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Décision n° 2012-655 DC du 24 octobre 2012 - Observations du Gouvernement

Loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social
Non conformité totale

Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante sénateurs et par plus de soixante députés, de deux recours dirigés contre la loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social.

Ces recours appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

I. - SUR LA PROCEDURE.

A. - Les députés et les sénateurs requérants soutiennent que la procédure suivie au Sénat, première assemblée saisie, a méconnu les articles 29, 39, 42, 44, 45 et 51-1 de la Constitution, l'article 9 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 ainsi que l'exigence constitutionnelle de clarté et de sincérité des débats parlementaires.

Plusieurs griefs sont plus précisément avancés :

1 °) La Conférence des Présidents du Sénat n'aurait pas pu, lors de sa réunion du mercredi 5 septembre 2012, inscrire à l'ordre du jour de la séance du 11 septembre le projet de loi alors que le Gouvernement n'avait pas encore décidé d'engager la procédure accélérée ; elle n'aurait pas non plus, pour ce même motif, été en mesure de s'opposer à l'engagement de la procédure accélérée conjointement avec la Conférence des Présidents de l'Assemblée nationale ;

2 °) La Conférence des Présidents du Sénat n'aurait pas été en mesure de recourir utilement à la prérogative qu'elle tient de l'article 39 de la Constitution de s'opposer à l'inscription à l'ordre du jour d'un projet de loi, faute d'avoir disposé en temps utile de l'étude d'impact ;

3 °) Le délai séparant le dépôt du projet de loi au Sénat et son inscription en séance n'aurait pas été de nature à assurer la clarté et la sincérité du débat parlementaire ;

4 °) La discussion en séance n'aurait pas pu s'engager sur le texte présenté par le Gouvernement.

B. - Le Gouvernement entend rappeler, à titre liminaire, la chronologie de la procédure suivie jusqu'au début de la discussion générale sur le projet de loi en séance publique devant le Sénat.

Le projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social a été inscrit sur l'ordre du jour de la session extraordinaire convoquée à compter du mardi 11 septembre 2012 par un décret du 4 septembre publié au journal officiel du 5 septembre.

Le projet de loi, qui avait reçu l'avis du Conseil d'Etat le 3 septembre 2012, a été délibéré en conseil des ministres le mercredi 5 septembre et déposé sur le bureau du Sénat le même jour en début d'après-midi. La décision du Premier ministre engageant la procédure accélérée sur le texte a été communiquée au Sénat au cours de l'après-midi du 5 septembre.

La Conférence des Présidents du Sénat s'est réunie le 5 septembre à 15 heures 20. Elle a décidé l'inscription du projet de loi à l'ouverture de la session extraordinaire, le 11 septembre après-midi, et pris note de ce que la commission des affaires économiques serait réunie pour examiner le texte le 11 septembre dans la matinée.

Au cours de sa réunion du 11 septembre, la commission des affaires économiques a procédé à l'examen du projet de loi et a approuvé le rapport de M. Bérit-Débat. En dépit de l'ambiguïté qui peut résulter de certains termes utilisés par l'annexe du rapport retraçant l'examen en commission, de nombreux éléments attestent de ce que celle-ci n'a pas pour autant adopté un texte en vue de sa présentation en séance :

- Le président de la commission a expliqué, en réponse à des rappels au règlement en séance publique, que celle-ci n'avait pas élaboré de texte et que, par conséquent, la discussion s'engagerait sur le projet déposé par le Gouvernement au Sénat ; tel était déjà, au demeurant, le sens de son intervention lors de la Conférence des Présidents le mercredi 5 septembre ;

- L'introduction du rapport adopté le 11 septembre mentionne qu'« au cours de sa réunion du mardi 11 septembre 2012, la commission des affaires économiques a approuvé, sous réserve de l'adoption de 14 amendements, le rapport de M. Claude Bérit-Débat » (p. 6) ; par contraste, et à titre d'exemple, l'introduction du projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer, présentée lors de la même session, indique que « la commission a (…) adopté le projet de loi, en précisant certaines de ses dispositions et en le complétant utilement » ;

- La formule qui conclut le compte-rendu de la réunion est différente de celle qui est utilisée habituellement lorsqu'un texte a été élaboré par la commission. La conclusion en cas d'adoption d'un texte est toujours la même : « L'ensemble du projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission ». En l'espèce, cette formule n'est pas employée, car la commission, n'ayant pas adopté de texte à présenter en séance, s'est bornée à approuver le texte du Gouvernement sous réserve de certains amendements du rapporteur qui ont ensuite été présentés en séance publique ;

