Contenu associé

Décision n° 2013-312 QPC du 22 mai 2013 - Décision de renvoi CE

M. Jory Orlando T. [Conditions d'attribution d'une carte de séjour mention « vie privée et familiale » au conjoint étranger d'un ressortissant français]
Conformité

N° 364341
ECLI : FR : CESSR : 2013 : 364341.20130222
Inédit au recueil Lebon
2ème et 7ème sous-sections réunies
M. Marc Perrin de Brichambaut, rapporteur
M. Damien Botteghi, rapporteur public
SCP GADIOU, CHEVALLIER, avocats

lecture du vendredi 22 février 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE Français

Vu l'ordonnance n° 12PA00688 du 26 novembre 2012 par laquelle la cour administrative d'appel de Paris, avant de statuer sur l'appel de M. T, demeurant au…, tendant à l'annulation du jugement n° 1018042/2-3 du 8 décembre 2011 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande dirigée contre les décisions implicites du préfet de police ayant rejeté ses demandes de carte de séjour temporaire, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, de transmettre au Conseil d'Etat le moyen tiré de ce que les dispositions de l'alinéa 6 de l'article L. 211-2-1 et du 4 ° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

Vu le code civil ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi n° 99-944 du 15 novembre 1999 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Marc Perrin de Brichambaut, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Gadiou, Chevallier, avocat de M. T.,

- les conclusions de M. Damien Botteghi, rapporteur public,

La parole ayant à nouveau été donnée à la SCP Gadiou, Chevallier, avocat de M. T. ;

1. Considérant qu'il résulte de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat lui a transmis, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

2. Considérant que, sur le fondement de ces dispositions, M. T. demande au Conseil d'Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du sixième alinéa de l'article L. 211-2-1 et du 4 ° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

3. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « La demande d'un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois donne lieu à la délivrance par les autorités diplomatiques et consulaires d'un récépissé indiquant la date du dépôt de la demande » ; qu'aux termes du sixième alinéa du même article : « Lorsque la demande de visa de long séjour émane d'un étranger entré régulièrement en France, marié en France avec un ressortissant de nationalité française et que le demandeur séjourne en France depuis plus de six mois avec son conjoint, la demande de visa de long séjour est présentée à l'autorité administrative compétente pour la délivrance du titre de séjour./ (…) » ; qu'aux termes de l'article L. 313-11 du même code : « Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention » vie privée et familiale « est délivrée de plein droit : (…) ; 4 ° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français (…) ; 7 ° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (…) » ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article 12 de la loi du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité : « La conclusion d'un pacte civil de solidarité constitue l'un des éléments d'appréciation des liens personnels en France, au sens du 7 ° de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relatives aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, pour l'obtention d'un titre de séjour » ; que les dispositions du 7 ° de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 sont aujourd'hui reprises au 7 ° de l'article L.313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

5. Considérant que M. T. soutient que les dispositions du sixième alinéa de l'article L. 211-2-1 et du 4 ° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont contraires au principe d'égalité, au principe de non-discrimination et au droit à mener une vie familiale normale en tant qu'elles n'accordent pas aux étrangers liés à un ressortissant français par un pacte civil de solidarité les mêmes droits à une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » que ceux qui sont accordés aux étrangers mariés à un ressortissant français ;

En ce qui concerne l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

6. Considérant que le moyen relatif à la constitutionnalité du sixième alinéa de l'article L. 212-2-1 n'est pas assorti de précisions permettant d'en apprécier le sérieux ;

En ce qui concerne le 4 ° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

7. Considérant, en premier lieu, que les dispositions du 4 ° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être regardées, contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur, comme étant applicables au litige dont est saisie la cour administrative d'appel de Paris, relatif au refus de délivrance de carte de séjour temporaire opposé à M. T., au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ;

8. Considérant, en deuxième lieu, que si le Conseil constitutionnel a, dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 97-389 DC du 22 avril 1997, déclaré conformes à la Constitution les dispositions du 4 ° de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, aujourd'hui reprises au 4 ° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'adoption de la loi du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité constitue une circonstance de droit nouvelle de nature à justifier que la conformité de cette disposition à la Constitution soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel ;

9. Considérant que le moyen tiré de ce que les dispositions du 4 ° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France, en tant qu'elles réservent aux conjoints mariés à des ressortissants français le bénéfice, dans les conditions qu'elles fixent, de l'accès à une carte de séjour mention « vie privée et familiale », sans prévoir de dispositions spécifiques pour les étrangers liés par un pacte civil de solidarité avec un ressortissant français, méconnaîtraient le principe d'égalité, soulève une question présentant un caractère sérieux au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée à l'encontre du seul 4 ° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

D E C I D E :
--------------

Article 1er : La question de la conformité à la Constitution du 4 ° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil de constitutionnel la question de la conformité à la Constitution du sixième alinéa de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Jory Orlando T. au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la cour administrative d'appel de Paris.