisions mineures » de notre charte fondamentale, la ratification populaire s'imposant pour les révisions touchant à l'essentiel (4).

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4. Sur la définition du mariage

Selon les requérants, le mariage, tel que défini par le code civil, est un principe fondamental reconnu par les lois de la République, faisant intégralement parti du contrat social, et ne pouvant être modifié par une loi simple, au contraire de l'union civile qui était proposée par les requérants.

4-1. Les requérants estiment que le mariage est un principe fondamental reconnu par les lois de la République, inscrit dans la tradition républicaine et inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, dans sa définition acceptée depuis 1804, comme le mariage est l'union d'un homme et d'une femme en vue de constituer une famille. Par conséquent, il a valeur constitutionnelle.

En effet, pour les rédacteurs du code civil (5), le fait que le mariage soit l'union d'un homme et d'une femme relevait de l'ordre physique de la nature, commun à tous les êtres animés. Cela ne relevait ni du droit naturel, qui est propre aux hommes et à la base de nos lois civiles, ni des lois positives, qui sont plus conjoncturelles. C'était la conception du droit romain, c'est celle du code civil (6).

4-2. Cette institution multiséculaire trouve entre autres ses fondements dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui est le fondement de l'état de droit dans notre pays. Elle proclame que les hommes naissent libres et égaux en droits. De cette affirmation découlent plusieurs conséquences. La première est que les droits de l'homme s'enracinent dans le droit naturel et qu'ainsi le droit ne peut être bâti sur des constructions virtuelles : le droit civil en particulier, celui de la famille avec ses éléments constitutifs (le mariage et la filiation) ne peut prendre en considération une entité artificielle où l'enfant ne connaîtrait pas ses parents réels, père et mère, et où la naissance, la filiation, la structure familiale deviendraient des fictions. Cet enracinement naturel du droit civil n'est nullement contradictoire avec le fait que tous les êtres humains soient égaux, qu'ils aient des droits identiques.

4-3. Mais cette égalité ne peut nier les différences, notamment sexuelles, qui font la richesse de l'humanité. La différence naturelle entre les êtres humains explique que des constructions sociales et juridiques différentes (le mariage, le PACS, l'union civile) doivent permettre d'arriver au même but : l'égalité de droits.
La différence entre les sexes est fondatrice de la société et cette réalité naturelle ne peut être niée au profit d'aberrations qui lui substitueraient une orientation sexuelle particulière, fruit du ressenti des individus. L'altérité sexuelle est bien le fondement du mariage tel que le contrat social de notre République le définit.

4-4. Cette conception n'a jamais été remise en cause depuis 1804 puisque le mariage est un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Depuis plus de deux siècles, aucune loi n'a d'ailleurs touché à la définition du mariage, à savoir l'union d'un homme et d'une femme en vue de créer une famille. Ainsi, on ne peut remettre en cause le mariage qu'en vertu de la Constitution. C'est d'ailleurs, ce qui s'est produit en Espagne ; la Cour constitutionnelle espagnole a rendu un arrêt sur la constitutionnalité du mariage homosexuel, en jugeant que le mariage pouvait être modifié, étant donné que la Constitution avait prévu cette éventualité, par son article 32. Toutefois, ce n'est pas le cas dans le droit français, la pérennité et la constance de cette institution lui confèrent dès lors une valeur constitutionnelle.
Le législateur ne s'est jamais départi, jusqu'à aujourd'hui, du principe d'altérité des sexes dans l'institution du mariage, non pas parce qu'il se croyait libre de s'y rallier, mais parce qu'il répondait à une exigence« constitutionnelle » au sens fort.
Si l'article 75 du code civil prévoyant que l'officier de l'état civil« recevra de chaque partie, l'une après l'autre, la déclaration qu'elles veulent se prendre pour mari et femme », et l'article 144 du même code disposant que « L'homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant dix-huit ans révolus » ont vainement été contestés devant votre Conseil, c'est bien parce que ces dispositions se bornent à reconnaître l'altérité sexuelle du mariage et que celle-ci a fermement été rappelée par la Cour de cassation qui affirme que « selon la loi française, le mariage est l'union d'un homme et d'une femme » (7). L'impossibilité manifeste d'y contrevenir, au sens des empêchements au mariage, est donc d'ordre public absolu, que le mariage ait été célébré à l'étranger ou sur le sol de la République.
Il ne fait donc absolument aucun doute que le principe selon lequel le mariage désigne l'union d'un homme et d'une femme est un principe de droit constamment « reconnu », depuis 1792, par les lois de la République et donc intégré à notre « tradition républicaine ». Ce méta-principe au coeur de la « constitution civile de la France » est donc inhérent à notre « identité constitutionnelle ». Seule une révision constitutionnelle expresse, voulue par le peuple souverain, pourrait abattre une base fondamentale du contrat social des Français.

4-5. L'institution du mariage relève ainsi de la constitution sociale de la France (8), à laquelle on ne peut pas porter atteinte, sauf à modifier véritablement le contrat social qui unit tous les Français et dont relève le mariage.
L'article 1er de la Constitution dispose que« La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes ( .. .) aux responsabilités ( ... ) sociales ». Le préambule de la Constitution de 1946 proclame, comme particulièrement nécessaires à notre temps, des principes « sociaux » au nombre desquels figure celui selon lequel « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à son développement ». La famille est donc évidemment incluse dans le sens constitutionnel du mot « social ». Or, l'institution sociale qu'est le mariage implique assurément des devoirs, effectivement consacrés par le code civil, qui sont constitutifs d'une responsabilité conjugale et parentale sévèrement sanctionnée par la loi.
Or la loi déférée favorise exactement l'inverse de l'objectif consacré en 1999 puis en 2008 par votre Conseil, en permettant d'évacuer la parité dans l'autorité et les responsabilités parentales, sans autre justification que celle de la volonté de quelques adultes d'écarter la personne de sexe opposée de l'entretien et de l'éducation des enfants.
Le droit constitutionnel libéral exige que la remise en cause des éléments essentiels d'un régime politique ou du contrat social d'une société donnée ne puisse se faire que par l'organe investi du pouvoir constituant, selon une procédure solennelle et avec l'assentiment soit du peuple souverain soit d'une majorité renforcée des représentants de la Nation (9).
La Garde des sceaux a reconnu que la loi déférée est une « réforme de civilisation » tandis que le Président de la République a admis que la « liberté de conscience » des maires était en jeu. Si, d'ailleurs, elle l'est pour eux, c'est que ce texte l'est pour chaque citoyen. Ces déclarations officielles montrent bien que l'on est en présence d'un choix de société absolument fondamental nécessitant l'adhésion entière du peuple souverain.

