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Décision n° 2013-666 DC du 11 avril 2013 - Saisine par 60 sénateurs

Loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes
Non conformité partielle

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,

Les Sénateurs soussignés ont l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes aux fins de déclarer contraires à la Constitution certaines de ses dispositions.

I- Sur l'article 2

L'article 2 instaure un dispositif de bonus-malus sur les consommations domestiques d'énergie de réseau. Cette mesure méconnaît plusieurs principes constitutionnels.

1- En premier lieu, le malus institué par cet article doit être considéré comme un impôt

Il doit l'être par analogie, notamment, avec le malus pour les véhicules polluants qui est une écotaxe additionnelle dans la mesure où il n'est pas explicitement un dispositif de péréquation tarifaire mais une incitation à une consommation vertueuse et respectueuse de l'environnement.
Ce malus est d'ailleurs considéré comme un impôt par le Conseil d'Etat dans son avis du 6 décembre 2012 concernant la mise en oeuvre d'un dispositif de bonus-malus pour les consommateurs domestiques d'énergies dites de réseau : « Le bonus-malus énergie envisagé doit être ainsi analysé, dans la lignée de ce précédent, comme un dispositif double instituant d'une part, un impôt dissuasif et d'autre part, une aide, le premier finançant la seconde tout en poursuivant un objectif de lutte contre les surconsommations d'énergie »(1).
Le rapport législatif établi en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale corrobore cette analyse : « Le malus, étant considéré comme un impôt, il incombe au législateur de ne pas renvoyer au pouvoir réglementaire des éléments aussi constitutifs de son élaboration »(2).
En conséquence, ce dispositif, dans la mesure où il constitue la création d'une taxe nouvelle, devrait relever, d'une manière plus appropriée, d'une loi de finances au titre d'une lecture conjointe de l'article 34 de la Constitution qui précise que la loi « fixe l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures » et des dispositions de la circulaire du 4 juin 2010 relative à l'édiction de mesures fiscales et de mesures affectant les recettes de la sécurité sociale qui indique que la création d'un impôt relève de la loi de finances et non de la loi simple.

A tout le moins, dans la mesure où les versements du bonus ne peuvent être considérés comme des prêts ou avances consentis par l'Etat et que les recettes issues du malus s'apparentent à un impôt et ont vocation à financer les dépenses du bonus, le dispositif de l'article 2 devrait relever d'un compte d'affectation spéciale- à l'instar de ce qui existe pour le bonus-malus automobile- dans le respect de l'article 21 de la loi organique n°2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances qui précise que : « Les comptes d'affectation spéciale retracent, dans les conditions prévues par une loi de finances, des opérations budgétaires financées au moyen de recettes particulières qui sont, par nature, en relation directe avec les dépenses concernées. ».

2- D'autre part, l'article 2 méconnaît la répartition des compétences fixée par la Constitution entre le pouvoir législatif et réglementaire

Il méconnaît l'article 34 de la Constitution sus-cité dans la mesure où, d'une part, un arrêté conjoint des ministres chargés de l'énergie et de l'économie déterminera les valeurs des coefficients et volumes annuels de référence ainsi que les taux des bonus et malus et où, d'autre part, un décret en Conseil d'Etat déterminera les règles de fixation des coefficients et volumes annuels de référence et les modalités de répartition du bonus-malus.
Or, le malus devant être considéré comme un impôt, ses éléments déterminants (taux, assiette, modalités de recouvrement) relèvent de la compétence du législateur. De même, le bonus devant être considéré comme un avantage fiscal, son champ d'application relève de la loi. Le législateur a donc habilité le pouvoir réglementaire à fixer les règles concernant l'assiette et le taux d'une imposition et a méconnu l'étendue de sa compétence (3).