- Le compte rendu de l'examen du projet de loi par la commission mentionne l'adoption par celle-ci des amendements du rapporteur mais il ne comporte en revanche aucune mention de l'adoption des articles du projet de loi, contrairement à la pratique suivie lorsque la commission adopte un texte en vue de sa présentation en séance publique ;

- Formellement, enfin, le rapport de la Commission n'est pas accompagné du « texte de la Commission » et le tableau comparatif joint au rapport comporte une troisième colonne intitulée « Propositions de la commission » et non « Texte de la Commission » ni « Texte élaboré par la commission en vue de l'examen en séance publique » comme c'est le cas lorsque la commission adopte un texte. C'est aussi parce que la Commission n'avait pas adopté de texte à présenter en séance publique que le rapport auquel sont jointes les « propositions de la Commission » n'a été diffusé à l'intérieur du Sénat qu'après le début de la discussion générale sur le projet de loi.

Ces différents éléments confirment que la Commission des affaires économiques, réunie le 11 septembre au matin pour examiner le projet de loi et les amendements proposés par le rapporteur, n'a pas adopté de texte en vue de la séance publique.

C. - Les auteurs des saisines, et notamment les sénateurs signataires de la première d'entre elles, voient, dans cette absence d'un texte de la Commission susceptible d'être présenté en séance publique, une irrégularité dans la procédure d'adoption de la loi. De l'avis du Gouvernement, il n'en est rien.

1. - La Commission des affaires économiques du Sénat, saisie du projet de loi conformément à l'article 43 de la Constitution, a, en effet, dû concilier un calendrier découlant de l'exercice par le Gouvernement des prérogatives que lui reconnaît la Constitution avec les droits du Parlement et en particulier le droit d'amendement garanti par l'article 44 de la Constitution. Il faut rappeler en effet qu'une session extraordinaire est convoquée par le Président de la République à une date et sur un ordre du jour déterminés par le décret de convocation.

L'engagement de la discussion générale sur le projet de loi était prévu pour le mardi 11 septembre à 15 heures. Ainsi qu'il a été dit plus haut, la Commission des affaires économiques s'est réunie le matin du même jour afin de procéder à l'examen du rapport présenté par M. Bérit-Débat. Cette situation, spécifique au premier jour d'une session extraordinaire convoquée en urgence, ne permettait pas d'organiser une discussion en séance publique sur la base d'un projet de la Commission tout en respectant le droit d'amendement des sénateurs et la clarté du débat parlementaire. A titre d'information, le temps moyen d'impression et de mise en ligne d'un rapport et d'un texte de la Commission consolidé est de 5 à 6 heures.

Dans ces circonstances, la commission a décidé non de rejeter le projet du Gouvernement, ou, éventuellement, de l'adopter formellement sans modification, mais de réaliser des auditions - que le rapporteur a tenues les jeudi et vendredi précédents -, d'examiner le projet et d'étudier les propositions d'amendements du rapporteur en vue de la discussion en séance publique, sans aller cependant jusqu'à adopter un texte destiné à être discuté en séance l'après-midi.

Cette solution était de nature à concilier au mieux le respect de l'article 43 de la Constitution avec le respect du droit d'amendement et du principe de sincérité et de clarté du débat parlementaire.

2. - Elle n'est pas contraire à l'article 42 de la Constitution.

En effet, cet article, s'il prévoit que « la discussion sur les projets et propositions de loi porte, en séance, sur le texte adopté par la Commission saisie en application de l'article 43 », ouvre la possibilité qu'« à défaut » la discussion s'engage sur « le texte dont l'assemblée a été saisie ».

Il résulte des termes mêmes de cet article qu'en l'absence de texte adopté par la commission, le débat s'engage sur le texte dont l'assemblée a été saisie. Si les travaux préparatoires à l'adoption de ces dispositions, issues de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, mentionnent expressément le cas où la commission rejette le texte et celui où elle ne parvient pas à adopter un texte dans le délai qui lui est imparti, on ne saurait en déduire que ces exemples épuiseraient les cas de « défaut » envisagés par l'article 42.

