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Décision n° 2012-655 DC du 24 octobre 2012 - Saisine par 60 sénateurs

Loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social
Non conformité totale

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les Conseillers,

Les Sénateurs soussignés ont l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social, aux fins de déclarer sa procédure d'adoption contraire à la Constitution.

La révision de la Constitution de la Vème République, adoptée par le Congrès du Parlement le 21 juillet 2008, s'articulait, selon l'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle, autour de trois orientations majeures : « un pouvoir exécutif mieux contrôlé, un Parlement profondément renforcé et des droits nouveaux pour les citoyens ».

Le Constituant a ainsi, conformément à cet objectif, adopté une série de dispositions visant à renforcer les pouvoirs de la représentation nationale, parmi lesquels figurent :

- Le principe selon lequel la discussion en séance publique des projets ou propositions de loi porterait désormais, sauf exception, sur le texte adopté par la commission saisie au fond (article 42).

- L'affectation à la procédure législative d'un certain nombre de délais pour permettre au Parlement de préparer ses travaux et délibérer dans un temps raisonnable (article 42).

- La consécration, dès le stade des travaux de commission, du droit d'amendement appartenant à chaque parlementaire (article 44).

- L'édiction de règles relatives à la présentation des projets de loi, et la possibilité pour la Conférence des Présidents de constater éventuellement le non-respect de ces règles, notamment en ce qui concerne le contenu de l'étude d'impact accompagnant chaque projet de loi (article 39).

- La possibilité donnée aux Conférences des Présidents de s'opposer à l'engagement de la procédure accélérée par le Gouvernement (article 45).

- Le partage équilibré de la maîtrise de l'ordre du jour entre le Gouvernement et le Parlement (article 48).

- La reconnaissance de l'existence des groupes parlementaires et la nécessité que le règlement des assemblées définisse des droits spécifiques pour les groupes minoritaires ou d'opposition (article 51-l).

Les signataires du présent recours considèrent que les conditions de l'adoption de la loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social sont contraires à plusieurs exigences à valeur constitutionnelle et aux dispositions constitutionnelles citées ci-dessus.

Sur le respect de l'exigence constitutionnelle de clarté et de sincérité des débats parlementaires

Le Conseil constitutionnel a, dans plusieurs de ses décisions, indiqué que le fondement de ces exigences résidait dans les termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi est l'expression de la volonté générale » et dans ceux du premier alinéa de l'article 3 de la Constitution : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants ».

Les auteurs du recours considèrent que les conditions de l'examen de la loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social n'ont pas satisfait aux exigences de clarté et de sincérité des débats parlementaires. Les conditions d'organisation de la procédure parlementaire pour l'examen de ce projet de loi, et le calendrier établi, n'ont pas permis au Parlement de délibérer dans des conditions satisfaisantes et ont conduit à la méconnaissance de ces exigences.

Les Sénateurs requérants rappellent que l'article 51-1 de la Constitution reconnaît l'existence des groupes parlementaires, impose que leur soient conférés des droits, et que des droits spécifiques soient reconnus aux groupes minoritaires ou d'opposition.

Les articles 39 et 45 de la Constitution consacrent l'existence de la Conférence des Présidents de chaque assemblée en lui attribuant un certain nombre de prérogatives.

La lecture combinée de ces trois articles, éclairée par l'article 29 du règlement du Sénat - et en particulier son alinéa 7 qui prévoit d'attribuer à chaque groupe politique un nombre de voix équivalent aux sièges qu'il détient dans l'assemblée - implique que les délibérations de cette instance respectent les droits des groupes parlementaires, et tout particulièrement ceux de l'opposition ou minoritaires. Le déroulement des travaux de la Conférence et ses décisions doivent également respecter les prescriptions constitutionnelles relatives à la procédure législative et ses décisions doivent assurer le respect de l'exigence constitutionnelle de clarté et sincérité des débats.

En premier lieu, la Conférence des Présidents du Sénat, qui s'est réunie le 5 septembre 2012 à 15h15, et qui a pris acte de l'inscription de la loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social, s'est déroulée dans des conditions qui n'ont pas satisfait à la nécessaire information de ses membres.

Le décret du Président de la République, convoquant une session extraordinaire à partir du 1l septembre 2012, est paru au Journal officiel le matin même de la Conférence des Présidents. Celui-ci ne mentionnait d'ailleurs pas le projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer pourtant inscrit à l'ordre du jour du Sénat, au cours de la même Conférence des Présidents, à partir du mercredi 26 septembre. Il a fallu attendre la publication d'un décret rectificatif le lendemain, le 6 septembre 2012, pour conforter rétroactivement l'ordre du jour arrêté la veille.

Concernant précisément la loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social, il avait été délibéré en Conseil des ministres le matin même et aucun Sénateur n'en avait eu officiellement transmission (qu'il s'agisse du projet de loi ou de son étude d'impact) au moment de la Conférence des Présidents. Le texte et les documents y afférant n'ont en effet été officiellement déposés qu'à 16 heures passées.

