Contenu associé

Décision n° 2010-612 DC du 5 août 2010 - Saisine par 60 députés

Loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale
Conformité

Nous avons l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, le projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale, tel qu'il a été définitivement adopté le 13 juillet 2010.

Les députés auteurs de la saisine entendent contester la conformité à la Constitution de plusieurs dispositions contenues dans les articles 1 à 7 et 8 du texte adopté qui méconnaissent selon eux plusieurs règles et principes constitutionnels développés ci-après mais également l'article 53-2 de la Constitution du 4 octobre 1958 tel qu'il résulte de la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999 (Loi constitutionnelle n° 99-568 DC).

L'argumentation de la saisine se concentrera tout d'abord sur les normes de référence avant de se focaliser sur les dispositions contestées du texte adopté.

1. Sur les normes constitutionnelles de référence applicables au texte législatif déféré :

- Sur l'article 53-2 de la Constitution du 4 octobre 1958 :

Le texte législatif soumis au Conseil constitutionnel est d'une nature particulière. Bien qu'il s'agisse formellement d'une loi, l'objet de ce texte - ainsi que son nom l'indique - est d'adapter la législation interne française au Statut de la Cour pénale internationale. Il s'agit donc de rendre compatible le droit pénal interne avec les engagements pris par la France par sa participation au Traité de Rome du 17 juillet 1998. Compte tenu de cet objet, le législateur ne dispose pas d'un total pouvoir discrétionnaire pour mettre en œuvre les dispositions du Statut de la Cour pénale internationale concernant l'ordre juridique interne des Etats parties mais doit s'efforcer de rendre compatibles en les adaptant les dispositions pénales existantes pour que le système pénal international puisse fonctionner de façon optimale. S'il ne s'agit pas d'une loi de transposition au sens du droit de l'Union européenne, il n'en reste pas moins que le législateur est tenu à travers les dispositions qu'il édicte de ne pas entraver l'architecture globale et le fonctionnement du système institué par la Cour pénale internationale. Le Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale est bien plus que la création d'une institution et comprend également un système intégral de poursuites des crimes internationaux pour lesquels il sollicite la coopération et la collaboration des États parties.
Ces remarques liminaires seraient de peu d'intérêt si le Traité de Rome du 17 juillet 1998 n'était qu'un traité ordinaire qui ne comportait aucune conséquence constitutionnelle. Si tel était le cas, cette question relèverait du seul juge ordinaire chargé de contrôler la conventionnalité des lois et le Conseil constitutionnel devrait écarter cet argument comme il l'a fait constamment et l'a rappelé récemment dans sa décision du 12 mai 2010 n° 2010-605 DC Loi relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne, (Journal officiel du 13 mai 2010, p. 8897). Or, le traité de Rome instituant la Cour pénale internationale n'est pas un traité ordinaire : il a fait l'objet d'un contrôle du Conseil constitutionnel au titre de l'article 54 de la Constitution. Dans sa décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999, Traité portant création de la Cour pénale internationale, le Conseil constitutionnel a estimé que le Traité ne pouvait être ratifié en l'état et devait faire l'objet d'une procédure de révision constitutionnelle avant ratification car certaines de ses dispositions contrevenaient à la Constitution. Mais il a également souligné la nature particulière du Traité. Le Conseil constitutionnel a rappelé dans sa décision 408 DC précitée, les normes de référence applicables permettant à la France d'adhérer à un système général de protection des droits fondamentaux. Dans les considérants 8 à 12 il les examine successivement :
8. Considérant que le peuple français a, par le préambule de la Constitution de 1958, proclamé solennellement « son attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 » ; qu'il ressort, par ailleurs, du préambule de la Constitution de 1946 que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation est un principe de valeur constitutionnelle ;
9. Considérant que, dans son article 3, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen énonce que « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation » ; que l'article 3 de la Constitution de 1958 dispose, dans son premier alinéa, que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum » ;
10. Considérant que le préambule de la Constitution de 1946 proclame, dans son quatorzième alinéa, que « la République française se conforme aux règles du droit public international » et, dans son quinzième alinéa, que « sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix » ;
11. Considérant que, dans son article 53, la Constitution de 1958 consacre, comme le faisait l'article 27 de la Constitution de 1946, l'existence de « traités ou accords relatifs à l'organisation internationale » ; qu'en vertu de l'article 55 de la Constitution de 1958 : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie » ;
12. Considérant qu'il résulte de ces textes de valeur constitutionnelle que le respect de la souveraineté nationale ne fait pas obstacle à ce que, sur le fondement des dispositions précitées du préambule de la Constitution de 1946, la France puisse conclure des engagements internationaux en vue de favoriser la paix et la sécurité du monde et d'assurer le respect des principes généraux du droit public international ; que les engagements souscrits à cette fin peuvent en particulier prévoir la création d'une juridiction internationale permanente destinée à protéger les droits fondamentaux appartenant à toute personne humaine, en sanctionnant les atteintes les plus graves qui leur seraient portées, et compétente pour juger les responsables de crimes d'une gravité telle qu'ils touchent l'ensemble de la communauté internationale ; qu'eu égard à cet objet, les obligations nées de tels engagements s'imposent à chacun des Etats parties indépendamment des conditions de leur exécution par les autres Etats parties… » (Considérant n°12).