3- En troisième lieu, le dispositif de l'article 2 ne répond pas aux principes d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi

La lecture combinée des dispositions des articles 3 de la Constitution et 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen a permis à votre Conseil de fonder l'existence de l'exigence constitutionnelle de clarté et de sincérité des débats parlementaires (4).
Or, on peut considérer que la représentation nationale n'a pas bénéficié d'une présentation intelligible et sincère du dispositif du bonus-malus, notamment de ses modalités de calcul, et n'a pu vérifier précisément son impact qualitatif et quantitatif.
Certes, en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, a été présentée une simulation des montants des bonus-malus, mais la loi ne fixe que des fourchettes et non des taux, ces derniers étant, de plus, susceptibles d'évoluer chaque année puisque le montant du malus sera déterminé au regard des bonus accordés et des frais de fonctionnement de manière à aboutir à un système financièrement équilibré, neutre pour l'Etat. Sur ce dernier point, en outre, une interrogation demeure dans la mesure où le coût de la construction du système d'information ad hoc, évalué entre 50 et 100 millions d'euros, est susceptible d'affecter l'équilibre global du dispositif.
D'autre part, il convient de rappeler que les dispositions afférentes au bonus-malus ont été intégralement réécrites par amendements du rapporteur, présentés en commission, lors de la nouvelle lecture, après l'échec de la Commission mixte paritaire, de telle sorte que du dispositif initial ne subsiste que le principe. Certes, le législateur n'a pas méconnu ici les règles régissant le droit d'amendement, cependant, ces dispositions qui sont le coeur du texte n'auront pas été soumises à la procédure de conciliation prévue à l'article 45 de la Constitution, et n'auront fait l'objet que d'une seule lecture, alors qu'elles auraient mérité, du fait de leur technicité et de leur nouveauté, un examen plus approfondi.

Par ailleurs, votre Conseil a régulièrement indiqué que l'accessibilité et l'intelligibilité de la loi étaient des objectifs de valeur constitutionnelle. Les fondements en sont nombreux et la décision du 16 décembre 1999 (5) rattache ces fondements aux articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, relatifs à la liberté, à l'égalité et à la garantie des droits. Dans cette décision, votre Conseil considère que cet objectif d'accessibilité et d'intelligibilité doit être entendu comme la possibilité donnée aux citoyens de disposer « d'une connaissance suffisante des normes qui leur sont applicables » (6).

A ce titre, votre Conseil a admis que la loi pouvait être complexe à condition d'être précise. L'objectif d'intelligibilité interdit cependant sa « complexité inutile » et sa « complexité excessive » au regard de l'aptitude de ses destinataires à en mesurer utilement la portée. Ces considérations ont été clairement explicitées par la décision du 29 décembre 2005 (7). Dans cette décision, votre Conseil a souhaité porter une appréciation sur la notion d'intelligibilité appliquée aux lois fiscales, et notamment à des dispositions fiscales incitatives, votre Conseil a ainsi précisé que : « au regard du principe d'égalité devant l'impôt, la justification des dispositions fiscales incitatives est liée à la possibilité effective, pour le contribuable, d'évaluer avec un degré de prévisibilité raisonnable le montant de son impôt selon les diverses options qui lui sont ouvertes ». En d'autres termes, les dispositions fiscales incitatives doivent être suffisamment intelligibles pour que le contribuable puisse adapter son comportement conformément au caractère incitatif des dispositions.

Or, il apparaît que le bonus-malus introduit par l'article 2 qui est, de toute évidence, une disposition fiscale incitative, méconnaît cet impératif de permettre au contribuable « d'évaluer avec un degré de prévisibilité raisonnable le montant de son impôt ». La complexité du dispositif de bonus-malus relève de plusieurs éléments tenant à ces modalités de calcul.

