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Décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011 - Réplique par 60 députés

Loi relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité
Non conformité partielle

Monsieur le Président du Conseil constitutionnel, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,

Les observations du Gouvernement et du Président de l'Assemblée nationale sur le recours dirigé contre la loi relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité, appellent en réplique les remarques suivantes de la part des députés signataires de la saisine.

Parce que d'une manière générale les requérants ne sont pas convaincus par les arguments en défense avancés par le gouvernement, ils maintiennent l'ensemble des griefs contenus dans leur requête initiale.

Sans qu'il soit nécessaire de revenir sur tous les moyens qui demeurent valides, certains éléments appellent les considérations suivantes.

SUR LA PROCEDURE

Le Président de l'Assemblée nationale vous a transmis des observations par un courrier en date du 25 mai 2001, appuyées par celles du Gouvernement. Celles-ci appellent au moins cinq objections.

1. Tout d'abord, il est indiqué dans ces observations que le débat « était programmé sur deux semaines ». En réalité, celui-ci était uniquement inscrit la dernière semaine de la session extraordinaire se terminant le jeudi 30 septembre 2010. Ce n'est que par une lettre de M. le ministre chargé des relations avec le Parlement, en date du 30 septembre 2010, que l'examen du projet de loi fut prolongé lors des premiers jours de la session ordinaire, en octobre 2010. Il est donc erroné d'affirmer que les députés disposaient, a priori, d'un calendrier fixant à deux semaines l'examen de ce texte.

2. Deuxièmement, selon le Président de l'Assemblée nationale, « Elle (la Conférence) prend les décisions nécessaires à la mise en œuvre du temps législatif programmé, en application de l'article 49 du Règlement. L'alinéa 12 de cet article indique que c'est elle qui, le cas échéant, peut décider d'augmenter le temps alloué aux groupes. Les demandes qui lui sont faites sont présentées par les présidents des groupes ou des commissions et les décisions prises par consensus ou à la majorité ».

Or, le Règlement de l'Assemblée nationale ne précise pas que les demandes des présidents des groupes ou des commissions doivent être présentées oralement. Par ailleurs, aucune disposition du Règlement n'interdit la présentation d'une telle demande par écrit. Il est même d'usage que la quasi-totalité des demandes formulées par les groupes en vue d'être abordées en Conférence le soient par écrit, à la demande des services de l'Assemblée, sans être nécessairement formulées par leur représentant en Conférence.

Dans sa réponse au président du groupe SRC demandant par écrit un temps supplémentaire, le Président de l'Assemblée nationale a renvoyé à la Conférence des présidents du lendemain le soin de décider du sort de cette demande et précisé qu'il était prêt à l'appuyer. Dans ces conditions, le Président aurait pu appuyer cette demande sans que la présence d'un représentant du groupe SRC soit nécessaire et inviter la Conférence à se prononcer. Ce qu'il n'a pas fait puisqu'il a au contraire considéré qu'il n'était « pas en mesure d'inviter la Conférence à se prononcer, le président du groupe SRC n'étant pas là pour la présenter et n'ayant mandaté aucun membre de son groupe à cet effet ».

Il s'agit donc bel et bien d' « une fin de non recevoir » opposée à la demande écrite du président du groupe SRC.

3. Troisièmement, l'absence des représentants de l'opposition aux Conférences des Présidents du 5 et 6 octobre 2010 était directement liée au conflit entre l'opposition et la présidence de l'Assemblée nationale quant à l'interprétation du règlement concernant le droit d'explication de vote personnelle sur le texte relatif à la réforme des retraites. L'examen de ce dernier précédait celui du projet de loi relatif à l'immigration, l'intégration et la nationalité. En effet, le 14 septembre 2010, lors de l'examen du projet de loi réformant les retraites, le Président de l'Assemblée nationale avait refusé la parole à 142 députés de l'opposition pour leur explication de vote personnelle arguant qu'il « ne laisserait pas, à travers de petites manœuvres l'obstruction, qui est paralysante et dévalorisante pour notre Parlement, se réinstaller » (compte-rendu intégral, 2e séance du 14 septembre 2010). De plus, le motif selon lequel « les explications de vote individuelles sont destinées […] à permettre à des membres de l'Assemblée d'exprimer une sensibilité particulière ou une opinion divergente par rapport à celle de leur groupe » (Observations du Gouvernement au Conseil Constitutionnel, 2010-617 DC) alors qu'aucun texte ne précise une telle obligation, a inévitablement conduit les députés du groupe SRC à douter de l'effectivité de ce droit. Par conséquent, il ne pourrait leur être reproché de ne pas avoir utilisé cette faculté alors même que celle-ci leur avait été refusée le mois précédent.

4. Par ailleurs, Le Président de l'Assemblée nationale soulève que « la procédure du temps législatif programmé doit conduire les groupes à définir des priorités et à mettre l'accent sur les points selon eux les plus importants. Manifestement, le groupe SRC n'a pas pu, ou n'a pas voulu le faire ».

Cette dernière affirmation ne peut être acceptée. En effet, tout au long de la procédure parlementaire, les députés du groupe SRC ont fait preuve de mesure et de responsabilité quant au temps consacré à chacune des parties de la loi déférée.