En l'espèce, ainsi qu'il a déjà été souligné, c'est afin de permettre au débat de s'engager à la date prévue par le décret de convocation de la session extraordinaire, tout en garantissant la sincérité et la clarté du débat parlementaire, que la commission n'a pas adopté de texte en vue de sa discussion en séance publique. Dans les circonstances particulières de l'examen d'un projet de loi inscrit en urgence à l'ordre du jour d'une session extraordinaire, l'absence de texte adopté par la commission permettait d'engager la discussion en séance publique sur le projet de loi transmis par le Gouvernement sans méconnaître l'article 42 de la Constitution.

3. -La procédure finalement suivie, loin de méconnaître l'article 44 de la Constitution comme il est soutenu, a préservé les garanties que les parlementaires tirent de cet article.

L'article 44 de la Constitution dispose que le droit d'amendement des membres du Parlement « s'exerce en séance ou en commission », ouvrant ainsi une alternative. Il ne peut être regardé comme garantissant un droit d'amender à la fois en commission et en séance. Les travaux préparatoires de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 sont clairs sur l'origine et l'objet de la modification apportée à l'article 44. Il s'agissait principalement de permettre l'organisation de procédures législatives simplifiées dans lesquelles le texte amendé en commission pourrait être soumis à un vote global en séance plénière. L'article 44 n'exige pas l'exercice successif du droit d'amendement en Commission puis en séance publique.

Comme il a été dit, compte tenu du fait que la réunion de la commission précédait de quelques heures la séance publique, un texte de la commission ne pouvait être présenté dans des délais compatibles avec l'exercice du droit d'amendement. Afin de préserver ce droit, l'engagement de la discussion sur la base du texte du Gouvernement, connu depuis le mercredi 5 septembre, était la solution qui s'imposait. C'est donc précisément pour mieux assurer le respect du droit d'amendement, sans remettre en cause le calendrier fixé par le décret de convocation de la session extraordinaire, que la Commission a décidé de ne pas élaborer de texte alternatif juste avant l'ouverture de la discussion générale. Les sénateurs ont ainsi eu la possibilité, sur la base d'un texte disponible depuis plusieurs jours, de présenter les amendements qu'ils jugeaient utiles. Et de fait, les amendements en séance ont été nombreux (150), près d'un tiers (44) d'entre eux ayant été adoptés, au terme d'une discussion de 18h30 étalée sur trois jours, sans même épuiser les créneaux de séance ouverts par la Conférence.

4. - Ainsi, la procédure suivie au Sénat résulte de la nécessaire conciliation, dans la circonstance particulière que constitue l'inscription d'un texte urgent à l'ouverture d'une session extraordinaire, des prérogatives que le Parlement et le Gouvernement tirent également de la Constitution. Le Gouvernement est d'avis que, dans ces circonstances spécifiques, la procédure suivie pour l'adoption du projet de loi au Sénat n'est entachée d'aucune irrégularité de nature à affecter la constitutionnalité de la loi.

D. - Les autres griefs avancés par les députés et sénateurs requérants ne sont pas non plus fondés.

1. - En premier lieu, la Conférence des Présidents du Sénat a pu décider, lors de sa réunion en début d'après-midi le mercredi 5 septembre, d'inscrire à l'ordre du jour de la séance du 11 septembre le projet de loi.

Il est vrai que, formellement, la décision du Gouvernement d'engager la procédure accélérée n'est parvenue au Sénat qu'en fin d'après-midi. Cependant, ainsi que l'atteste le compte-rendu de la réunion de la Conférence des Présidents, ces derniers étaient informés de la décision du Gouvernement. Le Président du Sénat a annoncé que la session extraordinaire serait organisée en deux séquences : la première, la semaine du 10 septembre, « sera consacrée à l'examen du projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social qui sera examiné en procédure accélérée ». Il est fait mention, une autre fois, de ce que la procédure accélérée a été engagée. Le ministre des relations avec le Parlement, qui assistait à cette conférence, a également pu confirmer cette décision. Un vote a finalement eu lieu pour statuer sur ce sujet ; une majorité a approuvé les modalités de l'inscription.

Par ailleurs, la brièveté du délai séparant cette inscription à l'ordre du jour et la date de la séance s'explique par le caractère d'urgence attaché autant à la convocation d'une session extraordinaire qu'à l'objet de la loi. Dans ces circonstances, un tel délai ne peut être regardé comme insuffisant.