En outre, la procédure accélérée prévue à l'article 45 de la Constitution, qui s'avérait indispensable puisque le Gouvernement avait décidé d'inscrire ce projet de loi dans des délais largement inférieurs à ceux prévus à l'alinéa 3 de l'article 42 de la Constitution, n'était toujours pas engagée lors de la Conférence des Présidents. Elle ne le fut qu'à près de 19 heures le même jour.

Pour toutes les raisons évoquées, les requérants estiment que la Conférence des Présidents du 5 septembre 2012 n'a pas pu délibérer utilement et dans des conditions satisfaisantes, notamment du fait de l'absence d'information de ses membres. La procédure d'examen de la loi déférée a donc, de ce seul fait, été altérée en violation des principes et exigences sus-cités.

En second lieu, les conditions d'examen du projet de loi n'ont pas plus satisfait aux exigences de clarté et de sincérité des débats parlementaires.

Le Gouvernement a imposé au Sénat un examen de ce projet de loi en séance publique seulement six jours après son dépôt, ce qui, même si rien ne le lui interdit, constitue une pratique irrespectueuse des droits du Parlement et de ses membres.

La commission saisie au fond n'a nommé un rapporteur sur ce texte que lors de l'unique réunion qu'elle a tenue sur l'examen du projet déféré et qui a eu lieu quelques heures avant l'ouverture de la séance publique le mardi Il septembre. Le rapporteur n'a rendu son rapport que très tardivement puisqu'il a été transmis aux groupes politiques le jour même à 13h50, soit une heure avant la séance publique.

En 2008, le constituant a souhaité assortir la procédure législative de garanties nouvelles pour renforcer les pouvoirs du Parlement mais aussi tendre vers une amélioration de la qualité de la loi et de son travail préparatoire.

C'est tout le sens des délais nouveaux fixés par l'article 42 de la Constitution, qui interdisent, pour les lois ordinaires, sauf engagement de la procédure accélérée, l'examen d'un texte en séance moins de six semaines après son dépôt dans la première chambre saisie.

C'est également le sens de l'article 28 ter du règlement du Sénat, qui prévoit, en principe, que deux semaines séparent la réunion de la commission du passage en séance publique.

Si chacun de ces délais peut être l'objet de dérogations (1), il n'en demeure pas moins qu'ils mettent en évidence la volonté du Constituant et du législateur qu'un temps minimal soit accordé au Parlement pour lui permettre de délibérer de façon éclairée et respectueuse de ses droits.

Le Conseil constitutionnel (Décision n° 2009-581 DC du 25 juin 2009) a considéré qu'à l'Assemblée nationale, lorsqu'une durée maximale est décidée pour l'examen de l'ensemble d'un texte, cette durée ne saurait être fixée de telle manière qu'elle prive d'effet les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire. De la même manière, un délai minimal raisonnable, apprécié en tenant compte de l'importance quantitative ou qualitative d'un texte, visant à permettre au Parlement de préparer ses travaux et délibérer de façon satisfaisante, contribue au respect de ces exigences.

Cela est d'autant plus vrai que la loi déférée intervient au début d'une mandature et qu'aucune échéance extérieure n'impose l'organisation d'un calendrier parlementaire aussi contraignant pour le législateur.

C'est, aux yeux des Sénateurs requérants, de l'injustifiable précipitation dans laquelle s'est organisée la discussion et s'est déroulé l'examen de cette loi que découle la violation de l'exigence constitutionnelle de clarté et de sincérité des débats (2). . Les conditions de l'inscription à l'ordre du jour et la procédure d'adoption de la loi ont eu manifestement pour effet d'altérer la clarté et la sincérité du débat.

Pour toutes ces raisons, ils estiment que la loi déférée a été adoptée aux termes d'une procédure législative contraire aux exigences constitutionnelles de clarté et sincérité des débats.

Sur le respect de l'article 42 de la Constitution

Il apparaît aux requérants que la procédure suivie pour l'examen de ce texte par le Sénat est contraire à l'article 42 de la Constitution. Ils ont d'ailleurs déjà eu l'occasion de le faire valoir et de réclamer l'utilisation d'une autre procédure lors de la réunion de la Conférence des Présidents du 5 septembre dernier, mais également lors de plusieurs rappels au règlement et lors de la présentation en séance publique le Il septembre des trois motions de procédure déposées sous les numéros 53, 2 rectifié et 1.

La modification de l'article 42 de la Constitution résulte de la proposition n°37 formulée par le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République en octobre 2007.

L'article 42 de la Constitution tel qu'issu de la révision constitutionnelle de 2008 constitue l'un des éléments majeurs de la revalorisation du Parlement alors voulue par le Gouvernement, qui l'expliquait sans ambiguïté dans l'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle : « la nouvelle rédaction des deux premiers alinéas de l'article 42 de la Constitution est un élément majeur dans l'entreprise de renforcement du Parlement. Réserve faite des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale, ainsi que des projets de révision de la Constitution, le texte discuté en séance plénière ne sera plus le projet du Gouvernement, mais le texte issu des travaux de la commission qui en a été saisie. Cette revalorisation essentielle du rôle des commissions bouleversera les méthodes de travail et les équilibres actuels dans l'élaboration de la loi. Elle est le gage, pour le travail parlementaire, d'une efficacité et d'un intérêt accrus »

Le Constituant a marqué son intention de placer ce nouveau dispositif au cœur de la révision qu'il a adoptée en juillet 2008 tant dans ses travaux préparatoires qu'en séance publique.