Ainsi, le groupe SRC a choisi de se priver de temps en discussion générale afin de se concentrer sur la discussion des articles et des amendements. Le groupe SRC n'a, par ailleurs, consacré qu'une heure de son temps pour s'exprimer sur des articles aussi importants que ceux relatifs au respect du contrat d'accueil et d'intégration, à la création de nouvelles zones d'attente « temporaires » ou encore pour examiner l'introduction du système de purge des nullités (2e séance du 30 septembre 2010). De même, seulement 25 minutes ont été consacrées par le groupe SRC à la discussion sur les nouvelles décisions d'éloignement (OQTF, délai de départ volontaire, interdiction de retour, dispositions touchant les ressortissants de l'Union européenne) et sur la décision de repousser l'intervention du JLD du 2e au 5e jour (article 37 à 44, 1ère séance du 6 octobre 2010) et 46 minutes pour traiter notamment de l'assignation à résidence et de la réforme du contentieux administratif (articles 44 à 54, 2e séance du 6 octobre 2010). En quoi, le groupe SRC n'a-t-il pas été responsable dans le temps de ses interventions ?

Deux dispositions essentielles ont fait l'objet d'un temps de parole plus important. Le groupe SRC a ainsi utilisé 1h12 de son temps pour évoquer plusieurs articles dont celui concernant les « mariages gris », terme pour le moins contestable. Cela représente 10 % de son temps, l'UMP y ayant consacré 5 % de son temps. En outre, qui peut affirmer que consacrer 1h48 à l'article problématique relatif à la déchéance de nationalité soit inconséquent ? L'UMP a elle-même utilisé plus de 7 % de son temps pour cette disposition.

Enfin, contrairement à l'affirmation selon laquelle « en tout état de cause, la durée fixée n'était pas insuffisante », il est utile de relever que le groupe GDR a lui-même était contraint rapidement au silence. De plus, le groupe UMP ne disposait plus que d'1h33 lors de la 1ère séance du 6 octobre pour défendre ses 114 amendements, soit 49 secondes par amendement. Ce temps n'est plus que de 15 secondes si le groupe UMP avait souhaité s'exprimer sur les 74 articles et les 186 amendements de l'opposition restants en discussion. Par conséquent, il est manifeste que le temps programmé était insuffisant pour l'expression sereine des députés, quel que soit leur groupe politique. De ce fait, les députés ont été privés de leur droit d'expression et d'amendement violant de fait les exigences constitutionnelles de clarté et de sincérité du débat parlementaire, sans lesquelles ne seraient pas garanties les règles énoncées par les articles 6 de la Déclaration de 1789 et 3 de la Constitution.

5. Enfin, le Président de l'Assemblée nationale en soulignant que « si les députés du groupe SRC étaient restés dans l'hémicycle leurs amendements auraient été naturellement mis aux voix » tend à nier le fait que les députés de ce groupe auraient été dans l'incapacité réglementaire de demander un scrutin public sur ces amendements.

SUR L'ARTICLE 4

Les requérants s'interrogent sur la pertinence de l'argument du gouvernement selon lequel la disposition en cause « poursuit une finalité exclusivement statistique ».

En effet, s'il n'est pas difficile d'envisager - sans toutefois préjuger de son opportunité - ce que pourrait être le contenu de données statistiques indiquant la part des Français possédant une ou plusieurs autres nationalités, il est en revanche beaucoup moins aisé de mesurer l'utilité statistique de déterminer la part de ces mêmes Français selon qu'ils entendent conserver ou non leur(s) autre(s) nationalité(s), alors que, comme indiqué dans la saisine initiale, cet élément relève non pas de la volonté des personnes concernées, mais des législations des Etats dont elles possèdent par ailleurs la nationalité.

SUR L'ARTICLE 10

Les requérants ne peuvent souscrire aux arguments du Gouvernement pour la bonne et simple raison que ce dernier fait dire à la disposition en cause ce que précisément elle ne dit pas.

Ainsi, il indique que le fait qu'un groupe d'étrangers vient d'arriver sur le territoire « résultera normalement de sa découverte à proximité d'une frontière extérieure ». Or cette exigence que la découverte se fasse « à proximité d'une frontière maritime ou terrestre » avait bien été introduite par le Sénat en première lecture, mais elle a justement été ensuite supprimée. Le Gouvernement ne saurait dès lors l'invoquer à bon droit.

Il indique ensuite que la durée de la zone d'attente concernée sera limitée dans le temps, « sans possibilité de renouvellement ». Or là aussi, rien dans le texte qui vous est déféré n'exclut cette possibilité de renouvellement.

Il prétend également que seuls les étrangers membres d'un groupe seront concernés par le nouveau régime, et non ceux qui, bien que se trouvant dans le périmètre de la zone d'attente concernée, n'appartiennent pas au dit groupe. Mais aucun élément objectif qui permettrait de distinguer un étranger d'un autre étranger dans ce périmètre ne vient à l'appui de sa prétention. Par cette assertion non étayée, il ne fait que donner corps au risque d'arbitraire évoqué par les requérants dans leur saisine initiale.

Enfin les requérants s'étonnent que le Gouvernement n'ait pas pris la peine de répondre au grief de l'atteinte au principe d'indivisibilité de la République. Cela les conforte néanmoins dans l'opinion que ce moyen devrait utilement prospérer.

SUR LES ARTICLES 12 ET 57

Les requérants donnent acte au Gouvernement d'admettre que « s'il apparaissait que l'étranger a été dans l'impossibilité d'invoquer une irrégularité antérieure à la première audience lors de celle-ci, il devrait pouvoir le faire lors de la seconde ».

