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Décision n° 2011-638 DC du 28 juillet 2011 - Saisine par 60 députés

Loi de finances rectificative pour 2011
Non conformité partielle

Monsieur le Président du Conseil constitutionnel
Mesdames et Messieurs les Conseillers
2 rue de Montpensier
75001 PARIS

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs

Nous avons l'honneur de vous déférer conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution la loi de finances rectificative pour 2011.

I. Sur l'insincérité de la loi de finances rectificative : articles 26 et 27 et états annexés

La loi organique 2001-692 du 1er août 2001, relative aux lois de finances, dispose, en son article 32 : « Les lois de finances présentent de façon sincère l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat. Leur sincérité s'apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler ».
Votre Conseil a eu l'occasion de préciser le sens à donner au principe de sincérité des lois de finances dans sa décision n° 2001-448 DC du 25 juillet 2001 : « La sincérité se caractérise par l'absence d'intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre déterminé par la loi de finances. ».
Compte tenu des informations disponibles et des prévisions pouvant raisonnablement en découler, la loi de finances rectificative est marquée par la sous-évaluation volontaire de certaines dépenses, sous-évaluation qui fausse les grandes lignes de son équilibre.

1. S'agissant de la mission budgétaire « Défense »
Lors de son audition par la commission de la Défense nationale et des forces années de l'Assemblée nationale, le 3 mai dernier, le ministre de la Défense et des anciens combattants a déclaré : « À court terme se pose la question des OPEX. Celles de 2010 ont été financées par le budget prévisionnel correspondant, par une participation des Nations Unies et, en fin d'année, par une dotation budgétaire de fin de parcours qui nous a évité de ponctionner les crédits d'équipement. En 2011, la situation est quelque peu tendue. Le coût des opérations en Afghanistan est élevé mais prévisible. Celui de notre présence en Côte d'Ivoire s'inscrit dans le fonctionnement habituel. Pour autant, si les opérations devaient se prolonger, un problème de financement se poserait inéluctablement en fin d'année, sachant que la loi de finances initiale a prévu une provision de 630 millions d'euros, alors que, notre prévision de dépenses au titre des OPEX s'élève à 900 millions sans prise en compte de l'opération en Libye. »
Le ministre lui-même estime donc que 270 millions d'euros supplémentaires seront nécessaires pour financer les opérations extérieures. A ce chiffre il faut ajouter le surcoût lié à l'opération en cours en Libye, au sujet de laquelle le ministre a été amené à confirmer « l'ordre de grandeur » de 1 00 millions d'euros depuis le début de l'opération. Le Gouvernement a, conformément à l'article 35 de la Constitution, demandé au Parlement l'autorisation de poursuivre cette opération.
L'écart entre les prévisions du Gouvernement et les montants retenus pour la loi de finances initiale et la présente loi de finances rectificative est donc d'ores et déjà de 350 millions d'euros et il ne paraît pas devoir atteindre moins de 500 millions d'euros.
Interrogé à ce sujet par le président de la Commission des finances de l'Assemblée nationale, le ministre du Budget a répondu : « S'agissant des opérations extérieures et des propos du ministre de la défense, nous sommes à mi-parcours et, de toute façon, il n'y a pas d'estimation définitive. Quoi qu'il arrive, et c'est un engagement, nous respecterons la norme « zéro valeur » qui est appliquée pour la gestion des dépenses dans les différentes sources qui concernent nos discussions en loi de finances. S'il doit y avoir des sommes supplémentaires, et il y en aura incontestablement, il y aura une nouvelle répartition à l'intérieur du chapitre « Défense » que nous aurons l'occasion d'examiner à l'automne. »
Outre le fait qu'on ne voit pas ce qu'une « estimation définitive » pourrait être sinon un constat, le ministre a confirmé que des « sommes supplémentaires » seraient « incontestablement » nécessaires pour financer ces opérations. Il en a tiré la conséquence qu'une « nouvelle répartition » à l'intérieur de la mission « Défense » serait présentée au Parlement. Il a de ce fait admis que la répartition actuelle des crédits au sein de cette mission ne correspondait pas à une présentation sincère des charges de l'État. En conséquence, l'unité de spécialisation des crédits étant, en vertu de l'article 7 de la loi organique relative aux lois de finances, le programme, la présente loi de finances aurait soit dû modifier la répartition des crédits entre programmes, soit ouvrir des crédits supplémentaires dans le programme concerné, ce qu'elle n'a pas fait.