Le pouvoir constituant a donc décidé de réviser la Constitution et a créé un nouvel article spécifique permettant à la République française de participer au Statut de la cour pénale internationale.
L'article 53-2 de la Constitution dispose que « La République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1999 ». Le pouvoir constituant, suite à la décision du Conseil constitutionnel n° 98-408 DC relative au statut de la Cour pénale internationale (ci-après CPI), a donc décidé de faire explicitement référence et de renvoyer aux « conditions prévues par le traité ». Une telle référence est propre à faire du Statut de la CPI, non pas une norme constitutionnelle en elle-même, mais une norme de référence du contrôle de constitutionnalité en raison des dispositions du texte qui visent expressément les conditions qu'il contient.
Une telle analyse appelle deux remarques :
- D'une part, il ne faut pas y voir un revirement ou une modification de la jurisprudence IVG : il ne s'agit pas, pour le Conseil constitutionnel, d'exercer un contrôle de conventionnalité de la loi mais simplement de tirer les conséquences d'une habilitation constitutionnelle circonscrite à un cas très précis. En ce sens le Traité instituant le système de la Cour pénale internationale n'est comparable à aucun autre.
- D'autre part, une telle situation n'est pas inédite en contentieux constitutionnel français et il existe une analogie très forte avec les références faites par la Constitution au Traité sur l'Union européenne. En effet, l'article 88-3 pose que « sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le Traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales peut-être accordé aux seuls citoyens de l'Union résidant en France. Ces citoyens ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d'adjoint ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l'élection des sénateurs. Une loi organique votée dans les mêmes termes par les deux assemblées détermine les conditions d'application du présent article ». Le Conseil constitutionnel, dans sa décision Maastricht 2 (Cons. Constit, décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992, Rec. p. 76) a considéré que l'article 88-3 de la Constitution contient une obligation constitutionnelle de conformité de la loi organique mentionnée par ce même article aux dispositions communautaires (considérant n° 33). Le Conseil rappelle en effet « qu'en disposant que le droit de vote et d'éligibilité des citoyens de l'Union aux élections municipales est accordé selon les modalités prévues par le Traité sur l'Union européenne, l'article 88-3 de la Constitution a expressément subordonné la constitutionnalité de la loi organique prévue pour son application à sa conformité aux normes communautaires ; qu'en conséquence, il résulte de la volonté du constituant qu'il revient au Conseil constitutionnel de s'assurer que la loi organique prévue par l'article 88-3 de la Constitution respecte… » les prescriptions de l'Union européenne. Cette interprétation est confirmée par la décision n° 93-324 DC du 3 août 1993. Ce raisonnement est également applicable à l'article 88-2 alinéas 1 et 2 qui renvoient également aux modalités prévues par le droit de l'Union européenne.
Par ailleurs, la rédaction générale de l'article 53-2 de la Constitution fait ressortir l'obligation constitutionnelle de compatibilité du Statut avec les normes inférieures. Il suffit pour s'en convaincre de se reporter aux possibilités dont disposait le pouvoir constituant pour réviser la Constitution à la suite de la décision précitée du Conseil relative à la CPI. En effet, deux possibilités s'offraient à lui pour remédier aux déclarations d'inconstitutionnalité du Conseil et permettre la ratification du traité. Comme a pu le souligner Guy Carcassone (« Le Président de la République et le juge pénal », Mélanges Philippe Ardant, LGDJ, pp. 275-288, Paris, 1999.), le Conseil constitutionnel, lors de l'examen du traité relatif à la CPI, aurait pu se contenter d'une déclaration d'inconstitutionnalité au regard des articles 67 et 68 de la Constitution, sans aller plus avant. Or, « cette attitude, parfaitement concevable, aurait eu l'inconvénient de laisser le constituant faiblement éclairé sur le nombre, la nature et la portée des incompatibilités, dans l'hypothèse où il serait tenté, comme il en a évidemment le droit souverain, de les résoudre au cas par cas, article par article. Au contraire, en précisant en quoi il y a contradiction, le Conseil met les acteurs de l'article 89 en mesure d'y réagir comme ils l'entendent ». Ainsi, le constituant avait le choix entre deux attitudes traduisant des approches différentes à l'égard de l'intégration du Statut de la CPI :
- La première de ces possibilités induit la volonté de limiter l'importance du Statut de la CPI au sein du contentieux constitutionnel. Elle aurait consisté en une série de modifications, applicables point par point, afin de permettre la ratification du traité. C'est l'hypothèse qu'évoque Guy Carcassonne à travers la résolution au « cas par cas ».
- La seconde possibilité témoigne de la volonté de faire du Statut de la CPI, et ce de manière plus générale, une norme de référence du contrôle de constitutionnalité. Cette possibilité consiste en un renvoi exprès aux conditions prévues par le Traité. Cette solution fut finalement retenue. Le pouvoir constituant avait adopté la même démarche en matière de droit de l'Union européenne à travers un renvoi analogue au traité sur l'Union européenne, pour les articles 88-2 et 88-3 de la Constitution (Lois constitutionnelles n° 92-554 du 25 juin 1992, n° 99-49 du 25 janvier 1999).
- Sur les normes de constitutionnalité de référence :