Il appartiendra cependant à votre haute juridiction d'exprimer une réserve en ce sens, afin que cette interprétation des dispositions concernées s'impose effectivement, conformément au troisième alinéa de l'article 62 de la Constitution, « à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ».

SUR L'ARTICLE 13

Le gouvernement reconnaît que l'existence de garanties de représentation n'impose pas la remise en liberté d'une personne placée en zone d'attente, mais « peut suffire » à cette remise en liberté. Comme les requérants l'indiquaient dans leur saisine initiale, il s'agit bien là d'une simple faculté.

Or la privation de cette faculté pour le Juge des libertés et de la détention (JLD) de justement décider de la remise en liberté d'une personne porte une atteinte manifeste à son office, contraire à l'article 66 de la Constitution et au droit à un recours effectif.

A cet argument précis, pourtant développé par les auteurs de la requête initiale, le Gouvernement n'a pas répondu.

SUR LES ARTICLES 16 ET 58

Contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement, l'expérience n'a pas démontré que le délai de 4 heures pour former un appel suspensif est à l'origine de sa faible utilisation par le ministère public. Il ressort en effet clairement, comme indiqué dans la saisine initiale, que cela résulte de raisons structurelles.

Par surcroit, le rapport Mazeaud invoqué par le Gouvernement ne disait pas autre chose, et surtout, il ne proposait pas d'allonger le délai pendant lequel l'appel pouvait être formé, mais de modifier le moment où ce délai commençait à courir, à savoir la notification au procureur de la décision du JLD, et non le prononcé de cette décision.

SUR LES ARTICLES 26, 40 et 70

Le Gouvernement évoque le revirement jurisprudentiel (décisions du Conseil d'Etat, n°301640 et n°316625, 7 avril 2010) nécessitant de ce fait les dispositions prévues aux articles 26, 40 et 70. Néanmoins, il apparaît que ces décisions ne faisaient que reprendre les termes et l'esprit de la loi, précisés dès 1998. Ainsi, la circulaire de NOR/INT/D/98/00108/C du 12 mai 1998 indiquait déjà que « la possibilité pour l'intéressé de bénéficier ou non du traitement approprié à son état dans son pays d'origine dépend non seulement de l'existence des moyens sanitaires adéquats, mais encore des capacités d'accès du patient à ces moyens ».

Par ailleurs, l'appréciation de « circonstance humanitaire exceptionnelle » par le préfet après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, autorités non médicales, conduit à s'interroger sur la préservation du secret médical, contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement. Vous avez, à cet égard, rappelé que « la liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration de 1789 implique quant à elle le droit au respect de la vie privée. Ce droit requiert que soit observée une particulière vigilance dans la collecte et le traitement de données à caractère personnel de nature médicale » (votre décision 2004-504 DC, 12 août 2004).

SUR L'ARTICLE 33

En relevant que, « déjà, à la vérité, la portée du texte actuel (…) n'exige nullement que les deux conjoints soient mus par une intention frauduleuse », le Gouvernement ne fait rien d'autre que reconnaître expressément l'absence de nécessité de la nouvelle disposition pourtant requise par l'article 8 de la Déclaration de 1789, et, par voie de conséquence, l'erreur manifeste d'appréciation commise par le législateur en l'adoptant.

SUR L'ARTICLE 37

Quant au risque de fuite, le Gouvernement semble faire abstraction de l'avis du Conseil d'Etat rendu le 21 mars 2011 (n° 345978 et 346612) selon lequel les points 1 °, 2 ° et 4 ° du II de l'actuel article L. 511-1 du CESEDA, qui correspondent aux a), b), et c) du point 3 de l'article L. 511-1-II ici en cause, ne méconnaissaient pas la directive « retour », à condition que la mesure soit « assortie d'un délai de retour approprié à la situation de l'intéressé et supérieur à sept jours ».

Ce considérant est néanmoins de nature à rendre manifeste l'erreur de transposition de la directive « retour » dont se défend le Gouvernement.

Quant au fait que l'interdiction de retour ne relèverait pas selon le Gouvernement de l'article 8 de la Déclaration de 1789, les requérants s'en tiennent à votre jurisprudence qui a qualifié sans détour l'interdiction de territoire de sanction ayant le caractère d'une punition (93-325 DC du 13 août 1993, cons. 48-49).

Ce caractère punitif est ici d'autant plus manifeste que l'interdiction prononcée ne vaut pas pour le seul territoire français, mais pour l'ensemble du territoire de l'Union européenne.

Enfin le Gouvernement indique que l'interdiction de retour ne fait pas « obstacle à ce qu'un étranger qui aurait fait l'objet d'une telle mesure présente à la frontière une demande d'admission sur le territoire national au titre de l'asile ».

Encore une fois il fait dire à la loi ce qu'elle ne dit pas. Si c'est effectivement l'interprétation qu'il faut retenir de cette disposition, alors il appartiendra à votre haute juridiction, si elle ne la censure pas, d'émettre une réserve en ce sens.

SUR LES ARTICLES 44 ET 47

Le Gouvernement donne raison aux requérants en admettant que l'article L. 551-1 du CESEDA devrait être interprété comme donnant la priorité à l'assignation à résidence sur la rétention administrative.

Mais c'est précisément ce que la loi ne dit pas, puisqu'elle fait de l'assignation une simple alternative à la rétention, et en aucun cas une mesure qui doit être envisagée en priorité.