Enfin, contrairement à ce que soutiennent les députés requérants, le fait qu'un décret du 5 septembre, publié le 6 mais communiqué au président du Sénat le jour de sa signature, soit venu compléter l'ordre du jour de la session extraordinaire ne permet en tout état de cause pas de conclure que l'ordre du jour n'aurait pas été « déterminé », comme le précise l'article 29 de la Constitution, à la date à laquelle la Conférence des Présidents a pris la décision d'inscrire le projet de la loi déférée à l'ordre du jour. La modification de l'ordre du jour de la session extraordinaire ne portait en effet pas sur ce projet de loi, dont l'inscription était définitive dès la communication aux assemblées du premier décret de convocation de la session.

2. - En deuxième lieu, les Conférences des Présidents du Sénat et de l'Assemblée nationale ont été en mesure de faire usage des prérogatives qu'elles tirent des articles 39 et 45 de la Constitution ainsi que de l'article 9 de la loi organique du 15 avril 2009.

2.1. - L'article 39 de la Constitution dispose que « les projets de loi ne peuvent être inscrits à l'ordre du jour si la Conférence des présidents de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues ». L'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009, pour sa part, prévoit que les projets de loi font l'objet d'une étude d'impact et doivent être déposées avec plusieurs documents dont la liste est dressée, tandis que l'article 9 précise que la Conférence des Présidents de l'assemblée sur le bureau de laquelle le projet de loi a été déposé dispose d'un délai de dix jours suivant le dépôt pour constater que les règles fixées auraient été méconnues.

L'étude d'impact a été envoyée au service des dépôts du Sénat par le Secrétariat général du Gouvernement, au travers du logiciel d'échanges Solon, le mardi 5 septembre à 15h04. L'étude d'impact, et les documents l'accompagnant, ont été reçus par ce service à 15 h 06 et, à 16h33, la mise en ligne a eu lieu. Un second envoi a ensuite été effectué à 17h48, cette fois au service de la séance.

S'il n'était pas matériellement possible à la Conférence des Présidents de disposer de l'étude d'impact qui était en cours de transmission au moment de sa réunion du mercredi 5 septembre, la Conférence était toutefois en mesure, dans les jours qui suivaient, de se réunir à nouveau et de faire usage de la prérogative qu'elle tire de l'article 39 de la Constitution.

Le délai de six jours séparant le dépôt du début de la discussion en séance publique n'a pas méconnu l'article 9 de la loi organique du 15 avril 2009, le délai de dix jours qui s'y trouve fixé s'appliquant à la procédure législative de droit commun. Cet article ne peut être lu comme faisant obstacle à ce que, en cas d'engagement d'une procédure accélérée, ce délai puisse être plus bref, dès lors que la Conférence des Présidents a été en mesure de vérifier que le projet de loi était accompagné des documents prévus à l'article 8, ce qui n'est pas sérieusement contesté en l'espèce.

2.2. - L'article 45 de la Constitution permet aux Conférences des Présidents des deux assemblées de s'opposer conjointement à l'engagement de la procédure accélérée par le Gouvernement.

D'une part, comme il a été dit, la Conférence des Présidents du Sénat était informée dès la réunion du 5 septembre de la décision du Gouvernement. Elle aurait pu dès ce moment s'opposer. Elle a, au contraire, voté l'inscription à l'ordre du jour le mardi 11 septembre. D'autre part, ces deux Conférences étaient dans tous les cas en mesure, durant le délai précédant la séance publique du mardi 11 septembre, de se réunir, si elles le souhaitaient, pour prendre une décision d'opposition. La Conférence des Présidents de l'Assemblée nationale s'est d'ailleurs réunie le mardi 11 septembre dans la matinée et n'a pris aucune décision en ce sens.

Le Gouvernement est ainsi d'avis que le texte a été adopté au terme d'une procédure exempte de toute irrégularité.

I. - SUR L'ARTICLE 3.

A. - Les députés requérants considèrent que l'article L. 3211-7 du code général de la propriété des personnes publiques issu de la loi déférée porte atteinte à la liberté contractuelle et au droit de propriété car il institue un droit de priorité de certains organismes lors de la vente d'un bien acquis par une personne et prive le primo-acquéreur du pouvoir de fixer le prix de vente de son bien au-delà du prix d'acquisition pendant une durée de 10 ans (sauf à reverser à l'Etat la totalité de l'excédent, ce qui constituerait une mesure confiscatoire). Par ailleurs, le législateur n'aurait pas épuisé sa compétence en renvoyant au représentant de l'Etat dans la région le soin de fixer le plafond de loyer applicable.