Le texte législatif adopté portant sur l'adaptation du droit pénal français à l'institution de la Cour pénale internationale comporte également plusieurs dispositions qui méconnaissent directement les règles et principe de valeur constitutionnelle.
La décision 408 DC a reconnu le caractère de protection des droits fondamentaux du Statut de Rome instituant la CPI (cf. supra).
Au-delà de ces exigences générales formulées par le Conseil constitutionnel quant à l'adhésion de la France au Statut de la CPI, on remarquera que la loi d'adaptation à l'institution de la Cour pénale internationale méconnaît plusieurs règles et principes constitutionnels. S'agissant de la définition des crimes et de la procédure applicable à la poursuite de ces crimes devant les juridictions pénales nationales, la loi méconnait un certain nombre de règles constitutionnelles consacrées par la Constitution française :
- L'incompétence négative du législateur qui en l'espèce n'a pas pleinement intégré la liste des crimes internationaux figurant dans le Statut de Rome dans la mesure où la liste incluse dans les articles 1 à 7 du texte déféré ne présente pas une exacte similitude avec les dispositions du Statut relatives à la définition des crimes aux article 6 à 8 du Statut
- Le principe d'égalité à l'égard de la prescription des crimes de guerre. Reconnus par l'article 29 du Statut de la CPI comme les autres crimes comme étant des crimes imprescriptibles, les crimes de guerre se prescrivent par 30 ans dans la loi (Article 7 du texte adopté portant sur l'article 462-10 alinéa 1 du code pénal : L'action publique à l'égard des crimes de guerre définis au présent livre se prescrit par trente ans. La peine prononcée en cas de condamnation pour l'un de ces crimes se prescrit par trente ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive). S'agissant de la prescription pénale de crimes internationaux, ni le Statut, ni la doctrine n'opèrent de distinction ou de hiérarchie entre les crimes qui peuvent parfois se recouper ou être indépendants. Agir sur la prescription pénale pour conférer aux crimes de guerre un statut de moindre importance revient à méconnaître le principe d'égalité entre les victimes qui se trouveront dans une situation moins favorable que s'il s'agit d'un crime contre l'humanité ou d'un acte génocidaire.
- Le principe de sauvegarde de la dignité humaine combiné à l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public en ce qui concerne l'exigence supplémentaire du critère de résidence habituelle pour arrêter et juger l'auteur présumé d'un crime international relevant de la compétence de la Cour pénale internationale. (Article 8 du texte adopté portant sur l'article 689-11 alinéa 1 du code de procédure pénale : Peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises toute personne qui réside habituellement sur le territoire de la République et qui s'est rendue coupable à l'étranger de l'un des crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale en application de la convention portant statut de la Cour pénale internationale signée à Rome le 18 juillet 1998, si les faits sont punis par la législation de l'État où ils ont été commis ou si cet État ou l'État dont elle a la nationalité est partie à la convention précitée). Cette disposition écarte l'arrestation et la poursuite d'auteurs présumés de crimes présents sur le territoire français mais qui n'y auraient pas leur résidence alors même qu'ils ne seraient pas encore recherchés pour répondre de tels crimes (hypothèse de connaissance du crime mais d'absence de poursuite officielle). S'y ajoute, l'atteinte à la présomption d'innocence garanti par l'article 9 de la DDHC et le manque de clarté et d'intelligibilité de la loi car le texte vise toute personne qui s'est rendue « coupable » à l'étranger d'un crime international. Or, il n'est guère possible d'employer dans une loi relative à la poursuite d'un crime le terme de « coupable » pour juger une personne qui est présumée innocente jusqu'à ce qu'elle soit déclarée coupable. Même si le terme « coupable » figure déjà dans l'article 689-1 du code de procédure pénale, il comporte une source d'imprécision et de présomption au détriment de la personne soupçonnée qui rend l'emploi du terme incompatible avec la Constitution. On y trouve également la méconnaissance de l'alinéa 14 du préambule de la Constitution de 1946 qui dispose « la République française se conforme aux règles du droit public international ». Cette règle impose la poursuite des crimes internationaux en dépit de leur absence d'incrimination effective dans l'Etat où les faits ont été commis. Il en est de même si la personne sur laquelle pèsent des présomptions de culpabilité, possède la nationalité d'un État non partie au Statut de la CPI. Cette disposition méconnait le caractère « international » des crimes réprimés par le Statut de la CPI et qui en raison de cette reconnaissance internationale ne nécessite pas l'adjonction de critères tirés de traités d'extradition bilatéraux. De telles restrictions ne se justifient pas dans le cadre d'un traité multilatéral ayant pour finalité la répression des crimes internationaux.
- Le principe d'égalité et la méconnaissance du droit au recours en ce qui concerne l'impossibilité pour les victimes de crimes internationaux de déclencher l'action publique puisque seul le ministère public possède le monopole de ce déclenchement des poursuites. Le monopole des poursuites par le ministère public interdit aux victimes ou à leurs ayant-droits d'initier des poursuites en portant plainte directement devant le juge d'instruction ou le procureur : ce dernier semble disposer du pouvoir discrétionnaire et sans recours de mettre en mouvement l'action publique (Article 8 du texte adopté portant sur l'article 689-11 alinéa 2 du code de procédure pénale : « La poursuite de ces crimes ne peut être exercée qu'à la requête du ministère public si aucune juridiction internationale ou nationale ne demande la remise ou l'extradition de la personne. À cette fin, le ministère public s'assure auprès de la Cour pénale internationale qu'elle décline expressément sa compétence et vérifie qu'aucune autre juridiction internationale compétente pour juger la personne n'a demandé sa remise et qu'aucun autre État n'a demandé son extradition. »
- La méconnaissance de l'exercice du principe de souveraineté nationale à propos du principe de complémentarité inversé qui réserve à l'Etat la priorité des poursuites en matière de crimes internationaux. Si l'Etat peut poursuivre, il doit le faire et ne peut considérer sa compétence comme subsidiaire. Ceci reviendrait à un abandon de souveraineté qui serait contraire à la fois à la lettre et à l'esprit du Traité de Rome. Si la modification de la Constitution par l'article 53-2 a eu pour objet de rendre compatible le cadre constitutionnel français à la participation de la France au traité de Rome, il n'a pas pour autant eu pour effet de faire disparaître la responsabilité souveraine de la France à exécuter les traités sur lesquels elle s'est engagée de bonne foi.