4-6. La Convention européenne des droits de l'homme, la Déclaration universelle des droits de l'homme, la Convention internationale sur les droits de l'enfant de 1989 et les pactes de Téhéran affirment tous que le mariage est l'union d'un homme et d'une femme. Fidèle d'ailleurs à cette tradition humaniste, la République a ratifié les grands textes internationaux relatifs aux droits de l'homme qui corroborent le consensus universel sur l'existence d'un droit naturel humain s'imposant à tout législateur.
Cette acceptation nationale et internationale est d'ailleurs partagée par l'ensemble des communautés religieuses représentée sur notre territoire.

4-7. Les requérants ajoutent que l'article 34 de la Constitution précise que la loi fixe les règles concernant les régimes matrimoniaux, et non le mariage. L'article 1er de la loi déférée est donc contraire à la Constitution. Les requérants se sont interrogés sur le fait de savoir si le Gouvernement, doté du pouvoir réglementaire, était habilité à le modifier ; leur conclusion, à la lumière des développements exposés préalablement, est négative. Par conséquent, ce domaine relève bel et bien du droit constitutionnel.
Or, est souvent cité, de manière biaisée, la décision du Conseil constitutionnel du 28 janvier 2011, qui permettrait au législateur d'ouvrir le mariage aux personnes de même sexe. C'est sans doute ignorer votre interprétation du principe d'égalité qui ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général. Cette décision rendue par votre Conseil permettrait en revanche de créer l'union civile que les requérants ont proposé au cours des débats.

4-8. L'article 143 du code civil, issu de la loi déférée, et qui méconnaît ainsi le principe fondamental reconnu par les lois de la République, détourne l'institution du mariage à des fins étrangères à l'union matrimoniale. Procédant d'une qualification juridique manifestement erronée et d'une dénaturation du sens et la portée du mariage, il méconnaît également l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi. Il porte enfin une atteinte substantielle à la liberté des époux.
De plus, en changeant la définition du mariage et en affectant sa substance même, l'article 1er de la loi déférée dénature le contenu et détourne de ses fins une institution à laquelle tous les couples français mariés actuels ont consenti librement. C'est, en effet, au terme d'un choix entre plusieurs formules de vie commune obéissant chacune à des définitions et des règles substantiellement différentes (concubinage, PACS, mariage) que les hommes et femmes actuellement mariés se sont engagés dans les liens du mariage. L'article 1er de la loi déférée affecte donc tous les mariages préalablement contractés d'une erreur sur la qualité substantielle de l'institution et donc d'un vice du consentement.
Par cette dénaturation, l'article 1er viole ainsi la liberté du mariage qui découle des articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 et porte atteinte au principe d'intangibilité des contrats et conventions légalement conclus ainsi qu'au droit au maintien de leur économie, qui découle de l'article 4 de la même Déclaration.

4-9. Enfin, l'article 1er de la loi déférée introduit dans le titre V du livre 1er du Code civil un chapitre IV bis intitulé« Des règles de conflit de lois » dont l'article 202-1 dispose : « Les qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage sont régies, pour chacun des époux, par sa loi personnelle. Toutefois, deux personnes de même sexe peuvent contracter mariage lorsque, pour au moins l'une d'elles, soit sa loi personnelle, soit la loi de l'État sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence le permet ».
Cette dernière disposition a donc pour effet d'introduire, au profit du mariage de personnes de même sexe, une règle de conflit de lois différente de celle qui prévaut pour les mariages de personnes de sexe différent.
En effet, en vertu de l'article 3 du Code civil : « Les lois concernant l'état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étranger ». Sur ce fondement la jurisprudence civile met traditionnellement en oeuvre, s'agissant des mariages binationaux, la règle du lieu de célébration pour les conditions de forme et la règle d'application distributive des lois nationales pour les conditions de fond, dans le but de favoriser l'harmonie internationale des solutions et la continuité de traitement des situations juridiques.
À la différence de ce droit commun, les personnes de même sexe pourront donc se marier alors même que la loi nationale de l'un d'entre eux l'interdit, dès lors que l'autre époux a son domicile ou sa résidence en France ou dans un autre pays admettant le mariage homosexuel La loi déférée fait donc échec à l'application distributive qui prévaut pour les couples de sexe opposé, introduisant ainsi une discrimination dans les règles de conflits de lois. Cette dérogation sera cependant privée d'effet lorsqu'une convention bilatérale comporte des dispositions contraires, ce que la loi contestée omet de préciser.
Non seulement contraire au principe d'égalité devant la loi, la discrimination ainsi réalisée aura d'abord pour effet d'inciter des étrangers à contourner les empêchements de leur loi nationale, transformant ainsi la France en un attractif lieu de tourisme matrimonial alors pourtant que la jurisprudence de la Cour de cassation combat aussi bien la fraude à la loi étrangère que la fraude à la loi française (10). Elle favorisera également l'augmentation des « mariages blancs » destiné à frauder la législation sur l'entrée et le séjour en France et sur la nationalité. Enfin, la loi déférée va déboucher sur une multiplication des « mariages boiteux » valables dans un pays et nuls dans l'autre. La règle de conflits de loi posée par l'article 1er de la loi déférée est donc contraire au principe constitutionnel d'égalité devant la loi et à la sécurité juridique.
Les requérants relèvent qu'avec le dispositif de l'article 1er de la loi déférée, il y aura en réalité désormais au moins trois catégories de mariages vis-à-vis des enfants survenus dans un foyer : celui où le mari devient père par la mise en jeu de la présomption de paternité, conformément au code civil, celui où la compagne de la mère devient parent par un jugement d'adoption, l'enfant étant le fruit, par exemple, d'une assistance médicale à la procréation à l'étranger, celui où le compagnon du père se voit refuser toute parenté, car l'enfant que les deux membres du couple ont voulu ensemble ne pout être le fruit que d'une gestation pour autrui, condamnée aujourd'hui par la France.

5. Sur les dispositions relatives à la filiation adoptive

5-1-1. Les articles 7, 8 de la loi déférée ont pour objet et pour effet de permettre l'adoption d'enfants, selon le régime de l'adoption simple ou plénière, par des partenaires de même sexe « mariés » selon la nouvelle définition de l'article 1er de la loi déférée.
L'exposé des motifs de la loi indique clairement le lien entre le mariage et l'adoption : « Tel est l'objet du présent projet de loi qui ouvre le droit au mariage aux personnes de même sexe et par voie de conséquence l'accès à la parenté à ces couples, via le mécanisme de l'adoption. (. . .) Le mariage de personnes du même sexe leur ouvrant le droit à l'adoption, que ce soit l'adoption conjointe d'un enfant ou l'adoption de l'enfant du conjoint ».

5-1-2. Selon les requérants, ces articles violent trois principes fondamentaux reconnus par les lois de la République : le droit au respect de la vie privée et familiale, l'obligation du législateur d'assurer à l'individu les conditions nécessaires à son développement ainsi que la dignité de la personne et le principe d'égalité. Enfin, ils entachent la loi déférée d'incompétence négative et portent atteinte à l'objectif constitutionnel d'intelligibilité et de prévisibilité de la loi.