B. - Le Gouvernement considère que ce dispositif est conforme à la Constitution.

1. - La protection constitutionnelle de la propriété de l'Etat et des autres personnes publiques (v., pour son affirmation : CC, 25 et 26 juin 1986, n° 86-207 DC), ainsi que le principe d'égalité devant la loi et les charges publiques, « font obstacle à ce que des biens faisant partie du patrimoine de personnes publiques puissent être aliénés ou durablement grevés de droits au profit de personnes poursuivant des fins d'intérêt privé sans contrepartie appropriée eu égard à la valeur réelle de ce patrimoine » (CC, 17 décembre 2010, n° 2010-67/86 QPC). Dans tous les cas, un intérêt général doit justifier la cession d'un bien d'une personne publique à un prix inférieur à sa valeur à une personne poursuivant des fins d'intérêt privé (v. nt. CE, Sect., 3 novembre 1997, Commune de Fougerolles, n° 169473, au R.).

1.1. Ces critères sont respectés.

L'objectif d'intérêt général consiste à favoriser la construction de logements sociaux ; il participe à l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent (CC, 19 janvier 1995, n° 94-359 DC, cons. 5 et 7).

Les contreparties apportées par la loi à la possibilité de céder un bien public avec une décote pouvant aller jusqu'à 100 % sont nombreuses :

- Les terrains pouvant être cédés de droit dans ces conditions économiques favorables sont limitativement énumérés par l'autorité administrative de l'Etat et cette cession ne peut intervenir qu'au profit d'une personne publique ou d'une personne privée chargée d'une mission de service public ou oeuvrant, à tout le moins, dans le cadre d'un service d'intérêt général ;

- L'avantage financier consenti ne peut avoir pour seule fin que de réduire « le prix de revient des logements locatifs sociaux » et « le prix de cession des logements en accession (sociale, compte tenu du renvoi) à la propriété (…) », de sorte que le motif d'intérêt général poursuivi est établi ;

- En particulier, toute cession ou mise en location par les acquéreurs-accédants sociaux ayant bénéficié d'un avantage financier sur le prix d'acquisition, résultant de la répercussion de la décote consentie, est encadrée par une clause anti-spéculative pendant une durée de 10 ans ;

- L'Etat conclut une convention avec l'acquéreur, jointe à l'acte de vente, qui fait mention des garanties et contreparties décrites ci-dessus. Au bout d'un délai de 5 ans à compter de la cession, la réalisation du programme de logements ayant ouvert droit à la décote est contrôlée et, outre le remboursement à l'Etat de l'avantage financier indu ou la résolution de la vente, des indemnités peuvent être appliquées pour sanctionner l'acquéreur n'ayant pas respecté ses engagements ;

- Une procédure de rendu compte annuel est organisée par la loi afin de garantir l'effectivité du contrôle, lequel peut conduire, à l'issu d'un contradictoire, à la mise en œuvre des clauses résolutoires de la convention.

1.2. - Au sein de ce dispositif, les personnes privées qui pourraient bénéficier d'une cession avec décote relèvent d'un traitement spécifique.

a) Il convient d'abord de distinguer deux catégories de personnes privées.

L'acquéreur peut, d'une part, être un opérateur de logement social (association agréée mentionnée à l'article L. 365-2 du code de la construction et de l'habitation, société anonyme mentionnée à l'article L. 411-2 ou société d'économie mixte mentionnée à l'article L. 481-1 du même code). De tels organismes ont été créés spécifiquement pour satisfaire à un besoin d'intérêt général et leur gestion est encadrée par les autorités publiques dans des conditions qui les apparentent à des opérateurs publics. Ils ne peuvent donc être regardés comme « poursuivant des fins d'intérêt privé » au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel précitée.