Cet aveu du Gouvernement conforte ainsi le grief tiré de l'erreur de transposition manifeste de la directive « retour » énoncé dans la saisine initiale.

Quant à l'assignation à résidence en tant que telle, le Gouvernement se méprend sur les arguments avancés par les requérants.

Il ressort en effet clairement de la saisine initiale que le manquement à l'article 66 de la Constitution ne résulte pas de l'absence de contrôle judiciaire sur l'assignation à résidence elle-même, mais de l'absence de contrôle judiciaire sur les actes préalables à son prononcé (arrestation, contrôle d'identité, garde à vue).

SUR LES ARTICLES 48 ET 51

Les requérants ne peuvent que s'étonner du parallèle que tente d'établir le Gouvernement entre les étrangers en situation irrégulière et les personnes atteintes de troubles mentaux en se référant à votre décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010.

Si cette décision est en l'espèce pertinente, c'est uniquement en ce qu'elle rappelle que « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible », et que seules des considérations spécifiques aux personnes concernées ont pu justifier un délai supérieur à 48 heures sans intervention du juge judiciaire. C'est ce qui ressort clairement de votre considérant selon lequel : « toutefois, les motifs médicaux et les finalités thérapeutiques qui justifient la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux hospitalisées sans leur consentement peuvent être pris en compte pour la fixation de ce délai » (cons. 25).

Quant aux interventions des juges administratifs et judiciaires, le Gouvernement s'arc-boute sur l'idée que l'intervention du juge administratif devrait être préalable à celle du juge judiciaire, au mépris du rôle dévolu à chaque ordre de juridictions.

Contrairement à ce qu'il affirme, l'intervention préalable du juge judiciaire ne prive en aucun cas d'effet utile celle du juge administratif. En effet, ce dernier peut être saisi, conformément à l'article 34 de la loi, en plus de la décision de placement en rétention, de l'obligation de quitter le territoire, de la décision de refus de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination, et de l'interdiction de retour.

Or même si le JLD décide de la non prolongation de la rétention, la décision du juge administratif gardera tout son effet si elle vient à valider l'ensemble de ces décisions qui pourront par la suite faire l'objet d'une exécution, sans pouvoir être à nouveau contestées.

Quant à l'argument selon lequel le régime de la garde à vue et de la rétention administrative sont distincts, il ne saurait prospérer. A suivre ce raisonnement en effet, il suffirait de faire se suivre des privations de liberté de courte durée selon des régimes distincts pour échapper à tout contrôle du juge judiciaire.

Votre haute juridiction ne s'y est d'ailleurs pas trompée en jugeant que le régime de mise à la disposition de la justice pour une durée de 20 heures, fut-il distinct de celui de la garde à vue, exigeait néanmoins l'intervention d'un magistrat du siège lorsque la garde à vue avait duré 48 heures (2010-80 QPC du 17 décembre 2010, cons. 11).

SUR L'ARTICLE 56

Le Gouvernement avance que ce sont 20 à 30 % des procédures de reconduite à la frontière qui échouent en raison d'une délivrance des laissez-passer consulaires tardive. Ce n'est pourtant absolument pas ce qui ressort du dernier rapport Comité interministériel de contrôle de l'immigration qui indique que pour 2009, sur 12219 laissez-passer demandés, 3823 ont été obtenus, 3870 refusés, et seulement 404 obtenus hors délai, soit 3,3 % (p. 78).

SUR L'ARTICLE 94

Vous ne pourrez vous rendre aux arguments du Gouvernement selon lequel l'article 94 n'a pas pour objet de transposer la directive « retour ».

Comme il l'est indiqué dans le commentaire aux Cahiers de votre décision n° 2008-564 DC du 19 juin 2008, « l'identification d'une loi de transposition au sens de l'article 88-1 de la Constitution est parfois rendue aisée par les termes mêmes de la loi si celle-ci indique elle-même qu'elle transpose ou qu'une partie de ses dispositions transpose une directive », et, « en l'absence d'indication par le législateur, le Conseil constitutionnel utilise le texte de la directive invoquée en le comparant à la loi déférée, ainsi qu'un faisceau d'indices tels que les travaux préparatoires de la loi (exposé des motifs, rapports, débats) ou des décisions juridictionnelles afin de déterminer si la disposition législative entre dans le champ de transposition de la directive ».

Or, primo, il ne saurait être contesté que la loi qui vous est soumise a, tout au moins en partie, vocation à transcrire dans le droit interne ladite directive.

Et, secundo, comme l'indique l'exposé des motifs du projet de loi initial, cet article en particulier est une disposition de « coordination » des nouvelles dispositions du CESEDA qui mettent directement en œuvre la directive « retour ». Pour s'en convaincre, il suffit de relever que l'article 94 se réfère à l'interdiction de retour dont il n'est pas contestable qu'elle découle de la directive.

Mais, de manière plus générale, les requérants attirent votre attention sur le caractère potentiellement pernicieux de l'argumentation que vous soumet le Gouvernement.

En effet, à suivre son raisonnement, on aboutirait à ce qu'une disposition législative qui serait tellement manifestement contraire à la directive qu'elle transpose ne pourrait être regardée comme ayant pour objet de la transposer. Cela reviendrait à assimiler le manquement à l'obligation de transposition à une absence de transposition, alors même qu'il vous appartient de vérifier que « la loi de transposition ne contredise ni les dispositions ni l'objectif général de la directive qu'elle a pour objet de transposer » (commentaire aux Cahiers précité de votre décision n° 2008-564 DC).