2. S'agissant des mesures destinées à soutenir les agriculteurs victimes de la sécheresse
A la suite du déplacement du 9 juin en Charente du chef de l'Etat, la Présidence de la République a notamment indiqué que parmi les mesures constituant des « soutiens à la trésorerie » figurerait la dotation dès cette année du Fonds national de garantie contre les risques en agriculture (FNGCRA, anciennement Fonds national de garantie des calamités agricoles) à hauteur de 200 millions d'euros ainsi que l'exonération de la taxe sur le foncier non bâti pour les agriculteurs situés dans les zones sinistrées par la sécheresse, pour un montant atteignant 300 millions d'euros.
Le même jour, devant le Sénat, le Premier ministre a précisé : « Il s'agit maintenant de faire jouer la solidarité nationale envers les agriculteurs. Contrairement à ce que vous avez affirmé, des aides directes seront apportées, puisque près de 1 milliard d'euros seront consacrés au soutien à nos agriculteurs, d'abord au travers de la mise en œuvre du Fonds national de garantie des calamités agricoles, qui sera doté, comme l'a annoncé ce matin le Président de la République, en fonction des besoins qu'exprimera la profession agricole. Nous allons mobiliser immédiatement 200 millions d'euros pour assurer les premiers versements, mais nous savons déjà que ce montant sera très largement dépassé. »
Alors même que le Premier ministre choisit l'indicatif plutôt que le conditionnel pour estimer à 1 milliard d'euros le coût de ce plan et ajoute qu'il « sait » que le montant de 200 millions sera « très largement dépassé », le Gouvernement n'a aucunement évoqué ces mesures dans le projet de loi de finances qu'il a soumis au Parlement et n'a présenté aucun amendement y faisant référence.
Le fonds national de garantie contre les risques en agriculture (FNGRA) a fait en 2010 l'objet d'une dotation à partir du programme 154 « Économie et développement durable de l'agriculture, de la pêche et des territoires », comme en témoigne le rapport annuel de performance de ce programme annexé à la loi de règlement pour 2010. Celui-ci précise : « Initialement non dotée, cette ligne a été abondée à hauteur de son exécution par une ouverture en LFR no 1 pour la tempête Xynthia (10 000 000 € en AE=CP) et par un redéploiement à partir des autres sous-actions (21 760 528 € en AE=CP). Le FNGRA est dorénavant abondé en gestion par l'État, en tant que de besoin, conformément aux règles établies par la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche. »
Cette dernière affirmation est d'ailleurs cohérente avec l'absence de référence à une dotation de ce fonds dans le projet annuel de performance de ce programme joint à la loi de finances initiale pour 2011. Le Gouvernement aurait donc dû majorer les crédits du programme concerné à hauteur de la dotation prévisible du FNGCRA.
Quant à l'exonération de la taxe sur le foncier non bâti, elle devra se traduire par une majoration à due concurrence des crédits de la mission « remboursements et dégrèvements ». La majoration de 465 millions d'euros des crédits de cette mission effectuée par le projet de loi de finances rectificative résulte pour l'essentiel d'une modification des prévisions relatives à la TVA et ne prend donc en aucune façon en compte cette mesure annoncée par l'exécutif.
Sauf à ce que le Gouvernement n'entende pas mener à bien le plan de soutien dans les proportions telles qu'i1les a annoncées - soit un montant prévisible d'un milliard d'euros - le coût de ce plan aurait dû être pris en compte dans la loi de finances rectificative.

L'addition des 270 millions d'euros de sous-estimation des OPEX au coût de l'opération en Lybie à ce jour et au milliard d'euros retenu par le Premier ministre au titre des mesures relatives à la sécheresse conduit à un montant (1 350 M€) près de deux fois supérieur à l'aggravation du déficit prévisionnel de l'Etat constaté par la présente loi de finances rectificative - 715 M€. L'équilibre de cette loi, que traduit justement la dégradation ou l'amélioration du déficit qu'elle enregistre par rapport à la loi de finances initiale, est donc bien faussé dans ses grandes lignes par le refus du Gouvernement de prendre en compte des dépenses sinon certaines, du moins raisonnablement prévisibles du fait des informations disponibles.
C'est pourquoi il appartient au Conseil de constater l'insincérité dont témoignent les articles 26 et 27 de la loi de finances rectificative et les états annexés.

