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Décision n° 2012-650 DC du 15 mars 2012 - Observations du Gouvernement

Loi relative à l'organisation du service et à l'information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports
Conformité

Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs, de deux recours dirigés contre la loi relative à l'organisation du service et à l'information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports.

Ces recours appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

A/ Les auteurs des saisines soutiennent que les dispositions de la section 3 du chapitre IV inséré par la loi déférée dans le titre Ier du livre Ier de la première partie du code des transports portent une atteinte inconstitutionnelle au droit de grève, garanti par le septième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, en ce qu'elles prévoient l'obligation pour les salariés entrant dans leur champ d'application de se déclarer grévistes au plus tard quarante-huit heures avant de participer à la grève et de prévenir leur employeur de leur non-participation à la grève ou de leur décision de reprendre leur service vingt-quatre heures à l'avance.

Selon les saisines, en effet, le droit de grève ne pourrait être réglementé qu'en considération d'un principe ou d'un objectif de valeur constitutionnelle : or, le transport aérien ne constituant pas un service public, le principe de continuité du service public ne peut être utilement invoqué pour justifier qu'il soit porté atteinte, comme le feraient les dispositions contestées, au droit de grève de l'ensemble des salariés de ce secteur. À tout le moins aurait-il fallu, est-il soutenu, que le législateur limite le champ d'application des dispositions contestées aux seuls vols relevant, par exception, d'une obligation de service public et aux seules activités liées à la santé et à la sécurité.

B/ Le Gouvernement ne partage pas ce point de vue.

1/ Ainsi que le rappellent les auteurs des saisines, le premier alinéa de l'article L. 1114-3 inséré dans le code des transports par la loi déférée fait obligation aux salariés compris dans le champ d'application de cet article d'informer, au plus tard quarante-huit heures avant de participer à une grève, le chef d'entreprise ou la personne désignée par lui de leur intention d'y participer.

Cette obligation constitue, ainsi que le Conseil constitutionnel l'a constaté à propos du dispositif similaire issu de la loi n° 2007-1224 du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, un « aménagement […] apporté aux conditions d'exercice du droit de grève » (décision n° 2007-556 DC du 16 août 2007, cons. 29).

Or cet aménagement est justifié par la nécessité de concilier le droit de grève avec d'autres principes et objectifs à valeur constitutionnelle et est proportionné à l'objectif ainsi poursuivi.

a) Il convient de rappeler d'emblée que, contrairement à ce que suggèrent les auteurs des saisines, le droit de grève peut être réglementé non seulement pour assurer l'effectivité de principes et objectifs à valeur constitutionnelle, mais aussi, plus largement, en vue d'assurer la sauvegarde de l'intérêt général. Il est en effet de jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, depuis sa décision n° 79-105 DC du 25 juillet 1979 (cons. 1), que, par les dispositions du septième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, selon lesquelles « le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent », « les constituants ont entendu marquer que le droit de grève est un principe de valeur constitutionnelle, mais qu'il a des limites et ont habilité le législateur à tracer celles-ci en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l'intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte ».

Au cas d'espèce, en tout état de cause, le législateur s'est efforcé au premier chef, par les dispositions contestées, d'assurer la conciliation du droit de grève avec d'autres principes ou objectifs à valeur constitutionnelle.

L'objectif poursuivi par l'obligation déclarative qu'instituent ces dispositions est en effet d'améliorer la prévisibilité des perturbations du trafic aérien liées à l'exercice du droit de grève afin, principalement, de permettre aux entreprises de transport aérien d'informer les passagers de façon précise et fiable, ainsi que leur en fait obligation l'article L. 1114-7 inséré dans le code des transports par la loi déférée, qui précise que cette information doit être délivrée au plus tard vingt-quatre heures avant le début de la perturbation.

Or cette information permet, à son tour, d'éviter la concentration d'un nombre excessif de passagers en attente d'un vol dans des aéroports qui ne disposent pas des infrastructures, notamment hôtelières, nécessaires pour les accueillir dans des conditions d'hygiène et de sécurité satisfaisantes. Il s'agit également de prévenir une situation qui est source de troubles à l'ordre public et rend plus difficile l'exercice d'un certain nombre de missions liées à l'activité aéroportuaire, comme celles incombant aux services de la police des frontières et de la douane.

Les dispositions contestées par les auteurs des saisines sont donc justifiées par un objectif de sauvegarde de l'ordre public, et, plus généralement, de prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens, qui a valeur constitutionnelle (v. not. les décisions n° 89-261 DC du 28 juillet 1989, cons. 12, et n° 94-352 DC du 18 janvier 1995, cons. 2). Or le Conseil constitutionnel a expressément jugé que « la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d'apporter à ce droit les limitations nécessaires en vue d'assurer la protection de la santé et de la sécurité des personnes et des biens, protection qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d'un principe de valeur constitutionnelle » (décision n° 80-117 DC du 22 juillet 1980, cons. 4).