L'acquéreur peut, d'autre part, être une personne privée, morale ou physique, qui s'engage à assurer elle-même la gestion de ces logements ou à la confier à des personnes ou organismes agréés . C'est un dispositif très minoritaire dans le paysage du logement locatif social en France. Il permet à des personnes privées de bénéficier de prêts spécifiques qui font alors entrer les logements mis à bail dans le champ du logement social couvert par le dispositif (dispositif du « prêt locatif social »). De tels prêts sont conditionnés à un niveau de ressources et à la conclusion d'une convention, ouvrant droit à l'aide personnalisée au logement, qui fixe notamment le plafond de loyer pouvant être pratiqué.

b) La décote consentie doit, dans tous les cas, s'adapter à la catégorie des logements sociaux construits et aux contraintes attachées à la personne bénéficiant de la décote. C'est notamment le cas des personnes privées bénéficiaires du dispositif - singulièrement celles qui ne sont pas des opérateurs de logement social. Comme l'a expliqué la ministre chargée du logement lors des débats devant le Sénat , la décote pour cette catégorie de logements sera déterminée au cas par cas, en fonction des caractéristiques de l'opération. Dans tous les cas, pour ces types d'opération (accession sociale à la propriété et logements PLS réalisés par des personnes privées investies, dans le cadre de cette construction, d'une simple mission d'intérêt général), le Gouvernement estime que la loi ne peut être interprétée comme permettant une décote qui excèderait la moitié de la valeur vénale du bien. C'est sur le fondement de cette interprétation qu'il entend préparer les textes réglementaires d'application qui viendront préciser les modalités de calcul du montant maximum de la décote en fonction des caractéristiques de l'opération.

1.3. - Plusieurs mécanismes assurent, en outre, la pérennité du maintien dans le secteur du logement social des logements construits et acquis dans le cadre du mécanisme de cession avec décote mis en place par la loi déférée.

Il faut d'abord rappeler qu'une clause anti-spéculative encadre toute cession ou mise en location par les acquéreurs-accédants sociaux ayant bénéficié d'un avantage financier sur le prix d'acquisition. Sa durée, fixée à 5 ans dans le projet du Gouvernement, a finalement été doublée au cours des débats parlementaires, pour atteindre 10 ans. Se trouve ainsi encadrée, notamment, l'accession sociale à la propriété.

D'autre part, la vente de logements appartenant aux organismes d'HLM (énumérés à l'article L 411-2 du CCH) à des personnes autres que des organismes HLM est soumise à des conditions strictes et contraignantes. Le maire de la commune doit être consulté, ainsi que les collectivités publiques qui ont accordé leur garantie aux emprunts contractés pour la construction, l'acquisition ou l'amélioration des logements. L'autorité préfectorale peut s'opposer à la vente si elle estime qu'il y a un risque de réduction excessive du parc de logements locatifs sociaux sur le territoire de la commune. Le défaut de transmission au préfet de la décision d'aliéner fait l'objet d'une sanction depuis la loi n°2012-387 du 22 mars 2012. Les logements qui peuvent être vendus sont ceux construits ou acquis depuis plus de dix ans et inscrits sur une liste établie annuellement par le conseil d'administration de l'organisme gestionnaire. Si le logement est occupé, il ne peut être vendu qu'à son locataire - à la demande de ce dernier, il peut être vendu à son conjoint, ou, sous conditions de ressources, à ses ascendants et descendants. Si le logement est vacant, l'organisme HLM doit le proposer en priorité à l'ensemble de ses locataires dans le département, ainsi qu'aux gardiens d'immeuble qu'il emploie. A défaut de demande, le logement peut être vendu à toute autre personne physique sans condition de ressources, à une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales dès lors qu'est pris l'engagement de mettre ce logement, pendant au moins quinze ans, à la disposition de personnes défavorisées. Sur ce point, la loi du 22 mars 2012 a également renforcé les obligations de la personne physique acquérant un logement vacant auprès d'un organisme HLM (v. art. L. 443-11 du CCH). L'article 9 de la loi adoptée renforce encore le contrôle exercé par l'autorité publique sur ces cessions de logements sociaux en prévoyant qu'en cas de désaccord entre le maire et le préfet, l'autorisation d'aliénation est prise par le ministre en charge du logement.

Enfin, s'agissant des bailleurs privés de logements locatifs sociaux qui ne sont pas des organismes HLM ou y sont apparentés, les conventions auxquelles ils sont parties sont contraignantes, spécialement en ce qui concerne l'occupation du par cet la durée de détention des logements. Les propriétaires successifs d'un logement sont également tenus, pendant la durée de la convention, par la servitude de location sociale. Ils ne retrouvent la disposition de leur logement qu'à l'expiration de la convention. Dans ce dernier cas, compte tenu du mécanisme de décote mise en place, la durée de la convention pourrait être déconnectée de la durée du prêt aidé dont pourra bénéficier la personne privée. Plutôt que d'adosser la durée de la convention à celle de la durée du prêt, le pouvoir réglementaire peut prévoir d'allonger la durée de la convention. Serait ainsi imposée une contrepartie supplémentaire liée au bénéfice initial de la décote.