2. Sur les dispositions contestées du texte adopté :

- Sur les articles 1 à 7 du texte adopté relatif à la définition des crimes internationaux tels que visés par le Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale : le texte déféré au Conseil constitutionnel comprend un certain nombre de nouvelles infractions qui correspondent, pour une large part, à celles figurant dans le Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale dans ses articles 6 à 8. Certaines infractions ont été ajoutées (ce qui ne constitue pas en soi un problème) ; d'autres en revanche n'y figurent pas ou n'y figurent que de façon imparfaite (v. sur ce point X. Philippe et A. Desmarest « Remarques critiques relatives au projet de loi portant adaptation du droit pénal français à l'institution de la Cour pénale internationale », RFDC n°81, 2010, p. 41, spéc. pp. 55 et s.). S'agissant d'un texte législatif d'adaptation d'un traité international à caractère pénal, on peut se poser la question de la conformité à l'article 53-2 quant aux définitions des crimes visés par le Statut de Rome que la loi déférée ne reprend pas de manière fidèle. Ceci est d'autant plus surprenant que la définition des infractions est précise et permet de dégager les éléments constitutifs de l'infraction au même titre que le ferait un texte national. Il résulte du Statut de Rome une obligation pour les États-parties d'adaptation de leur droit pénal au droit international. Le paragraphe 4 du préambule dispose que « les crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale ne sauraient rester impunis et que leur répression doit être effectivement assurée par des mesures prises dans le cadre national et par le renforcement de la coopération internationale ». Le paragraphe 6 insiste sur le « devoir » de l'Etat de juger les responsables de tels crimes. Ainsi, les Etats ont l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour que leurs juridictions puissent être compétentes pour connaître de tels crimes. De là, découle une obligation d'adaptation du droit pénal national. S'il est difficile d'exiger une identité totale entre les dispositions du Statut de Rome et le droit pénal national, ce dernier ne doit pas pour autant prétexter de l'adaptation pour évincer certaines infractions faisant partie de l'arsenal de la définition des crimes dès lors que de telles dispositions peuvent être aisément insérées. Si l'on trouve une gradation dans les méthodes employées par différents pays ayant ratifié le statut de la Cour, S. Manacorda et G. Werel ont dégagé deux grands modèles d'adaptation :
- celui qui passe par une identité parfaite entre le Statut de Rome et le droit interne : soit par une application immédiate du Statut de Rome (Afrique du Sud) ; soit par le renvoi d'une loi aux dispositions du Statut de Rome (Nouvelle Zélande, Canada) ; soit par une retranscription littérale en droit interne (Belgique) ;
- celui qui, en revanche, tend à une adaptation ou réécriture du droit interne au Statut de la CPI mais qui laisse subsister certains risques de conflits ou d'imperfections (Allemagne).
Dans le cadre de la loi déférée, les auteurs de la saisine estiment que le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence en ne prenant pas la pleine mesure de l'adaptation qui lui incombait tant au regard de ses obligations constitutionnelles que conventionnelles.

- Sur l'article 7 du texte adopté relatif à l'article 462-10 alinéa 1 nouveau du code pénal concernant la prescription trentenaire des crimes de guerre : « L'action publique à l'égard des crimes de guerre définis au présent livre se prescrit par trente ans. La peine prononcée en cas de condamnation pour l'un de ces crimes se prescrit par trente ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive »
La prescription des crimes de guerre, c'est-à-dire de crimes internationaux est directement contraire au Statut de Rome qui prévoit dans son article 29, de façon claire et concise, que les crimes internationaux ne se prescrivent pas. Le texte de la loi française est donc en contradiction flagrante avec les dispositions qu'il est supposé adapter… Outre la difficulté propre à la compréhension de cette contradiction, il est difficile de ne pas voir dans cette contradiction une violation de l'article 53-2 de la Constitution de 1958 qui prévoit que la participation consentie au système de la Cour pénale internationale entraine une adhésion dans les conditions où ce traité a été adopté. L'argument qui consisterait à soutenir que le texte de l'article 29 du Statut n'est applicable qu'à la CPI est inacceptable dans la mesure où ce traité a institué un système de répression des crimes internationaux qui dépasse la seule juridiction pénale internationale. Le Conseil constitutionnel avait d'ailleurs admis cette idée dans sa décision 98-408 DC du 22 janvier 1999 relative au Statut de la cour pénale internationale dans son considérant n°20 : « Considérant qu'aux termes de l'article 29 du statut : » Les crimes relevant de la compétence de la Cour ne se prescrivent pas " ; qu'aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, n'interdit l'imprescriptibilité des crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale »
La prescription des crimes de guerre est également contraire au principe d'égalité de traitement entre les crimes internationaux et place les victimes de crimes de guerre dans une situation plus défavorable que celles des autres crimes internationaux. Le Conseil constitutionnel pourrait ici percevoir dans des régimes de prescription différents (crime de guerre, crime contre l'humanité, génocide), une rupture d'égalité qui n'est justifié par aucune différence de situation, ni aucun motif d'intérêt général.
Les crimes internationaux visés par le Statut de Rome, et qui ne sont que le constat de la part des Etats membres de la communauté internationale de leur caractère inadmissible justifiant qu'ils puissent être poursuivis n'importe où et à n'importe quel moment, ne comportent aucune différence structurelle. Si les crimes de guerre doivent impérativement être commis dans le cadre d'un conflit armé (ce qui n'est guère automatiquement le cas pour les crimes de génocide et crimes contre l'humanité) leur appartenance à la catégorie des crimes internationaux ne justifie pas un traitement différencié de la prescription. Les média se font souvent l'écho d'une idée juridiquement fausse selon laquelle il existerait une hiérarchie de la gravité des crimes internationaux : les crimes de guerre seraient les moins graves et les crimes génocidaires les plus graves.
Cette idée séduisante doit être réfutée juridiquement pour deux raisons principales. D'une part, les comportements infractionnels susceptibles d'être qualifiés de crimes internationaux sont parfois similaires au point de pouvoir donner naissance à de multiples qualifications possibles : pourquoi les crimes de guerre seraient donc imprescriptibles et les autres crimes ne le seraient pas ? Ainsi, par exemple, si l'on compare la séquestration de 100 personnes sans les juger pendant plusieurs mois, susceptible de constituer un crime contre l'humanité imprescriptible et le fait de tuer plusieurs milliers de prisonniers de guerre constitutif d'un crime de guerre prescriptible, on mesure le risque qu'il y a à distinguer les crimes internationaux en fonction du régime de la prescription !