En effet, le présent système de bonus-malus prévoit un volume de base par référence au premier quartile de la consommation d'énergie, par unité de consommation, et est précisé par une équation. A partir de ce volume de base, des coefficients multiplicateurs seront appliqués en fonction de divers critères tels que le nombre de personnes résidant habituellement au lieu desservi, de telle manière que le deuxième occupant compterait pour 50 % d'une unité de consommation et chacun des suivants pour 30 %, cette part étant divisée par deux pour les enfants en garde alternée ; les zones climatiques se verront elles aussi appliquer des coefficients multiplicateurs compris dans des fourchettes. Ainsi, la définition des volumes de bases souffrira, par la diversité des coefficients multiplicateurs, d'un manque d'intelligibilité caractérisé pour le contribuable.

De même, le calcul du taux se révèle particulièrement complexe : « Ces taux sont déterminés afin, d'une part, d'équilibrer, pour chaque énergie de réseau, en fonction des consommations estimées, la somme des bonus et des malus appliqués aux consommateurs domestiques au cours de l'année à venir et, d'autre part, de couvrir une estimation du solde du fonds mentionné à l'article L. 230-11 au 31 décembre de l'année en cours, les frais de gestion exposés par la Caisse des dépôts et consignations et, le cas échéant, par l'organisme prévu à l'article L. 230-5 et les frais financiers exposés pour l'année en cours et, le cas échéant, pour l'année antérieure par le fonds mentionné à l'article L. 230-11. Ils tiennent compte des effets incitatifs du bonus-malus sur les consommations domestiques d'énergies de réseau. ». La fixation annuelle des taux augmente la complexité et le peu de lisibilité du dispositif.

En conséquence, le bonus-malus apparaît comme un dispositif trop complexe et trop incertain qui ne garantira pas aux consommateurs la possibilité d'en apprécier la portée, d'anticiper son coût et de procéder à des choix éclairés. Il ne leur permettra donc pas d'avoir une démarche active pour atteindre l'objectif de la loi, à savoir réduire leur consommation d'énergie et réduire, le cas échéant, le montant du malus.
Par ailleurs, le dispositif mis en place par l'article 2, de par sa complexité, porte atteinte au principe de sécurité juridique qui suppose qu'une disposition législative soit accessible et intelligible conformément aux principes énoncés par les articles 4, 5, 6, 14 et 16 de la Déclaration de 1789.

4- Les dispositions de l'article 2 constituent une rupture d'égalité entre consommateurs devant les charges publiques

L'article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Aux termes de l'article 13 de la même Déclaration, le respect du principe d'égalité s'apprécie sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts que le législateur se propose, sans en trainer de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

Or, il apparaît que le dispositif de tarification progressive de l'énergie, tel qu'institué par l'article 2 de la présente loi, entraîne une rupture d'égalité entre consommateurs et ceci à plus d'un titre du fait de leur localisation géographique, de leur situation personnelle et du type de consommation (certaines énergies comme les bois, déchets, fuel domestique, GPL, énergie solaire ne sont pas concernées). En conséquence, sans modification des tarifs réglementés, le prix du kilowattheure pourra varier d'un consommateur à un autre.

En effet, le dispositif du bonus-malus se limite aux énergies de réseau (électricité, gaz naturel et chaleur) et ne s'appliquera ni au fioul, ni au propane, pourtant largement utilisés, notamment dans les zones rurales. Or, ces deux sources d'énergies sont des combustibles fossiles polluants. En comparaison, il convient de rappeler que dans la production d'électricité, l'utilisation de combustibles fossiles dans le processus de fabrication ne dépasse pas 10 %. Cette différence de traitement entre types d'énergie pourra en trainer des phénomènes de substitution. De la sorte, en omettant d'inclure dans le dispositif des sources d'énergie parmi les plus polluantes, la présente loi manque son objectif de favoriser la transition vers un système énergétique sobre et de fournir aux ménages un outil de responsabilisation de leur consommation d'énergie.

