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Décision n° 2009-588 DC du 6 août 2009 - Saisine par 60 sénateurs

Loi réaffirmant le principe du repos dominical et visant à adapter les dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires
Non conformité partielle

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel,
2 rue Montpensier
75001 Paris.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer, en application du second alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi réaffirmant le principe du repos dominical et visant à adapter les dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires, telle qu'adoptée par le Parlement.

A l'appui de cette saisine, nous développons, en particulier, les griefs et moyens suivants à l'encontre de l'article 2 du texte.

Le principe du repos dominical constitue, depuis la loi du 13 juillet 1906 au moins, un élément essentiel du droit au repos de tout travailleur et, plus largement, du droit à conduire une vie privée et familiale normale. Il est au-delà de toute considération religieuse car il consacre un principe sociétal et s'inscrit dans une logique de conquête des droits sociaux et d'organisation de la société. Si des dérogations ont été prévues depuis cette date, il est acquis qu'elles n'ont pas eu pour but de renverser ledit principe mais qu'elles se sont juste bornées à organiser des exceptions limitées matériellement et dans l'espace comme dans le temps ; équilibre auquel les textes et la jurisprudence, tant administrative que judiciaire, se sont attachés sans discontinuer depuis cette période.

Or, la loi qui vous est déférée aboutit à remettre en cause cet équilibre républicain. Les débats passionnés qui ont animé son examen, en dépassant les champs partisans, montrent que le présent recours interroge des principes loin des vaines polémiques. Votre décision est donc particulièrement attendue car c'est une certaine idée du vouloir vivre ensemble résultant de notre pacte constitutionnel fondateur qu'il vous est demandé de garantir aujourd'hui.

L'invalidation de la loi est d'autant plus nécessaire que ses promoteurs, conscients de l'impossibilité de remettre en cause de façon directe le principe du droit au repos dominical, ont dès lors tenté de contourner cet obstacle au prix d'un texte d'une imprécision et d'une complexité constituant au final une malfaçon législative majeure qui ne peut devenir droit positif.

D'abord, et nul ne l'ignore, cette loi est née d'une problématique locale ayant donné lieu ces dernières années à une litanie de contentieux. Autrement dit, et quel que soit l'habillage technique l'entourant, ce texte a pour but premier de valider des pratiques jugées illégales (voir sur ce point l'aveu sans fard fait dans : Sénat, Rapport n° 561, page 45, paragraphe 4).

Ensuite, force est de constater que ce texte multiplie les dérogations au travers de définitions si larges et imprécises que le principe en est vidé de sa substance, ce qu'aucun législateur républicain n'avait ainsi tenté depuis 1906.

Enfin, la rédaction chaotique de cette loi juxtapose des notions si floues qu'elles ôtent toute clarté au dispositif institué et méconnaissent, par voie de conséquence, plusieurs autres règles de valeur constitutionnelle tel le principe d'égalité voire même la libre administration des collectivités territoriales.

Il s'ensuit que la loi est viciée d'un quadruple point de vue au moins : la violation des 10ème et 11ème alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 qui garantissent le droit au repos du travailleur et le droit de mener une vie familiale normale (I) ; la méconnaissance du principe de clarté et de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi (II) ; la violation du principe d'égalité (III) ; la libre administration des collectivités territoriales (IV).

I. Sur la violation des 10ème et 11ème alinéas du Préambule de la Constitution de 1946

I.1. Le droit de mener une vie familiale normale trouve son fondement non seulement dans l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, mais encore dans la Constitution et en particulier dans le 10ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 aux termes duquel « la Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ». Vous avez expressément consacré à ce titre le droit de mener une vie familiale normale (Décision n° 93-325 DC du 13 août 1993 ; Décision n° 2005-528 DC du 15 décembre 2005) tant pour les nationaux que pour les étrangers.

Vous avez également consacré le droit au repos et aux loisirs en vertu du onzième alinéa du Préambule de 1946, la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs... » (Ex : Décision n° 2005-514 DC du 28 avril 2005 ; n° 2005-523 DC du 23 juillet 2005).

Il incombe dès lors au législateur de veiller à la mise en œuvre de ces exigences constitutionnelles.

Il ne fait aucun doute que le droit au repos hebdomadaire dominical est garanti au titre de ces 10ème et 11ème alinéas du Préambule de 1946.

En outre, son caractère de principe fondamental reconnus par les lois de la République depuis la loi du 13 juillet 1906 ne peut faire de doute car les dérogations limitées n'ont jamais eu pour objet de remettre en cause le principe lui-même.

Les juges judiciaires et administratifs ont eu maintes fois l'occasion de l'illustrer. Ainsi, la Cour de Cassation a-t-elle jugé que le repos dominical constitue un avantage social institué dans l'intérêt de tous les travailleurs, hommes et femmes (Cass. Crim. 30 mai 1995 ; 27 juin 1995) et affirmé que les textes relatifs à ce droit instituent des mesures nécessaires dans une société démocratique à la protection des droits et des libertés (Crim. 14 avril 1992, Lecat, pourvoi n° 90-81.894) ou que le droit au travail doit s'exercer dans des conditions assurant notamment le repos, les loisirs ainsi que la limitation du temps de travail (Crim. 15 octobre 1991, Halphen, pourvoi n° 90-86.791).