D'autre part, ce n'est pas à travers la prescription que doit se faire la distinction entre la gravité des crimes mais à travers la sanction et cela conformément à l'article 8 de la DDHC selon lequel « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Affirmer que le crime de guerre est moins grave que les autres crimes est infondé et ne justifie pas en tout état de cause la rupture d'égalité de traitement entre les crimes internationaux sur le fondement d'une prescription différenciée. Cette dernière hypothèse semble d'ailleurs confirmée par le Conseil constitutionnel lui-même dans sa décision n° 2004-496 DC Economie numérique du 10 juin 2004. En effet, cette loi prévoyait un régime de prescription en matière de crimes et délits commis par voie de presse mais celui-ci distinguait selon que la publication avait été faite en ligne ou sur support papier. Les requérants auteurs de la saisine soutenaient que « ces dispositions méconnaissaient le principe d'égalité devant la loi en prévoyant que (…) le délai de prescription coure à compter de la date à laquelle cesse la mise à disposition du public pour les messages exclusivement communiqués en ligne, alors que, pour les autres messages, ces délais courent à compter du premier acte de publication ». Le Conseil a estimé que « la différence de régime instaurée en matière de droit de réponse et de prescription par les dispositions critiquées dépasse manifestement ce qui serait nécessaire pour prendre en compte la situation particulière des messages exclusivement disponibles sur un support informatique ». Le Conseil consacre ici l'idée selon laquelle une différence dans les régimes de prescription doit être justifiée sous peine de méconnaitre le principe d'égalité. Ce raisonnement doit s'appliquer au cas de la loi d'adaptation du code pénal au Statut de la CPI compte tenu des atteintes que ces crimes portent aux droits fondamentaux et à l'absence de justification de la différence de régime qu'instaure la loi entre les « crimes de guerre prescriptibles » et les « crimes contre l'humanité et de génocide imprescriptibles » depuis que la réserve faite au Statut de la CPI concernant les crimes de guerre a été levée.

- Sur l'article 8 et les dispositions de l'article 689-11 alinéa 1 du code de procédure pénale relatif à l'exercice par la France de la compétence extraterritoriale pour la poursuite et le jugement des auteurs présumés de crimes internationaux se trouvant sur le territoire français : Peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises toute personne qui réside habituellement sur le territoire de la République et qui s'est rendue coupable à l'étranger de l'un des crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale en application de la convention portant statut de la Cour pénale internationale signée à Rome le 18 juillet 1998, si les faits sont punis par la législation de l'État où ils ont été commis ou si cet État ou l'État dont elle a la nationalité est partie à la convention précitée.
Le Statut de la CPI a mis en place un système de répression des crimes internationaux fondé sur le principe de « compétence universelle ». Ce terme, souvent utilisé à de façon maximaliste pour désigner sans restriction la possibilité qu'aurait toute juridiction de n'importe quel État de poursuivre un crime international sans aucune condition de rattachement (lieu de l'infraction, ou auteur ou victime du crime), mérite quelques précisions. Il signifie que la notion de « crime international » (crime commis contre l'ensemble de la communauté des Nations) implique qu'une personne recherchée pour un tel crime doit pouvoir être arrêtée dans n'importe quel endroit où elle se trouve et sa situation faire l'objet d'un examen approfondi. L'affirmation de cette compétence doit permettre ensuite de décider si cette personne peut être jugée et par qui. Plusieurs cas de figure peuvent alors se présenter. Soit la personne peut être jugée dans son Etat d'origine ou dans un Etat qui la requiert par le biais d'une procédure d'extradition. Soit la personne peut être jugée par l'Etat dans lequel elle se trouve (à condition que les charges et les preuves soient suffisantes pour mener à bien un procès). Soit, en dernier lieu, la personne peut être transférée à la Cour pénale internationale si celle-ci a ouvert une enquête ou lancée un mandat d'arrêt pour un tel crime relevant de sa compétence (application du principe général de droit pénal « aut judicare, aut dedere »).
Dans la logique du système de répression des crimes internationaux, le législateur aurait donc du affirmer la compétence du juge national à l'égard de la poursuite et du jugement des crimes internationaux, en présence de l'accusé (ceci afin d'éviter l'affirmation de la compétence in abstentia qui a été à l'origine de difficultés dans les Etats voisins de la France qui ont mis en œuvre une telle solution maximaliste). Il reviendrait ensuite à chaque juge au vu des éléments dont il dispose de décider si et comment un éventuel procès peut être mené. Or, le texte de l'alinéa 1 de l'article 689-11 du code de procédure pénale rajoute des conditions supplémentaires qui conduisent à réduire substantiellement la portée de cette obligation qui contribue de façon déterminante à l'efficacité du régime de répression des crimes internationaux.
Le premier alinéa de l'article 689-11 du code de procédure pénale comporte deux dispositions incompatibles avec la Constitution.

