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Décision n° 2012-659 DC du 13 décembre 2012 - Saisine par 60 sénateurs

Loi de financement de la sécurité sociale pour 2013
Non conformité partielle

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,

Les Sénateurs soussignés ont l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, qui selon eux, contrevient aux principes d'égalité, de liberté d'association, de liberté contractuelle, de non-rétroactivité des lois, de sécurité juridique, et à l'article 17 de la Déclaration de 1789.

A. S'agissant de l'article 12 de la loi :

Cette disposition porte sur la contribution sociale de solidarité des sociétés (dite C3S), qui pèse sur les chiffres d'affaires supérieurs à 760000 € et dont le produit est affecté aux organismes de sécurité sociale. Son taux s'établit à 0,16 %, ce qui peut sembler modeste mais qui, s'appliquant au chiffre d'affaires redéfini, représente néanmoins un rendement attendu de 55 millions d'euros.

S'agissant des sociétés d'assurances, le nouvel alinéa qui est inséré dans l'article L 651-5 du code de la sécurité sociale aurait pour conséquence d'inclure notamment dans l'assiette le « résultat net positif » des opérations sur devises et des ajustements sur opérations à capital variable. Ces opérations et ajustements ont pour objet de maintenir voire augmenter la valeur des actifs que les assureurs détiennent afin de faire face aux charges prudentielles qui sont les leurs.

Pour rappel, l'article L 651- 3 du Code de la sécurité sociale dispose que la C3 S est assise sur le « chiffre d'affaires défini à l'article L 651- 5. » Ce dernier prévoit que le chiffre d'affaires des entreprises correspond à celui déclaré à l'administration fiscale, et donc à la notion classique de chiffre d'affaires. Aux termes de l'article 222-2 du plan comptable général, « le chiffre d'affaires correspond au montant des affaires réalisées par l'entité avec les tiers dans le cadre de son activité professionnelle normale et courante. »

Selon les requérants, il est donc abusif en soi de considérer comme chiffre d'affaires un chiffre derrière lequel il n'y a nulle affaire : celui résultant d'une réévaluation comptable en valeur de marché d'actifs détenus par l'entreprise dans laquelle aucune transaction d'aucune sorte n'a été réalisée avec aucun tiers, et qui se borne à actualiser une valeur. Cette valeur évolue en fonction tant de la situation économique générale que de la situation particulière de chacun des actifs détenus. Ces évolutions peuvent se produire à la hausse comme à la baisse et prendre parfois des proportions considérables. Dans ces conditions, rien ne peut justifier que ne soit pris en compte, dans l'assiette de la C3S, que le résultat net positif de ces catégories.

En effet, il suffit de prendre connaissance du tableau très éclairant qui figure dans le rapport de la commission des affaires sociales du Sénat (1). Celui-ci ne porte certes que sur « l'évolution du CAC 40 et les ajustements ACAV », mais il est très illustratif du problème posé, quelles que soient les valeurs de références, y compris étrangères au CAC 40.
Sur les cinq derniers exercices, 2006 à 2011, on constate que la valeur des ajustements ACAV nets a progressé en 2006 et 2007, connu un effondrement très brutal en 2008, rattrapé une partie de celui-ci en 2009 et 2010, avant de subir une nouvelle rechute importante en 2012. Si, donc, la disposition contestée avait été adoptée en 2006, les assujettis auraient été taxés au titre de résultats nets positifs en 2006, 2007, 2009 et 2010, alors même que le total de ces soldes positifs est demeuré très inférieur à celui des pertes enregistrées en 2008 et 2011.
Non seulement le même type de variations peut se reproduire à tout moment dans l'avenir, mais encore les pertes de 2008 et 2011 sont très loin d'avoir été compensées. En d'autres termes, l'augmentation occasionnelle de ce chiffre d'affaires prétendu correspond en réalité à une diminution d'un appauvrissement objectivement constaté d'une année à l'autre.

Selon les requérants, ce constat signifie que les assureurs se trouveraient ainsi taxés sur une capacité contributive négative, en particulier au regard de ce que les dépenses qui sont à leur charge, latentes ou réalisées, demeurent inchangées et qu'il leur faut y faire face avec des capacités amoindries.

