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Décision n° 2009-585 DC du 6 août 2009 - Observations du gouvernement

Loi de règlement des comptes et rapport de gestion pour l'année 2008
Conformité

Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés, d'un recours dirigé contre la loi de règlement des comptes et rapport de gestion pour l'année 2008.

Le recours fait grief à la loi d'être insincère et de ne pas donner une image fidèle de la situation financière de l'Etat, motifs pris de ce que certains reports de charges de 2008 sur 2009 n'auraient pas été comptabilisés et de ce que certaines imputations de dépenses et de recettes seraient inexactes.

Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

I/ SUR LE GRIEF TIRÉ DE L'INSINCÉRITE DU NIVEAU DU DÉFICIT BUDGÉTAIRE ANNONCÉ EN RAISON DU REPORT DE CERTAINES CHARGES

A/ Les requérants estiment que le niveau du déficit budgétaire affiché en comptabilité budgétaire ne peut être jugé sincère dès lors que certaines dépenses auraient dû, au titre des règles comptables applicables, être opérées au cours de l'exercice 2008.

B/ Une telle argumentation ne pourra être suivie.

1/ Elle procède, en effet, d'une confusion entre les exigences qui s'attachent à la comptabilité budgétaire et celles qui gouvernent la comptabilité générale.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001, l'Etat se trouve dans l'obligation, en vertu de l'article 27 de cette loi organique, de tenir à la fois une comptabilité des recettes et des dépenses budgétaires, comme le lui imposait déjà auparavant l'ordonnance du 2 janvier 1959, mais aussi une comptabilité générale de l'ensemble de ses opérations.

Cette exigence se traduit, matériellement, par l'obligation de faire figurer chaque année dans la loi de règlement, d'une part, le montant définitif des recettes et des dépenses du budget auquel elle se rapporte ainsi que le résultat strictement budgétaire qui en découle et, d'autre part, le compte de résultat de l'exercice établi à partir des ressources et des charges constatées, le bilan comptable qui en résulte après affectation de ce résultat ainsi que ses annexes.

Les comptabilités budgétaire et patrimoniale obéissent au principe d'exactitude, comme l'implique le principe de sincérité pour ce qui concerne spécialement les lois de règlement (décision n°2001-448 DC du 25 juillet 2001 portant notamment sur l'article 32 de la LOLF, confirmée à l'occasion de l'examen de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale par la décision n°2005-519 DC du 29 juillet 2005).

Pour autant, le respect du principe d'exactitude n'emporte pas les mêmes conséquences selon que la loi de règlement arrête le résultat budgétaire ou approuve le résultat et le bilan patrimonial de l'Etat.

En comptabilité budgétaire, l'exactitude doit s'entendre comme le compte-rendu exhaustif des opérations de dépenses et de recettes réalisées au cours de l'année budgétaire, en application des principes définis à l'article 28 de la loi organique. Il s'agit d'une comptabilité de caisse, qui retrace des opérations physiques d'encaissement et de décaissement. Dans la mesure où elle ne procède qu'à de simples constatations, la partie de la loi de règlement arrêtant le résultat budgétaire en application du I de l'article 37 de la loi organique ne peut donc comprendre aucune interprétation des opérations de gestion. La jurisprudence du Conseil constitutionnel sous l'empire de l'ordonnance du 2 janvier 1959 a toujours été dans ce sens (voir en ce sens les décisions n°85-202 DC du 16 janvier 1986 relative à la loi portant règlement définitif du budget de 1983, n°91-300 DC du 20 novembre 1991 relative à la loi portant règlement définitif du budget de 1989 ou encore n°2006-538 DC du 13 juillet 2006 relative à la loi portant règlement définitif du budget de 2005). Il n'y a pas de raison d'en changer sous l'empire de la loi organique du 1er août 2001, conformément aux décisions relatives à la LOLF et à la LOLFSS (décisions n°2001-448 DC du 25 juillet 2001 et n° 2005-519 DC du 29 juillet 2005).

En revanche, l'exigence d'exactitude emporte des obligations différentes lorsqu'elle se rapporte à l'exercice de comptabilité générale auquel doit désormais aussi se livrer le Gouvernement. Ce type de comptabilité est, en effet, une comptabilité fondée non pas sur des encaissements ou des décaissements physiques, mais sur la traduction des droits et obligations de l'État. Elle implique donc un effort d'interprétation du réel, afin de donner une image fidèle à laquelle on peut ajouter foi.