I.2. Certes à ce jour, il existe plusieurs dérogations admises pouvant se résumer pour l'essentiel aux cinq catégories suivantes :

- certaines entreprises peuvent de plein droit accorder le repos hebdomadaire par roulement en raison de la nature de leur activité,
- les aménagements conventionnels permettant la fermeture hebdomadaire des établissements par arrêté préfectoral,
- les dérogations administratives individuelles au principe du repos hebdomadaire dominical,
- l'autorisation de constitution d'équipes de suppléance,
- les prescriptions de droit local des départements de Moselle, Bas-Rhin, Haut-Rhin.

A cet égard, la portée des dérogations existantes ne doit pas tromper et la jurisprudence interprétant le droit en vigueur conduit à considérer que la dérogation à la règle du repos dominical ne peut revêtir qu'un caractère d'exception pour faire face à des situations particulières tenant à des circonstances déterminées de temps, de lieu et au regard du type d'activité exercée et de la nature des produits vendus.

Cela se comprend aisément si l'on considère que l'ensemble des dispositions légales et réglementaires en la matière est nécessairement impératif (voir : Avis CE, 22 mars 1973).

Ce caractère de disposition d'ordre public impératif avait conduit la Cour de Cassation a juger que ce droit ne peut être écarté même par la volonté apparemment libre de ceux pour lesquels la protection desquels elle a été prise au point qu'il ne saurait être question de remplacer le repos du dimanche par celui d'un autre jour, y compris avec l'accord des intéressés (Crim. 5 décembre 1989, Bull. n° 466 ; CA Paris, Chambre Correctionnelle, 27 février 2009, n° 08/06876/15).

S'agissant des dérogations de plein droit, elles sont d'interprétations strictes (Soc. 10 novembre 1981, Bull. Civ., V, n° 892) car elles doivent se fonder sur un besoin essentiel du public (CE, 18 février 1991, SA Canal 7, RJS 1991, n° 470).

Quant aux dérogations administratives individuelles, le Conseil d'Etat, pour sa part, refuse celles non fondées sur un réel besoin impérieux et écarte les simples commodités (Ex : CE 18 février 1991, SA Suignard « Rallye Super » ; CE 8 juillet 1994, Sté Virgin). On ajoutera, à cet égard, que les dérogations individuelles ne sauraient s'appliquer à plusieurs établissements, ce que le juge rappelle avec force (CE 8 juillet 1994, Union départementale des Syndicats CGT-FO d'Ille et Vilaine, RJS 1994, n° 1379).

On le voit, sans préjudice des dérogations dont la portée a toujours été voulue limitée par le législateur, le principe du droit au repos hebdomadaire dominical est un élément essentiel de notre vie en société, garantit au titre des alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution de 1946 et constitue, en outre, un principe fondamental reconnu par les lois de la République.

Pourtant, force est de constater que la loi critiquée bouleverse le régime applicable aux salariés et, tout en le niant par l'artifice de certaines rédactions, renverse la logique établie en faisant des dérogations le principe, et du principe une exception.

I.3. L'article 2 du texte dont vous êtes saisi modifie profondément le régime du repos hebdomadaire en instituant une nouvelle catégorie de dérogation de plein droit très large et en créant une nouvelle hypothèse de dérogation administrative que l'on ne peut qualifier d'individuelle tant elle est d'application extensive et générale.

(i) D'une part, l'article 2 de la loi prévoit par le nouvel article L. 3132-25 du code du travail que les établissements de vente de détail situés dans les communes d'intérêt touristique ou thermales et dans les zones touristiques d'affluence exceptionnelle ou d'animation permanente peuvent, de droit, donner le repos hebdomadaire par roulement pour tout ou partie du personnel.

Cet article étend la dérogation d'un double point de vue :

- matériel en ce que cette dérogation de plein droit concernera tous les commerces de détail ;
- géographique en ce que sont a priori concernées toutes les communes touristiques, soit 5 à 6000 communes selon le ministère en charge du tourisme.

Ce faisant, le législateur crée une nouvelle dérogation de plein droit sans que soit établi, comme l'ont d'ailleurs montré les travaux parlementaires, la nécessité de satisfaire des besoins essentiels du public en lien avec la nature de la commune concernée.

C'est donc bien le principe de la dérogation même qui est étendue de façon disproportionnée. Jusque là, la dérogation de plein droit était réservée à des entreprises dont la nature de l'activité était essentielle alors que les dérogations accordées dans les communes touristiques l'étaient au titre d'une autorisation administrative individuelle au bénéfice des commerces de vente au détail qui mettent à disposition du public des biens, services destinés à faciliter l'accueil ou ses activités culturelles, sportives, récréatives. Et si ces caractéristiques n'étaient pas présentes, l'autorisation devait être refusée alors même que le commerce était situé dans une zone particulièrement touristique, comme cela vient encore d'être jugé très récemment à propos d'un commerce situé sur les Champs Elysées à Paris (CE 11 mars 2009, n° 308874, publié au recueil Lebon).

Nul ne conteste que l'ouverture de commerces de détail le dimanche dans certaines zones puisse s'avérer nécessaire. Mais désormais, le seul fait d'être situé dans une commune touristique justifiera d'ouvrir de plein droit quelle que soit la nature de l'activité du commerce de détail en cause.

Or, en retenant la notion de commerce de vente au détail, la loi va très loin puisque cela justifie l'ouverture de plein droit, par exemple, d'un commerce de vente ou location de DVD, de meubles, de moquette, de matériel de bricolage, de téléviseurs et matériels d'Hi-Fi, d'un salon de coiffure ou de beauté... Car ce sont là des commerces de vente au détail qui bénéficieront de cette dérogation de plein droit.