Monsieur le Président du Conseil constitutionnel, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,

Les observations du Gouvernement et du Président de l'Assemblée nationale sur le recours dirigé contre la loi relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité, appellent en réplique les remarques suivantes de la part des députés signataires de la saisine.

Parce que d'une manière générale les requérants ne sont pas convaincus par les arguments en défense avancés par le gouvernement, ils maintiennent l'ensemble des griefs contenus dans leur requête initiale.

Sans qu'il soit nécessaire de revenir sur tous les moyens qui demeurent valides, certains éléments appellent les considérations suivantes.

SUR LA PROCEDURE

Le Président de l'Assemblée nationale vous a transmis des observations par un courrier en date du 25 mai 2001, appuyées par celles du Gouvernement. Celles-ci appellent au moins cinq objections.

1. Tout d'abord, il est indiqué dans ces observations que le débat « était programmé sur deux semaines ». En réalité, celui-ci était uniquement inscrit la dernière semaine de la session extraordinaire se terminant le jeudi 30 septembre 2010. Ce n'est que par une lettre de M. le ministre chargé des relations avec le Parlement, en date du 30 septembre 2010, que l'examen du projet de loi fut prolongé lors des premiers jours de la session ordinaire, en octobre 2010. Il est donc erroné d'affirmer que les députés disposaient, a priori, d'un calendrier fixant à deux semaines l'examen de ce texte.

2. Deuxièmement, selon le Président de l'Assemblée nationale, « Elle (la Conférence) prend les décisions nécessaires à la mise en œuvre du temps législatif programmé, en application de l'article 49 du Règlement. L'alinéa 12 de cet article indique que c'est elle qui, le cas échéant, peut décider d'augmenter le temps alloué aux groupes. Les demandes qui lui sont faites sont présentées par les présidents des groupes ou des commissions et les décisions prises par consensus ou à la majorité ».

Or, le Règlement de l'Assemblée nationale ne précise pas que les demandes des présidents des groupes ou des commissions doivent être présentées oralement. Par ailleurs, aucune disposition du Règlement n'interdit la présentation d'une telle demande par écrit. Il est même d'usage que la quasi-totalité des demandes formulées par les groupes en vue d'être abordées en Conférence le soient par écrit, à la demande des services de l'Assemblée, sans être nécessairement formulées par leur représentant en Conférence.

Dans sa réponse au président du groupe SRC demandant par écrit un temps supplémentaire, le Président de l'Assemblée nationale a renvoyé à la Conférence des présidents du lendemain le soin de décider du sort de cette demande et précisé qu'il était prêt à l'appuyer. Dans ces conditions, le Président aurait pu appuyer cette demande sans que la présence d'un représentant du groupe SRC soit nécessaire et inviter la Conférence à se prononcer. Ce qu'il n'a pas fait puisqu'il a au contraire considéré qu'il n'était « pas en mesure d'inviter la Conférence à se prononcer, le président du groupe SRC n'étant pas là pour la présenter et n'ayant mandaté aucun membre de son groupe à cet effet ».

Il s'agit donc bel et bien d' « une fin de non recevoir » opposée à la demande écrite du président du groupe SRC.

3. Troisièmement, l'absence des représentants de l'opposition aux Conférences des Présidents du 5 et 6 octobre 2010 était directement liée au conflit entre l'opposition et la présidence de l'Assemblée nationale quant à l'interprétation du règlement concernant le droit d'explication de vote personnelle sur le texte relatif à la réforme des retraites. L'examen de ce dernier précédait celui du projet de loi relatif à l'immigration, l'intégration et la nationalité. En effet, le 14 septembre 2010, lors de l'examen du projet de loi réformant les retraites, le Président de l'Assemblée nationale avait refusé la parole à 142 députés de l'opposition pour leur explication de vote personnelle arguant qu'il « ne laisserait pas, à travers de petites manœuvres l'obstruction, qui est paralysante et dévalorisante pour notre Parlement, se réinstaller » (compte-rendu intégral, 2e séance du 14 septembre 2010). De plus, le motif selon lequel « les explications de vote individuelles sont destinées […] à permettre à des membres de l'Assemblée d'exprimer une sensibilité particulière ou une opinion divergente par rapport à celle de leur groupe » (Observations du Gouvernement au Conseil Constitutionnel, 2010-617 DC) alors qu'aucun texte ne précise une telle obligation, a inévitablement conduit les députés du groupe SRC à douter de l'effectivité de ce droit. Par conséquent, il ne pourrait leur être reproché de ne pas avoir utilisé cette faculté alors même que celle-ci leur avait été refusée le mois précédent.

4. Par ailleurs, Le Président de l'Assemblée nationale soulève que « la procédure du temps législatif programmé doit conduire les groupes à définir des priorités et à mettre l'accent sur les points selon eux les plus importants. Manifestement, le groupe SRC n'a pas pu, ou n'a pas voulu le faire ».

Cette dernière affirmation ne peut être acceptée. En effet, tout au long de la procédure parlementaire, les députés du groupe SRC ont fait preuve de mesure et de responsabilité quant au temps consacré à chacune des parties de la loi déférée.