Au surplus, le Gouvernement entend souligner que l'article 2 de la loi déférée poursuit, d'une manière plus générale, ainsi qu'en témoignent par exemple les dispositions de l'article L. 1114-2 qu'il insère dans le code des transports, l'objectif de prévenir les conflits sociaux dans le secteur du transport aérien de passagers et de limiter à ceux qui sont inhérents à l'exercice du droit de grève les effets perturbateurs de ces conflits sur le trafic aérien.

En effet, même si, ainsi que le relèvent les auteurs des saisines, l'activité de transport aérien de personnes n'est pas, par elle-même, une activité de service public, encore que revêtent ce caractère un certain nombre de services qui y concourent et qui sont compris dans le champ de la loi déférée (comme les services d'exploitation d'aérodrome, de sûreté aéroportuaire, de secours et de lutte contre l'incendie ainsi que de lutte contre le péril animalier), il s'attache un intérêt général évident, eu égard à l'importance de cette activité pour la vie, notamment économique, du pays, à ce qu'elle soit assurée avec la plus grande régularité possible. Or la déclaration individuelle d'intention de participer à la grève concourra également à cet objectif en permettant aux entreprises concernées d'adapter leur organisation au taux de grévistes attendu.

b) Au regard des objectifs légitimes ainsi poursuivis par le législateur, l'aménagement des conditions d'exercice du droit de grève qui résulte des dispositions contestées n'apparaît nullement disproportionné.

D'une part, en effet, et contrairement à ce que suggèrent les auteurs des saisines, le champ d'application de l'obligation de déclaration individuelle d'intention de participer à la grève qui résulte du premier alinéa de l'article L. 1114-3 nouveau du code des transports est défini de manière rationnelle et aussi restrictive que possible par rapport à l'objet de ce dispositif.

Pour qu'un salarié soit astreint à cette obligation, il faut à la fois qu'il soit employé dans une entreprise, un établissement ou une partie d'établissement mentionné à l'article L. 1114-1 nouveau du même code et qu'il soit au nombre des « salariés dont l'absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols » mentionnés au premier alinéa de l'article L. 1114-3 nouveau.

Or, sur le premier point, l'article L. 1114-1 nouveau énumère de façon précise et limitative, au-delà de l'activité de transport aérien elle-même, les services qu'une entreprise, un établissement ou une partie d'établissement doit assurer pour être regardé comme entrant dans le champ d'application du chapitre IV inséré par la loi déférée dans le titre Ier du livre Ier de la première partie du code des transports, avec le souci de ne viser que des services dont l'interruption ou la perturbation est de nature à compromettre la réalisation des vols. Encore faut-il également, comme l'a expressément précisé le législateur, que les entreprises, établissements ou parties d'établissement concernés « concourent directement à l'activité de transport aérien de passagers », ce qui exclut les activités de transport de marchandises et de courrier.

Quant au second point, le cinquième alinéa de l'article L. 1114-3 nouveau définit précisément quels sont les « salariés dont l'absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols » astreints à l'obligation déclarative instituée par le premier alinéa du même article. Il s'agit des salariés qui, soit occupent un emploi de personnel navigant, soit assurent « personnellement » l'une des opérations d'assistance en escale, de maintenance en ligne des aéronefs, de sûreté aéroportuaire, de secours et de lutte contre l'incendie ou de lutte contre le péril animalier mentionnées à l'article L. 1114-1. Tous les salariés des entreprises entrant dans le champ d'application de la loi ne sont donc pas astreints à l'obligation d'information.

D'autre part, cette obligation constitue un aménagement de portée limitée aux conditions d'exercice du droit de grève qui ne porte en aucune manière atteinte à la substance de ce droit.

En particulier, il importe de souligner que, ainsi que le Conseil constitutionnel l'a expressément relevé dans sa décision précitée du 16 août 2007 à propos des dispositions analogues de la loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs (cons. 29), la méconnaissance de la formalité instituée par la loi déférée ne confère pas à l'exercice du droit de grève un caractère illicite, mais expose seulement son auteur à des sanctions disciplinaires dans les conditions prévues par l'article L. 1114-4 nouveau du code des transports. Il n'est pas davantage fait obstacle à la possibilité, pour un salarié, de rejoindre un mouvement de grève déjà engagé, pourvu qu'il ait préalablement satisfait à l'obligation d'en informer son employeur.

L'obligation instituée par le premier alinéa de l'article L. 1114-3 nouveau de ce code n'est donc en rien disproportionnée par rapport aux objectifs poursuivis par le législateur.

