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Décision n° 2009-592 DC du 19 novembre 2009 - Saisine par 60 sénateurs

Loi relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie
Conformité

Monsieur le Président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie telle qu'adoptée par le Parlement.

A l'appui de cette saisine, nous développons les moyens et griefs suivants à l'encontre, en particulier, de l'article 53 de la loi.

Sur l'article 53 de la loi relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie

Cet article de la loi relative à l'orientation et à la formation profesionnelle tout au long de la vie a pour objet, selon l'exposé des motifs, d'organiser le transfert de quelque 920 personnes chargées de missions d'orientation professionnelle, de l'Association Nationale pour la Formation Professionnelle des Adultes (AFPA) à Pôle emploi.

Pour ce, les salariés dont le contrat de travail est transféré demeurent, à titre transitoire, régis par l'accord du 4 juillet 1996 sur les dispositions régissant le personnel de l'AFPA.

La convention collective applicable aux personnels de l'Institution mentionnée à l'article L. 5312-1 du Code du travail leur devient applicable, dès que les adaptations nécessaires auront fait l'objet d'un accord ou, au plus tard, quinze mois après leur transfert.

Si les auteurs de la saisine sont évidemment attachés à la notion d'orientation et à celle de formation professionnelle continue, il reste que ce motif ne doit pas, et ne peut pas, aboutir à ce que des principes de valeur constitutionnelle soient méconnus pour y arriver.

En effet, il ne s'agit pas ici d'une fusion entre deux organismes. L'AFPA et Pôle emploi sont deux structures existantes et on peut se demander en vertu de quel texte, que celui-ci soit législatif ou réglementaire, s'appuie le Gouvernement pour décider du transfert d'une partie du personnel de l' AFPA à un autre organisme (en l'occurrence Pôle emploi).

Seuls ont été mentionnés par le gouvernement,

d'une part les missions dévolues à Pôle Emploi, en application de l'article L. 5312-1 (2 °) du code du travail, soit « accueillir, informer, orienter et accompagner les personnes, qu'elles disposent ou non d'un emploi, à la recherche d'un emploi, d'une formation ou d'un conseil professionnel, prescrire toutes actions utiles pour développer leurs compétences professionnelles et améliorer leur employabilité, favoriser leur reclassement et leur promotion professionnelle, faciliter leur mobilité géographique et professionnelle et participer aux parcours d'insertion sociale et professionnelle », cette mention n'ayant pour objet ni pour conséquence de supprimer aucune des compétences existantes de l'AFPA et ne pouvant donc justifier le transfert de ses personnels d'orientation à Pôle Emploi,

d'autre part, l'avis du conseil de la concurrence du 18 juin 2008 indiquant que le positionnement des services d'orientation professionnelle au sein de l'AFPA est incompatible avec les exigences découlant de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes visant à assurer une concurrence non faussée, ce simple avis ne pouvant de par son statut constituer le fondement d'une décision de transfert de personnels de l'AFPA.

Or, la jurisprudence constitutionnelle s'est particulièrement attachée, au cours des dernières années, à promouvoir la qualité de la loi. Le Conseil constitutionnel a en particulier progressivement défini l'obligation pour le législateur d'exercer pleinement sa compétence, c'est-à-dire de légiférer.

La jurisprudence constitutionnelle sur les incompétences négatives n'est pas nouvelle. Le moyen est apparu pour la première fois dans la décision n° 67-31 DC du 26 janvier 1967 portant sur la loi organique modifiant l'ordonnance du 22 décembre 1958 (indépendance et inamovibilité des magistrats).

Il s'agit ici de montrer qu'il appartient au Parlement d'exercer pleinement sa compétence en légiférant avec précision et clarté.

Le Conseil constitutionnel sanctionne en particulier le silence du législateur.

Dans sa décision n 85-198 DC du 13décembre 1985, afférente à la loi modifiant la loi n 82-652 du 29 juillet 1982 et portant diverses dispositions relatives à la communication audiovisuelle, le Conseil a considéré que l'article 3-II de la loi déférée « permet à l'établissement public de diffusion de procéder à des travaux et installations d'importance non précisée sur des propriétés bâties publiques ou privées et prévoit que les agents de l'établissement public peuvent être autorisés à pénétrer à l'intérieur de ces propriétés, y compris dans les locaux d'habitation, notamment pour l'exploitation des équipements installés ; que ces installations et le droit de visite qu'elles impliquent pourraient faute de précisions suffisantes entraîner une atteinte à des droits et libertés constitutionnellement garantis qu'il appartient à la loi de sauvegarder ».

En ne se référant à aucune règle législative ou réglementaire pour organiser le transfert d'une partie des personnels de l'AFPA vers Pôle emploi, le Gouvernement reconnaît implicitement qu'il n'en existe aucune et se fonde sur le silence du législateur pour élaborer ce transfert.

Cette absence de disposition législative ou réglementaire permettant d'organiser le transfert de plus de 900 personnes de l'AFPA à Pôle emploi ne peut donc qu'emporter l'invalidation de l'article 53 de la loi relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie.

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les conseillers, l'expression de notre haute considération.