Si les entreprises concernées peuvent, ainsi que l'a déjà jugé le Conseil constitutionnel, présenter des « caractéristiques propres » de nature à justifier qu'elles soient soumises à « une contribution particulière » (2), il n'en demeure pas moins que, au cas présent, la C3S n'a pas d'autres objets que son rendement et son affectation. Ne poursuivant pas de finalité spécifique, elle relève donc pleinement, mais exclusivement, de l'article 13 de la Déclaration de 1789.

Or, selon le Conseil constitutionnel : « le législateur doit, pour se conformer au principe d'égalité devant les charges publiques, fonder son appréciation sur des critères objectif ; et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de cette égalité » (3).

Donc, l'inscription dans le chiffre d'affaires du seul résultat net positif n'est ni objectif ni rationnel. Il n'est pas objectif en ceci qu'il passe délibérément sous silence cette partie essentielle de la réalité que sont les soldes négatifs des années antérieures, dont la prise en considération permettrait seule d'appréhender la situation objective de l'entreprise concernée. Il n'est pas non plus rationnel en ce qu'il ne donne qu'une mesure par définition fausse de la capacité contributive réelle de l'entreprise assujettie.

Le gouvernement en a d'ailleurs implicitement convenu en déposant lui-même un amendement, adopté par l'Assemblée nationale qui tendait, pour les ACA V, à prendre en considération leur solde net et non plus leur solde brut. Ainsi les moins-values peuvent-elles s'imputer sur les plus-values de la même année. Mais cette mesure de bon sens n'avait nul bon motif, ni de fait ni de droit, à demeurer limitée à un seul exercice (4) , sauf à encourir les griefs qui viennent d'être évoqués.

De ces constats, qui suffisent à disqualifier constitutionnellement la mesure, résulte de surcroît une rupture caractérisée de l'égalité.
Si, en effet, une société est parvenue à maintenir à l'équilibre le résultat de ces opérations d'une année sur l'autre, celles-ci ne seront pas prises en compte dans le calcul de son chiffre d'affaires assujetti à la C3S. Au contraire, celle qui, partie d'un niveau comparable, aura enregistré sur les mêmes opérations une perte brutale suivie, l'année suivante, d'un redressement partiel sera taxée sur ce dernier alors que sa capacité contributive est objectivement moindre que celle de sa consoeur.

Il y a là, en conséquence, selon les requérants, une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques de même ampleur, dans son principe, que d'autres que le Conseil constitutionnel avait eu l'occasion de déclarer à ce titre contraires à la Constitution (5).

B. S'agissant de l'article 37 de la loi :

Cet article tend à aligner sur les autres régimes de sécurité sociale certaines modalités jusqu'ici propres à la mutualité sociale agricole, tel qu'énoncé dans le 3 du III de cet article, selon lequel : « Au 31 décembre 2013, la propriété des réserves antérieurement constituées par les organismes de mutualité sociale agricole mentionnés à l'article L. 723-1 du code rural et de la pêche maritime et par le groupement mentionné à l'article L. 731-31 du même code est transférée à la caisse centrale de la mutualité sociale agricole. Ce transfert ne donne pas lieu à perception de droits, impôts ou taxes de quelque nature que ce soit. Un décret arrête le montant des réserves concernées. ».

En l'état, l'article L 731-30 du code rural pose le principe, depuis 1961, selon lequel les exploitants agricoles s'assurent, à leur choix, auprès des caisses de la mutualité sociale agricole ou auprès d'autres assureurs ou sociétés mutuelles à condition que ces derniers soient, collectivement ou individuellement, habilités à cela par leurs ministres de tutelle. De plus, l'article L 731-31 du même code prévoit que « les organismes assureurs, en fonction de leur statut propre, devront se grouper par catégories, en vue de l'accomplissement de leurs obligations légales et réglementaires ... ». Ensuite, des dispositions réglementaires encadrent les conditions de naissance et d'activité de tels groupements.
C'est ainsi que s'est formé un groupement, dénommé GAMEX, regroupant 17 sociétés d'assurance offrant aux exploitants agricoles, dans les conditions strictes prévues par les lois et règlements spécifiques, les garanties qui résultent de leurs contrats. En outre, un contrat d'objectifs et de performances, comportant de nombreux engagements réciproques, y compris financiers, avait été signé le 25 février 2011 avec le ministère de l'agriculture.