Le fait qu'ils soient dans une commune touristique ou culturelle justifie-t-il qu'il soit dérogé au principe du repos hebdomadaire pour ces commerces-là ? Les touristes visitant un site quelconque y viennent-ils pour acheter des meubles, de la moquette et une perceuse, ou se faire coiffer ou refaire une beauté, au motif de leur pérégrination et repartir les bras chargés de ces souvenirs si typiques avec une nouvelle tête... ?

Pourtant, cette dérogation de plein droit permettra à tous ces commerces d'ouvrir le dimanche sans un quelconque lien avec la nature touristique ou culturelle présumée par le texte critiqué ! Autrement dit, ce dispositif va étendre de plein droit à l'ensemble des commerces et pour toute l'année ce qui était possible, mais seulement sur autorisation individuelle de l'administration, pour les seuls commerces spécialisés qui offraient aux touristes des biens et des services en lien avec le lieu ou destinés à faciliter leur accueil ou leur activité de détente.

Comme on y reviendra un peu plus loin, cette extension est d'autant plus lourde de conséquence qu'elle retient pour critère la notion de commune d'intérêt touristique. Contrairement à ce que prétend le gouvernement, ce concept couvre un champ très large de commune, entre 5000 et 6000, dès lors que la seule définition de nature législative opératoire en la matière reste celle des articles L. 133-11 et L. 133-12 du code du tourisme qui énonce que :

« Les communes qui mettent en œuvre une politique du tourisme et qui offrent des capacités d'hébergement pour l'accueil d'une population non résidente, ainsi que celles qui bénéficient au titre du tourisme, dans les conditions visées au huitième alinéa du 4 ° de l'article L. 2334-7 du code général des collectivités territoriales, de la dotation supplémentaire ou de la dotation particulière identifiées au sein de la part forfaitaire de la dotation globale de fonctionnement, peuvent être dénommées communes touristiques ».

Quant à l'article L. 133-12, il dispose que : « la dénomination mentionnée à l'article L. 133-11 est accordée, à la demande des communes intéressées, par décision de l'autorité administrative compétente prise pour une durée de cinq ans ».

Ainsi, par cette nouvelle rédaction de l'article L.3132-25 du code du travail, l'article 2 de la loi a institué, au regard de la portée du droit au repos et du droit à mener une vie familiale normale, une dérogation de plein droit trop générale et absolue et finalement trop imprécise.

(ii) D'autre part, le législateur, en créant par l'article L. 3132-25-1 du code du travail, la catégorie des PUCE - périmètre d'usage de consommation exceptionnel - au sein d'unités urbaines de plus d'un million d'habitants, a, là encore, vidé de sa substance une large partie du droit au repos hebdomadaire dominical.

En premier lieu, et cela devrait en soi conduire à l'invalidation de ce dispositif, il est de notoriété publique que ces PUCE sont nées de l'intention de contrer les pratiques illégales de certaines zones commerciales. D'ailleurs, le rapport du Sénat n'en fait pas mystère en précisant que « la création des Puce permettrait à des zones commerciales qui ouvrent le dimanche, parfois depuis des décennies, de continuer à le faire en toute sécurité sur le plan juridique : ces commerces ont en effet commencé à ouvrir sur la base d'arrêtés préfectoraux, qui ont ensuite été annulés par les tribunaux, de sorte que leur imposer aujourd'hui de fermer le dimanche conduirait à des suppressions d'emplois » (Sénat, Rapport n° 561, page 45).

Or, vous n'admettez pas les validations législatives lorsqu'elles n'ont pas pour but de protéger un intérêt général suffisant et lorsqu'elles remettent en cause d'autres principes de portée constitutionnelle (Ex : Décision n° 2004-509 DC, 13 janvier 2005, cons. 31).

En l'occurrence, il est flagrant qu'il s'agit là de contrer l'application d'un droit constitutionnel pour que des entreprises ayant ouvert le dimanche en toute illégalité depuis des années puissent continuer de le faire, mais cette fois au bénéfice de la loi. Autrement dit, on demande à la loi de remettre en cause un droit constitutionnel inscrit dans notre législation républicaine depuis 1906 au motif que des entreprises ont violé ce principe ! Vous ne pouvez admettre une telle dérive législative qui dépasse, et de loin, les hypothèses même les plus audacieuses de validations législatives auxquelles vous avez été confrontés.

Et c'est en vain que le gouvernement opposerait la nécessité de concilier le droit au repos avec la liberté d'entreprendre ou la liberté du commerce et la sauvegarde de l'emploi.

D'abord, la Cour de Cassation a toujours écarté ce type d'argutie qui mettait en balance le droit au travail ou la liberté d'entreprendre avec le droit au repos pour tenter, en réalité, d'écarter la protection du salarié. Elle l'a fait en raison de la nature même de ce droit social fondamental (Cass. Crim. 30 mai 1995 ; 27 juin 1995 ; Crim. 14 avril 1992, Lecat, pourvoi n° 90-81.894, précités).

Ensuite, le Conseil d'Etat a régulièrement rejeté les tentatives de passer en force de loi. Ainsi a-t-il jugé que « les Sociétés Blanc distribution et SEEF ne peuvent se prévaloir, pour obtenir une dérogation à la règle du repos simultané le dimanche de tout le personnel, de l'importance du chiffre d'affaires dominical, qui a été réalisé grâce à leur maintien dans une situation irrégulière ; que si elles soutiennent par ailleurs que le repos simultané le dimanche de tout le personnel entraînerait une baisse notable de leurs résultats, elles ne démontrent pas que le fonctionnement normal de l'établissement en serait compromis... » (CE 9 septembre 1996, Sté Blanc distribution, Sté SEEF, n° 156177).