Contrairement à l'interprétation qu'en font les auteurs de la saisine, la notion d'image fidèle, seule à même d'assurer l'exactitude et donc la sincérité des comptes patrimoniaux de l'Etat, concerne ainsi uniquement la comptabilité générale. Le recours aux travaux parlementaires ayant présidé à l'adoption de l'article 27 de la loi organique permet d'ailleurs de lever toute ambiguïté sur ce point. Dans le rapport en deuxième lecture à l'Assemblée nationale, il est ainsi indiqué que « Le Sénat a adopté, sur avis favorable du Gouvernement, un amendement du Président Alain Lambert […] tendant […] à poser, enfin, l'exigence générale de sincérité des comptes de l'État - étant entendu qu'aux yeux de votre Rapporteur, cette dernière exigence ne saurait concerner que les comptes au sens de la comptabilité générale et non les comptes budgétaires tenus en comptabilité de caisse, celle-ci étant par construction incapable de donner de l'État une image fidèle de son patrimoine et de sa situation financière ».

Or les comptes patrimoniaux approuvés en application du III de l'article 37 de la LOLF retracent bien, pour leur part, l'ensemble des dettes exigibles de l'Etat tout comme ils auraient vocation, le cas échéant, à faire mention d'éventuelles recettes constatées d'avance.

Les obligations organiques relatives à la comptabilité sont donc respectées par la loi de règlement.

Le Gouvernement est, en outre, d'avis que l'introduction d'un second alinéa à l'article 47-2 de la Constitution n'a pas ajouté, en tant qu'il s'applique à l'Etat, aux règles de fond qui figuraient déjà à l'article 27 de la LOLF et n'a pas, notamment, modifié les prescriptions relatives à la comptabilité budgétaire.

Il est exact que cet alinéa soumet désormais le « résultat de gestion », qui n'était pas mentionné à l'article 27 de la loi organique, aux exigences de régularité, de sincérité et d'image fidèle. Mais il ne faut voir dans cette mention que la simple volonté de faire, plus directement encore qu'avant, référence aux exigences figurant dans le code de commerce. La rédaction retenue s'inspire en effet étroitement du triptyque traditionnel prévu à l'article L. 123-14 de ce code, qui fait référence au patrimoine, à la situation financière et au résultat, mais dans un strict cadre de comptabilité générale. La seconde phrase du second alinéa de l'article 47-2 de la Constitution est sans portée aucune sur les exigences pesant sur la comptabilité budgétaire.

Le premier grief formulé par les auteurs de la saisine de façon générale devra donc être écarté.

2/ Le Gouvernement entend apporter, en tout état de cause, les précisions suivantes.

Les requérants estiment que le montant des « reports de charges » atteindrait la somme de 6,9 Md€ en 2008, notamment au titre des primes servies dans le cadre des plans d'épargne-logement (953 M€), des dettes exigibles à l'égard des organismes sociaux (3,6 Md€) et des impayés du ministère de la défense (1,95 Md€).

Toutefois, il convient de souligner, à titre liminaire, que la notion de « reports de charges » n'est qu'un concept de nature économique permettant d'apprécier la qualité d'une gestion et sa soutenabilité à moyen terme. C'est la raison pour laquelle, contrairement aux charges à payer, les reports de charges recouvrent une réalité différente d'un ministère à l'autre, car ils ne sont pas juridiquement définis. Il n'existe aucune procédure impérative permettant de les recenser. La Cour des comptes elle-même procède à une simple évaluation de ces derniers à partir de données déclaratives. Elle indique ainsi en page 82 de son rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'État pour l'année 2008 que les reports de charges font l'objet d'une estimation.

Il faut ensuite observer que lorsque les reports de charges en question renvoient à des catégories comptables identifiées (comme celle des charges à payer, par exemple), ils sont fidèlement retracés par la comptabilité générale de l'État - ce point n'étant contesté ni par la Cour des comptes dans son rapport de certification ni par les auteurs de la saisine.

Certains des postes de charges mentionnés dans la saisine font, par ailleurs, l'objet d'une présentation inexacte.

Tel est le cas des dettes de l'Etat à l'égard des organismes sociaux.