« Le choix proposé dans le présent article est le choix de la raison, une raison qui prend en compte les nécessités de notre temps et, en particulier, le rééquilibrage des institutions en faveur du Parlement » écrivait ainsi le député Jean-Luc Warsmann, rapporteur du texte à l'Assemblée nationale dans son rapport n°892 sur le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République.

« Pour un parlementaire, l'article que nous allons examiner est sans doute l'un des plus intéressants et des plus importants de ce texte (. . .). D'une certaine manière, l'article 16 du projet de loi constitutionnelle redistribue le pouvoir au bénéfice du législatif », selon le Député René Dosière, le mercredi 28 mai 2008, en séance publique à l'Assemblée nationale. « Il s'agit ici de l'une des dispositions les plus importantes de ce projet de loi, qui constituera une avancée essentielle pour le déroulement de nos travaux », ajoutait dans le même sens le Député Jérôme Chartier le même jour. Le 17 juin 2008, en séance publique, selon le Sénateur Jean-Jacques Hyest, rapporteur du projet de loi constitutionnelle au Sénat, « l'examen en première lecture du texte des commissions est, sans doute, l'un des éléments de nature à bouleverser le plus profondément la « routine » parlementaire. Il ne sera probablement pas sans effet sur les relations entre l'exécutif et le législatif : nous devons en prendre conscience ». « Je n'ignore pas les progrès que pourrai[t] constituer le vote sur le texte issu des commissions », affirmait le Sénateur Jean-Claude Peyronnet, en séance publique le même jour. « La rupture qui sera, pour nous, la plus sensible tient au fait qu'il nous est proposé de débattre désormais en séance publique du texte issu des travaux de la commission saisie au fond », ajoutait pour sa part en discussion générale le Sénateur Nicolas About. Selon le Président Robert Badinter : « la discussion des textes tels que les auront adoptés les commissions, elles-mêmes plus nombreuses ; la maîtrise partielle de l'ordre du jour partagée entre la majorité et l'opposition, (. . .) ; un droit d'amendement plus libre ; tous ces éléments sont des avancées, de petites avancées, mais des avancées réelles ». Les débats ont été marqués par un large consensus, sur tous les bancs, pour qualifier l'importance d'une telle modification.

Les travaux parlementaires de la loi constitutionnelle de juillet 2008 démontrent ainsi que le principe de la présentation en séance publique du texte adopté par la commission, ne consiste pas seulement, pour le Constituant en 2008, à la simple mise en place d'une nouvelle règle de procédure, mais constitue un élément fondamental du nouvel équilibre qu'il a voulu consacrer entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif.

Ainsi, depuis l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle de 2008, l'alinéa 1er de l'article 42 de la Constitution consacre le principe de l'examen en séance publique du texte adopté par la commission saisie au fond. Ce principe est assorti d'un certain nombre d'exceptions.

Ces exceptions sont, d'une part, définies à l'alinéa 2 et découlent de la nature même du texte examiné : « la discussion en séance des projets de révision constitutionnelle, des projets de loi de finances et des projets de loi de financement de la sécurité sociale porte, en première lecture devant la première assemblée saisie, sur le texte présenté par le Gouvernement ».

Elles sont, d'autre part, évoquées, en creux, dès l'alinéa 1 er du même article : « la discussion porte (. . .), à défaut, sur le texte dont l'assemblée a été saisie ».

En prévoyant cette seconde possibilité, le Constituant a entendu prévenir d'éventuels blocages dans le déroulement de la procédure législative des textes soumis au Parlement. On peut recenser, par hypothèse, deux types de blocage.

1) Il peut s'agir, en premier lieu, de l'hypothèse où une commission déciderait volontairement de ne pas délibérer sur un texte pour en bloquer la navette. Une telle configuration pourrait être imaginée dans le cas d'une différence de majorité entre les deux assemblées.

2) Il peut également s'agir, en second lieu, d'un cas où le texte élaboré par le rapporteur de la commission saisie au fond aurait été rejeté par une majorité des membres de celle-ci. Cette hypothèse a d'ailleurs trouvé à s'illustrer lors de l'examen de la loi relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge par la commission des affaires sociales du Sénat le 3 mai 20 Il. Le texte élaboré par le rapporteur de ladite commission ayant été rejeté par une majorité des membres la composant, le Sénat s'est prononcé, au cours des séances publiques des 10, 11 et 13 mai 2011 sur le texte que lui avait transmis l'Assemblée nationale le 22 mars de la même année. De la même manière, le 19 octobre 2011, lors de l'examen de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, relative au patrimoine monumental de l'État, une majorité des membres de la commission de la Culture du Sénat a rejeté les propositions d'amendements faites par le rapporteur ainsi que l'ensemble du texte. C'est donc sur le texte transmis par l'Assemblée nationale que le Sénat s'est prononcé lors de la séance publique du 3 novembre 2011 réservée à l'ordre du jour proposé par le groupe sénatorial minoritaire de l'Union centriste et républicaine.