2/ Les deuxième et troisième alinéas du même article L. 1114-3 nouveau prévoient en outre, ainsi que le relèvent les auteurs des saisines, que, d'une part, le salarié qui a déclaré son intention de participer à la grève et qui renonce à y participer doit en informer son employeur au plus tard vingt-quatre heures avant l'heure prévue de sa participation à la grève, et, d'autre part, le salarié qui participe à la grève et qui décide de reprendre son service doit, de même, en informer son employeur au plus tard vingt-quatre heures avant l'heure de sa reprise. L'article 5 de la loi déférée complète par des dispositions similaires les dispositions du code des transports issues de la loi précitée du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs.

L'objectif poursuivi par ce dispositif est de prévenir des détournements de la loi similaires à ceux qui ont été constatés dans le cadre, précisément, de l'application des dispositions de la loi du 21 août 2007.

À plusieurs reprises, en effet, il a été constaté que des salariés, épousant sur ce point des stratégies délibérées de contournement de la loi du 21 août 2007, avaient, de façon concertée, informé leur employeur de leur intention de participer à une grève, comme cette loi leur en fait obligation, sans participer effectivement à celle-ci. Dans une telle situation, l'employeur ne peut néanmoins affecter les salariés concernés, l'organisation du service ayant été déterminée en tenant compte d'un taux de grévistes bien supérieur, mais, dès lors qu'ils se tiennent à sa disposition, il a l'obligation de les rémunérer.

Ce comportement, qui conduit à une perturbation de l'activité sans commune mesure avec le taux de grévistes effectivement constaté et permet aux salariés qui s'y livrent d'éviter d'avoir à supporter les conséquences pécuniaires normalement associées à la cessation concertée du travail qui caractérise la grève (v. à cet égard la décision n° 87-230 DC du 28 juillet 1987, cons. 8), rompt l'équilibre inhérent à l'exercice du droit de grève, dont, dans ces conditions, il constitue clairement un abus (v., pour un arrêt ayant reconnu le caractère abusif d'un mode de grève ayant des conséquences analogues, Cass. soc., 11 juin 1981, n° 79-42013, Bull. civ. V, n° 522). Au surplus, en faisant peser un doute sur la sincérité des déclarations individuelles d'intention de participer à la grève et en privant ainsi de fiabilité des prévisions établies sur leur base quant aux conséquences de la grève sur le service, il compromet gravement l'efficacité du dispositif mis en place par la loi du 21 août 2007 et transposé par la loi déférée au secteur du transport aérien de passagers.

Les obligations déclaratives résultant des deuxième et troisième alinéas de l'article L. 1114-3 nouveau du code des transports ont pour seul objet d'éviter la réitération, à l'avenir, de ces abus. Elles constituent ainsi l'exercice, par le législateur, de la compétence qui lui appartient, selon une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, de « tracer la limite séparant les actes et les comportements qui constituent un exercice licite [du] droit [de grève] des actions et comportements qui en constitueraient un usage abusif » (v. par ex. la décision n° 87-230 DC du 28 juillet 1987, cons. 7).

Or, pas davantage que l'obligation d'informer l'employeur de l'intention de participer à la grève cet aménagement des conditions d'exercice du droit de grève n'apparaît disproportionné par rapport à l'objectif que s'est ainsi assigné le législateur.

D'une part, en effet, l'information n'est pas requise, d'après les termes exprès des deuxième et troisième alinéas de l'article L. 1114-3 nouveau du code des transports, lorsque la grève n'a pas lieu ou lorsque la prise ou la reprise du service est consécutive à la fin de la grève, de sorte que le dispositif en question ne saurait être regardé comme susceptible d'avoir pour effet de prolonger la durée d'un conflit social.

D'autre part, la méconnaissance par le salarié de l'obligation d'informer son employeur de sa renonciation à faire grève ou de sa décision de reprendre le service ne libère pas l'employeur de son obligation de rémunérer l'intéressé s'il se tient effectivement à sa disposition. Cette méconnaissance est seulement passible de sanctions disciplinaires, et encore le législateur a-t-il pris soin de préciser, à l'article L. 1114-4 nouveau du code des transports, que ces sanctions ne seraient encourues que dans le cas où c'est « de façon répétée » que l'intéressé n'aura pas informé son employeur de son intention de renoncer à participer à la grève ou de reprendre son service, c'est-à-dire, en réalité, et sous le contrôle du juge, lorsque les circonstances de l'espèce révèleront la mauvaise foi, voire l'intention de nuire.

Le Gouvernement estime, dans ces conditions, que la loi déférée ne porte, en aucune de ses dispositions, une atteinte inconstitutionnelle au droit de grève.

Pour ces raisons, le Gouvernement est d'avis que les griefs articulés dans les saisines ne sont pas de nature à conduire à la censure de la loi déférée.

Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter les recours dont il est saisi.