Parmi ces dettes, 1,4 Md€ correspondent à des charges à payer sur des prestations versées en 2008 mais qui ne donneront lieu à facturation par les organismes sociaux qu'en 2009. L'Etat, qui paie sur facture, ne pouvait donc procéder à des versements à ce titre dès 2008. On peut également relever que, sur les 7,4 Md€ de dettes, 1,5 Md€ ont été payés par l'État au cours de la période complémentaire de l'exercice 2008.

Au total, en tenant compte de ces réfactions, seuls 3,6 Md€ constituent en réalité des dettes exigibles sur le plan comptable - ce qui situe leur montant à un niveau proche de celui qui avait été atteint à la fin de l'exercice 2007 (aux environs de 3 Md€ à l'époque). Le creusement des dettes exigibles à l'endroit de la sécurité sociale (en d'autres termes, la variation du « report de charges ») ne s'établit donc qu'à 600 millions d'euros, au lieu des 1,4 Md€ avancés dans la saisine. Il s'agit d'un montant tout à fait modeste si on le rapporte au montant total des prestations servies, ce qui tend à démontrer qu'en 2008 l'Etat a bien honoré par des paiements effectifs la quasi-totalité des charges qui lui incombaient cette année là.

On peut observer, au surplus, que cette constitution de dettes à hauteur de 0,6 Md€ en 2008 ne provient pas d'une sous-dotation volontaire des crédits. La budgétisation réalisée à l'automne 2007 prenait en effet en compte les besoins de financement des régimes calculés sur la base des paiements réalisés au cours du trimestre précédent. Au moment de la présentation du projet de loi de finances devant le Parlement, la prévision budgétaire était ainsi sincère. La dégradation de la conjoncture au cours de l'année 2008 a par la suite conduit à une augmentation du besoin de compensation aux régimes, dont le montant était difficilement prévisible, en raison de la multiplicité des facteurs qui contribuent à le dégrader (évolution du taux de chômage, mais aussi politique de recrutement des entreprises, inflation, etc).

S'agissant, par ailleurs, des primes servies dans le cadre des plans d'épargne-logement, il faut relever que les 963 M€ au 31 décembre 2008 correspondent à des dettes accumulées sur plusieurs exercices. Au titre de 2008, seule une insuffisance de 340 M€ a été constatée. Cette dégradation s'explique avant tout par la circonstance que la dépense relative à l'épargne-logement est toujours difficile à anticiper, en raison de sa forte variabilité.

Le déséquilibre constaté dans le remboursement des primes d'épargne-logement provient ainsi d'une forte hausse des clôtures de plans d'épargne-logement (PEL) entamée à la fin de l'année 2005 à la suite de la réforme de la fiscalisation des intérêts des PEL ouverts depuis plus de 12 ans. Le montant des primes versées est passé de 1 098 M€ en 2005 à 1 784 M€ en 2006. Il est ensuite redescendu à 1 476 M€ en 2007 (auxquels s'ajoutent 13,5 M€ de charges d'intérêts et commissions, soit un total de 1 490 M€), à mesure que les épargnants sensibles à la réforme commençaient à réagir. La clôture précoce de ces PEL a, en outre, eu pour conséquence de réduire fortement le stock de primes restant à verser, ce qui laissait augurer une période de versements de primes PEL plus faible que la tendance de long terme.

En 2008, avec la brusque hausse des taux des produits d'épargne réglementée et du crédit immobilier, la tendance à la baisse qui s'esquissait en 2007 a été enrayée au deuxième semestre, et les versements de primes ont atteint 1 588 M€, auxquels s'ajoutent 22,4 M€ d'intérêts et de commissions, soit un total de 1 610 M€. Lors de la budgétisation pour 2008, il avait été estimé que le contrecoup de la réforme de 2006 et les effets de la réforme de 2004 (conditionnant désormais le versement de la prime à la souscription d'un prêt d'épargne logement) allaient produire leur plein effet et conduire à une diminution de la dépense. Or, l'augmentation particulièrement aiguë et imprévisible des taux d'intérêt a affecté ce schéma et conduit à une insuffisance de près de 400 millions d'euros des crédits ouverts en loi de finances pour 2008.

Dans ces conditions d'imprévisibilité, le découvert accordé par le Crédit foncier de France a semblé être un outil approprié pour amortir les oscillations importantes de la dépense, dès lors qu'il était plafonné par avenant à 1 Md€ et que la hausse du niveau des primes versées depuis décembre 2005 s'accompagnait d'une augmentation sensible de l'effort financier de l'État sur le programme « Epargne », qui est passé de 1 113 M€ en 2005 à 1 279 M€ en 2008.

