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Décision n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010 - Décision de renvoi Cass.

Mmes Isabelle D. et Isabelle B. [Adoption au sein d'un couple non marié]
Conformité

Cour de cassation
Assemblée plénière
Audience publique du jeudi 8 juillet 2010
N° de pourvoi : 10-10385 Arrêt n° 12143 F P+B
Publié au bulletin Qpc seule - renvoi au cc

M. Lamanda (premier président), président
SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité formée par mémoire spécial reçu le 12 mai 2010 et présentée par :

1 °/ Mme Isabelle X...,
2 °/ Mme Isabelle Y...,
domiciliées toutes deux ...,

A l'occasion du pourvoi contre l'arrêt rendu le 1er octobre 2009 par la cour d'appel de Paris (Pôle 1, chambre 1), dans le litige les opposant au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié en cette qualité, Palais de justice, 4 boulevard du Palais, 75001 Paris,

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR composée conformément aux articles 23-6 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, R 461-2, R 461-4 et R 461-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 2 juillet 2010, où étaient présents : M. Lamanda, premier président, Mmes Favre, Collomp, MM. Lacabarats, Louvel, Charruault, Présidents, M. Prétot, conseiller suppléant M. Loriferne, Président, Mme Monéger, conseiller rapporteur, M. Bargue, conseiller, M. Sarcelet, avocat général, Mme Dessault, greffier en chef ;

Sur le rapport de Mme Monéger, conseiller, assistée de M. Borzeix, auditeur au service de documentation, des études et du rapport de la Cour de cassation, les observations de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de Mmes X... et Y..., l'avis oral de M. Sarcelet, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu que Mme X... et Mme Y... demandent que les questions prioritaires suivantes soient posées au Conseil constitutionnel :

1) L'article 365 du code civil est-il contraire au droit de mener une vie familiale normale et au principe de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant, protégés par les 10e et 11e alinéas du Préambule de la Constitution de 1946, en ce qu'il prévoit un partage de l'autorité parentale entre l'adoptant et le parent biologique seulement dans le cas de l'adoption de l'enfant du conjoint, ce qui a pour effet d'empêcher l'enfant de voir consacrer juridiquement l'existence du lien affectif et social l'unissant au compagnon non marié de son parent biologique, puisque si l'adoption était prononcée l'enfant verrait couper le lien l'unissant à son parent biologique, qui perdrait ses droits d'autorité parentale, ce qui méconnaîtrait son intérêt supérieur ?

2) L'article 365 du code civil est-il contraire au droit de mener une vie familiale normale et au principe de non discrimination entre les enfants, en ce qu'il prévoit un partage de l'autorité parentale entre l'adoptant et le parent biologique seulement dans le cas de l'adoption de l'enfant du conjoint, ce qui a pour effet de créer une distinction entre les enfants élevés au sein d'un couple marié, qui peuvent voir leur filiation adoptive établie à l'égard du conjoint de leur parent biologique sans que ce dernier perde ses droits d'autorité parentale, et les enfants élevés au sein d'un couple non marié, formé de partenaires unis par un pacte civil de solidarité ou de concubins engagés dans une union de fait stable, qui ne peuvent voir cette filiation correspondant à la vérité sociale établie à l'égard du compagnon de leur parent à moins que ce dernier ne perde ses droits d'autorité parentale ?

3) L'article 365 du code civil est-il contraire au droit des partenaires ou des concubins de fonder une famille et de mener une vie familiale normale, protégé par les 10e et 11e alinéas du Préambule de la Constitution de 1946, en ce qu'il prévoit un partage de l'autorité parentale entre l'adoptant et le parent biologique seulement dans le cas de l'adoption de l'enfant du conjoint, ce qui a pour effet d'empêcher une personne non mariée d'adopter l'enfant de son compagnon, auquel elle est unie par un pacte civil de solidarité ou une union de fait stable et durable, puisque cette adoption priverait le parent biologique de ses droits d'autorité parentale ce qui serait contraire à l'intérêt de l'enfant ?

4) L'article 365 du code civil est-il contraire au droit de mener une vie familiale normale et au principe de non discrimination en raison de l'orientation sexuelle, protégé par les 10e et 11e alinéas du Préambule de la Constitution de 1946, en ce qu'il prévoit un partage de l'autorité parentale entre l'adoptant et le parent biologique seulement dans le cas de l'adoption de l'enfant du conjoint, ce qui a pour effet d'imposer aux personnes engagées dans une relation stable et durable de se marier pour que l'adoption par l'une d'entre elles de l'enfant de l'autre ne fasse pas perdre à ce dernier ses droits d'autorité parentale, condition préalable à l'adoption que ne peuvent satisfaire les personnes de même sexe auxquelles le mariage est interdit ?

Attendu que selon l'article 365 du code civil, l'adoptant est seul investi à l'égard de l'adopté de tous les droits d'autorité parentale, inclus celui de consentir au mariage de l'adopté, à moins qu'il ne soit le conjoint du père ou de la mère de l'adopté ; dans ce cas, l'adoptant a l'autorité parentale, concurremment avec son conjoint, lequel conserve seul l'exercice, sous réserve d'une déclaration conjointe avec l'adoptant devant le greffier en chef du tribunal de grande instance aux fins d'un exercice commun de cette autorité ;

Attendu que les dispositions critiquées sont applicables au litige ;

Qu'elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ;

Et attendu que les questions posées présentent un caractère sérieux au regard des exigences du principe constitutionnel d'égalité en ce que l'article 365 du code civil institue une distinction entre les enfants au regard de l'autorité parentale, selon qu'ils sont adoptés par le conjoint ou le concubin de leur parent biologique ;

D'où il suit qu'il y a lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel ;

PAR CES MOTIFS :

RENVOIE au conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, assemblée plénière, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille dix.

LE CONSEILLER RAPPORTEUR LE PREMIER PRESIDENT

LE GREFFIER EN CHEF