Le fait de passer par la loi pour contourner le principe du droit au repos hebdomadaire dominical et valider des pratiques illégales, pour certaines déjà condamnées en justice, n'est pas davantage admissible dès lors que sont en cause des principes de valeur constitutionnelle.

Vous ne pourrez donc admettre que la création des PUCE serve à faire gagner la force sur le droit pour, de surcroît et au final, affaiblir radicalement les droits au repos et de mener une vie familiale normale.

En second lieu, force et de constater que la définition donnée pour les PUCE dans les zones urbaines de plus d'un million d'habitants aboutira a élargir les zones concernées à un bassin de population très large. Paris, Lyon, Marseille, Lille, Bordeaux,... Finalement, ce sont plusieurs milliers d'entreprises qui sont concernées et des milliers de salariés qui verront leur droit au repos mis en jeu.

On est loin des dérogations limitées admises jusque là.

Encore une fois, les dérogations étaient admises parce qu'existait un besoin essentiel pour le public et non parce qu'il fallait satisfaire une simple commodité ou combler une gêne. Il n'y a pas besoin d'ouvrir le dimanche dès lors que la clientèle peut effectuer ses achats sans difficulté les autres jours de la semaine, y compris le samedi (CE 9 février 1980, Sté Sidef-Conforama, n° 15024, CE 9 décembre 2005, Asso. des exploitants du centre commercial « Avant-Cap », rendu aux conclusions Stahl). N'est pas davantage considéré comme préjudiciable au public le repos simultané le dimanche en considération de la nature des produits mis en vente, nonobstant la difficulté pour les habitants de la grande banlieue d'effectuer leurs achats en semaine. Le fait que l'autoroute pour se rendre au centre commercial soit saturée la semaine ne saurait constituer un motif suffisant pour ouvrir le dimanche (TA Marseille 22 janvier 2008).

Cette jurisprudence constante, et beaucoup plus claire qu'on s'évertue à le dire, a toujours cherché à protéger un droit fondamental en appréciant de façon concrète les motifs d'une ouverture véritablement nécessaire pour les besoins du public et pour la bonne marche des entreprises.

Une telle conciliation était conforme à l'équilibre voulu par notre société. Ce n'est plus le cas avec la rédaction de l'article L. 3132-25-1 du code du travail résultant de la présente loi.

Car, en l'espèce, le mécanisme proposé est si large qu'il pose, par détermination de la loi, que les achats doivent s'effectuer tous les jours de la semaine dans les grandes zones urbaines et que c'est donc le nouveau mode de vie souhaitable pour tous. Car il ne faut pas s'y tromper, l'extension des zones d'ouverture le dimanche entraînera avec elle d'autres principes d'organisation de nos sociétés. Admettre cela reviendrait à renverser non seulement un équilibre de droits mais aussi à occulter une certaine vision du vivre ensemble que nous voulons pour demain. L'appellation choisie de PUCE se veut un drôle de nom, comme un clin d'œil. Il marque juste le peu de considération, comme un marchandage un jour de puces, pour des principes qui irriguent notre société depuis si longtemps.

On ajoutera que l'article L. 3132-25-6 prévoit que l'autorisation de l'article L.3132-25-1 est accordée pour 5 ans, soit, là encore, une extension du régime de dérogation qui jusque là se voulait limité dans le temps.

Vie familiale normale, vie privée, bien vivre ensemble, droit au repos, développement de l'individu et notamment des plus jeunes, doivent-ils céder devant la raison du plus fort et du consumérisme le plus débridé ?

Les auteurs de la saisine pensent que non et vous invitent à le considérer avec eux. Pas par conservatisme, mais par souci d'une harmonie sociale que certains veulent passer par-dessus bord sans considération de l'essentiel.

De ces chefs déjà, vous invaliderez l'article 2 de la loi.

II. Sur la méconnaissance du principe de clarté et de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi

En tout état de cause, force est d'admettre que la rédaction choisie est floue, imprécise, et défie les principes de clarté de la loi et l'objectif constitutionnel d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi. Les débats parlementaires ont montré amplement les scories dont ce texte est vicié.

Il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie l'article 34 de la Constitution. A cet égard, le principe de clarté de la loi, qui découle du même article de la Constitution, et l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, lui imposent d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques. Il doit en effet prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi. (Décision n° 2004-509 DC, 13 janvier 2005, cons. 25).

Au cas présent, il est peu de dire que le législateur a laissé plusieurs notions dans l'indétermination la plus totale alors même que sont en cause des droits constitutionnellement garantis.

II.1. D'une part, l'article L.3132-25 du code du travail résultant de la rédaction retenue par l'article 2 de la loi critiquée se réfère à une notion non définie par la présente loi mais pouvant recevoir plusieurs interprétations.

Ainsi que cela a été démontré dans les débats et rappelé précédemment, l'article L. 133-11 du code du tourisme énonce que « Les communes qui mettent en œuvre une politique du tourisme et qui offrent des capacités d'hébergement pour l'accueil d'une population non résidente, ainsi que celles qui bénéficient au titre du tourisme, dans les conditions visées au huitième alinéa du 4 ° de l'article L. 2334-7 du code général des collectivités territoriales, de la dotation supplémentaire ou de la dotation particulière identifiées au sein de la part forfaitaire de la dotation globale de fonctionnement, peuvent être dénommées communes touristiques ».