- En premier lieu, le critère de « résidence habituelle » visé dans le texte adopté réduit le champ de la compétence universelle à l'égard des crimes internationaux. Cette disposition empêche l'arrestation et la poursuite « d'auteurs présumés de tels crimes » présents sur le territoire français mais qui n'y auraient pas leur résidence alors même qu'ils ne seraient éventuellement pas encore recherchés pour répondre de tels crimes. Elle méconnaît le principe du respect de la dignité humaine dans la mesure où l'application de cette disposition conduira à renoncer à la poursuite d'un crime international alors même que l'auteur de l'acte se trouverait sur le territoire français. Cette disposition, combinée à l'objectif constitutionnel de sauvegarde de l'ordre public, contribuerait à laisser impuni un crime international pour violation de droits fondamentaux portant atteinte à l'essence même de la dignité humaine sous l'effet d'une disposition de procédure.
S'agissant de la justification qui consisterait à affirmer que ce critère est empreint de réalisme et vise à éviter qu'une personne puisse être appréhendée sans preuve et sans être certain de pouvoir réunir de telles preuves, elle ne résiste cependant pas à l'examen des exigences constitutionnelles.
Elle contrevient tout d'abord aux exigences de l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946 selon lequel « La République se conforme aux exigences du droit international public » : en ajoutant une telle condition, le législateur restreint considérablement et dénature le champ d'application des principes sur lesquels repose l'économie du Statut de Rome. La suppression de cette disposition aurait pour effet de faire retomber le champ des poursuites dans le régime général des crimes internationaux.
Elle contrevient d'autre part à la jurisprudence constitutionnelle selon laquelle il appartient aux juridictions d'apprécier la nécessité des mesures concernées. Dans sa décision n° 2004-492 DC, le Conseil constitutionnel a souligné l'importance du rôle de l'autorité judiciaire pour prévenir l'utilisation de mesures de rigueur non nécessaires. En d'autres termes, les difficultés relatives à la mise en œuvre de la compétence universelle à l'égard des crimes internationaux ne doivent pas conduire le législateur à prendre des mesures qui rendraient plus difficile la poursuite de ces crimes internationaux pour des raisons de convenance.

Par ailleurs, le libellé de cette disposition est également contraire au principe du respect de la présomption d'innocence et à l'exigence constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la loi. En effet, la conformité de l'expression « s'est rendu coupable » pose problème au regard de l'article 9 de la DDHC qui dispose que « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Cette disposition constitutionnelle consacre le droit dont dispose toute personne d'être présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie par un jugement. Le Conseil constitutionnel a reconnu logiquement la valeur constitutionnelle du principe de la présomption d'innocence, dans un premier temps sans viser directement l'article 9 de la DDHC (Cons. constit., décision n° 80-127 DC du 19 et 20 janvier 1981), puis en s'appuyant par la suite directement sur ce fondement (Cons. constit., décision n° 89-258 DC du 8 juillet 1989). Or, la disposition dont il s'agit présume cette culpabilité, ce qui a pour effet de rendre la disposition inintelligible. Or, de deux choses l'une ; ou bien la personne recherchée a déjà été déclarée coupable et le principe général du droit pénal non bis in idem s'opposerait à tout jugement nouveau de la personne pour les mêmes faits ; ou bien la personne en question n'a jamais été jugée et il est difficile d'affirmer qu'elle s'est « rendue coupable » d'un crime alors qu'elle est encore présumée innocente. La portée de ce principe s'est révélée très large et ce dernier s'impose, entre autres, au législateur.
Dès la décision du 8 juillet 1989 précitée, le Conseil constitutionnel impose au législateur le respect de la présomption d'innocence. Cette décision est d'ailleurs éclairante pour le cas qui nous intéresse. En effet, les requérants estimaient qu'une loi d'amnistie antérieure au jugement méconnaissait le principe constitutionnel de la présomption d'innocence. Le Conseil ne dément pas ce raisonnement mais estime que « dans la mesure où l'amnistie a pour effet d'interdire les poursuites pénales, elle ne méconnait en rien le principe proclamé par l'article 9 de la Déclaration de 1789 selon lequel tout homme est présumé innocent (…) ». Ainsi, en raisonnant a contrario, on peut penser qu'une loi qui, avant jugement, se fonde sur une prétendue culpabilité pour enclencher des poursuites pénales, méconnait la présomption d'innocence. Le texte législatif déféré qui pose le critère d'une personne qui « s'est rendu coupable », préjugeant ainsi de la culpabilité d'un individu se trouve dans une telle situation. Dans le même sens, le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2005-527 DC du 8 décembre 2005, juge que la mesure en cause n'est pas incompatible avec le principe de la présomption d'innocence « dès lors qu'elle s'attache à une peine d'emprisonnement ferme prononcée par la juridiction répressive après que celle-ci a décidé que la culpabilité du prévenu est légalement établie ».
- En second lieu, l'alinéa 1 de l'article 689-11 du code de procédure pénale, introduit un critère de double incrimination à l'égard des crimes qui figurent dans le Statut de Rome et la répression des faits dans l'Etat où ils ont été commis ou à la participation de l'Etat duquel est ressortissant la personne poursuivie. Cette disposition parfaitement compréhensible lorsqu'il s'agit d'un traité d'extradition bilatéral classique est ici incompatible avec le caractère universel des crimes internationaux réprimés par le Statut de Rome. Or, la logique du système mis en place par la CPI repose sur l'indépendance des crimes au regard du régime juridique qu'ils connaissent dans les différents ordres juridiques internes. Conformément à la décision du Conseil constitutionnel n° 98-498 DC du 22 janvier 1999, l'exigence de réciprocité n'est pas de mise dans le traité instituant la Cour pénale internationale en raison de sa nature de protection des droits fondamentaux (considérant n° 12). On conçoit mal dès lors que le législateur ait calqué le régime juridique des poursuites des crimes internationaux sur celui des traités d'extradition alors que la logique de la compétence universelle applicable aux crimes internationaux repose sur un fondement autonome consistant à considérer qu'il est du devoir de tous les Etats de réprimer ces crimes et de ne laisser aucun havre de paix aux auteurs présumés des crimes internationaux. D'ailleurs, les crimes figurant dans le Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale ne constituent qu'une sorte de « codification modernisée » des crimes internationaux qu'il vise mais qui existaient avant cela sous l'empire soit de traités spécifiques tels la Convention de 1948 sur la prévention et la répression du génocide, soit de règles coutumières comme le révèle par exemple l'étude du Comité international de la Croix Rouge sur « les règles coutumières du droit international humanitaire ». Qui plus est l'absence d'incrimination d'un comportement infractionnel constitutif d'un crime international dans le code pénal ou la loi pénale des Etats tiers ne signifie pas que ces crimes ne peuvent pas être poursuivis : dans nombre de pays appliquant un régime juridique de Common Law, l'absence de loi formelle ne signifie pas absence d'incrimination, y compris dans les cas où le juge lui-même ne s'est pas prononcé.