II. Sur l'absence d'évaluations prévues par la loi organique relative aux lois de finances : articles 12 et 39

La loi organique relative aux lois de finances dispose, au 4 ° de son article 53 que les projets de loi de finances rectificative doivent comporter « une évaluation préalable comportant les documents visés aux dix derniers alinéas de l'article 8 de la loi organique n° 2009-403 » pour « les dispositions relevant du 2 ° du 1 et du 7 ° du Il de l'article 34 » de la LOLF. Le 2 ° du 1 de ce dernier article fait référence aux « dispositions relatives aux ressources de l'Etat qui affectent l'équilibre budgétaire ». Le 7 ° du II fait notamment référence aux « dispositions relatives à l'assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature qui n'affectent pas l'équilibre budgétaire ».
A ce titre, l'article 5 du projet de loi - titré « Simplification du régime fiscal des pactes d'actionnaires (« Pactes Dutreil ») et devenu l'article 12 de la loi - et l'article 15 de ce même projet « Impôt de solidarité sur la fortune - Aménagements du régime des biens professionnels », devenu article 39 de la loi - doivent faire l'objet d'une telle évaluation et donc comporter les documents visés à l'article 8 de la loi organique no 2009-403. Ils doivent donc exposer « avec précision : - l'articulation du projet de loi avec le droit européen en vigueur ou en cours d'élaboration, et son impact sur l'ordre juridique interne ;
- l'état d'application du droit sur le territoire national dans le ou les domaines visés par le projet de loi ;
- les modalités d'application dans le temps des dispositions envisagées, les textes législatifs et réglementaires à abroger et les mesures transitoires proposées ;
- les conditions d'application des dispositions envisagées dans les collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises, en justifiant, le cas échéant, les adaptations proposées et l'absence d'application des dispositions à certaines de ces collectivités ;
- l'évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d'administrations publiques et de personnes physiques et morales intéressées, en indiquant la méthode de calcul retenue ;
- l'évaluation des conséquences des dispositions envisagées sur l'emploi public ;
- les consultations qui ont été menées avant la saisine du Conseil d'Etat ;
-s'il y a lieu, les suites données par le Gouvernement à l'avis du Conseil économique, social et environnemental ;
- la liste prévisionnelle des textes d'application nécessaires. »

En établissant cette liste, le législateur organique n'a pas entendu permettre au Gouvernement de s'exonérer d'apporter les éléments demandés à l'un de ces titres au motif qu'il aurait apporté tous les autres. Le Gouvernement est donc tenu d'apporter « avec précision » une réponse à chacun de ses titres et ne peut considérer avoir respecté la loi organique s'il fournit une évaluation préalable comprenant un ou plusieurs - mais non la totalité - des informations exigées par la loi organique.

Or les articles 5 et 15 du projet de loi de finances (articles 12 et 39 de la loi) ne comportent pas « l'évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d'administrations publiques et de personnes physiques et morales intéressées, en indiquant la méthode de calcul retenue ». Votre Conseil pourra d'ailleurs le constater à la lecture des extraits des évaluations préalables concernés (p. 204 et 205 (« 4. Impact de la disposition envisagée ») du projet de loi de finances pour l'article 5 du projet de loi devenu article 12 de la loi et p. 237 « 4. Impact de la disposition envisagée » pour l'article 15 du projet de loi devenu article 39 de la loi). S'agissant de l'article 5 du projet de loi (article 12 de la loi), est seulement rappelé l'objectif affiché de la mesure et évoqué le fait qu'elle est « susceptible d'avoir un impact favorable » en termes de croissance, de compétitivité ou d'emploi.
En particulier, aucune information n'est transmise s'agissant du coût de la mesure pour les finances publiques. Pourtant cette exigence d'évaluation du co(It budgétaire ne résulte pas seulement de l'article 53 de la loi organique mais également de ses articles 35 et 55. L'article 35 prévoit en effet que les dispositions de l'article 55 sont applicables aux lois de finances rectificatives. Ce dernier dispose que « chacune des dispositions d'un projet de loi de finances affectant les ressources ou les charges de l'Etat fait l'objet d'une évaluation chiffrée de son incidence au titre de l'année considérée et, le cas échéant, des années suivantes. »