II/ SUR LE GRIEF TIRÉ DE L'INEXACTE IMPUTATION DES FRAIS D'ASSIETTE ET DE RECOUVREMENT DES IMPOTS LOCAUX

A/ Les auteurs de la saisine font valoir qu'en ne classant pas les frais perçus par l'Etat dans le cadre des opérations d'établissement de l'assiette et de recouvrement des impôts locaux parmi les recettes fiscales, la loi de règlement a méconnu l'exigence d'exactitude qui résulte de l'article 32 de la loi organique.

B/ Cette analyse ne saurait être retenue.

1/ Le Gouvernement estime, à titre principal, que le grief tiré d'un défaut de classement ou d'imputation d'une recette ou d'une dépense budgétaire est inopérant à l'encontre de la loi de règlement. Il est en effet d'avis que l'exigence d'exactitude des comptes ne porte que sur le montant des encaissements et des décaissements dans le cadre d'une nomenclature budgétaire déterminée, à l'exclusion de la qualification juridique donnée à ces derniers.

2/ En tout état de cause, on relèvera que, pour des raisons de clarté, la présentation des opérations en loi de règlement ne peut être différente de celle retenue dans les lois de finances de l'année. La présentation « en miroir » des lois de règlement, qui facilite les comparaisons de l'exécution aux prévisions, constitue en effet un élément majeur de l'information du Parlement. Il ne pourrait, d'ailleurs, en aller autrement puisque les comptables imputent les recettes et les dépenses conformément à la présentation des lois de finances de l'année. Or, en 2008, les frais d'assiette et de recouvrement des impôts locaux sont imputés en recettes non fiscales, en conformité avec l'Etat A des projets de loi de finances pour 2008. Il convient de signaler en outre que ces frais sont tout à fait minimes au regard des recettes encaissées par l'Etat (ils ne représentent que 0,2 % du total des recettes nettes en 2008).

On relèvera enfin que, même si leur montant n'est pas intégralement proportionnel à la prestation servie, une part de ces frais constitue bien la contrepartie d'un service rendu, ce qui justifierait, en tout état de cause, le maintien d'une fraction de ceux-ci dans la catégorie des recettes non fiscales dans le cadre des projets de lois de finances à venir.

III/ SUR LE GRIEF TIRÉ DE LA PRISE EN COMPTE DES LOYERS BUDGÉTAIRES DANS LE CADRE DE LA COMPTABILITÉ BUDGÉTAIRE

A/ Les auteurs de la saisine critiquent la prise en compte des loyers budgétaires dans le cadre de la comptabilité budgétaire, au motif que ces loyers ne feraient pas l'objet d'un décaissement réel, en contradiction avec les exigences du second alinéa de l'article 47-2 de la Constitution et des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances.

B/ Cette argumentation ne peut toutefois être retenue.

Il faut rappeler que le mécanisme des loyers budgétaires, introduit à l'initiative du Parlement en 2006, repose sur l'idée selon laquelle les loyers payés par les administrations doivent recevoir un traitement budgétaire équivalent, indépendamment des conditions dans lesquelles les services occupent leurs locaux (location ou occupation du domaine public). Cette égalité de traitement implique ainsi l'inscription de crédits et de dépenses pour l'occupation de bâtiments domaniaux dans les mêmes conditions que celles qui prévalent en cas de signature d'un bail. La contrepartie en est une fongibilité et un intéressement aux économies réalisées. Ainsi, lorsqu'un ministère rationalise son parc immobilier, par exemple en libérant des surfaces, il conserve la disponibilité des crédits ouverts au titre des loyers budgétaires antérieurs tout en payant des loyers réduits au prorata des surfaces libérées. Il peut utiliser ces crédits pour réaliser d'autres dépenses qui donnent lieu à des flux de trésorerie.

En dépit de leur nature particulière, les loyers budgétaires connaissent ainsi un traitement de droit commun au regard de la chaîne de la dépense : les crédits sont ordonnancés, puis les ordonnances, après visa par les comptables assignataires, consomment par des paiements les crédits de loi de finances.

Pour ces raisons, le Gouvernement est d'avis qu'aucun des griefs articulés dans la saisine n'est de nature à conduire à la censure de la loi déférée.

Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter le recours dont il est saisi.