L'expression « à défaut » permet, dans l'une et l'autre des hypothèses évoquées, de garantir la poursuite de la discussion d'un texte dont le Gouvernement demande l'inscription à l'ordre du jour et de préserver ainsi les priorités qui sont les siennes, en application de l'article 48, alinéa 2, de la Constitution ou de l'alinéa 1 er de l'article 29 du même texte. De la même manière, elle garantit la discussion d'un texte qui se trouverait inscrit à l'ordre du jour d'une assemblée conformément à l'alinéa 1er de l'article 48 de la Constitution ou à la demande d'un groupe parlementaire d'opposition ou minoritaire en application de l'alinéa 5 du même article.

Les auteurs du présent recours tiennent à souligner que l'interprétation restrictive des exceptions prévues à l'alinéa 1 er de l'article 42 de la Constitution ressort clairement de la volonté du Constituant, comme le démontre l'analyse faite par le rapporteur au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale, sur le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République :

« Ce principe souffrira quelques exceptions qui impliquent une discussion en séance publique, soit du texte du Gouvernement en première lecture devant l'assemblée saisie, soit du texte transmis par une assemblée à l'autre dans les étapes ultérieures de la procédure.

Ces exceptions sont de deux ordres :

- il peut s'agir d'exceptions circonstancielles, lorsque la commission n'aura pas réussi à conclure ou bien lorsqu'elle aura rejeté le texte déposé ou transmis ; c'est tout le sens de l'expression « à défaut » utilisée dans l'alinéa 2 du présent article ;

- des exceptions constitutionnelles pour les projets de révision constitutionnelle, d'une part, les projets de loi de finances et les projets de loi de .financement de la sécurité sociale, d'autre part, compte tenu du caractère particulier de ces projets, dont l'examen est encadré, par ailleurs, par les articles 47 et 47-1 de la Constitution.»

Les exceptions au principe édicté par l'article 42 de la Constitution sont donc parfaitement circonscrites. La première exception impose donc que la commission se soit trouvée dans une situation où elle n'aurait pas « réussi » à conclure, ce qui suppose qu'elle ait, à tout le moins, essayé d'y parvenir.

Il n'apparaît pas que le Constituant, en consacrant le principe de la discussion en séance publique du texte adopté par la commission saisie au fond, ait entendu offrir une quelconque alternative dans l'organisation du travail législatif, permettant d'opter pour l'une ou l'autre des procédures.

Les Sénateurs signataires du recours relèvent d'ailleurs que les articles 28 ter et quater du Règlement du Sénat, mettant en œuvre l'article 42 de la Constitution, ne font pas davantage référence à la possibilité pour la commission saisie au fond de choisir entre l'une des deux options.

Autoriser cette pratique au gré des circonstances consacrerait, pour le pouvoir législatif, un net recul de ses prérogatives par rapport à la volonté du Constituant en 2008. Si d'ailleurs, le principe édicté par l'alinéa 1er de l'article 42 de la Constitution n'était pas réellement contraignant, rien n'empêcherait à l'avenir, un Gouvernement et la majorité parlementaire qui le soutient, de décider de faire systématiquement usage de la procédure prévue en cas de « défaillance » de la commission et d'ériger ainsi, dans la pratique, l'exception en principe.

Le Constituant a donc bien souhaité, par l'alinéa 1er de l'article 42 de la Constitution, consacrer un droit nouveau en faveur du Parlement, comme cela ressort de ses travaux. Il ne saurait donc être contourné pour des motifs autres que ceux précisément définis sans méconnaître les droits du Parlement.

Concernant l'examen par le Sénat de la loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social, il apparaît que la procédure suivie ne s'inscrit dans le cadre d'aucune des exceptions auxquelles fait référence l'article 42 de la Constitution.

La Conférence des Présidents, qui s'est réunie le 5 septembre et dont les conclusions ont été soumises au Sénat le Il septembre, a expressément acté une procédure contraire à la Constitution en prévoyant que l'assemblée se prononcerait directement sur le texte déposé par le Gouvernement. Il ressort d'ailleurs clairement des conclusions de cette Conférence (dont une copie est jointe au recours), que celle-ci n'a prévu ni réunion de commission visant à élaborer un texte, ni délai limite pour le dépôt des amendements préalables à cette réunion de commission. Elle s'est contentée de préciser le délai limite pour le dépôt des amendements extérieurs qui seraient discutés en séance publique. Il a donc été volontairement décidé de ne pas faire application du principe de l'alinéa 1er de l'article 42 de la Constitution.