S'agissant de l'article 15 du projet de loi (article 39 de la loi), il est « précisé » que « la mesure concerne les personnes physiques » - précision utile s'agissant d'une mesure portant sur l'impôt de solidarité sur la fortune. Comme pour l'article précédent, « l'évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d'administrations publiques et de personnes physiques et morales intéressées » ne peut donc être considérée comme fournie par le Gouvernement.

Votre Conseil a déjà décidé qu'un « retard dans la mise en distribution de tout ou partie des documents exigés par la loi organique afin de renforcer l'information et le contrôle du Parlement sur les finances publiques ou une méconnaissance des procédures qu'elle prévoit à cette même fin ne sauraient faire obstacle à la mise en discussion du projet de loi de finances. La conformité de celui-ci à la Constitution serait alors appréciée au regard tant des exigences de la continuité de la vie nationale que de l'impératif de sincérité qui s'attache à l'examen des lois de finances pendant toute la durée de celui-ci. »
En la matière, la nature des dispositions en cause et leur caractère séparable de la présente loi de finances ne permettent pas d'invoquer l'exigence de continuité de la vie nationale à leur appui.
En revanche, l'absence d'évaluation du coût budgétaire de ces mesures, en particulier s'agissant de l'article 12, ne peut que conduire à méconnaître la sincérité de la loi de finances dès lors que les grandes lignes de celles-ci ne peuvent évidemment pas intégrer les effets de cette mesure.
Par conséquent, il vous appartient, sauf à priver d'effets les articles de la loi organique précités, de censurer les articles 12 et 39 de la présente loi de finances rectificative.

III. Sur la méconnaissance du domaine des lois de finances : article 38

La modification du plafond du taux de cotisation obligatoire des collectivités territoriales au Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) ne relève pas du domaine d'une loi de finances. En effet, cette modification constitue une mesure qui :
- à l'évidence, ne concerne ni les ressources, ni les charges, ni la trésorerie, ni les emprunts, ni la dette, ni les garanties ou la comptabilité de l'État,
- n'est pas relative au régime de la responsabilité pécuniaire des agents des services publics ou à l'information et au contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques,
- n'a pas pour objet de répartir des dotations aux collectivités territoriales ou d'approuver des conventions financières, dans la mesure où le CNFPT ne constitue pas une collectivité territoriale au sens de l'article 72 de la Constitution,
- enfin, n'a pas trait à des impositions de toutes natures affectées à des personnes morales autres que l'État.
En particulier, la cotisation des collectivités territoriales au CNFPT ne saurait constituer une imposition de toutes natures affectées à des personnes morales autres que l'État en ce qu'elle constitue à notre sens soit une subvention budgétaire permettant d'assurer le financement d'un service mutualisé entre collectivités territoriales de formation professionnelle et de gestion des carrières des agents territoriaux, soit une redevance acquittée par les collectivités territoriales pour service rendu.

1. La cotisation acquittée par les collectivités territoriales devrait être qualifiée de subvention Budgétaire

Vous avez déjà jugé que constituait un cavalier budgétaire l'article 110 de la loi de finances rectificative pour 2009 qui modifiait l'article L. 5722-10 du CGCT qui prévoyait qu'un « syndicat mixte bénéficiaire de transferts de compétence prévus par l'article 30 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales peut recevoir de ses membres, pour la réalisation d'équipements ressortissant à la compétence transférée, le versement de subventions d'équipement après accords concordants exprimés à la majorité simple du comité syndical et des organes délibérants des collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale concernés. Le montant total des fonds de concours versés ne peut excéder le montant des investissements à réaliser déduction faite de l'autofinancement et des subventions perçues » (CC, 2009-600, 29 déc. 2009).