1.4. - Il résulte de toutes ces considérations que le dispositif adopté par le législateur permet de garantir que la décote sera accordée en contrepartie de l'engagement effectif de l'acquéreur public ou privé à contribuer, sous le contrôle des autorités publiques, au développement du logement social. Les exigences posées par le législateur sont ainsi de nature à assurer le respect des principes constitutionnels relatifs à la propriété des personnes publiques. Pour cette raison, elles ne peuvent être regardées comme portant atteinte à la liberté contractuelle ou au droit de propriété, ainsi que le soutiennent les députés requérants. C'est en particulier le cas pour le droit de priorité de certains organismes lors de la vente ou pour l'encadrement du prix de location ou de cession pendant 10 ans.

1. - Pour ce qui est de la compétence du représentant de l'Etat dans la région pour fixer le plafond de loyer applicable, elle s'exercera, sous le contrôle du juge, dans le respect des garanties constitutionnelles, notamment le principe d'égalité (v. en ce sens, pour une disposition renvoyant à un arrêté ministériel le soin de fixer le prix de location des meubles lorsque des immeubles destinés à loger des personnes en difficulté font l'objet de location ou de sous-location meublée, Cons. Const., décision n°2001-455 DC du 12 janvier 2002, cons. 91 à 95).

I. - SUR L'ARTICLE 10.

A. - Les députés requérants estiment que le fait de relever les seuils des quotas de logements sociaux que doit réaliser une commune et de les fixer de manière différente méconnaît le principe d'égalité et porte atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales, particulièrement à la libre disposition de leurs biens, garantie par l'article 72-2 de la Constitution.

B. - Le Gouvernement considère que ces deux principes ont été respectés.

1. - L'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation introduit par l'article 10 de la loi déférée définit une part de logements sociaux dans le parc de résidences des communes en distinguant entre quatre catégories bien identifiées de communes :

- 25 % pour les communes dont la population est au moins égale à 1 500 habitants en Ile-de-France (3 500 habitants dans les autres régions) qui sont comprises dans une agglomération ou un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 50 000 habitants comprenant au moins une commune de plus de 15 000 habitants ;

- 20 % pour les communes de plus de 15 000 habitants, isolées et en croissance démographique ;

- 20 % également dans les communes de plus de 3 500 habitants, dans des territoires ne nécessitant pas un effort de production supplémentaire ;

- 10 % pour les communes, hors Ile-de-France, comprenant entre 1 500 et 3 500 habitants et comprises dans une agglomération ou un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 50 000 habitants comprenant au moins une commune de plus de 15 000 habitants ;

2. - De telles obligations ne portent pas atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales. Les obligations et charges imposées aux collectivités territoriales, qui répondent à l'intérêt général attaché à la mixité sociale (CC, 7 décembre 2000, n° 2000-436 DC), sont définies de façon suffisamment précise quant à leur objet et à leur portée et ne méconnaissent pas la compétence propre des collectivités concernées.

Elles ne méconnaissent pas non plus le principe d'égalité. Les caractéristiques objectives propres à ces quatre catégories justifient les différences entre les seuils imposés de production de logement social. D'ailleurs, l'ensemble des communes appartenant à une même catégorie au sein d'une même agglomération ou d'un même établissement public de coopération intercommunale sont soumises aux mêmes règles quant à la détermination du seuil de logements sociaux.

Les griefs portant sur l'article 10 devraient donc être écartés.

I. - SUR L'ARTICLE 15.

A. - Les députés requérants estiment que la modification par l'article 15 du rythme selon lequel les collectivités territoriales doivent atteindre les quotas assignés est disproportionnée et méconnaît le principe de libre administration des collectivités territoriales.

B. - Le Gouvernement ne partage pas cette opinion.

Le législateur a décidé de renforcer le rythme de rattrapage pour atteindre les objectifs de 25 %, 20 % ou 10 % de logements sociaux, en fonction des communes, de manière à garantir une mixité sociale effective à court terme. Du fait de la fixation de l'échéance à 2025, quand la loi du 13 décembre 2000 l'avait implicitement fixée à 2020, les communes ne disposant pas d'une offre locative sociale auront une nouvelle échéance fixée à 12 ans pour atteindre le seuil de logements sociaux. En posant une telle obligation, le législateur n'a méconnu aucun principe ou exigence constitutionnels. Il a fait usage de la marge d'appréciation dont il dispose, sans entacher sa décision d'une erreur manifeste, les objectifs assignés, appréciés à chaque période triennale, étant réalisables.