5-2-1. Parmi les « droits naturels et imprescriptibles de l'Homme » figure le principe, dont s'inspirent de nombreuses dispositions du code civil, d'altérité des sexes inhérente à la filiation. De cette origine sexuée de la filiation, la cour de C assation fait, très justement, un « principe essentiel du droit de la filiation française » (11)

Ainsi, en privant l'enfant de son droit à connaître ses origines, et, plus précisément, à voir sa filiation inscrite dans une branche paternelle et une branche maternelle, la loi déférée porte gravement atteinte au principe à valeur constitutionnelle de la filiation bilinéaire fondée sur l'altérité sexuelle. En particulier, la loi déférée a cet effet direct, en ouvrant l'adoption à des « couples » de personnes de même sexe, de priver l'enfant adopté, tantôt du droit à une filiation maternelle tantôt du droit à une filiation paternelle.

5-2-2. Parmi ces « droits naturels et imprescriptibles de l'Homme » figure également le principe, dont s'inspirent les articles 203 et 204 du code civil, selon lesquels l'enfant détient le droit d'être nourri, entretenu et élevé par ses père et mère. Ce droit subjectif de l'enfant à une créance d'éducation, dont les deux parents qui lui ont donné la vie sont les débiteurs est un engagement qui se forme, sans convention au sens de l'article 1370 du code civil, car il découle directement des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Le préambule de 1946, auquel renvoie le préambule de la Constitution de 1958, proclame « comme particulièrement nécessaires à notre temps, les principes ( .. .) sociaux » parmi lesquelles « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » et « Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère ( .. .) la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge (. .. ) a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ».
Votre Conseil a d'ailleurs déjà dégagé, de cette seule mention de « la famille », la reconnaissance d'un « droit de mener une vie familiale normale » (12). Ainsi, il a été admis que « doit être regardé comme subvenant effectivement aux besoins de son enfant le père ou la mère qui a pris les mesures nécessaires, compte tenu de ses ressources, pour assurer l'entretien de celui-ci. Toute autre interprétation méconnaîtrait le droit des intéressés à mener une vie familiale normale » (13).
Ainsi, la reconnaissance de la protection de « l'enfant », de « la mère » et de la « la famille » impliquent la consécration des droits de l'enfant.
C'est pourquoi, en privant l'enfant, en dehors de toute circonstance indépendante de l'état (telle que résultant du décès d'un de ses parents) de son droit à mener une vie familiale normale avec son père et sa mère, et de son droit corrélatif d'être nourri, entretenu et élevé par les deux parents qui lui ont donné la vie, la loi déférée porte gravement atteinte au principe à valeur constitutionnelle du droit de l'enfant à être nourri, entretenu et élevé par sa mère et son père.

5-3-1. En établissant une filiation à l'égard de deux parents de même sexe, en dépit de leur impossibilité physiologique de procréer, la loi déférée favorise la conception d'enfants par procréation médicalement assistée (PMA) et gestation pour autrui (GPA) en fraude à la loi française.
L'absence dans le texte de loi de toute disposition relative à la procréation PMA et à la GP A prive la loi de cohérence en refusant de traiter des questions de fond qui se présentent pourtant immédiatement, logiquement et nécessairement.
L'adoption de l'enfant du conjoint de même sexe, prévue par la loi déférée comme conséquence mécanique du mariage de ces personnes, pose nécessairement la question du recours à l'assistance médicale à la procréation pour les couples de femmes et à la gestation pour autrui pour les couples d'hommes, sous peine de rester inappliquée.
En l'état, la mise en oeuvre de la possibilité de l'adoption de l'enfant du conjoint de même sexe passe, le plus souvent, par le contournement de la loi française relative à la PMA et à la GPA à l'étranger.
Par conséquent, admettre la possibilité d'adopter l'enfant du conjoint de même sexe exige de traiter simultanément les aspects relatifs à l'assistance médicale à la procréation et à la gestation de façon explicite, ce qui n'est pas fait par la loi déférée.
La loi déférée viole ainsi les garanties légales de la bioéthique imposées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel afin d'assurer le respect de la dignité de la personne humaine.

5-3-2. En effet, en permettant l'adoption de l'enfant d'une personne par son « conjoint » de même sexe, la loi déférée est en réalité incohérente avec la législation réglementant la PMA et interdisant la GP A. En négligeant de prendre en compte la portée des dispositions qu'il édicte, au regard de l'environnement juridique, et en s'abstenant de modifier ou d'adapter les dispositions pertinentes, le législateur méconnaît ainsi sa compétence au regard de l'article 34 de la Constitution.
Or, dans la décision no 94-343/344 DC, votre Conseil s'est précisément appuyé sur un cadre strict posé par le législateur : d'abord, la condition que la PMA ait pour objet soit de remédier à une infertilité de l'homme ou de la femme formant le couple, dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué, soit d'éviter la transmission à l'enfant d'une maladie d'une particulière gravité ; s'y ajoute la condition que l'homme et la femme en couple soient vivants, en âge de procréer, stables, et consentent préalablement au transfert des embryons ou à l'insémination. En outre, votre Conseil a aussi relevé que la PMA avec « tiers donneur » ne peut être pratiquée que comme « ultime » indication lorsque la procréation médicalement assistée à l'intérieur du couple ne peut aboutir.
Le détournement de l'ordre public français par la loi déférée est encore plus flagrant avec l'hypothèse où un « couple » d'hommes se sera rendu à l'étranger pour obtenir la naissance d'un enfant au moyen d'une GPA rigoureusement interdite en France. En effet, l'article 16-1 du code civil consacre le principe d'indisponibilité du corps humain, fonde sa non patrimonialité et trouve son prolongement naturel dans l'article 16-7 du code civil qui prohibe toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour autrui sous peine de sanction pénale.
La loi déférée a donc pour effet de valider des PMA ou des GP A antérieures réalisées en fraude et d'encourager des PMA ou GPA futures, délibérément réalisées en détournement du code civil et du code de la santé publique, au motif d'un droit à l'enfant qu'auraient tous les couples, ce qui est un contre-sens éthique au regard des règles imposées par le législateur. Ainsi, la loi déférée porte atteinte à l'objectif d'intelligibilité de la loi et au principe de sécurité juridique.