La commission n'a jugé utile, à aucun moment, de justifier s'être trouvée dans un cas empêchant son rapporteur de proposer à ses collègues d'adopter un texte. En outre, aucune circonstance dirimante n'empêchait la commission des Affaires économiques du Sénat, qui est maîtresse de l'organisation de ses travaux, de se réunir en temps voulu dans le but d'élaborer un texte.

Ainsi, pour quelle raison la Commission n'a-t-elle pas décidé de se réunir par exemple le lundi 10 septembre pour élaborer un texte ?

Pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas retardé au mardi 11 septembre au soir l'examen de ce projet de loi, qui, achevé en séance le jeudi 13 à 13h15, n'a même pas nécessité l'ouverture du jeudi 13 à partir de 16 heures et le soir ?

Pourquoi le rapporteur, pour tenter de justifier son choix, n'a-t-il pas pris la peine d'exposer au Bureau de la Commission, au cours d'une réunion préalable, qu'il ne lui serait pas permis de faire des propositions pour l'élaboration d'un texte ?

Jamais, au cours de l'examen du texte au Sénat, aucun élément n'est venu apporter des justifications valables à ces questions fondamentales.

Même si les Sénateurs requérants déplorent le calendrier imposé au Sénat sur ce texte, ils considèrent que le seul fondement du temps séparant le dépôt du texte de l'examen en séance publique ne saurait justifier le recours à une telle procédure (3), même si en tout état de cause, la commission n'a jamais justifié d'une impossibilité matérielle, même de ce type, lui interdisant d'élaborer un texte. La contrainte du temps ne pourrait d'ailleurs avoir pour effet de forcer le Sénat à supprimer l'une des deux étapes essentielles du vote de la loi que constitue l'élaboration d'un texte par la Commission. L'urgence liée au calendrier ne facilite certes pas l'examen et l'élaboration du texte au stade de la commission, mais elle ne l'interdit pas pour autant. Qui plus est, aucune disposition n'interdisait la commission d'adopter sans modification, après en avoir délibéré, le texte déposé par le Gouvernement.

Le rapporteur du projet de loi fait l'aveu du choix délibéré de cette procédure contestée par les Sénateurs requérants. Ainsi, dans son rapport n° 757, il ne fait nullement mention d'une impossibilité pour la commission de délibérer selon la procédure de principe prévue à l'alinéa 1 el" de l'article 42 de la Constitution. La commission a donc décidé de ne pas délibérer selon les nouvelles prescriptions de cet article et n'a pas jugé utile de le justifier valablement.

Force est d'ailleurs de constater que le mardi Il septembre au matin en réunion de commission, le rapporteur, était en mesure d'étudier chacun des articles du projet de loi initial, d'émettre un avis sur chacun d'entre eux, d'inviter la commission à émettre un avis favorable sur l'ensemble du texte moyennant l'adoption en séance publique de 14 amendements qu'il avait pris le temps et le soin de préparer, comme le montre son rapport.

Enfin, le président de la commission des Affaires économiques n'a pas davantage contesté en séance publique le mardi Il septembre 2012 cette volonté délibérée de ne pas adopter de texte de commission : « en l'espèce, la commission n'a pas élaboré de texte et c'est le projet de loi initial qui a été soumis au Sénat, assorti d'amendements émanant du rapporteur. Il n'y a pas eu de texte de la commission à proprement parler. C'est cette procédure que nous avons adoptée. »

Cette position a été confirmée par le rapporteur du projet de loi le même jour en réponse aux motions de procédure : « comme l'indiquait, avant même le début de la discussion générale, le président de la commission des affaires économiques, Daniel Raoul, l'article 42 de la Constitution dispose que »la discussion des projets et des propositions de loi porte, en séance, sur le texte adopté par la commission (. . .) ou, à défaut, sur le texte dont l'assemblée a été saisie. « La commission n'était donc en rien obligée d'élaborer un texte. »

Il convient d'ajouter que la procédure accélérée permet la réunion d'une commission mixte paritaire au bout d'une seule lecture par chambre. La commission sénatoriale saisie au fond n'a donc jamais, au cours de la navette, eu l'occasion de se prononcer selon les règles posées par l'alinéa 1 er de l'article 42 de la Constitution4

Ainsi, la procédure prévue par l'article 42 de la Constitution constitue un élément fondamental de l'équilibre des pouvoirs entre le Parlement et le Gouvernement, et ne permet pas au législateur de déroger au principe édicté par lui en dehors des exceptions prévues. Rien n'autorise la commission saisie au fond à renoncer à l'exercice de ses propres prérogatives constitutionnelles.

Le fait d'avoir contourné délibérément le principe édicté par l'article 42 de la Constitution constitue une violation caractérisée de cette disposition constitutionnelle. Ainsi, la loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social a été adoptée aux termes d'une procédure contraire à la Constitution.