Les assureurs sont ainsi des acteurs, à part entière, de la protection sociale agricole, désignés comme tels par la loi elle-même, ce que la Cour des comptes a parfois regretté (6). C'est d'ailleurs elle qui avait recommandé une restructuration que prétend partiellement opérer la disposition contestée.

A ce stade, ce sont les assureurs regroupés au sein du GAMEX - « le groupement mentionné à l'article L 731-31 du code rural » qui, à partir des primes versées par leurs assurés, ont constitué, au fil des cinquante dernières années, les réserves prudentielles qu'ils avaient l'obligation de détenir, lesquelles ont parfois dû être mobilisées pour couvrir, quand nécessaire, des déficits constatés.

Or, c'est la propriété de ces réserves que le 3 du III de l'article prétend transférer à la caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA). Selon les requérants, il s'agit d'une atteinte au droit de propriété. Il s'agit bien selon eux d'une privation de tout droit de propriété (7), manifestement contraire à l'article 17 de la Déclaration de droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Certes, contrairement à ce qui s'était produit lorsque la loi n° 72-965 avait institué le monopole au profit de la MSA sur l'assurance des salariés agricoles, les sociétés d'assurance conservent le droit d'exercer leur activité auprès des exploitants.

Les conséquences en seraient d'autant plus graves que le GAMEX consacre à la gestion de ces réserves des personnels et des moyens de fonctionnement, dûment retracés dans ses comptes certifiés. Ainsi ces réserves se trouveraient-elles nationalisées sans qu'à aucun moment ni le gouvernement ni le Parlement n'aient évoqué, ni moins encore établi, la nécessité publique qui l'exigerait évidemment. Pas davantage n'a été envisagée la moindre indemnité, juste et préalable, contrairement, de nouveau, à ce qu'avait organisé en son temps l'article 16 de la loi n° 72-965 précitée.

Dans ces conditions, pour les requérants, cette « nationalisation » ne saurait échapper à la censure qu'impose la violation directe du droit de propriété, tel que proclamé et protégé par l'article 17 de la Déclaration de 1789.

Cette mesure représente également une atteinte au principe fondamental reconnu par les lois de la république, qui est celui de la liberté d'association, garantie par la constitution (8). En effet, le GAMEX a été créé par la loi pour être autonome (par rapport à la MSA) en s'administrant librement et en gérant ses moyens de manière autonome pour atteindre les objectifs que les pouvoirs publics lui fixent.
C'est une association de la loi de 1901 aux statuts agréés par les pouvoirs publics auxquels les assureurs, habilités individuellement à gérer l'AMEXA, ont dû adhérer pour gérer collectivement ce régime.
D'une part, les instances statutaires du GAMEX n'ont jamais été consultées ce qui est une atteinte directe à son autonomie. Et, d'autre part, en transférant « la propriété de ses réserves » à la CCMSA -c'est à dire ses fonds propres- son autonomie de gestion et sa gouvernance autonome seraient réduites à néant.

Les requérants estiment donc que cette mesure entrave le principe de la liberté d'association et qu'elle est contraire à l'article 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

C. S'agissant de l'article 60 de la loi :

En modifiant à nouveau les règles de détermination des tarifs et en préconisant de les faire varier librement et autant de fois que souhaitées durant l'année, le dispositif décrit dans cet article est vecteur d'une grande instabilité juridique et financière pour les établissements et porte atteinte au principe de sécurité juridique.

Par ailleurs, en instaurant un mécanisme visant à minorer les tarifs nationaux des prestations des établissements par l'instauration d'un coefficient, cet article vise à instaurer une régulation financière au niveau national, empêchant toute possibilité aux gestionnaires des établissements de santé d'avoir une visibilité annuelle sur l'activité réalisée. Ce dispositif fait peser de graves tensions sur les emplois de ce secteur.