Par votre jurisprudence, vous avez ainsi réservé au domaine de la loi ordinaire un tel dispositif de financement.

Or, en premier lieu, la cotisation obligatoire relève d'une modalité de financement assurée entre personnes publiques à l'instar de tous les mécanismes de concours financiers. Et en second lieu, cette forme de financement du CNFPT indépendamment de la dénomination empruntée par le législateur constitue une forme de financement mutualisé pour satisfaire un besoin commun et propre aux collectivités territoriales.

La seule circonstance que la cotisation constitue juridiquement une dépense obligatoire mise annuellement à la charge des budgets locaux (art L. 2321-2, L. 3321-1 et L. 4321-1 CGCT) ne saurait conduire à l'assimiler à une imposition de toutes natures.

2. A titre subsidiaire, la cotisation pourrait être qualifiée de redevance pour service rendu

Au sens de votre jurisprudence, constitue une redevance la somme « demandée à des usagers en vue de couvrir les charges d'un service public ou les frais d'établissement ou d'entretien d'un ouvrage public qui trouvent leur contrepartie dans des prestations fournies par le service ou dans l'utilisation de l'ouvrage » (déc. n° 2005-513 DC, 14 avr. 2005).
Suivant cette définition, il apparaît que les cotisations exigibles sont justifiées par les missions de formation et de gestion des carrières des agents des collectivités territoriales qui en tant qu'usagers acquittent cette cotisation, faisant ainsi figure de contrepartie du service rendu.
Ce lien se manifeste dans le rapport synallagmatique qui justifie l'acquittement de cotisations additionnelles s'agissant des missions supplémentaires ou spécifiques.
Ainsi, en est-il du prélèvement supplémentaire obligatoire versé par les offices publics de l'habitat (ex offices publics d'habitations à loyer modéré) en vue d'assurer le financement complémentaire d'un programme national d'actions de formation spécialisées dont bénéficient leurs agents (figurant à l'article 12-2 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale), de la majoration de la cotisation obligatoire affectée au financement de la formation des officiers de sapeurs-pompiers professionnels et des charges salariales relatives aux élèves officiers (mentionnée à l'article 12-2-1 de la même loi) ou de la redevance due pour prestations de services versée par les communes en contrepartie des formations obligatoires de leurs policiers municipaux (prévue par l'article L. 412-54 du code des communes).
Et ne paraissent devoir s'opposer à une telle qualification, ni le caractère obligatoire de la cotisation (déc. n° 2005-513 DC du 14 avril 2005), ni le caractère forfaitaire des services rendus, dès lors que le caractère direct de la redevance par rapport au service rendu ne figure plus dans la définition qui en est faite.

V. Sur la rupture de l'égalité devant les charges publiques et d'autres principes ou exigences : articles 1er, 20, 41 et 48

1. Sur l'article 1er

Cet article substitue au barème actuel de l'impôt sur la fortune, qui comporte 6 tranches, un autre comportant seulement 2 tranches. Il réduit ainsi dramatiquement la progressivité de cet impôt sur la détention d'une fraction du patrimoine.
Un contribuable disposant aujourd'hui d'un patrimoine de 16,79M€ - seuil de la dernière tranche, doit normalement acquitter un impôt de 224 485 euros. Il devrait payer demain 0,5 % de son patrimoine soit 83 950. Sa cotisation diminuerait donc de 62 % et le gain obtenu représenterait chaque année 140 535 euros soit 0,84 % de son patrimoine chaque année. Un autre contribuable disposant d'un patrimoine inférieur - 3,2M€ - doit aujourd'hui acquitter un impôt de 18 555 euros et devra demain payer un impôt de 0,5 % de son patrimoine soit 16000 euros. Sa cotisation diminue donc de 14 % et le gain obtenu représenterait chaque année 2 555 euros soit 0,08 % de son patrimoine. Enfin, un contribuable disposant d'un patrimoine de 1,4M€ doit aujourd'hui acquitter un impôt de 3 480 euros et devra demain payer un impôt de 0,25 % de son patrimoine soit 3 500 euros. Sa cotisation augmentera donc, quoique modérément.
L'article 1er de la présente loi de finances rectificative bénéficie donc davantage - en valeur absolue mais aussi en valeur relative - aux personnes disposant des patrimoines les plus importants et conduit à réduire massivement la progressivité de cet impôt, laquelle contribue à l'égalité de tous devant les charges publiques.