Ainsi, le groupe SRC a choisi de se priver de temps en discussion générale afin de se concentrer sur la discussion des articles et des amendements. Le groupe SRC n'a, par ailleurs, consacré qu'une heure de son temps pour s'exprimer sur des articles aussi importants que ceux relatifs au respect du contrat d'accueil et d'intégration, à la création de nouvelles zones d'attente « temporaires » ou encore pour examiner l'introduction du système de purge des nullités (2e séance du 30 septembre 2010). De même, seulement 25 minutes ont été consacrées par le groupe SRC à la discussion sur les nouvelles décisions d'éloignement (OQTF, délai de départ volontaire, interdiction de retour, dispositions touchant les ressortissants de l'Union européenne) et sur la décision de repousser l'intervention du JLD du 2e au 5e jour (article 37 à 44, 1ère séance du 6 octobre 2010) et 46 minutes pour traiter notamment de l'assignation à résidence et de la réforme du contentieux administratif (articles 44 à 54, 2e séance du 6 octobre 2010). En quoi, le groupe SRC n'a-t-il pas été responsable dans le temps de ses interventions ?

Deux dispositions essentielles ont fait l'objet d'un temps de parole plus important. Le groupe SRC a ainsi utilisé 1h12 de son temps pour évoquer plusieurs articles dont celui concernant les « mariages gris », terme pour le moins contestable. Cela représente 10 % de son temps, l'UMP y ayant consacré 5 % de son temps. En outre, qui peut affirmer que consacrer 1h48 à l'article problématique relatif à la déchéance de nationalité soit inconséquent ? L'UMP a elle-même utilisé plus de 7 % de son temps pour cette disposition.

Enfin, contrairement à l'affirmation selon laquelle « en tout état de cause, la durée fixée n'était pas insuffisante », il est utile de relever que le groupe GDR a lui-même était contraint rapidement au silence. De plus, le groupe UMP ne disposait plus que d'1h33 lors de la 1ère séance du 6 octobre pour défendre ses 114 amendements, soit 49 secondes par amendement. Ce temps n'est plus que de 15 secondes si le groupe UMP avait souhaité s'exprimer sur les 74 articles et les 186 amendements de l'opposition restants en discussion. Par conséquent, il est manifeste que le temps programmé était insuffisant pour l'expression sereine des députés, quel que soit leur groupe politique. De ce fait, les députés ont été privés de leur droit d'expression et d'amendement violant de fait les exigences constitutionnelles de clarté et de sincérité du débat parlementaire, sans lesquelles ne seraient pas garanties les règles énoncées par les articles 6 de la Déclaration de 1789 et 3 de la Constitution.

5. Enfin, le Président de l'Assemblée nationale en soulignant que « si les députés du groupe SRC étaient restés dans l'hémicycle leurs amendements auraient été naturellement mis aux voix » tend à nier le fait que les députés de ce groupe auraient été dans l'incapacité réglementaire de demander un scrutin public sur ces amendements.

SUR L'ARTICLE 4

Les requérants s'interrogent sur la pertinence de l'argument du gouvernement selon lequel la disposition en cause « poursuit une finalité exclusivement statistique ».

En effet, s'il n'est pas difficile d'envisager - sans toutefois préjuger de son opportunité - ce que pourrait être le contenu de données statistiques indiquant la part des Français possédant une ou plusieurs autres nationalités, il est en revanche beaucoup moins aisé de mesurer l'utilité statistique de déterminer la part de ces mêmes Français selon qu'ils entendent conserver ou non leur(s) autre(s) nationalité(s), alors que, comme indiqué dans la saisine initiale, cet élément relève non pas de la volonté des personnes concernées, mais des législations des Etats dont elles possèdent par ailleurs la nationalité.

SUR L'ARTICLE 10

Les requérants ne peuvent souscrire aux arguments du Gouvernement pour la bonne et simple raison que ce dernier fait dire à la disposition en cause ce que précisément elle ne dit pas.

Ainsi, il indique que le fait qu'un groupe d'étrangers vient d'arriver sur le territoire « résultera normalement de sa découverte à proximité d'une frontière extérieure ». Or cette exigence que la découverte se fasse « à proximité d'une frontière maritime ou terrestre » avait bien été introduite par le Sénat en première lecture, mais elle a justement été ensuite supprimée. Le Gouvernement ne saurait dès lors l'invoquer à bon droit.

Il indique ensuite que la durée de la zone d'attente concernée sera limitée dans le temps, « sans possibilité de renouvellement ». Or là aussi, rien dans le texte qui vous est déféré n'exclut cette possibilité de renouvellement.

Il prétend également que seuls les étrangers membres d'un groupe seront concernés par le nouveau régime, et non ceux qui, bien que se trouvant dans le périmètre de la zone d'attente concernée, n'appartiennent pas au dit groupe. Mais aucun élément objectif qui permettrait de distinguer un étranger d'un autre étranger dans ce périmètre ne vient à l'appui de sa prétention. Par cette assertion non étayée, il ne fait que donner corps au risque d'arbitraire évoqué par les requérants dans leur saisine initiale.

Enfin les requérants s'étonnent que le Gouvernement n'ait pas pris la peine de répondre au grief de l'atteinte au principe d'indivisibilité de la République. Cela les conforte néanmoins dans l'opinion que ce moyen devrait utilement prospérer.

SUR LES ARTICLES 12 ET 57

Les requérants donnent acte au Gouvernement d'admettre que « s'il apparaissait que l'étranger a été dans l'impossibilité d'invoquer une irrégularité antérieure à la première audience lors de celle-ci, il devrait pouvoir le faire lors de la seconde ».