Il ne précise ni comment, ni selon quelles catégories d'établissements, la valeur du coefficient pourra évaluer. En conséquence, il contrevient aux principes d'égalité de traitement et d'égalité devant les charges publiques, reconnus par le Conseil constitutionnel.

Le Conseil constitutionnel juge depuis 1988 (9) que « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ».

Il en ressort que s'il est possible de traiter différemment des personnes morales (ou physiques) se trouvant dans des situations différentes, il est cependant impératif de se fonder sur des critères objectifs et rationnels.

L'article L. 162-22-9-1 nouveau du Code de la sécurité sociale, prévoit que la valeur du coefficient minorateur « peut être différenciée par catégorie d'établissements ». Les catégories relèvent de la classification posée par l'article L. 162-22-6 CSS et reposent sur le seul statut juridique des établissements. Aussi, sont des catégories : les établissements publics de santé ; les établissements de santé privés à but non lucratif admis à participer à l'exécution du service public hospitalier ; les établissements de santé privés à but non lucratif ayant opté pour la dotation globale de financement ; les établissements de santé privés ayant conclu un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens avec l'agence régionale de santé et les autres établissements de santé privés.

Toutefois, la différence de traitement fixée par le législateur doit être en rapport direct avec l'objectif ou la finalité poursuivie (e) par la loi, à savoir de concourir exclusivement « au respect de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) » comme le prévoit l'article L.162-22-9-1 du code de la sécurité sociale.

Or, selon les requérants tel n'est pas le cas en l'espèce. En effet, l'évolution des dépenses d'assurance maladie dépend à la marge de la structure juridique des établissements de santé contrairement à d'autres critères plus pertinents telle nombre d'actes médicaux accomplis par une structure ; actes dont le coût est, au surplus, variable selon l'activité de soins soumise à autorisation en application de l'article L. 6122-1 du Code de la santé publique.

En se fondant exclusivement sur la situation juridique des établissements de santé, la loi institue donc une différence de traitement injustifiée. Aussi, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel (10), le principe d'égalité est, dans ces conditions, clairement méconnu.

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel s'assure que le législateur n'aille pas en deçà de ses attributions en s'en remettant, de façon irrégulière, au pouvoir réglementaire Il. En l'espèce, aux termes de l'article 34 de la Constitution, la loi doit déterminer les principes fondamentaux du droit de la sécurité sociale,

L'article L. 162-22-9-1 du Code de sécurité sociale ainsi rédigé, dispose que la valeur du coefficient minorateur « peut être différenciée par catégorie d'établissements ». Or, dans cette hypothèse, la loi n'épuise pas sa compétence.

S'il ne revient pas au législateur de fixer lui-même la valeur de ce coefficient qui relève des attributions du pouvoir réglementaire, il lui appartient cependant d'encadrer suffisamment les modalités de variabilité dudit coefficient.

Selon les requérants, tel n'est pas le cas en l'espèce, puisque ne sont pas déterminées les limites à l'intérieur desquelles un décret en Conseil d'État est habilité à faire varier cette valeur de coefficient selon les catégories d'établissements (12).

Le législateur n'a donc pas défini de manière suffisamment claire et précise la possibilité accordée au gouvernement de différencier la valeur du coefficient minorateur selon la catégorie d'établissements de santé. Une incompétence négative est donc constituée.

Le raisonnement est identique à propos du renvoi par la loi à un décret en Conseil d'État pour fixer les modalités de calcul selon lesquelles l'État pourra verser aux établissements de santé « tout ou partie » du montant correspondant à la différence entre les montants issus de la valorisation de l'activité des établissements par les tarifs et ceux issus de la valorisation de cette même activité par les tarifs minorés du coefficient. Il appartenait au législateur d'encadrer a minima ce régime de modulation.

Or, en ne fixant aucun critères ni limites, le législateur est resté, selon les requérants, une nouvelle fois, en deçà de ses attributions.

D. S'agissant de l'article 72 de la loi :

Cet article vise à améliorer l'indemnisation, par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM), des personnes qui ont été atteintes d'hépatites à la suite de transfusions sanguines.