5-4-1. Selon les requérants, l'article 7 de la loi déférée viole incontestablement le principe d'égalité entre les enfants adoptés par les personnes de même sexe et les autres enfants.
Ainsi que le relève votre Conseil (14) dans « certains cas, la loi reconnait une filiation juridique qui n'est pas génétique ou biologique et interdit alors la recherche de la filiation biologique »
Toutefois, le droit français garantit à chaque citoyen la possibilité d'établir une filiation bilinéaire et bisexuée, tant en vertu du titre VII, que du titre VIII du livre 1er du code civil. En effet, si la loi ne peut garantir à chaque enfant de voir sa filiation concrètement matérialisée dans chacune des lignées paternelle et maternelle, elle affirme que l'enfant s'inscrit dans ce double lignage. La loi interdit ainsi d'établir une double filiation paternelle ou maternelle qui ferait obstruction à l'autre branche. Ce principe essentiel commande l'ensemble du droit de la filiation (15) y compris la filiation adoptive (16)
Or, en application de l'article 6-1 nouveau du code civil, définit par la loi déférée, le législateur opère une distinction entre la filiation, résultant du titre VII du livre premier du code civil, qui est bilinéaire et fondée sur l'altérité sexuelle, comme l'énonce l'article 310 dudit code, et celle résultant du titre VIII précité, qui pourra dans certains cas être unisexuée. Conscient de la différence physiologique existant entre les couples de sexes différents et les couples de même sexe, le législateur a admis l'impossibilité objective de l'application des dispositions de droit commun du titre VII précité aux époux ou parents de même sexe, leurs enfants étant privés de fait d'un certain nombre de droits.
En revanche, le législateur a permis l'adoption plénière desdits enfants, sans tenir compte de la même impossibilité objective d'engendrement du couple formé selon l'article 1er de la loi déférée, enfermant par là-même ces enfants dans un statut irréfragable et irrévocable, les mettant en marge du cadre fondamental d'une filiation bilinéaire et bisexuée.
En effet, les enfants adoptés par deux personnes de même sexe seront définitivement inscrits dans une filiation unisexuée. Cette filiation ne pourra, dès lors, être pensée comme la marque possible d'un engendrement pourtant indispensable à l'inscription de l'enfant au sein des générations, droit inaliénable et imprescriptible de l'homme.

5-4-2. Cette exigence, selon laquelle la filiation adoptive inscrit l'enfant dans une filiation bilinéaire et bisexuée, fonde les règles d'état civil, qui prévoient que la décision d'adoption plénière tient lieu d'acte de naissance et est transcrite sur les registres de l'état civil du lieu de naissance de l'adopté en ne comportant aucune indication sur la filiation biologique de l'enfant mais en garantissant la place, le cas échéant laissée vacante, de chacune des deux branches paternelle et maternelle. C'est en considération de cette complétude que l'adoption plénière empêche l'établissement de toute autre filiation.
Or l'adoption plénière au sein d'un couple de même sexe ne peut matériellement remplir cette condition. Elle prive l'enfant d'une de ses branches paternelle ou maternelle alors que dans certains cas, ces dernières auraient pu être établies en vertu des dispositions du titre VII du livre premier de code civil qui, par leurs effets combinés, assurent un équilibre entre les réalités biologiques et sociologiques de la filiation en ses deux branches paternelle et maternelle.

5-4-3. L'enfant ainsi adopté en la forme plénière par un couple de même sexe perd les garanties offertes par le droit commun à l'ensemble des enfants. Le dispositif ainsi mis en place conduit en réalité à satisfaire une revendication d'égalité entre adultes au détriment de l'égalité entre enfants. Certains se voyant imposés une « parenté sociale » exclusive, contraire par essence à la filiation bilinéaire et bisexuée.
Le législateur consacre donc la volonté d'adultes de s'affranchir de toutes références à la procréation pour avoir un droit à l'enfant et s'approprier l'enfant afin d'établir à son égard un lien de filiation qui fasse délibérément obstacle à la vraisemblance biologique. Ainsi, en permettant l'adoption plénière par des couples de même sexe, le législateur méc01mait l'intérêt général et notamment l'intérêt de l'enfant. Cette réification de l'enfant est contraire au principe de dignité humaine et à la distinction fondamentale des choses et des êtres dans une société libre et démocratique ; ce faisant « il prive de garanties légales des exigences constitutionnelles » (17), réaffirmée dans plusieurs décisions rendues par votre Conseil (18).

5-4-4. Certes, « le principe d'égalité devant la loi ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit » (19), , toutefois, en l'espèce, la différence de traitement imposée par le législateur qui prévoit l'adoption plénière par des couples de même sexe n'est justifiée par aucune différence de situation entre les enfants concernés, et n'est pas en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit.
En effet, cet objet qui est le droit consenti aux couples de même sexe de se marier et la possibilité d'établir une filiation adoptive n'imposait pas de retenir le mécanisme de l'adoption plénière et pouvait être pleinement satisfait par celui de l'adoption simple.

5-5-1. Les requérants estiment que l'article 7 de la loi déférée instaure une rupture profonde d'égalité entre enfants en attente d'adoption.
Outre l'atteinte à leur droit de s'inscrire dans une filiation bilinéaire et fondée sur l'altérité sexuelle, les enfants, en attente d'une famille adoptive, qui seraient confiés à des adoptants de même sexe, seraient victimes d'une rupture d'égalité dans le choix de la réparation qui leur est offerte d'une famille adoptive susceptible de remplacer la famille d'origine dont ils sont privés.
La loi déférée, en tant qu'elle modifie le régime de l'adoption, doit avoir pour objet de protéger ces enfants, de leur offrir une réparation aussi complète que possible de ce qu'ils ont perdu et de les inscrire dans une filiation bilinéaire bisexuée.

5-5-2. Les requérants restent profondément attachés au principe selon lequel l'adoption est organisée dans l'intérêt de l'enfant et non pour constituer une réponse à l'incapacité biologique de procréation, sous peine de faire le choix de la consécration d'un droit à l'enfant plutôt que celui du droit de l'enfant.

5-5-3. En permettant que certains enfants soient adoptés par des personnes de même sexe, alors que d'autres le seront par des personnes de sexe différent, la loi crée une différence de traitement entre ces enfants et une rupture réelle d'égalité entre eux.
En effet, l'enfant adopté par deux personnes de même sexe ne pourra associer ses parents adoptifs aux parents biologiques qu'il a perdus et sera privé de la possibilité de se reconstruire sur le fondement d'une filiation cohérente, comme le relève d'ailleurs le Conseil supérieur de l'adoption qui s'interroge « sur les conséquences et le devenir de ces enfants et notamment sur leur construction identitaire, en l'absence de référent parental de sexe opposé. »
Cet enfant ainsi adopté sera privé de l'état civil d'une personne engendrée et sera pourvu d'un état civil fictif d'être humain non engendré ; sa filiation biologique étant parallèlement effacée, il ne pourra définitivement plus s'inscrire juridiquement dans une suite de générations ayant pu l'engendrer.
Or, aucun élément de fait n'imposait cette solution au législateur. La loi organise donc cette inégalité de traitement sans qu'aucun motif d'intérêt général ne la justifie puisqu'un droit à l'adoption ou droit à l'enfant serait contraire à la Constitution, comme portant atteinte à la dignité de la personne.