De plus, toujours au regard de cet objectif, il est nécessaire de souligner que la présente loi ne s'applique pas aux autres consommateurs d'électricité tels les secteurs industriels, agricoles, de transport et tertiaire alors même qu'ils représentent plus du tiers de la consommation électrique en France.
Dans cette perspective, votre Conseil peut constater que l'insatisfaction des objectifs d'une loi, du fait d'un ciblage insatisfaisant, ne permet pas de justifier une inégalité devant les charges publiques par la poursuite de l'intérêt général comme le montre la décision du 29 décembre 2009 (8) sur la Loi de Finances pour 2010 qui instituait la taxe carbone. Cette taxe prévoyant des régimes d'exemption, votre Conseil censura les dispositions afférentes au motif que : « les régimes d'exemption totale institués par l'article 7 de la loi déférée sont contraires à l'objectif de lutte contre le réchauffement climatique et créent une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ». Par cette jurisprudence, votre Conseil a souhaité rappeler qu'une rupture de l'égalité devant les charges publiques peut résulter d'une absence de justification de la différence de traitement au regard des objectifs de la loi. Or, tel semble être le cas du bonus-malus institué par l'article 2 de la présente loi.

La rupture d'égalité peut aussi être d'une autre nature comme en témoigne la décision du 28 décembre 2011 (9) qui précise : « qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives ; qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose , que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ». L'analyse des dispositions de l'article 1er instaurant la tarification progressive de l'énergie met en évidence plusieurs manquements à la juste appréciation des facultés contributives de chacun.

Ainsi, la loi ne tient pas compte de l'âge ou de l'état de santé des contribuables, alors que ces caractéristiques ont un rôle déterminant dans la consommation énergétique.
De la même manière, la loi ne prend pas en compte l'activité ou l'inactivité professionnelle des consommateurs, de telle manière que les personnes exerçant une activité professionnelle à domicile ou les personnes demandeurs d'emploi pourront se voir infliger un malus supérieur à d'autres au motif qu'elles demeurent chez elles plus de temps que la moyenne.
La loi ne traite pas toutes les particularités géographiques qui peuvent affecter la consommation énergétique. Par exemple, les coefficients de modulation, définis au niveau communal, ne pourront prendre en compte les différences de température au sein d'une même commune, ni l'exposition des logements ; dès lors, les consommateurs ne seront pas traités de manière identique en raison de la localisation de leur habitation. Ils seront aussi traités différemment au regard de leurs choix d'habitat. Par exemple, deux foyers de composition identique résidant dans un appartement ou une maison ne seront pas traités de la même manière.
Par ailleurs, la loi ne considère pas les différences de situations dans l'application du bonus-malus aux habitants d'immeubles collectifs pourvus d'une installation commune de chauffage Cette application conduira mécaniquement à des situations différentes pour les contribuables selon que les propriétaires ou le syndicat de propriétaires seront en mesure de répartir les bonus et les malus, en tenant compte des consommations individuelles à partir d'appareils permettant de mesurer ces consommations ou, à défaut, en divisant les consommations au prorata des participations aux charges. De cette manière, certaines personnes paieront un malus ou bénéficieront d'un bonus au regard de leur consommation propre. D'autres se verront attribuer un malus ou un bonus proportionnel aux charges qu'ils acquittent.

Les ruptures d'égalité devant les charges publiques sont donc de diverse nature. Dans un premier temps, le ciblage des consommateurs d'énergie n'est pas satisfaisant, de telle sorte qu'il y a un décalage entre l'objectif de la loi et les moyens qu'elle se donne pour les atteindre. Dans un second temps, une mauvaise appréciation des capacités contributives des consommateurs rompt avec le principe d'égalité devant les charges publiques en ne prenant pas en compte toutes les situations géographiques, professionnelles et personnelles, ainsi que celles liées au type d'habitat.

5- Enfin, l'article 2 porte atteinte aux libertés individuelles et au droit au respect de la vie privée

Au regard de l'article 2 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, qui consacre « les droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression », le respect de la vie privée doit être entendu comme le droit à l'intimité de la vie privée.