Les requérants ne peuvent que souscrire à l'intention, qui est de mieux indemniser, au nom de la solidarité nationale, les victimes d'affections souvent dramatiques.
Toutefois, cette mesure aurait pour conséquences :
- d'étendre aux contaminations de l'hépatite B et du virus T lymphotropique humain le champ d'indemnisation par l'ONIAM, au-delà de la seule hépatite C prévue à l'origine ;
- de substituer l'ONIAM à l'EFS (Établissement français du sang) pour les droits et obligations résultant des contrats de ce dernier, y compris ceux pour lesquels lui-même avait été substitué aux anciens Centres de transfusion sanguine (CTS), dont les contrats conclus avec les assureurs ;
- de modifier le régime de responsabilité en substituant une responsabilité sans faute à la responsabilité pour faute jusqu'ici applicable.

Cet article porte atteinte aux principes constitutionnels suivants :

1. Principe de la liberté contractuelle et du respect des conventions légalement conclues : La substitution de la qualité d'assuré pouvant se prévaloir des contrats d'assurance conclus entre les assureurs et l'EFS (anciennement CTS) constitue une atteinte substantielle à la liberté contractuelle reconnue par les articles 4 et 16 Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789. Ces contrats continuent de produire des effets longtemps après leur date d'expiration (tous les contrats d'assurance souscrits par les CTS avaient été résiliés au plus tard le 31 décembre 1989).

Les atteintes à l'économie des contrats légalement conclus sont strictement encadrées par la nécessité d'un intérêt général suffisant, et/ou d'une exigence constitutionnelle (13). Si l'atteinte apparaît disproportionnée, le Conseil constitutionnel peut censurer la disposition (14).

En l'espèce, il convient de remarquer
- l'absence d'un intérêt général en rapport avec l'objet de la disposition contestée ; en effet, l'intérêt général poursuivi par cet article doit s'interpréter, selon les requérants, comme celui de l'intérêt des victimes (15), or les victimes seront en tout état de cause indemnisées par l'ONIAM ;
- la disproportion de l'atteinte portée aux principes précités par rapport à l'objectif poursuivi et le bouleversement de l'économie de contrats légalement conclus : extension rétroactive de la garantie prévue dans les contrats d'assurance (prise en charge de la solidarité nationale par les assureurs, substitution d'un régime de responsabilité sans faute à un régime de responsabilité pour faute) ;
- l'absence d'indemnisation prévue par la loi pour les assureurs concernés en contrepartie de ces réformes.

2. Principe de la non-rétroactivité des lois : Les conditions limitatives fixées au législateur pour l' édiction de dispositions rétroactives reposent sur l'article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, en application desquelles le Conseil constitutionnel retient que le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit sous réserve de respecter quatre conditions cumulatives : Le respect des décisions de justice ayant force de chose jugée, et partant, l'interdiction de remettre en cause les situations juridiquement acquises ; La caractérisation d'un motif d'intérêt général suffisant ; La définition stricte de la portée de la rétroactivité ; Le principe de la non rétroactivité des peines et des sanctions.

L'article contesté a une portée rétroactive, en ce qu'il permet à l'ONIAM de bénéficier de contrats souscrits dans les années 1980, pour des indemnisations versées aux victimes antérieurement à l'entrée en vigueur de l'amendement (c'est-à-dire à compter du 1er juin 2010) pour lesquelles un recours contre l'assureur de l'EFS était limité aux seuls cas de faute prouvée. Dès lors, cet article modifie les conditions d'engagement de la garantie des assureurs en substituant rétroactivement l'ONIAM à l'EFS et en modifiant le régime de responsabilité (la responsabilité pour faute disparaissant au profit de la responsabilité sans faute) dans l'intérêt exclusif de l'ONIAM.

En outre, le législateur intervient dans les instances en cours (16) s'agissant des litiges dans lesquels est engagée la responsabilité de l'EFS (et partant celle de ses assureurs), auquel est substitué l'ONIAM.