I. - SUR L'ARTICLE 16.

A. - Les requérants estiment que le niveau des sanctions financières fixées par l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation méconnaît le principe de libre administration des collectivités territoriales et constitue une sanction disproportionnée.

B. - Le Gouvernement n'est pas de cet avis.

1. - Le législateur a souhaité renforcer l'effet dissuasif du prélèvement opéré annuellement sur les communes qui n'ont pas atteint le taux de logements sociaux prescrit par la loi. Cette volonté se traduit, d'une part, par la possibilité donnée à l'autorité préfectorale de multiplier par 5 le montant du prélèvement opéré sur les communes en état de carence, faute d'avoir atteint leurs objectifs triennaux de rattrapage et, d'autre part, par l'augmentation du plafond de 5 % à 10 % du montant des dépenses réelles de fonctionnement pour les communes dont le potentiel fiscal est supérieur à 150 % du potentiel fiscal médian par habitant.

2. - Ce dispositif vient renforcer celui introduit par l'article 55 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dont les dispositions ont été déclarées conformes à la Constitution (v. décision n° 2000-436 DC mentionnée auparavant). Le mécanisme, par conséquent, n'est pas contestable dans son principe, étant souligné que le constat de la carence des communes n'a pas de caractère automatique ; il appartient au préfet de l'apprécier, à l'issue d'une procédure contradictoire, en tenant compte notamment « des difficultés rencontrées le cas échéant par la commune ».

Quant aux montants du prélèvement et du prélèvement majoré, ils ne constituent, tout d'abord, que des plafonds. S'agissant en particulier du prélèvement majoré, sont déduites de son montant les dépenses que la commune réalise en faveur du développement de l'offre de logements sociaux (art. L. 302-7 du CCH). Elle a ainsi la faculté de ne pas acquitter de prélèvement si elle s'acquitte de ses obligations en matière de logement.

Ce prélèvement, en outre, est proportionné à la richesse de cette commune. Seules sont en effet concernées par le rehaussement de l'assiette maximale de prélèvement les communes dont le potentiel fiscal par habitant est supérieur à 1083 €. Par comparaison, le potentiel fiscal moyen par habitant constaté au niveau national en 2011 et retenu pour la répartition des dotations en 2012 est seulement de 764,04 €. D'ailleurs, seul un petit nombre de communes, ayant un potentiel fiscal particulièrement élevé, relèverait du nouveau régime. Il est estimé que 13 communes seraient concernées par un prélèvement brut supérieur à 5 % de leurs dépenses réelles de fonctionnement, ce qui représenterait 1 % des communes soumises à l'article 55 de la loi du 13 décembre 2000, 3,5 % des communes n'ayant pas atteint leur objectif triennal pour la période 2008-2010 et 6,5 % des communes en état de carence. Plus précisément, 2 communes seraient susceptibles de relever du plafond de 10 % de leurs dépenses réelles de fonctionnement et 11 communes non plafonnées seraient concernées par un dépassement du plafond à 5 % des dépenses réelles de fonctionnement.

Au demeurant, l'application cumulée de plusieurs dispositifs de prélèvement et de minoration de la dotation globale de fonctionnement, pouvant entraîner au total une diminution de plus de 5 % des dépenses réelles de fonctionnement de la commune, n'a pas été jugée comme entravant la libre administration de ces collectivités, notamment parce que ces communes disposaient d'un potentiel fiscal élevé (CC, 6 mai 1991, n° 91-291 DC, cons. 13). Ce même motif est de nature à justifier que le montant maximal du prélèvement majoré passe, pour une minorité de communes, de 5 à 10 % du montant des dépenses réelles de fonctionnement de la commune.

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Pour ces raisons, l'article contesté ne méconnaît pas le principe de libre administration des collectivités territoriales et n'institue pas une sanction disproportionnée.

Par suite, le Gouvernement est d'avis que les griefs articulés dans les saisines ne sont pas de nature à conduire à la censure de la loi déférée.

Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter les recours dont il est saisi.