5-5-4. De plus, alors que, dans le cas de l'adoption d'un enfant abandonné, la substitution de la filiation des parents adoptifs à la filiation d'origine est justifiée par le motif d'intérêt général de donner un père et une mère adoptifs à un enfant abandonné, pour reconstituer le cadre d'origine, aucun motif reconnu par les conventions internationales relatives aux droits de l'enfant ou à l'adoption ne vient justifier le droit à l'adoption par deux personnes de même sexe et la privation de l'enfant à adopter d'un père ou d'une mère adoptifs ensemble.

5-6. Le système ainsi défini par l'article 7 de la loi déférée est donc, selon les requérants, inintelligible et porte atteinte au principe d'égalité.
Dans ces conditions, plusieurs situations de fait sont créées :
-l'enfant a déjà un père et une mère : il ne pourra donc pas faire l'objet d'une adoption plénière, à moins du décès de l'un des parents, ni d'une adoption simple, qui nécessite l'accord des parents ;
-l'enfant a un père ou une mère seulement : il pourrait alors faire l'objet d'une adoption plénière ou simple par le conjoint ;
-l'enfant orphelin a fait l'objet d'une adoption plénière par un seul conjoint : il serait adoptable par adoption plénière ou simple ;
-l'enfant orphelin a fait l'objet d'une adoption simple par un seul conjoint (cas des enfants haïtiens): il ne pourra faire l'objet que d'une adoption simple.
Les requérants demandent en conséquence à votre Conseil de censurer l'article 7.

5-7. Enfin les requérants estiment que l'article 8 de la loi déférée porte atteinte au principe d'égalité en maintenant l'interdiction à l'article 360 du code civil de l'adoption simple, sauf motifs graves, pour les adoptants d'un enfant ayant déjà fait l'objet d'une adoption plénière mais supprime cette obligation pour le conjoint de l'adoptant. Cette distorsion d'égalité est de nature à justifier la censure de l'article 8.

6. Sur les dispositions relatives au nom de famille

6-1. L'article 11 de la loi déférée modifie la règle de dévolution du nom de famille posée à l'article 311-21 du Code civil. Depuis la loi du 4 mars 2002, l'article 311-21 du Code civil ouvre une faculté de choix du nom de l'enfant lorsque celui-ci est l'objet d'un double lien de filiation établi de façon simultanée. Les parents choisissent : soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit les deux noms accolés. Le choix résulte d'une déclaration conjointe des parents mentionnant le nom de l'enfant. En revanche, lorsque cette déclaration fait défaut, l'enfant porte le nom de son père.
Or, l'article 11 entend ajouter à ces dispositions une nouvelle option, « en cas de désaccord entre les parents, signalé, le cas échéant avant la naissance, par l'un d'eux à l'officier d'état civil », alors l'enfant prendra leurs deux noms, « dans la limite du premier nom de famille pour chacun d'eux, accolés selon l'ordre alphabétique. »

6-2. Cette nouvelle rédaction pose plusieurs problèmes selon les requérants.
Contrairement aux affirmations figurant dans l'exposé des motifs du texte, la loi ne fait pas qu'étendre au profit des couples de personnes de même sexe des solutions initialement prévues pour des couples formés d'un homme et d'une femme sans rien modifier à la situation de ces derniers. La loi déférée modifie les règles de dévolution du nom de famille pour toutes les familles, tous les couples.
En effet, en droit positif, lorsque les parents sont en désaccord sur le choix du nom, il ne leur est pas possible de procéder à la déclaration conjointe, prévue par l'article 311-21 : par conséquent, le désaccord emportant absence de déclaration, le nom transmis est celui du père. Cette solution est conforme à un principe de dévolution du patronyme résultant d'un usage qui prévaut encore.
Or, désormais, le désaccord se résoudra par la dévolution arbitraire des noms des parents accolés dans l'ordre alphabétique. Cette solution est incongrue et montre le caractère illisible du chapitre III de la loi déférée, alors même que les dispositions relatives à la dévolution du nom de famille ont un caractère complexe, ce qui aurait dû imposer au législateur de vérifier au préalable la portée des dispositions existantes.
L'article 11 de la loi déférée modifie ainsi artificiellement les règles qui prévalent en matière de dévolution du nom de famille pour tenter de trouver une solution à l'établissement de filiations artificielles. En raison de leur complexité, ces dispositions conduiront inévitablement à une multiplication des noms de famille double, et faisant ainsi disparaître des noms patronymiques en fin d'alphabet.

6-3. De plus, l'article 11 prévoit les règles de détermination du nom de famille propres aux enfants adoptés, en modifiant l'article 357 du Code civil.
Cette modification porte atteinte au principe d'égalité des citoyens devant la loi ainsi qu'au principe, qui en résulte, d'égalité des enfants, quelles que soient les conditions de l'établissement de leur filiation.
Le principe d'égalité des filiations énoncé à l'article 310 du Code civil, selon lequel« tous les enfants dont la filiation est légalement établie ont les mêmes droits et les mêmes devoirs dans leurs rapports avec leur père et mère. Ils entrent dans la famille de chacun d'eux » constitue un principe structurant. Il commande ainsi de reconnaître à l'enfant adopté les mêmes droits et obligations à l'égard de ses parents que ceux qui sont reconnus à l'enfant biologiquement lié à ses parents.
Au titre des droits qui lui sont ainsi reconnus, le Code civil prévoit, dans son article 357, que « l'adoption confère à l'enfant le nom de l'adoptant » et précise que « en cas d'adoption par deux époux, le nom conféré à l'enfant est déterminé en application des règles énoncées à l'article 311-21 », montrant ainsi l'égalité de traitement entre les enfants adoptés et non adoptés.
Or la loi déférée méconnaît le principe d'égalité des filiations et d'égalité de traitement, puisque le nom de famille de l'enfant adopté résultera, selon l'article 11 de la loi déférée, de dispositions spécifiques, dérogatoires.

6-4. Les dispositions de l'article 12, relevant de la même logique que celle de l'article 11, les requérants demandent à votre Conseil la censure de ces dispositions inintelligibles et qui violent le principe d'égalité résultant de l'article 2 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

7. Sur les dispositions générales de coordination

Selon le nouvel article 6-1 du code civil inséré par l'article 13 de la loi déférée : « Le mariage et la filiation adoptive emportent les mêmes effets, droits et obligations reconnus par les lois, à l'exclusion du titre VII du livre fer du présent code, que les époux ou les parents soient de même sexe ou de sexe différent ».