3. Principe d'égalité devant la loi et les charges publiques : se fondant sur les articles 6 et 13 de la Déclaration des Droits de l 'Homme et du Citoyen, le Conseil constitutionnel rappelle que « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu, dans l'un et l'autre cas, que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit » (17),

Selon les requérants, cet article crée une inégalité de traitement entre les assureurs dont la garantie est engagée à raison de contamination transfusionnelles VHC, VHB, virus T lymphotropique humain (relevant de la solidarité nationale) et les assureurs couvrant un autre risque médical (notamment contamination VIH, mais également les contaminations qui ne sont pas post-transfusionnelles, telles celles par voie chirurgicale ou endoscopique) susceptible d'engager la responsabilité des établissements de santé, auquel seront appliqués les principes du droit commun de la responsabilité.

En outre, cet article supprime le régime de responsabilité pour faute en matière d'indemnisation des contaminations VHC, VHB et virus T lymphotropique humain, ouvrant ainsi la voie à un régime de responsabilité sans faute, alors que le régime de responsabilité pour faute demeure en matière de contamination VIH.

Il n'existe donc, en l'espèce, aucune différence de situation justifiée au regard de l'objet de la loi, ni aucun intérêt général justifiant une dérogation au principe d'égalité au regard de l'objet de la loi.

E. Par ailleurs, ils estiment que plusieurs articles méconnaissent le domaine de la loi de financement de la sécurité sociale et constituent en fait des « cavaliers ».

Dans cette perspective, l'article 55 relatif à la publicité pour les produits de santé, l'article 56 relatif au prix de vente de certains allergènes, l'article 57 relatif à l'élargissement de la recommandation temporaire d'utilisation, et l'article 58 relatif à l'encadrement de la visite médicale à l'hôpital sont étrangers au domaine des lois de financement de la sécurité sociale, puisqu'ils modifient la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé et doivent donc être censurés comme tel.

***

1 Rapport n° 107, du 7 novembre 2012, tome VII, p. 55.
2 Décision 84-1 84 DC du 29 décembre 1984, considérant n° 17.
3 Décision 201 1-175 QPC du 7 octobre 2011, considérant n° 5.
4 On sait que les moins-values enregistrées par les particuliers lors de la cession d'actifs mobiliers peuvent être imputées pendant dix ans sur d'éventuelles plus-values.
5 Par exemple, décisions 99-424 DC du 29 décembre 1999, considérant n° 49 ; 2000-437 DC du 19 décembre 2000, considérant n° 9 ; 2003-484 DC du 20 novembre 2003, considérant n° 12.
6 Rapport 2007 sur la sécurité sociale, p. 389.
7 Décision 85-198 DC du 13 décembre 1985, considérant n° 9.
8 Décision DC du 16 juillet 1971.
9 Décision n°87-232 DC, 7 janvier 1988, Mutualisation du crédit agricole, Rec. 17
10 C.C., n° 2004-496 DC, 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l'économie numérique, Rec. 101 et n° 2011 - 181 QCP, 13 octobre 2011, M. Alain C., Rec. 502
11 C.C., n°75-56 OC, 23 juillet 1975, Juge unique, Rec. 22
12 Décision C.C., n° 2004-442 DC, 28 décembre 2000, Loi de finances pour 2001, Rec. 211
13 Décision 2011-177 QPC : « Considérant, en second lieu, que le législateur /le saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les expériences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 »
14 Décision 2012-242 QPC : « Considérant qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre et la Iiberté contractuelle, qui découlent de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi » ;
Décision 2011-141 QPC : « Considérant qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu'en particulier, il méconnaîtrait la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789 s'il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par motif d'intérêt général suffisant ; que, de même, il ne respecterait pas les exigences résultant des articles 4 et 16 de la même Déclaration s'il portait aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un tel motif » ;
Décision 99-416 De : « Considérant [ ... ] qu'en outre, s'il est loisible au législateur d'apporter, pour des motifs d'intérêt général, des modifications à des contrats en cours d'exécution, il ne saurait porter à l'économie des contrats légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ».
15 Ministre de la Santé, débats liés à l'instauration d'un fonds d'indemnisation ONIAM : « en matière d'indemnisation, l'intérêt général, c'est l'intérêts des victimes »
16 « Les dispositions du II s'appliquent aux actions juridictionnelles en cours à la date du 1er juin 2010, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée. » (Amendement n° 793 PLFSS 2013)
17 Décision n° 2001-456 DC