Quant à l'article L. 133-12, il dispose que : « la dénomination mentionnée à l'article L. 133-11 est accordée, à la demande des communes intéressées, par décision de l'autorité administrative compétente prise pour une durée de cinq ans ».

Sur ce fondement que le ministère chargé du tourisme indique que sont potentiellement concernées entre 5 et 6000 communes.

Pour se défendre et prétendre que ne seront concernées que 400 communes, les promoteurs de la loi se basent sur l'article R. 3132-20 tel que résultant du décret n° 2008-244 du 7 mars 2008 disposant que

" Pour figurer sur la liste des communes touristiques ou thermales établie par le préfet, les communes doivent accueillir pendant certaines périodes de l'année une population supplémentaire importante en raison de leurs caractéristiques naturelles, artistiques ou historiques ou de l'existence d'installations de loisirs ou thermales à forte fréquentation.
Les critères notamment pris en compte sont :
1 ° Le rapport entre la population permanente et la population saisonnière ;
2 ° Le nombre d'hôtels ;
3 ° Le nombre de gîtes ;
4 ° Le nombre de campings ;
5 ° Le nombre de lits ;
6 ° Le nombre des places offertes dans les parcs de stationnement d'automobiles. "

Mais cela ne saurait convaincre car un autre décret, postérieur à celui-ci, a été pris et codifié à l'article R. 133-32 du code du tourisme et énonce que :

" Peuvent être dénommées communes touristiques les communes qui :

a) Disposent d'un office de tourisme classé compétent sur le territoire faisant l'objet de la demande de dénomination ;

b) Organisent, en périodes touristiques, des animations compatibles avec le statut des sites ou des espaces naturels protégés, notamment dans le domaine culturel, artistique, gastronomique ou sportif ;

c) Disposent d'une capacité d'hébergement d'une population non permanente dont le rapport à la population municipale de la commune telle que définie à l'article R. 2151-1 du code général des collectivités territoriales est supérieur ou égal à un pourcentage fixé à l'article R. 133-33. "

Autrement dit, la définition très large retenue par le législateur pourrait être interprétée à la lumière de trois textes différents. D'ailleurs, on s'étonnera que dans le rapport n° 1782 AN recensant par département le nombre de communes classées touristiques, ne figure notamment aucune commune de Corse ou de Charente, ce qui laisse songeur quant à la notion de commune touristique selon le Gouvernement et montre en réalité la confusion qui règne autour de cette notion. Cela heurte le principe de clarté comme l'objectif d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, surtout s'agissant d'un texte censé encadrer la mise en œuvre d'un droit constitutionnellement garanti.

Certes, on imagine que le gouvernement argumentera en affirmant que la question sera réglée par le décret prévu au dernier alinéa de l'article L. 3132-25 nouveau. Cette défense attendue est étonnante dans la mesure où le gouvernement n'a cessé d'affirmer pendant les débats parlementaires que le texte pertinent était l'article R. 3232-20 du code du travail alors même donc que le texte applicable n'existe pas encore. Il faut ajouter que l'on imagine difficilement comment le pouvoir réglementaire pourra rédiger le décret en des termes contraires à l'article L. 133-11 du code du tourisme qui, de valeur législative, s'imposera au décret à venir. A cet égard, il serait inopérant d'arguer que ce sont là deux champs d'application différents : code du tourisme et code du travail. En effet, une commune est touristique par ses caractéristiques propres - géographiques, culturelles, patrimoniales,... - et celles-ci ne peuvent être appréciées différemment. Il n'y a en droit qu'une définition de la commune touristique et c'est celle de l'article L. 133-11 du code du tourisme, texte qui s'impose au pouvoir réglementaire.

Sans doute, ces textes existaient déjà auparavant. Mais la différence est que, désormais, il s'agit de déterminer les conditions d'application d'une dérogation de plein droit au principe du repos dominical avec toutes les conséquences que cela implique pour les salariés des entreprises concernées. Or, en établissant une dérogation de droit sans limite de temps, le législateur a bouleversé le champ d'application de ces textes et ajouté à la confusion.

On le voit, l'application des droits au repos et de mener une vie familiale normale se trouve au centre d'une indétermination complète qui entre presque parfaitement au cœur de votre jurisprudence sur la clarté de la loi.

Mais ce n'est pas tout.

II.3. La définition retenue par l'article L. 3132-25-1 pour les PUCE souffre du même vice rédhibitoire.

En effet, il est bien difficile de donner une définition rationnelle et objective des notions : de périmètre d'usage de consommation exceptionnel, d'unité urbaine, d'habitudes de consommation dominicale, d'importance de la clientèle et d'éloignement de celle-ci dudit périmètre.

Certes, s'agissant d'une validation législative, on comprend que ces concepts permettent d'affranchir les zones commerciales qui ont ouvert illégalement pendant des années puisqu'il s'agit de surmonter les décisions de justice et donc de donner valeur législative à des notions floues que les juges avaient radicalement écartées. Car on a vu que la jurisprudence a toujours refusé que les ouvertures illégales servent à prouver, a posteriori, le besoin d'ouverture le dimanche. Ce qui est une position moralement logique sauf à admettre que la loi vienne au secours de celui qui commet une infraction pour le blanchir. Jusqu'ici le crime ne payait pas, faut-il que la loi le récompense !