7-1. Les requérants estiment que cet article porte atteinte à l'exigence constitutionnelle d'intelligibilité et de prévisibilité de la loi.
En effet, comment faire comprendre que, lorsqu'il demeure écrit « père » et« mère » dans un texte, il peut être lu comme désignant aussi deux hommes ou deux femmes ? Comment identifier juridiquement la « mère » mentionnée dans un texte dans le cas d'un « couple » d'hommes, ou identifier juridiquement le « père » mentionné dans un texte dans le cas d'un « couple » de femmes ?
Ce questionnement, longuement débattu lors de la discussion parlementaire, montre le caractère inintelligible de la loi et souligne la parfaite incohérence de ces dispositions.

7-2. Certes, le législateur peut préciser le sens juridique d'un mot, dans un sens parfois différent de son sens habituel, mais cette opération a pour objectif une plus grande précision et donc une plus grande clarté. Dans le cas précis, il s'agit non de préciser le sens de mots imprécis dans leur extension, mais de dire que des termes parfaitement compréhensibles et précis, à savoir les termes de « père » et « mère », peuvent viser deux hommes ou deux femmes. Un tel usage des mots, contraire à leur signification courante, est source d'inintelligibilité de la loi.
Ainsi, des termes aussi importants pour la relation sociale fondatrice qu'est la filiation, deviennent désormais relatifs et prennent des sens différents selon la branche du droit dans laquelle ils se trouveront énoncés.
Le mot « père » pourra alors désigner une seconde femme, alors que dans le titre VII du livre I du code civil, il continuera de désigner seulement l'homme à l'égard duquel la paternité est établie. Il en va de même du mot « mère ». L'exception affirmée du « titre VII du livre I du code civil » est donc révélatrice du caractère inopérant de la clé d'interprétation inventée par la loi déférée.
De plus, le terme « parents », surtout quand il ne s'agit pas du mariage mais de toute une série de dispositions concernant l'état civil, peut effectivement désigner la parenté, mais aussi beaucoup d'autres liens.

7-3. Le caractère inextricable de l'article 6-1 nouveau est avéré par le fait que des dispositions du titre VII du livre 1 du code civil sont en partage pour tous les enfants, quel que soit le mariage d'où ils sont issus, et notamment au regard de l'article 310 du code civil, selon lequel « Tous les enfants dont la filiation est légalement établie ont les mêmes droits et les mêmes devoirs dans leurs rapports avec leur père et mère. Ils entrent dans la famille de chacun d'eux ». Il sera dès lors difficile à quiconque de comprendre pourquoi ces dispositions ne sont pas applicables à tous les enfants.

7-4. Enfin, la loi déférée fait évoluer le sens de la filiation, en ce qu'elle admet l'adoption plénière par des conjoints de même sexe. Cette modification a de fortes répercussions mécaniques sur le titre VII du Livre 1 du code civil relatif à la filiation, alors même que ce dernier n'est pas explicitement modifié. La loi déférée néglige de procéder aux adaptations du droit de la filiation qu'une telle évolution exigerait.
Le droit de la filiation devient inintelligible, des concepts deviennent incompréhensibles et imprévisibles dès lors que la loi admet des parents de même sexe. Ainsi, les articles 320, 333, 336, 336-1 du code civil manient des concepts en référence à une définition de la filiation vraisemblable. Dès lors que les parents peuvent être de même sexe, la référence à la vraisemblance de la filiation devient inopérante et la signification de ces concepts devient douteuse et imprévisible, ce qui nuit au principe d'égalité.

7-5. Alors que les requérants ont démontré que les modifications de l'article 1er du la loi déférée sont de nature constitutionnelle, les dispositions ainsi introduites par l'article 13 le sont tout autant puisqu'elles modifient le droit de la filiation comme il vient d'être démontré. Les requérants demandent donc la censure de l'article 13, en tant que disposition inintelligible.

8. Sur le recours au recours aux ordonnances

8-1. Les requérants s'interroge sur le bien-fondé de l'utilisation de l'article 38 de la Constitution, car en l'espèce, le texte de l'article 14 de la loi déférée habilite le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnances sur une série de textes qui n'ont pas été visés par la loi déférée que le Parlement a examinée.
Avec la procédure ainsi choisie, le Gouvernement aura la possibilité de légiférer sur des sujets qui touchent aux fondements mêmes de notre organisation sociale.

8-2. Même si les requérants connaissent les contours de l'article 38 de la Constitution qui a introduit des conditions très strictes pour encadrer le recours aux ordonnances, ils restent néanmoins hostiles à cette méthode pour le sujet traité puisque celui-ci relève, comme ils l'ont démontré préalablement, d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République, étant à la base du contrat social de l'Etat, que seule une révision constitutionnelle pouvait modifier.

8-3. De plus, cette habilitation est issue d'un amendement gouvernemental déposé durant l'examen du texte par la commission des lois du Sénat. Le Gouvernement a motivé le recours à l'ordonnance en affirmant qu'elle permettrait « la modification exhaustive de toutes les dispositions législatives devant faire l'objet d'une mesure de coordination, afin de tirer l'ensemble des conséquences de l'ouverture du mariage et de l'adoption aux couples de même sexe » et il a ajouté que cette ordonnance « a pour objet de répondre à l'exigence constitutionnelle d'accessibilité et de l'intelligibilité qui ne peut être effective que si les citoyens ont une connaissance suffisante des normes qui leur sont applicables ».
Si le Gouvernement a le monopole de l'initiative en matière d'habilitation, votre Conseil a cependant admis que « il a la faculté de le faire en déposant soit un projet de loi, soit un amendement à un texte en cours d'examen ».
La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et la loi organique n°2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application de l'article 39 de la Constitution prévoient que : « Les dispositions des projets de loi par lesquelles le Gouvernement demande au Parlement, en application de l'article 38 de la Constitution, l'autorisation de prendre des mesures par ordonnances sont accompagnées, dès leur transmission au Conseil d'État, des documents visés aux deuxième à septième alinéas et à l'avant-dernier alinéa de l'article 8. Ces documents sont déposés sur le bureau de la première assemblée saisie en même temps que les projets de loi comprenant les dispositions auxquelles ils se rapportent ».
De plus, votre Conseil juge de façon constante que l'article 38 de la Constitution « fait obligation au Gouvernement d'indiquer avec précision au Parlement, afin de justifier la demande qu'il présente, la finalité des mesures qu'il se propose de prendre par voie d'ordonnances ainsi que leur domaine d'intervention »(20).
Le Conseil exige du Gouvernement, lorsqu'il sollicite l'habilitation du Parlement qu'il indique avec précision à ce dernier la « finalité des mesures qu'il se propose de prendre » (n° 76-72 DC ; n° 2004-506 DC ; no 2009-584 DC). De même le Gouvernement doit faire connaître au Parlement le « domaine d'intervention » des ordonnances qu'il se propose de prendre (n° 86-207 DC ; n° 2006-534 DC ; n° 2009-579 DC ; 2010-618 DC).