En outre, cette diminution de la progressivité s'accompagne d'une forte réduction du produit de l'impôt de solidarité sur la fortune. Le Gouvernement a lui-même évalué cette réduction à environ 1,9 milliard d'euros chaque année à compter de 2012. Or le motif avancé pour une réduction de près de la moitié du produit de cet impôt est que celui-ci pénaliserait l'attractivité de la France - ce qui n'a pu être établi à aucun moment des débats. En conséquence, et particulièrement au moment où les finances de l'Etat sont dans une situation critique, une diminution aussi forte de cet impôt méconnaît l'exigence constitutionnelle de bon usage des deniers publics.
Par ailleurs, cet article porte, dans son 3 °, à 300 euros la réduction d'impôt prévue par personne à charge au titre de l'article 885 V bis du Code général des impôts. Lors des débats, le ministre du budget a notamment indiqué « cet amendement est intéressant dans la mesure où il s'inscrit dans une logique de développement et d'accompagnement de notre politique familiale. On ne saurait pour autant taire qu'il pourrait provoquer un effet d'aubaine. » Le coût de cette disposition a été estimé à 20 millions d'euros chaque année par le Rapporteur général du Budget au Sénat.
Cette mesure revient donc à dégrader la situation des finances de l'Etat à hauteur de 20 millions d'euros chaque année au bénéfice exclusif de foyers disposant d'un patrimoine supérieur à 1,3 million d'euros, à des fins de développement et d'accompagnement de la politique familiale.
Si cet objectif est légitime, une disposition le poursuivant ne saurait voir son accessibilité limitée aux foyers disposant des patrimoines les plus importants, sauf à aboutir à une rupture caractérisée d'égalité.
En outre, le montant de la réduction en cause apparaît faible relativement aux capacités contributives des contribuables concernés. Dès lors, comme l'a d'ailleurs relevé le ministre, cette mesure n'aura en réalité aucun effet en termes de politique familiale. Dès lors, elle ne respecte pas l'exigence constitutionnelle de bon usage des deniers publics.
Pour ces raisons, il appartient à votre Conseil de censurer l'article 1er.

2. Sur l'article 20

L'article 20 de la présente loi donne aux entreprises de 50 à 250 salariés ayant conclu un accord d'intéressement la possibilité de bénéficier à ce titre d'un crédit d'impôt. Celui-ci représente 30 % de l'accroissement des sommes distribuées par rapport à celles distribuées en vertu de l'accord précédent (ou de l'exercice précédent).
Ainsi cet article conduit à une rupture de l'égalité devant les charges publiques qu'aucun motif d'intérêt général ne vient soutenir. En effet deux entreprises dans des situations par ailleurs identiques acquitteront un impôt différent uniquement du fait de l'existence ou non d'un accord d'intéressement conduisant à distribuer des sommes plus importantes que par le passé.
Or plusieurs raisons peuvent conduire à une telle situation. En particulier :
- les mauvaises perspectives d'activité d'une société peuvent conduire ses dirigeants à renoncer à conclure un premier accord, ou un accord plus favorable que celui existant ;
- des dirigeants décidant d'améliorer la rémunération des salariés de l'entreprise peuvent préférer une augmentation de salaire qu'un accord d'intéressement plus favorable.
Dans le premier cas, ce crédit d'impôt aboutit à avantager l'entreprise bénéficiant de bonnes perspectives d'activité au détriment de celle dont l'avenir apparaît plus incertain. Dans le second, il bénéficie davantage aux entreprises qui donnent la priorité à la rémunération variable plutôt qu'à la rémunération fixe.
En conséquence, si l'amélioration de la rémunération des salariés aurait pu être un motif justifiant une atteinte au principe d'égalité, tel n'est évidemment pas le cas de l'augmentation des sommes distribuées au titre de l'intéressement. Pour cette raison, l'article 20 introduit une rupture d'égalité devant les charges publiques entre les entreprises de 50 à 250 salariés et doit à ce titre être censuré par votre Conseil.
Au surplus, cette article méconnaît lui aussi l'exigence constitutionnelle de bon usage des deniers publics puisque son coût a été estimé à 40 millions d'euros pour 2011 par le Rapporteur général du Budget du Sénat alors même qu'il ne poursuit aucun motif d'intérêt général.