- Sur l'article 8 relatif à l'alinéa 2 de l'article 689-11 du code de procédure pénale : « La poursuite de ces crimes ne peut être exercée qu'à la requête du ministère public si aucune juridiction internationale ou nationale ne demande la remise ou l'extradition de la personne. À cette fin, le ministère public s'assure auprès de la Cour pénale internationale qu'elle décline expressément sa compétence et vérifie qu'aucune autre juridiction internationale compétente pour juger la personne n'a demandé sa remise et qu'aucun autre État n'a demandé son extradition. »

Cet article comporte deux griefs d'inconstitutionnalité reposant sur plusieurs moyens.

-En premier lieu, l'alinéa 2 établit un régime de monopole des poursuites à la requête du ministère public qui semble exclure l'initiation des poursuites par une victime ou un ayant-droit des victimes. Il n'est guère possible d'interpréter autrement cette précision sémantique car si le législateur avait voulu suivre le régime de droit commun, il n'aurait pas mentionné cette exclusivité des poursuites au profit du ministère public. Cette disposition méconnait deux droits garantis constitutionnellement : le droit au recours et le principe d'égalité entre les victimes de crimes internationaux et les victimes d'autres crimes.
- En ce qui concerne le droit au recours, celui-ci a été affirmé à plusieurs reprises par le Conseil constitutionnel , l'article 16 de la DDHC garantit le droit à un recours juridictionnel effectif, l'article 16 disposant que « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ( déc. n° 99-416 DC : « il résulte de l'article 16 de la DDHC : « ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction »).
Ce droit est défini par Gaston Jèze comme un « pouvoir légal impersonnel et objectif » dont tout justiciable dispose pouvant s'exercer en toute occasion et auquel on ne peut pas renoncer de manière générale et absolue. En réservant l'initiative des poursuites au seul ministère public, l'article 689-11 alinéa 2 empêche le déclenchement d'une action par les parties civiles en portant plainte et constitue ipso jure une atteinte au droit à un recours effectif protégé par l'article 16 de la DDHC. Ceci est d'autant plus vrai que le Conseil constitutionnel avait affirmé dans la décision n° 98-408, que le Statut de la CPI a pour objet de sanctionner les atteintes les plus graves qui seraient portées aux droits fondamentaux. La limitation du droit à un recours effectif constituerait une atteinte à l'effectivité même de ces droits.
- Ensuite, en limitant la poursuite de ces crimes, l'article 689-11 alinéa 2 porte atteinte au principe d'égalité de traitement entre les victimes. En effet, l'article 689-11 limite l'initiative des poursuites au ministère public se différenciant ainsi des règles de procédure pénale générales permettant l'engagement des poursuites par les victimes de crimes de droit commun. Cette situation conduirait à mettre dans une position moins favorable les victimes des crimes considérés par la Communauté internationale mais également par la communauté nationale comme les plus graves dans une situation moins favorable que les victimes de droit commun.
Ceci est d'autant plus grave qu'à la différence des mécanismes de poursuites dans certains Etats qui connaissent du principe de « légalité de poursuites » (la poursuite est automatique dès que le crime est constitué ou que certaines conditions posées par la loi sont réunies), le système pénal français fonctionne suivant celui « d'opportunité des poursuites » qui réserve au parquet un large pouvoir discrétionnaire pour décider de celles-ci. Il n'y a donc pas ici, contrairement à ce qui a été soutenu devant d'autres cours constitutionnelles étrangères, d'automaticité des poursuites, ce qui rend le système encore plus inégalitaire et risque de laisser les victimes ou leurs ayant droits sans possibilité de faire valoir leurs droits sur le plan pénal.
Le droit des parties civiles de mettre l'action publique en mouvement constitue la contrepartie de cette appréciation d'opportunité confiée au parquet. La disposition déférée rompt cet équilibre en privant les parties civiles de ce droit sans encadrer l'appréciation confiée au parquet ni la soumettre au contrôle d'un juge indépendant et impartial (à cet égard le système belge souvent pris en contre-exemple pour justifier les restrictions susmentionnées a sévèrement encadré les motifs d'exclusion de poursuites, tout en instituant un contrôle par le juge des décisions de classement du parquet, ce que ne fait pas le texte français. V. en ce sens les décisions de la Cour constitutionnelle belge du 23 mars 2005 - arrêt n° 62/2005, n° de rôle 2913,
B 7.5 à B 8 ; et du 21 février 2008 - arrêt n° 21/2008, n° de rôle 4120,
B 7.4)