8-4. C'est ainsi que l'emploi de l'expression « ensemble des dispositions législatives en vigueur à l'exception de celles du code civil » employée à l'article 14 de la loi déférée est beaucoup trop vague quant au champ d'application législatif concerné, quant au domaine d'intervention des ordonnances, ce que n'éclaire nullement l'exposé des motifs de l'amendement gouvernemental déposé devant le Sénat. Ainsi, le domaine législatif concerné peut être le plus large qui soit, en couvrant toute la législation sociale, fiscale, le droit de la fonction publique, sans que la demande d'habilitation ne vienne préciser le champ des dispositions concernées. Cette imprécision est d'ailleurs autant génératrice d'incompétence négative du législateur que contraire aux principes constitutionnels de l'habilitation de l'article 38 de la Constitution. En toute hypothèse, aucune urgence ne justifie, en ce domaine, le recours à la procédure des ordonnances de l'article 38 de la Constitution.

8-5. Les requérants constatent donc que la procédure ainsi énoncée par la loi organique et les obligations issues de la jurisprudence de votre Conseil n'ont en rien été respectées à l'occasion de la discussion parlementaire de ce texte et qu'en conséquence l'habilitation ainsi accordée est contraire à toutes les exigences constitutionnelles, et donc à l'article 38 de la Constitution.

9. Sur les dispositions relatives à l'outre-mer

9-1. En étendant les dispositions de la loi déférée aux collectivités outre-mer, à l'article 22, sans avoir consulté préalablement les assemblées délibérantes de ces collectivités, la loi déférée viole les articles 74 ou 77 de la Constitution.

9-2. Les dispositions de la loi déférée relèvent de matières mixtes par leurs effets directs et certains sur les compétences exclusives transférées à la Nouvelle-Calédonie, que ce soit en matière de cohérence avec les rapports juridiques liés au statut civil coutumier (articles 75 de la Constitution, 9 et 22, 5 °, de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999), de conservatoire et d'enseignement des langues kanaks (articles 75-1 de la Constitution et 215 de la loi n°99- 209 précitée), de protection sociale et de la protection de l'enfance (article 21, 4 o et 18 °, de la loi n°99-209 précitée).
Or, le législateur ne pouvait se prévaloir du caractère de compétence souveraine de l'Etat en matière d'« état des personnes » pour éluder tout droit de l'assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie à être consultée.

9-3. La loi déférée est donc affectée d'un détournement de procédure en profitant, d'une part, de son applicabilité de plein droit au prétexte qu'elle ressortirait de l'état des personnes (loi n°70-589 du 9 juillet 1970), alors qu'elle bouleverse tant les règles locales, qui sont dépendantes du mariage, de la filiation ou de l'adoption, que le sens du « mariage » reçu dans les langues kanaks, et, d'autre part, d'une imprécision dans la loi statutaire de la Nouvelle-Calédonie, alors qu'elle impacte un nombre considérable de lois de pays de la Nouvelle-Calédonie et aurait relevé de l'entière compétence de la Nouvelle-Calédonie à quelques mois près.
Ce détournement est d'autant plus avéré qu'il ressort de l'article 14, que le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d'ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi permettant de rendre applicables, « avec les adaptations nécessaires », les dispositions de la loi déférée en Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, Mayotte. La loi déférée fait ainsi d'elle-même la preuve que des « adaptations » s'avèrent bien « nécessaires ».

9-4. Le Conseil d'Etat estime d'ailleurs que, lorsqu'un texte du Gouvernement, étendu outre-mer, ne se borne pas à une extension pure et simple d'un dispositif législatif métropolitain mais prévoit des règles particulières pour les mettre en oeuvre, il y a « adaptation » au sens des articles L.O. 6213-3, L.O. 6313-3, L.O. 6413-3 et L. 3444-1 du code général des collectivités territoriales.

9-5. Les requérants reprochent la même manoeuvre du législateur à l'égard des autres collectivités à statut particulier (Wallis et Futuna, Polynésie française, Mayotte).

10. Sur les dispositions constituant des cavaliers législatifs

10-1. Les requérants considèrent que les articles 16, 17, 18 et 19 de la loi déférée sont à considérer comme des cavaliers législatifs puisqu'ils concernent des dispositifs du code des pensions civiles et militaires de retraire, du code rural et de la pêche maritime, du code de la sécurité sociale et du code du travail.

10-2. De plus, les dispositions énumérées précédemment ont un caractère financier qui ne relève pas de la loi déférée mais d'une loi de finances et d'une loi de financement de la sécurité sociale. Les requérants estiment aussi que les dispositions invoquées, ainsi que toutes les conséquences indirectes que le texte de la loi déférée entraîne, étant de nature financières nécessitent à tout le moins une évaluation financière.

10-3. C'est pourquoi, ces dispositions constituent, en tout état de cause, des « cavaliers », en méconnaissance du premier alinéa de l'article 45 de la Constitution. La loi déférée a en effet pour objet de modifier le code civil. Pour ces raisons, les requérants demandent la censure de ces articles.

11. Sur la rétroactivité de la loi

11-1. L'article 21 de la loi déférée tend à faire produire des effets entre les époux et les enfants à des mariages conclus entre personnes de même sexe, célébrés avant l'entrée en vigueur de la loi. Le texte pose le principe de la rétroactivité de la loi nouvelle aux mariages conclus en contrariété avec la loi française ancienne, afin de valider ces mariages, créant ainsi une insécurité juridique manifeste, selon la jurisprudence du Conseil Constitutionnel.
Ainsi, la jurisprudence de votre Conseil a évolué en faisant une place plus grande à la sécurité juridique à travers la protection de la garantie des droits qui résulte de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Depuis la décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005 sur la loi de finances pour 2006, votre Conseil a jugé « qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ,• qu'en particulier, il méconnaîtrait la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789 s'il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un mot([ d'intérêt général suffisant ». La notion d'intérêt général « suffisant » indique en l'espèce un contrôle renforcé sur les motifs invoqués pour justifier la rétroactivité ou la remise en cause par la loi de situations légalement acquises.

11-2. Or, la disposition de l'article 21, par sa généralité, semble s'appliquer à tous les mariages conclus entre personnes de même sexe avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle. Pourtant, elle indique, pour la transcription de l'acte de mariage sur les registres de l'état civil français, qu'il sera fait application des articles 171-5 et 171-7 du Code civil. Or, ces deux dispositions sont comprises dans une section du Code civil consacrée exclusivement aux mariages célébrés à l'étranger intitulée « Section III De la transcription du mariage célébré à l'étranger par une autorité étrangère ».