3. Sur l'article 41

L'article 41 de la loi de finances ouvre la possibilité de déroger à l'imposition progressive des prestations de retraite versées sous forme de capital imposables, en optant pour un prélèvement au taux de 7,5 % qui libère ces rentes de l'impôt sur le revenu.
Une telle dérogation a été justifiée par le fait que soumettre ces capitaux au barème de l'impôt sur le revenu conduirait à les taxer de façon excessive. Or le caractère exceptionnel de ces revenus a été pris en compte par le système existant, qui prévoit que pour le calcul du taux de l'imposition est retenu le 15e des capitaux en cause (II de l'article 163 du CGI), ce qui permet de corriger les effets excessifs qu'entraînerait l'application directe du barème à de tels revenus.
En conséquence, l'article 41 n'aura d'autre effet que de permettre aux personnes disposant des revenus les plus importants d'échapper au barème progressif de l'impôt sur le revenu pour les revenus en cause.
Il aboutit à une rupture d'égalité entre les bénéficiaires de prestations de retraite selon qu'elles sont versées sous formes de rentes ou de capital, rupture d'égalité qu'aucun motif d'intérêt général ne vient soutenir.
En outre, en remettant en cause la soumission des revenus concernés au barème de l'impôt sur le revenu, il contrevient au principe de progressivité qui, s'agissant de l'impôt sur le revenu, est susceptible de constituer un principe fondamental reconnu par les lois de la République.

4. Sur l'article 48

L'article 48 de la présente loi de finances prévoit que les contribuables transférant leur domicile fiscal hors de France sont, sous certaines conditions, soumis à une imposition sur les plus-values latentes constatées sur « les droits sociaux, valeurs, titres ou droits mentionnés au présent 1 qu'ils détiennent, directement ou indirectement, à la date du transfert hors de France de leur domicile fiscal lorsque les membres de leur foyer fiscal détiennent une participation, directe ou indirecte, d'au moins 1 % dans les bénéfices sociaux d'une société, à l'exception des sociétés visées au 10 bis A de l'article 208, ou une participation directe ou indirecte dans ces mêmes sociétés dont la valeur, définie selon les conditions prévues au 2 du présent l, excède 1,3 million d'euros lors de ce transfert. »
Cette définition du champ d'application de cette disposition conduit à une rupture d'égalité devant les charges publiques.
D'une part, sont exclues les sociétés visées au 1 0 bis A de l'article 208 - les sociétés d'investissement à capital variable, sans que cette exclusion ne soit justifiée par un quelconque motif d'intérêt général.
D'autre part, comme l'a relevé le Rapporteur général du Budget de l'Assemblée nationale dans son rapport, « le seuil de valeur (1,3 million d'euros) est, aux termes de la rédaction proposée, apprécié par société détenue (sous réserve des éventuelles détentions indirectes). Un contribuable dont le patrimoine sera constitué de dix participations d'une valeur unitaire d'un million d'euros dans dix sociétés dépourvues de liens capitalistiques ne sera donc pas dans le champ du dispositif (sauf naturellement si l'une des participations représente plus de 1 % des droits aux bénéfices sociaux de l'une de ces sociétés). »
En conséquence, dans l'exemple donné par le Rapporteur général, un contribuable disposant de participations à hauteur de 1 0 millions ne serait pas redevable de la taxe. A l'inverse, une personne ne disposant que d'une seule participation d'un montant de 2 millions en serait redevable. Les capacités contributives du premier étant supérieures à celles du second, l'assiette de la taxe définie dans l'article 48 est, dans sa rédaction actuelle, contraire au principe d'égalité devant les charges publiques.
Aussi, il appartient au Conseil de censurer les mots « à l'exception des sociétés visées au 1 ° bis A de l'article 208 » et de préciser que le seuil de 1,3 million d'euros doit porter sur l'ensemble des participations détenues et non chacune d'entre elles.