Mais une fois mis de côté ce caractère scandaleux de la loi, il demeure que ces critères sont sans pertinences rationnelle et ouvrent sur l'arbitraire de l'interprétation administrative. C'est ce qu'exprimait implicitement le commissaire du gouvernement J.H. Stalh répondant à l'argument selon lequel la clientèle familiale de la zone en cause vient souvent le dimanche, traduisant un besoin du public auquel un refus d'ouverture serait préjudiciable, que « sans doute peut-on disserter à perte de vue sur la question subjective de savoir si la fréquentation des magasins le dimanche par toute la famille est la cause ou la conséquence de l'ouverture dominicale, et corrélativement sur le point de savoir si cette ouverture répond à un besoin spécifique du public ou si elle le crée » (sous CE 9 décembre 2005, précité).

Refusant de se lancer dans des appréciations incertaines, le juge a donc toujours refusé, au regard de la nature des droits en présence, de faire prévaloir les habitudes ou commodités, et il a préféré se fonder sur les critères objectifs de nécessité quotidienne avérée se manifestant particulièrement le dimanche.

Or, avec la définition retenue par l'article 2 de la loi pour les PUCE, le législateur fait le choix de critères que le juge a toujours écarté comme flous et subjectifs. Pourquoi et comment faudrait-il considérer qu'il y a une « habitude de consommation dominicale » plutôt que le samedi ? Parce que le centre est ouvert le dimanche ? Mais si la zone commerciale est fermée le dimanche, la clientèle ne viendra-t-elle pas le samedi ? A partir de combien de kilomètres, une clientèle est-elle réputée éloignée du périmètre du PUCE ?

Il est difficilement acceptable que la loi bégaye, hésite, se répète. Il est inacceptable qu'elle organise l'incertitude surtout lorsque sont en cause des droits constitutionnels.

Surtout quand, de plus, cela provoque un cumul idéal d'imprécision.

II.4. Au cas présent, la dérogation de droit pour les zones touristiques et la dérogation administrative pour les PUCE risquent, en effet, de se cumuler.

Car ces deux notions sont si extensives que des communes risquent d'entrer dans le champ d'application des deux textes. Il suffit d'imaginer qu'une commune touristique et culturelle soit concernée par les « habitudes de consommation dominicale ».

Or les conséquences des deux règles ne sont pas les mêmes.

D'abord, le régime de l'article L. 3132-25 est celui d'une dérogation de droit alors que celui de l'article L. 3132-25-1 renvoi à une décision administrative prise par le Préfet de région.

Ensuite, les conséquences ne sont pas les mêmes puisque le régime présenté comme protecteur des salariés édicté par les articles L. 3132-25-3 et L. 3132-25-4 ne s'appliquera pas à une commune touristique soumise à la dérogation de droit. En sorte que les salariés y travaillant seront moins bien protégés que ceux relevant d'un établissement situé dans une PUCE.

Or, si les deux régimes se cumulent dans une même commune, il est certain que de nombreux établissements préféreront se ranger sous le régime de la dérogation de droit plutôt que sous celui de la dérogation dite du PUCE. Il s'ensuivra une complexité préjudiciable aux salariés, aux entreprises et au final à tout le monde.

L'absence de clarté et d'intelligibilité de ce texte est extrême.

De tous ces chefs, la censure est inévitable.

III. Sur la violation du principe d'égalité devant la loi

Soit volontairement, soit par manque de clarté, l'article 2 de la loi méconnait plusieurs fois le principe d'égalité au détriment des salariés, des collectivités territoriales.

III.1. La méconnaissance du principe d'égalité au détriment des salariés

On a vu que le régime en vigueur jusqu'alors avait toujours veillé à maintenir un certain équilibre. Ce n'est plus le cas et les salariés seront traités différemment selon qu'ils travailleront dans une entreprise relevant du régime de l'article L. 3132-25 ou d'une entreprise relevant du régime de l'article L. 3132-25-1.

En effet, aussi imparfait soit-il, le régime des articles L. 3132-25-3 et L. 3132-25-4 prévoit quelques garanties, certes cosmétiques et parfois de façade, afin que le salarié puisse bénéficier d'un accord collectif fixant les contreparties accordées aux salariés privés de repos dominical ainsi que les engagements pris en termes d'emploi ou en faveur de certains publics en difficulté ou de personnes handicapées.

En outre, par exemple, le salarié doit manifester par écrit sa volonté pour travailler le dimanche et ne saurait être licencié pour ce motif ni faire l'objet d'une mesure discriminatoire dans sa carrière, etc...

C'est bien le moins.

Mais ce minimum ne s'applique pas aux entreprises concernées par l'application de la dérogation de droit prévue par l'article L. 3132-25 et donc aux salariés y travaillant.

Cette différence de traitement, s'agissant de l'exercice d'un droit fondamental, est contraire au principe d'égalité. Et c'est en vain que l'on chercherait au regard de l'intérêt général et de l'objet de la loi une raison objective et rationnelle justifiant cette discrimination.

Pourquoi, le fait de travailler le dimanche dans une commune touristique donnerait-il moins de droit que de travailler le dimanche dans une zone commerciale ? Pourquoi, une personne handicapée serait-elle moins bien protégée selon la commune où elle travaille ? Pourquoi un salarié n'aurait-il pas le droit de ne pas être discriminé dans sa carrière selon la commune ou la zone où il travaille ?

De surcroît, comme cela a déjà été montré, l'absence de clarté des définitions retenues risque de placer des entreprises en situation de pouvoir choisir le régime auquel elle préfère se soumettre. Gageons qu'elles choisiront celui le moins protecteur des salariés.

Le principe d'égalité est donc gravement méconnu.

III.2. Sur la violation du principe d'égalité au détriment des collectivités territoriales.