11-3. En ce qu'elle ne précise pas qu'elle concerne uniquement les mariages célébrés à l'étranger, la disposition déférée contrevient au principe constitutionnel de clarté et d'intelligibilité de la loi. En effet, selon votre Conseil, « il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34. Le plein exercice de cette compétence, ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, lui imposent d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques » (21).
La loi nouvelle instituant le mariage entre personnes de même sexe doit permettre de valider rétroactivement les mariages célébrés, avant son entrée en vigueur, en contrariété avec la loi ancienne. Si le législateur peut prévoir des dispositions rétroactives, notamment dans le but de valider des conventions ou des contrats de droit privé, il est soumis à des conditions strictes reconnues par votre Conseil. Ainsi, la validation doit répondre à un motif suffisant d'intérêt général et la portée de la validation doit être strictement définie (22).
Or, l'article 21 vise à régulariser des situations acquises illégalement et jugées illégales sous l'empire de la loi antérieure. A aucun moment, le législateur n'a précisé pour quels motifs, la validation de conventions conclues en fraude de la loi, serait nécessaire. L'étude d'impact est d'ailleurs muette sur ce point, en particulier lorsqu'elle envisage les « Difficultés juridiques rencontrées s'agissant des situations nées à l'étranger ».
Selon les requérants, il ne saurait donc y avoir d'intérêt général suffisant à valider rétroactivement des mariages volontairement célébrés à l'étranger afin d'échapper à la loi française.

11-4. De plus, cet article 21, qui permet la reconnaissance en France des effets du mariage entre personnes de même sexe contracté avant l'entrée en vigueur de la loi, n'a pas seulement pour objet de valider des mariages ainsi célébrés à l'étranger, il va également permettre au mariage de produire des effets à l'égard des enfants.
Or, cet article ne précise pas quels sont ces effets et, dans l'hypothèse où il s'agirait d'un lien de filiation, si cette filiation sera établie à l'égard de l'un ou des deux époux. Cette disposition est donc contraire à l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.

11-5. En effet, l'article 21 pourrait permettre l'établissement d'une filiation à l'égard de chacun des époux de même sexe. Or, la loi déférée ne permet l'établissement de la parenté de personnes de même sexe que par le biais de l'adoption, alors que la réception des effets des mariages entre personnes de même sexe contractés à l'étranger obligera à recevoir des parentés de même sexe non adoptives, mais établies en vertu du droit commun local. Ces filiations seront donc régies par le droit commun français, lequel n'est absolument pas préparé pour les appréhender puisque le législateur limite la parenté entre personnes de même sexe à la parenté adoptive.
Par ailleurs, admettre l'établissement d'un lien de filiation, simplement en raison du mariage contracté entre personnes de même sexe, permettrait de donner effet à la conception d'enfants à l'étranger, au moyen de techniques réprouvées par le droit français et son ordre public international, tel que le recours à la procréation médicalement assistée ou à la maternité pour autrui.

Pour l'ensemble des motifs exposés, les requérants demandent à votre Conseil la censure des dispositions invoquées.

1 Question AN n° 14720, 14ème législature
2 Décision n° 92-308 DC, cons. 7 ; décision n° 93-321 DC, cons. 36 et 37
3 Décision n° 93-321 DC, cons. 37
4 René Capitant, Écrits constitutionnels, CNRS, 1982, p. 385
5 Discours préliminaire de Portalis sur le code civil
6 Aux députés qui voulaient ajouter lors de la rédaction du code civil des formules du type « Le mariage est un contrat civil par lequel un homme et une femme libres s'unissent pour la vie » (Lagrévol), ou « Le mariage est un contrat civil qui unit pour vivre ensemble deux personnes libres d'un sexe différent » (Lequinio), il fut répondu : « Rien n'est si inutile qu'une définition parce que tout le monde sait ce que c'est que le mariage » (Sedillez). Fixée en fonction de la puberté, la différence d'âge nubile confirme que le mariage est évidemment lié à la procréation. La délibération du 22 août 1793 décrivait encore le mariage comme le contrat par lequel « l'homme et la femme s'engagent, sous l'autorité de la loi, à vivre ensemble, et à élever les enfants qui peuvent naître de leur union » (Fenet).
Comme le relevait le procureur général Baudoin dans ses conclusions sur un arrêt de la Cour de cassation du 6 avril 1903 : « La condition essentielle du mariage, c'est donc bien que les époux soit de sexe différent : l'un, un homme, l'autre, une femme. Et c'est si évident que le code n'a même pas cru qu'il fut nécessaire de l'exprimer ».Jean Carbonnier allait dans le même sens : « Le code civil n'a pas défini le mariage, et il a eu raison : chacun sait ce qu'il faut entendre par là ; c'est la plus vieille coutume de l'humanité et l'état de la plupart des hommes adultes ».
7 Arrêt n°05-16627, 1ère chambre civile, 13 mars 2007
8 Tel que le Doyen Duguit le concevait
9 Hans Kelsen a d'ailleurs exposé, dans sa théorie dite « de l'aiguilleur », que lorsque le juge constitutionnel constate qu'une loi ordinaire déroge à la Constitution, il ne porte pas un jugement de valeur sur l'oeuvre du législateur, mais se borne à indiquer qu'une telle loi aurait dû être adoptée en la forme constitutionnelle, c'est-à dire selon les règles de compétence et de procédure propres aux lois constitutionnelles. Cette considération de théorie juridique rejoint la souveraineté démocratique qui exige que les éléments essentiels du contrat social d'une nation ne puissent être changés par une simple majorité passagère, mais qu'une telle responsabilité revienne directement aux citoyens eux-mêmes ou, pour les remises en cause moins profondes, à une majorité renforcée de représentants exprimée, en régime bicaméral, dans les deux assemblées.
10 Civ. 1ère, 17 mai 1983, Soc. Lafarge
11 Cass. civ 1ère, 7 juin 2012, pourvoi n° 11-30261
12 Décision n° 93-325 DC
13 Décision n° 97-389 DC
14 Commentaire de la décision 2011-173 QPC du 30 septembre 2011
15 En vertu de l'article 320 du Code civil, la filiation légalement établie fait obstacle à l'établissement d'une autre filiation qui la contredirait, tant qu'elle n'a pas été contestée en justice
16 Cass. Civ. 1ère. 7 juin 2012, n°11-30261
17 N°2011-173 QPC
18 Décision n°94-343 /344 DC du 27 juillet 1994 relative à la loi« Bioéthique », le Conseil constitutionnel a élevé au rang de principe à valeur constitutionnelle« la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation. »
19 Décision n° 2012-656 DC
20 N° 99-421 DC du 16 décembre 1999
21 N° 2011-644 DC, n° 2012-649 DC
22 « Si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, c'est à la condition de poursuivre un but d'intérêt général suffisant et de respecter tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions ; qu'en outre, l'acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le but d'intérêt général visé soit lui-même de valeur constitutionnelle ; qu'enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie » (N° 2006-545 DC).