Sur le respect de l'article 44 de la constitution

Le nouvel équilibre institué par l'article 42 de la Constitution a eu pour conséquence la reconnaissance du droit d'amendement à chaque parlementaire dès le stade de la commission. Ainsi le premier alinéa de l'article 44 de la Constitution modifié en 2008 dispose que : « Les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d'amendement. Ce droit s'exerce en séance ou en commission selon les conditions fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique ».

Les requérants estiment que le droit d'amendement reconnu à chaque parlementaire en commission n'a pas été respecté lors de l'examen de la loi déférée, puisqu'il a été décidé, en violation de l'article 42 de la Constitution, de supprimer purement et simplement l'étape de la procédure législative que constitue l'élaboration du texte par la commission saisie au fond.

Il convient de souligner que le Constituant n'a pas entendu, à travers l'article 44 de la Constitution, attribuer un droit d'amendement qui serait « incomplet » en commission mais « complet » en séance. Dès lors qu'il a voulu donner aux parlementaires un droit d'amendement en commission comme en séance publique, ces droits doivent bénéficier de la même protection.

Les requérants se fondent sur la décision du Conseil Constitutionnel n° 2009-579 DC du 09 avril 2009 qui a clarifié la question de la présence des membres du Gouvernement lors des travaux des commissions consacrés à l'examen, en application de l'article 42 de la Constitution, des projets et propositions de loi ainsi que des amendements dont ceux-ci font l'objet. S'il a relevé que le Gouvernement pouvait, dès le stade de la commission, comme il le peut en séance publique, s'opposer à la recevabilité des propositions et amendements contraires aux articles 40, 41 ou 38 de la Constitution (5), c'est bien qu'il a voulu soumettre le droit d'amendement tel qu'il est exercé en commission aux mêmes règles que celles qui s'appliquent pour les amendements déposés en vue de la séance publique.

Il ne saurait y avoir, ainsi, de distinction entre le droit d'amendement accordé aux parlementaires en commission et celui qu'ils détiennent en séance publique.

En outre, ce droit compris dans sa plénitude ne consiste pas en la seule possibilité de déposer des amendements, mais implique également que ceux-ci puissent être défendus, débattus et éventuellement mis aux voix, en commission, en vue de l'élaboration du texte de celle-ci, comme en séance publique.

Les membres du Sénat, lors de l'examen de la loi déférée, n'ont jamais eu la possibilité d'exercer ce droit au stade de la commission. Ils ont vu ainsi le plus fondamental des droits qui leur sont reconnus purement et simplement violé.

De la violation de l'article 42 de la Constitution découle donc directement celle de l'article 44 et justifie l'inconstitutionnalité des modalités d'adoption de la loi déférée.

Sur le respect des articles 39, 45 et 51-1 de la Constitution

- L'article 39 de la Constitution donne, depuis la révision constitutionnelle de 2008, la possibilité à la Conférence des Présidents de s'opposer à l'inscription d'un texte dont l'étude d'impact serait présentée en violation d'un certain nombre de principes édictés par la loi organique.

Les requérants rappellent que cet article accorde un droit nouveau au Parlement, qui s'inscrit dans la volonté du Constituant de renforcer le rôle du pouvoir législatif afin de promouvoir un nouvel équilibre entre les pouvoirs dans notre pays.

La prérogative ainsi reconnue à la Conférence des Présidents, instance désormais expressément reconnue par la Constitution peut, en outre, être parfaitement considérée comme relevant également des droits que la Constitution garantit aux groupes parlementaires, quels qu'ils soient, dans son article 51-1. Les représentants de ces derniers détiennent en effet, à la Conférence des Présidents, un poids égal aux sièges qu'ils comptent au sein de l'assemblée. Les décisions de la Conférence des Présidents des assemblées doivent donc se conformer aux règles et aux droits édictés par la Constitution.

La prérogative prévue à l'article 39 de la Constitution peut être exercée dans les 10 jours suivant le dépôt d'un texte. Si le législateur organique a prévu un tel délai pour son exercice éventuel, délai qui a été admis par le Conseil constitutionnel dans sa décision précitée n° 2009-579 DC du 09 avril 2009, c'est évidemment pour prendre en compte le nécessaire travail qu'implique l'analyse de l'étude d'impact.

Certes, il n'est pas contesté, comme le Conseil constitutionnel l'a admis dans la même décision sur la loi organique du 15 avril 2009, que la mise à la disposition tardive de la première assemblée saisie de tout ou partie d'un document constituant l'étude d'impact d'un projet de loi ne conduisait pas nécessairement à rendre celle-ci contraire à l'article 39 de la Constitution et aux prescriptions des articles 8 et suivants de la loi organique du 15 avril 2009.

Au demeurant, lors de la réunion de la Conférence des Présidents du Sénat, le 5 septembre 2012, les Sénateurs membres de ladite Conférence n'avaient encore été destinataires ni de l'étude d'impact ni du texte même de la loi déférée dont l'inscription a été prévue moins de 6 jours plus tard. Pour cette raison, lors de cette réunion, le Président du groupe UCR a interrogé le Gouvernement et le Président du Sénat sur la manière dont la Conférence des Présidents pouvait ou pourrait exercer la prérogative reconnue par l'article 39 de la Constitution pour la loi déférée. Aucune réponse ne lui a été apportée.