Il appartiendra cependant à votre haute juridiction d'exprimer une réserve en ce sens, afin que cette interprétation des dispositions concernées s'impose effectivement, conformément au troisième alinéa de l'article 62 de la Constitution, « à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ».

SUR L'ARTICLE 13

Le gouvernement reconnaît que l'existence de garanties de représentation n'impose pas la remise en liberté d'une personne placée en zone d'attente, mais « peut suffire » à cette remise en liberté. Comme les requérants l'indiquaient dans leur saisine initiale, il s'agit bien là d'une simple faculté.

Or la privation de cette faculté pour le Juge des libertés et de la détention (JLD) de justement décider de la remise en liberté d'une personne porte une atteinte manifeste à son office, contraire à l'article 66 de la Constitution et au droit à un recours effectif.

A cet argument précis, pourtant développé par les auteurs de la requête initiale, le Gouvernement n'a pas répondu.

SUR LES ARTICLES 16 ET 58

Contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement, l'expérience n'a pas démontré que le délai de 4 heures pour former un appel suspensif est à l'origine de sa faible utilisation par le ministère public. Il ressort en effet clairement, comme indiqué dans la saisine initiale, que cela résulte de raisons structurelles.

Par surcroit, le rapport Mazeaud invoqué par le Gouvernement ne disait pas autre chose, et surtout, il ne proposait pas d'allonger le délai pendant lequel l'appel pouvait être formé, mais de modifier le moment où ce délai commençait à courir, à savoir la notification au procureur de la décision du JLD, et non le prononcé de cette décision.

SUR LES ARTICLES 26, 40 et 70

Le Gouvernement évoque le revirement jurisprudentiel (décisions du Conseil d'Etat, n°301640 et n°316625, 7 avril 2010) nécessitant de ce fait les dispositions prévues aux articles 26, 40 et 70. Néanmoins, il apparaît que ces décisions ne faisaient que reprendre les termes et l'esprit de la loi, précisés dès 1998. Ainsi, la circulaire de NOR/INT/D/98/00108/C du 12 mai 1998 indiquait déjà que « la possibilité pour l'intéressé de bénéficier ou non du traitement approprié à son état dans son pays d'origine dépend non seulement de l'existence des moyens sanitaires adéquats, mais encore des capacités d'accès du patient à ces moyens ».

Par ailleurs, l'appréciation de « circonstance humanitaire exceptionnelle » par le préfet après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, autorités non médicales, conduit à s'interroger sur la préservation du secret médical, contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement. Vous avez, à cet égard, rappelé que « la liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration de 1789 implique quant à elle le droit au respect de la vie privée. Ce droit requiert que soit observée une particulière vigilance dans la collecte et le traitement de données à caractère personnel de nature médicale » (votre décision 2004-504 DC, 12 août 2004).

SUR L'ARTICLE 33

En relevant que, « déjà, à la vérité, la portée du texte actuel (…) n'exige nullement que les deux conjoints soient mus par une intention frauduleuse », le Gouvernement ne fait rien d'autre que reconnaître expressément l'absence de nécessité de la nouvelle disposition pourtant requise par l'article 8 de la Déclaration de 1789, et, par voie de conséquence, l'erreur manifeste d'appréciation commise par le législateur en l'adoptant.

SUR L'ARTICLE 37

Quant au risque de fuite, le Gouvernement semble faire abstraction de l'avis du Conseil d'Etat rendu le 21 mars 2011 (n° 345978 et 346612) selon lequel les points 1 °, 2 ° et 4 ° du II de l'actuel article L. 511-1 du CESEDA, qui correspondent aux a), b), et c) du point 3 de l'article L. 511-1-II ici en cause, ne méconnaissaient pas la directive « retour », à condition que la mesure soit « assortie d'un délai de retour approprié à la situation de l'intéressé et supérieur à sept jours ».

Ce considérant est néanmoins de nature à rendre manifeste l'erreur de transposition de la directive « retour » dont se défend le Gouvernement.

Quant au fait que l'interdiction de retour ne relèverait pas selon le Gouvernement de l'article 8 de la Déclaration de 1789, les requérants s'en tiennent à votre jurisprudence qui a qualifié sans détour l'interdiction de territoire de sanction ayant le caractère d'une punition (93-325 DC du 13 août 1993, cons. 48-49).

Ce caractère punitif est ici d'autant plus manifeste que l'interdiction prononcée ne vaut pas pour le seul territoire français, mais pour l'ensemble du territoire de l'Union européenne.

Enfin le Gouvernement indique que l'interdiction de retour ne fait pas « obstacle à ce qu'un étranger qui aurait fait l'objet d'une telle mesure présente à la frontière une demande d'admission sur le territoire national au titre de l'asile ».

Encore une fois il fait dire à la loi ce qu'elle ne dit pas. Si c'est effectivement l'interprétation qu'il faut retenir de cette disposition, alors il appartiendra à votre haute juridiction, si elle ne la censure pas, d'émettre une réserve en ce sens.

SUR LES ARTICLES 44 ET 47

Le Gouvernement donne raison aux requérants en admettant que l'article L. 551-1 du CESEDA devrait être interprété comme donnant la priorité à l'assignation à résidence sur la rétention administrative.

Mais c'est précisément ce que la loi ne dit pas, puisqu'elle fait de l'assignation une simple alternative à la rétention, et en aucun cas une mesure qui doit être envisagée en priorité.

Cet aveu du Gouvernement conforte ainsi le grief tiré de l'erreur de transposition manifeste de la directive « retour » énoncé dans la saisine initiale.