Pour faire appliquer ce principe, votre Conseil a précisé que la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel, soient justifiés par un motif d'intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif. Par exemple, dans sa décision du 22 mars 2012 (11), votre Conseil a jugé contraire à la Constitution des dispositions de la loi relative à la protection de l'identité au motif qu'il y avait une disproportion entre la nature et l'ampleur des données enregistrées et le but poursuivi. En d'autres termes, il s'agit de s'assurer de la proportionnalité entre les informations collectées et l'objectif poursuivi.

Dans le cas de l'article 2 de la présente loi, les consommateurs devront déclarer des informations personnelles comme le mode de chauffage, les caractéristiques du logement, le nombre de personnes au foyer et les informations nécessaires à la détermination du nombre d'unités de consommation. Ces informations relatives au domicile des consommateurs ainsi qu'à leur cellule familiale sont des informations qui relèvent de la sphère privée.

Par conséquent, il importe que l'organisme chargé de collecter ces informations puisse en garantir la parfaite protection. Or, sur ce point, la loi reste silencieuse puisqu'aucune indication précise sur le-dit organisme collecteur n'est mentionnée. Le Gouvernement, par la voix de la Ministre de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie, a admis que le choix de l'organisme collecteur« n'est pas déterminé aujourd'hui » (12). Ainsi, les modalités de collecte, de conservation et de mise à jour de ces fichiers ainsi que les conditions de confidentialité et d'impartialité ne sont pas précisées et sont, par là-même, susceptibles de porter atteinte aux libertés individuelles.

Par son caractère laconique, la loi ne confère pas à la sécurisation des informations à caractère personnel toute l'attention qu'elles méritent. En conséquence, il existe un décalage entre l'atteinte effective au respect de la vie privée et le but recherché.

6- Pour ces motifs, il appartient à votre Conseil de censurer cet article.

II- Sur l'article 24

1- L'article 24 porte atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales

Le principe de libre administration des collectivités territoriales est inscrit à l'article 72 de la Constitution qui précise que : « Dans les compétences prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leur compétences ».
L'alinéa 7 de l'article 24 de la présente loi supprime les zones de développement de l'éolien (ZDE). Or, celles-ci permettaient aux communes et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, dont les territoires étaient compris dans le périmètre des schémas régionaux éoliens, de définir, à travers la création de ces ZDE de véritables stratégies locales d'implantation d'éoliennes. De plus, comme seules les éoliennes implantées dans ces ZOE bénéficiaient de l'obligation de rachat, les ZDE sont devenues, au fil des ans, le cadre dominant de l'implantation des éoliennes. De cette manière, les communes et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre pouvaient favoriser ou encadrer le développement sur leurs territoires des éoliennes, en fonction de leurs contraintes particulières.

En supprimant ces zones de développement de l'éolien, les collectivités territoriales susmentionnées pourront se voir imposer des implantations d'éoliennes au motif que, désormais, celles-ci se feront essentiellement dans le cadre des schémas régionaux éoliens, au sein desquels les communes et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ne disposent plus que d'un avis consultatif via les enquêtes publiques sur installation classée.

En définitive, ces collectivités territoriales verront une de leurs compétences remise en cause par la prééminence des prérogatives confiées aux préfets de régions et aux présidents de conseils régionaux telles que prévues par l'article L222-1 du Code de l'Environnement, créant ainsi une situation de quasi-tutelle des conseils régionaux sur les conseils communautaires et municipaux.

Enfin, les implantations d'éoliennes constituent, depuis une dizaine d'années, pour ces collectivités, une source substantielle de recettes, à travers la cotisation foncière des entreprises (CFE), la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER). Mais, en confiant la responsabilité de l'implantation des éoliennes aux préfets de régions et aux présidents de conseils régionaux via les schémas régionaux éoliens, ces-derniers pourront indirectement affecter les recettes que perçoivent les collectivités du bloc communal.