Le nouvel article 3132-25 du code du travail définit la procédure aux termes de laquelle sont établis la liste des communes touristiques ou thermales et le périmètre des zones touristiques d'affluence exceptionnelle ou d'animation culturelle permanente. Cette liste et le périmètre en question sont établis par le Préfet sur proposition de l'autorité administrative visée à l'article 3132-26 du code du travail lequel n'est pas modifié par la loi déférée.

Or, l'article 3132-26 du code du travail dispose : « A Paris, cette décision est prise par le Préfet de Paris. »

Par la nouvelle rédaction de l'article 3132-25 qui renvoie à l'article 3132-26 inchangé, on donne au Préfet de Paris la possibilité de faire figurer Paris sur la liste des communes touristiques ou thermales et de définir le périmètre des zones touristiques d'affluence exceptionnelle ou d'animation culturelle permanente, sans aucune proposition ni du maire de la collectivité intéressée, ni a fortiori de son organe délibérant.

Certes, Paris a toujours eu un statut à part dans l'organisation administrative française pour plusieurs raisons et l'on sait que le principe d'égalité permet de traiter différemment des situations différentes ou de déroger au principe d'égalité pour des raisons d'intérêt général pour peu que cette dérogation soit en rapport avec l'objet de la loi.

Certes, Paris est le plus important pôle urbain et centre nerveux de la France, des siècles de centralisation y ayant regroupé tous les centres décisionnels politiques, économiques, administratifs, culturels. Paris est la capitale de la France et le siège quasi continu du Gouvernement sous la République (sauf en cas de crise exceptionnelle : guerres, révolutions).

Certes, la capitale a connu un régime différent de celui des autres collectivités locales, se traduisant par une plus grande emprise du pouvoir central ne serait-ce que parce que Paris a été l'origine de tous les grands bouleversements de l'histoire nationale et le creuset des révoltes.

Aujourd'hui, rien ne justifie qu'on renforce à Paris les pouvoirs du Préfet en matière de repos dominical qui est une matière étrangère à tous rapports régaliens qui fait de Paris la capitale de la France.

Si Paris est bien dans une situation particulière par rapport aux autres communes de France sous l'angle institutionnel et diplomatique rien ne la distingue d'une autre commune au regard du repos hebdomadaire. De même, la loi PML qui organise des dispositions spécifiques pour les communes de Paris Marseille et Lyon ne permet pas de traiter différemment ces trois communes au regard de la question du repos hebdomadaire dominical. La dérogation au principe d'égalité ne prend donc en compte ni une situation particulière pertinente ni un intérêt général qui exigerait qu'on dérogeât au principe.

D'ailleurs, le juge administratif saisi d'autorisations de dérogation concernant des commerces parisiens fait application des mêmes règles que sur tout le territoire national. Ainsi encore récemment, le Conseil d'Etat a-t-il refusé une dérogation visant un commerce de détail sur les Champs Elysées au motif que cet établissement vendait des biens et services sans lien avec une activité sportive, récréative ou culturelle (CE 11 mars 2009, précité). Il n'y a donc pas de spécificité parisienne pour le droit au repos !

Or à l'inverse de Marseille et de Lyon, les représentants du suffrage universel dans la capitale n'auront pas leur mot à dire, le Préfet pouvant décider seul en se substituant à eux. Il s'agit d'une véritable régression démocratique, près d'un quart de siècle après la loi de décembre 1975 qui limitait précisément le poids du pouvoir préfectoral dans la capitale.

La disposition du deuxième alinéa de l'article L.3132-26 existe au moins depuis 1973 et n'a jamais été nettoyé du code du travail pour tenir compte du fait que Paris était devenue une collectivité de plein exercice. Aujourd'hui une telle disposition est manifestement contraire au principe d'égalité. Il est plus que temps que Paris soit une collectivité de droit commun et que ce qui se fait à Lyon et Marseille puisse se faire à Paris.

Ceci est d'autant plus vrai que le nouvel article L. 3132-25 a pour conséquence d'entraîner un régime de dérogation de droit pour tous les commerces de vente au détail, soit un régime aux effets concrets beaucoup plus large que le régime existant jusque là qui consistait en l'octroi de dérogations individuelles commerce par commerce. C'est donc dire que tout un pan de l'activité économique de la ville de Paris est susceptible de passer sous l'autorité du Préfet et donc du pouvoir exécutif. C'est un mouvement contraire au principe de décentralisation et tout aussi contraire au principe d'égalité.

Le fait qu'à Paris, unique collectivité de France dans ce cas, ce soit le préfet qui décide seul, sans proposition du Conseil municipal ou sans proposition de son maire, voire même sans que ni l'un ni l'autre soit consulté, contrairement à toutes les autres communes de France, crée une dérogation au principe d'égalité qui n'est justifiée par aucun critère objectif en rapport avec l'objet de la loi et par conséquent est contraire au principe d'égalité devant la loi.

De ces chefs aussi, la censure est certaine.

IV. Sur la violation du principe de libre administration des collectivités territoriales

La libre administration des collectivités est définie à l'article 72 de la Constitution dont le contenu a été entièrement refondu par la révision constitutionnelle du 28 mars 2003.

Cet article consacre le fait que les collectivités s'administrent librement par des conseils élus et ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon. La libre administration des collectivités locales est ainsi d'autant plus forte pour les compétences auxquelles le principe de subsidiarité s'applique. En outre, il est certain qu'une collectivité territoriale ne peut exercer de tutelle sur une autre.

Cet article est méconnu à un double titre.

D'une part, le nouveau régime des PUCE permet d'aboutir à ce qu'une commune empiète sur les compétences d'une autre commune.