Quant à l'assignation à résidence en tant que telle, le Gouvernement se méprend sur les arguments avancés par les requérants.

Il ressort en effet clairement de la saisine initiale que le manquement à l'article 66 de la Constitution ne résulte pas de l'absence de contrôle judiciaire sur l'assignation à résidence elle-même, mais de l'absence de contrôle judiciaire sur les actes préalables à son prononcé (arrestation, contrôle d'identité, garde à vue).

SUR LES ARTICLES 48 ET 51

Les requérants ne peuvent que s'étonner du parallèle que tente d'établir le Gouvernement entre les étrangers en situation irrégulière et les personnes atteintes de troubles mentaux en se référant à votre décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010.

Si cette décision est en l'espèce pertinente, c'est uniquement en ce qu'elle rappelle que « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible », et que seules des considérations spécifiques aux personnes concernées ont pu justifier un délai supérieur à 48 heures sans intervention du juge judiciaire. C'est ce qui ressort clairement de votre considérant selon lequel : « toutefois, les motifs médicaux et les finalités thérapeutiques qui justifient la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux hospitalisées sans leur consentement peuvent être pris en compte pour la fixation de ce délai » (cons. 25).

Quant aux interventions des juges administratifs et judiciaires, le Gouvernement s'arc-boute sur l'idée que l'intervention du juge administratif devrait être préalable à celle du juge judiciaire, au mépris du rôle dévolu à chaque ordre de juridictions.

Contrairement à ce qu'il affirme, l'intervention préalable du juge judiciaire ne prive en aucun cas d'effet utile celle du juge administratif. En effet, ce dernier peut être saisi, conformément à l'article 34 de la loi, en plus de la décision de placement en rétention, de l'obligation de quitter le territoire, de la décision de refus de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination, et de l'interdiction de retour.

Or même si le JLD décide de la non prolongation de la rétention, la décision du juge administratif gardera tout son effet si elle vient à valider l'ensemble de ces décisions qui pourront par la suite faire l'objet d'une exécution, sans pouvoir être à nouveau contestées.

Quant à l'argument selon lequel le régime de la garde à vue et de la rétention administrative sont distincts, il ne saurait prospérer. A suivre ce raisonnement en effet, il suffirait de faire se suivre des privations de liberté de courte durée selon des régimes distincts pour échapper à tout contrôle du juge judiciaire.

Votre haute juridiction ne s'y est d'ailleurs pas trompée en jugeant que le régime de mise à la disposition de la justice pour une durée de 20 heures, fut-il distinct de celui de la garde à vue, exigeait néanmoins l'intervention d'un magistrat du siège lorsque la garde à vue avait duré 48 heures (2010-80 QPC du 17 décembre 2010, cons. 11).

SUR L'ARTICLE 56

Le Gouvernement avance que ce sont 20 à 30 % des procédures de reconduite à la frontière qui échouent en raison d'une délivrance des laissez-passer consulaires tardive. Ce n'est pourtant absolument pas ce qui ressort du dernier rapport Comité interministériel de contrôle de l'immigration qui indique que pour 2009, sur 12219 laissez-passer demandés, 3823 ont été obtenus, 3870 refusés, et seulement 404 obtenus hors délai, soit 3,3 % (p. 78).

SUR L'ARTICLE 94

Vous ne pourrez vous rendre aux arguments du Gouvernement selon lequel l'article 94 n'a pas pour objet de transposer la directive « retour ».

Comme il l'est indiqué dans le commentaire aux Cahiers de votre décision n° 2008-564 DC du 19 juin 2008, « l'identification d'une loi de transposition au sens de l'article 88-1 de la Constitution est parfois rendue aisée par les termes mêmes de la loi si celle-ci indique elle-même qu'elle transpose ou qu'une partie de ses dispositions transpose une directive », et, « en l'absence d'indication par le législateur, le Conseil constitutionnel utilise le texte de la directive invoquée en le comparant à la loi déférée, ainsi qu'un faisceau d'indices tels que les travaux préparatoires de la loi (exposé des motifs, rapports, débats) ou des décisions juridictionnelles afin de déterminer si la disposition législative entre dans le champ de transposition de la directive ».

Or, primo, il ne saurait être contesté que la loi qui vous est soumise a, tout au moins en partie, vocation à transcrire dans le droit interne ladite directive.

Et, secundo, comme l'indique l'exposé des motifs du projet de loi initial, cet article en particulier est une disposition de « coordination » des nouvelles dispositions du CESEDA qui mettent directement en œuvre la directive « retour ». Pour s'en convaincre, il suffit de relever que l'article 94 se réfère à l'interdiction de retour dont il n'est pas contestable qu'elle découle de la directive.

Mais, de manière plus générale, les requérants attirent votre attention sur le caractère potentiellement pernicieux de l'argumentation que vous soumet le Gouvernement.

En effet, à suivre son raisonnement, on aboutirait à ce qu'une disposition législative qui serait tellement manifestement contraire à la directive qu'elle transpose ne pourrait être regardée comme ayant pour objet de la transposer. Cela reviendrait à assimiler le manquement à l'obligation de transposition à une absence de transposition, alors même qu'il vous appartient de vérifier que « la loi de transposition ne contredise ni les dispositions ni l'objectif général de la directive qu'elle a pour objet de transposer » (commentaire aux Cahiers précité de votre décision n° 2008-564 DC).