Cette situation constitue donc un manquement au principe de libre administration des collectivités territoriales.

2- Pour ces motifs, il appartient à votre Conseil de censurer cet article.

III- Sur les articles 26 et 29

1. Les articles 26 et 29 portent atteinte à la protection des paysages et du cadre de vie, dont le respect découle de la Charte de l'Environnement

La protection des paysages et la préservation du cadre de vie des habitants découlent du respect de la Charte de l'Environnement qui dispose notamment« que la diversité biologique, l'épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines sont affectés par certains modes de consommation ou de production et par l'exploitation excessive des ressources naturelles ». L'article 6 rappelle aussi que « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social ».

Or, l'alinéa 6 de l'article 26 prévoit d'assouplir les conditions d'implantation d'éoliennes dans les communes d'outre-mer : « Par dérogation au deuxième alinéa, l'implantation des ouvrages nécessaires à la production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent qui sont incompatibles avec le voisinage des zones habitées peut être autorisée par arrêté du représentant de l'État dans la région, en dehors des espaces proches du rivage, après avis de la commission départementale compétente en matière de nature, de paysages et de sites et des ministres chargés de l'urbanisme, de l'environnement et de l'énergie. En l'absence de réponse dans un délai de deux mois, les avis sont réputés favorables ». Cette disposition établit donc un régime dérogatoire à l'obligation faite aux extensions d'urbanisation de se réaliser, soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement.

L'application de ce dispositif conduira à un développement accru des éoliennes dans les départements d'outre-mer. Ce développement ne sera de fait pas neutre économiquement pour ces départements pour lesquels l'attractivité touristique est un préalable indispensable à la survie du tissu économique local. Cette disposition ne sera pas non plus neutre sur le plan environnemental puisque la beauté des paysages, mais également la préservation d'un cadre de vie se verront menacés par le développement des éoliennes, en contradiction avec les exigences constitutionnelles de la Charte de l'Environnement.

Un autre manquement au respect des principes constitutionnels de la Charte de l'Environnement peut être constaté au titre de l'article 29 de la présente loi.

En effet, cet article supprime la disposition de l'article L. 314-1 du Code de l'énergie qui conditionne le bénéfice d'un contrat d'obligation de rachat, pour les installations éoliennes dont la hauteur du mât est supérieure à 30 mètres, au regroupement de ces éoliennes par un minimum de cinq unités de production. Il s'agit de la règle dite « des cinq mâts », qui avait une fonction simple : éviter le morcellement des lieux de production électrique à partir de l'énergie mécanique du vent sans empêcher le développement de l'éolien. En supprimant cette règle, le législateur porte atteinte à la protection des paysages et au cadre de vie des habitants ; il augmente aussi le nombre de bénéficiaires du prix de rachat majoré de l'électricité d'origine éolienne et entraîne ainsi une aggravation des charges publiques via la contribution au service public de l'électricité.

2. Pour ces motifs, il appartient à votre Conseil de censurer cet article.

Les Sénateurs soussignés complèteront, le cas échéant, cette demande dans des délais raisonnables.

***
1 In Avis du Conseil d'Etat, p. 4
2 Assemblée nationale, Rapport n°579, janvier 2013, p. 24
3 Cf. Décision 2009-578 DC du 18 mars 2009
4 Cf. Décisions n° 2009-581 DC et n° 2009-582 DC du 25 juin 2009
5 Décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999, considérant 13
6 Ibid.
7 Décision 11 ° 2005-530 DC du 29 décembre 2005, considérant 77
8 Décision n°2009-599 DC, considérants 77 à 83
9 Décision n° 2011-644 DC, considérant Il
10 Décision n° 2012-652 DC du 22 mars 2012, considérant Il
11 Sénat, nouvelle lecture. Compte rendu intégral des débats, séance du 13 février 2013