- Le texte déféré au Conseil constitutionnel comporte également une autre lacune relative au principe de complémentarité inversé. La deuxième phrase de l'alinéa 2 de l'article 689-11 alinéa 2 du code de procédure pénale méconnait en effet l'exercice du principe de souveraineté nationale en ce qui concerne le principe de complémentarité inversé qui réserve à l'Etat la priorité des poursuites en matière de crimes internationaux. Le Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale est on ne peut plus clair sur ce point puisqu'il confie aux États-parties la responsabilité primaire des poursuites des auteurs de crimes internationaux laissant à la Cour pénale internationale le soin de poursuivre à l'initiative du procureur mais sur décision de la Chambre préliminaire les auteurs présumés de crimes qui ne l'auraient pas été dans les Etats soit par manque de moyens, soit par manque de volonté. On comprend dès lors assez mal comment le législateur français, en dépit de la clarté du mécanisme inclus dans le Statut de Rome ait pu délibérément aller à l'encontre des dispositions de l'article 17. Il s'agit une nouvelle fois d'une méconnaissance de l'article 53-2 de la Constitution dans la mesure où le texte législatif heurte de front une règle claire du Statut de Rome et ne respecte pas les conditions qui pont présidé à son adoption. La contradiction va cependant encore plus loin ici puisque, précisément sur ce point, le Conseil constitutionnel dans sa décision 98-408 DC du 22 janvier 1999 avait longuement examiné les mécanismes mis en place par le Statut de Rome et avait estimé « que les stipulations du traité qui apportent des restrictions au principe de complémentarité de la Cour par rapport aux juridictions criminelles nationales, dans les cas où l'État partie se soustrairait délibérément aux obligations nées de la convention, découlent de la règle » Pacta sunt servanda ", en application de laquelle tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi ; que ces dispositions fixent limitativement et objectivement les hypothèses dans lesquelles la Cour pénale internationale pourra se déclarer compétente ; que, par suite, elles ne méconnaissent pas les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale » (cons. n°32). Il avait en revanche exigé une révision préalable de la Constitution française estimant que certaines dispositions contrevenaient à l'exercice de la souveraineté nationale : « Considérant, en revanche, qu'il résulte du statut que la Cour pénale internationale pourrait être valablement saisie du seul fait de l'application d'une loi d'amnistie ou des règles internes en matière de prescription ; qu'en pareil cas, la France, en dehors de tout manque de volonté ou d'indisponibilité de l'État, pourrait être conduite à arrêter et à remettre à la Cour une personne à raison de faits couverts, selon la loi française, par l'amnistie ou la prescription ; qu'il serait, dans ces conditions, porté atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale » (cons. n°34). Il résulte de la lecture combinée de l'ensemble des dispositions de la décision relative à l'exercice de la souveraineté nationale que le Conseil constitutionnel a appréhendé l'intégralité du système mis en place par le Statut de Rome et explicité les dispositions qui devaient faire l'objet d'une modification pour que la ratification du Traité puisse avoir lieu dans les conditions où il avait été signé. La ratification du Statut puis sa mise en œuvre par une loi adaptant le droit pénal interne ne sont donc constitutionnelles que pour autant que soient respectées les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale rappelées par la décision 98-408 DC et reposant sur la prééminence donnée aux juridictions nationales par rapport à la CPI. En inversant le principe de complémentarité, le législateur méconnaît l'un des attributs essentiels de la souveraineté qui oblige tout juge saisi à statuer sur un litige à l'égard duquel il est compétent. La disposition déférée, en ce qu'elle subordonne la compétence des juridictions nationales à une décision préalable de la Cour, comporte donc un abandon de souveraineté que n'autorise pas l'article 53-2 de la Constitution.
De surcroît, le texte de l'article 689-11 alinéa 2 prévoit l'exercice de la compétence de la juridiction française après un déclinatoire de compétence « exprès » de la part de la Cour pénale internationale. Cette condition réduit encore plus de lege ferenda la possibilité qu'un juge national exerce sa compétence car elle obligerait matériellement le Procureur de la CPI à refuser d'exercer son droit de poursuite et impliquerait une décision juridictionnelle de la part de la Chambre préliminaire. Cette situation risque de vider totalement de sa substance la règle de compétence nationale. Contraire à l'article 53-2 de la Constitution et aux règles constitutionnelles d'exercice de la souveraineté nationale, la disposition de l'article 689-11 alinéa 2 du code de procédure pénale est également contraire au principe de clarté et d'intelligibilité de la loi puisque la projection des effets de la disposition contestée aboutit à en vider la substance et l'effectivité.

Pour l'ensemble de ces raisons, les députés auteurs de la présente saisine demandent au Conseil constitutionnel de déclarer inconstitutionnelles les dispositions contestées du texte législatif relatif à l'adaptation du code pénal au Statut de la Cour pénale internationale adopté le 13 juillet 2010.