Les requérants admettent que la prérogative reconnue par l'article 39 à la Conférence des Présidents ne doit pas avoir pour effet d'empêcher le Gouvernement d'exercer les siennes dans la fixation de l'ordre du jour. Mais ce droit nouveau suppose à tout le moins que la Conférence des Présidents soit en mesure, à la demande de l'un de ses membres, de se prononcer effectivement et utilement sur le contenu de l'étude d'impact d'un projet de loi inscrit à l'ordre du jour.

Les auteurs du recours estiment que la Conférence des Présidents n'a donc jamais été en situation de délibérer en toute connaissance de cause sur le contenu de l'étude d'impact de la loi déférée. Ses membres n'en avaient pas été destinataires au moment où le Gouvernement a acté l'inscription du texte en séance publique. En outre, devant les plaintes répétées des groupes de l'opposition sur ce point dès la Conférence des Présidents et en séance publique, le Président du Sénat aurait parfaitement pu convoquer une nouvelle conférence pour permettre à celle-ci de délibérer, cette fois, conformément aux règles édictées par la Constitution.

En actant ainsi, sans condition, l'inscription de ce texte à l'ordre du jour du Sénat dès le mardi Il septembre, la Conférence des Présidents a procédé à une décision méconnaissant ses propres prérogatives ainsi que les droits reconnus à ses membres. Elle n'a donc pas pu délibérer de façon régulière sur l'ordre du jour fixé pour la semaine parlementaire en question. Sur ce point, les requérants estiment donc que l'ordre du jour a été fixé en méconnaissance des articles 39 et 51-1 de la Constitution.

- L'article 45 de la Constitution, tel que modifié par le Constituant en 2008, consacre dans son deuxième alinéa, la faculté conjointe des Conférences des Présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat de s'opposer à l'engagement par le Gouvernement de la procédure accélérée sur un projet ou une proposition de loi.

La procédure accélérée a deux conséquences sur la procédure législative : elle permet d'une part de s'exonérer du respect des délais prévus à l'article 42 de la Constitution (six semaines incompressibles entre le dépôt et l'examen d'un texte dans la première assemblée saisie, quatre semaines incompressibles entre la transmission du texte et son examen par la deuxième chambre); elle offre, d'autre part, la faculté au Gouvernement de réunir une commission mixte paritaire sur un texte après seulement une lecture par chambre.

L'engagement de la procédure prévue à l'alinéa 2 de l'article 45 de la Constitution est une prérogative Gouvernementale que personne ne saurait contester. Les Sénateurs auteurs du recours rappellent cependant que cette prérogative est assortie d'un tempérament : les assemblées peuvent désormais s'opposer conjointement à cette procédure. Ce nouveau droit permettant aux assemblées de se prononcer sur l'opportunité de la procédure accélérée est une des manifestations concrètes du nouvel équilibre voulu par le Constituant entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.

L'attribution par la Constitution d'une prérogative suppose que son titulaire soit en mesure de l'exercer. Et pour que la Conférence des Présidents se prononce utilement sur l'engagement de la procédure accélérée, le Gouvernement doit avoir engagé celle-ci. C'est également ce qu'ont fait valoir les représentants des groupes d'opposition, tant au cours de la Conférence des Présidents du 5 septembre qu'en séance publique le Il septembre au cours de divers rappels au règlement et durant la défense des motions de procédure.

C'est tout l'objet des délais indicatifs prévus par l'article 24 bis du Règlement du Sénat. Le Conseil constitutionnel ad' ailleurs admis, selon le raisonnement repris par les Sénateurs requérants, la conformité à la Constitution de l'article 24 bis du Règlement du Sénat : « Considérant ( .. .) que, selon [l'article 24 bis du Règlement du Sénat], lorsque le Gouvernement décide d'engager la procédure accélérée prévue au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution, il en informe le président du Sénat, »en principe, lors du dépôt du projet de loi " ; que ces dispositions permettent au Gouvernement, postérieurement à ce dépôt, de faire part à tout moment de sa décision d'engager une telle procédure, dès lors que les deux Conférences des présidents sont en mesure, avant le début de l'examen du texte en première lecture, d'exercer la prérogative que leur reconnaît l'article 45 de la Constitution ». (6)

En engageant la procédure accélérée sur la loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social à 18h50 le 5 septembre, plusieurs heures après l'issue de la Conférence des Présidents du Sénat, le Gouvernement n'a pas permis à celle-ci d'exercer la prérogative que lui reconnaît l'article 45 de la Constitution. En outre, aucune Conférence des Présidents n'a été convoquée avant le 26 septembre 2012.