D'autre part, là encore, la ville de Paris se trouve confrontée de manière isolée à un pouvoir renforcé du Préfet de Paris contre le mouvement général de décentralisation dont nous annonce même une prochaine nouvelle étape.

IV.1. S'agissant des unités urbaines dans lesquelles les PUCE peuvent être créés, le Préfet de Région sera saisi par une demande du conseil municipal de la commune concernée au premier chef.

Or, il se peut qu'un PUCE empiète sur le territoire d'une autre commune ne faisant pas partie d'un établissement public de coopération intercommunale dont le territoire est concerné par cette demande.

La loi a prévu que la commune concernée serait consultée pour donner son avis. Mais cet avis certes obligatoire n'est pas conforme et pourra ne pas être suivi par le Préfet.

Autrement dit, une commune peut prendre l'initiative de demande de dérogation pour un PUCE alors même qu'une partie du périmètre se trouvera sur le territoire d'une autre commune. Cette dernière n'aura pas le pouvoir de s'y opposer mais seulement de donner un avis.

Cette situation inédite méconnait le cinquième alinéa de l'article 72 de la Constitution qui dispose qu'aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre.

Or la loi ne peut pas prévoir qu'une commune exerce une compétence aussi importante sur le plan économique, social et sociétal avec pour conséquence de l'appliquer au territoire d'une autre commune sans que celle-ci puisse s'y opposer. C'est une atteinte directe et forte au principe de libre administration des collectivités territoriales.

IV.2. De même, s'agissant de la situation de la Ville de Paris, le dispositif choisi par l'article L. 3132-25 nouveau méconnait le principe de sa libre administration.

La loi du 31 décembre 1975 a fait de Paris une commune, dont l'organisation est régie aujourd'hui par le code général des collectivités locales. La loi du 31 décembre 1982 dite loi PML (Paris-Marseille-Lyon) constitue une seconde étape vers l'application du droit commun. La loi de 2002, dite « Démocratie de proximité » va encore plus loin dans l'alignement de Paris sur le régime de droit commun des collectivités locales puisqu'elle charge le maire de Paris de la police municipale en matière de salubrité publique sur la voie publique et des nuisances sonores. Elle le charge également des pouvoirs de police de la circulation dont disposent tous les maires de France sur le fondement de l'article L.2213-1 et suivants du CGCT, réservant au Préfet de police, la réglementation sur certaines voies, sièges des institutions de la République et des représentations diplomatiques ou sur certains axes importants ; encore faut-il faire observer que dans ce dernier cas le Préfet de police édicte les règles après avis du maire de Paris.

Le législateur est donc allé sans cesse dans le sens de la libre administration de Paris par son Conseil élu pour les affaires municipales et particulièrement s'agissant des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à l'échelon de la collectivité comme l'affirme le deuxième alinéa de l'article 72 de la Constitution.

En l'espèce et s'agissant du droit au repos dominical, la loi en vigueur jusque là sur la définition des communes touristiques impliquait une procédure qui ne faisait aucun sort particulier à Paris. C'est sur demande des conseils municipaux que le Préfet arrêtait la liste et les périmètres en cause.

Mais en modifiant ce régime par le renvoi dans l'article L. 3132-25 nouveau à l'article L.3132-26, il s'ensuit qu'à Paris c'est le Préfet qui est l'autorité administrative compétente pour décider de l'application ou non de cette dérogation au droit au repos. Le législateur revient ainsi pour Paris sur une compétence dont le Conseil de Paris était investi sans même que le maire de Paris ne propose ou, du moins, donne son avis sur la délimitation des périmètres. Par l'effet du seul renvoi à l'article 3132-26, le nouvel article 3132-25 prive la Capitale non seulement de proposer de définir des zones touristiques mais même de donner son simple avis. Comme le rappelle benoîtement la note 22 du rapport du Sénat (n° 561) : « Le Préfet de Paris pourra donc délimiter de son propre chef les zones touristiques d'affluence exceptionnelle ou d'animation culturelle permanente. »

En outre cette disposition est clairement contraire à l'idée de subsidiarité contenue à l'article 72 de la Constitution puisque le conseil de Paris et son maire sont certainement mieux à même que le Préfet de connaître en raison de leur gestion quotidienne de la capitale les périmètres d'affluence touristique exceptionnelle et d'animation culturelle permanente.

C'est d'ailleurs ainsi que sept zones touristiques étaient définies, une partie de la rue de Rivoli, la place des Vosges et la rue des Francs Bourgeois, la rue d'Arcole, les Champs Elysées, le viaduc des arts, la Butte Montmartre et une partie du Boulevard Saint Germain.

Surtout par l'effet du renvoi à l'article 3132-26 du code du travail qui n'a jamais été toiletté depuis le nouveau statut de Paris de 1975 et de 1982, la loi déférée restaure contre toute logique la compétence du préfet de Paris qui ne pouvait se comprendre que parce qu'elle résulte d'un texte qui se bornait à prendre acte du fait que l'Exécutif à Paris en 1973 n'était pas le maire de Paris mais le préfet. La loi déférée restaure ainsi un état du droit antérieur au statut de Paris qui fait de la Capitale une collectivité de droit commun obéissant au Code général des collectivités territoriales bénéficiant d'un Conseil municipal élu et d'un exécutif exercé par le maire de Paris.

De tous ces chefs, la censure est inévitable.

Nous vous prions de croire, Monsieur le Président du Conseil Constitutionnel, Mesdames, Messieurs les membres du Conseil, à notre haute considération.