Les signataires de la saisine considèrent donc que l'inscription de la loi déférée s'est déroulée selon une procédure contraire à l'article 45 de la Constitution, ce qui justifie son annulation. Enfin, s'il y a eu bien eu un vote lors de la Conférence des Présidents du 5 septembre, celui-ci a porté, selon les termes alors utilisés par le Président du Sénat, sur les « conditions d'inscription du projet de loi » déféré. Il n'a eu ni pour objet ni pour effet de valider la procédure accélérée - qui n'était toujours pas engagée, ou l'étude d'impact - qui n'était toujours pas disponible. Il n'a pas eu non plus pour effet de confirmer la décision d'inscription et le calendrier du projet déféré, puisque la Conférence des Présidents n'est pas compétente pour se prononcer sur ce qui relève d'une prérogative exclusive du Gouvernement en application de l'article 29 de la Constitution. Ce vote, qui a eu lieu à la suite des remarques formulées par Madame la Sénatrice Troendle représentant le Groupe UMP, ne pouvait porter que sur les modalités de l'examen du projet de loi, ce qui confirme, une fois encore, le choix délibéré de renoncer à la prérogative prévue à l'article 42 de la Constitution.

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L'ensemble de ces questions ayant directement trait au fonctionnement régulier du Parlement et au respect des droits que lui reconnaît la Constitution, les Sénateurs auteurs de la présente saisine demandent au Conseil Constitutionnel de faire droit à leur recours et de déclarer inconstitutionnel la loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social, ce qui en permettra un nouvel examen, dans des conditions respectueuses de la Constitution et des droits du Parlement.

(1 ) La dérogation à l'alinéa 3 de l'article 42 de la Constitution trouve sa source dans l'engagement de la procédure accélérée. La dérogation à l'article 28 ter du Règlement du Sénat peut être décidée par la Conférence des Présidents mais également se fonder sur le fait qu'une tel1e règle ne saurait à elle seule contredire les prérogatives en matière de fixation de l'ordre du jour que tient le gouvernement de l'article 29 de la Constitution ou de l'article 48 al. 2 du même texte.

(2 ) Cette préoccupation a d'ailleurs été publiquement relayée le 11 septembre 2012 par le président du groupe RDSE, membre de la majorité sénatoriale, qui s'exprimait ainsi lors de son explication de vote sur l'exception d'irrecevabilité : « Inutile d'insister, ce débat me laisse un sentiment de malaise.( … ) il me semble important de ne pas renouveler trop souvent le recours à ce genre de méthode. ( … ) l'urgence était-elle à quinze jours près ? En sens inverse, était-il impossible de faire voter ce texte au mois de juillet ? ( … ) Oui, il est possible de recourir à la procédure accélérée. Toutefois, je ne doute pas que, si la même méthode avait été utilisée par le gouvernement précédent, moi-même et un certain nombre de mes collègues auraient fait le nécessaire pour que trois motions soient déposées.( … ) Il serait souhaitable de ne pas abuser de ce genre de procédure. Comme cela a été dit, le texte a été présenté au conseil des ministres le 5 septembre, et nous en avons parlé à la conférence des présidents dans l'après-midi. Nous avons reçu l'étude d'impact il y a quatre jours, et le rapport de la commission juste avant le début de la séance. Ce sont des faits, et il n'y a rien d'iconoclaste à les rappeler.( … ) Pour nous, le fond ne doit jamais avoir raison de la forme. Car même si l'on peut toujours trouver une bonne raison d'éluder la forme, l'enjeu n'est autre que le respect des règles de fonctionnement de la démocratie. »

(3) Le seul précédent d'un calendrier aussi contraignant pour un projet de loi ordinaire depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle procédure législative le ]"/" mars 2009 est le projet de loi .fixant le nombre des conseillers territoriaux de chaque département et de chaque région. 11 fut examiné en séance publique le 4 juillet 2011, après un dépôt sur le bureau du Sénat le 29 juin et un examen par la commission le 30 juin. En l'espèce, le Parlement avait déjà délibéré sur ce texte puisque son inscription faisait suite à une annulation du Conseil constitutionnel. En outre, la Commission des lois du Sénat avait élaboré un texte lors de sa réunion du 30juin 2011. Elle avait donc considéré cette étape comme indispensable.

(4) Circonstance aggravante, le choix de ne pas élaborer de texte de commission intervient sur un projet de loi qui n'avait pas fait l'objet du moindre examen par le Parlement puisque c'est le texte déposé par le Gouvernement qui a été examiné et qu'il n'était pas en navette, ce qui constitue un acte de soumission au Gouvernement contraire à l'esprit des institutions.

(5) Cette prérogative gouvernementale dès le stade de la commission a une utilité, puisqu'elle vise à permettre d'améliorer la qualité des débats en séance publique. En l'espèce, le fait d'avoir refusé d'élaborer un texte en commission a conduit à priver le Gouvernement de l'une de ses prérogatives.

(6) C'est également pour permettre à la Conférence des Présidents de l'Assemblée nationale d'exercer cette prérogative, que l'article 102 du Règlement de l'Assemblée nationale a prévu que l'engagement de la procédure accélérée par le Gouvernement devait s'effectuer au plus tard à 13 heures la veille de la Conférence précédant le début de la discussion d'un projet de loi.