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Décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009 - Saisine par 60 députés

Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet
Non conformité partielle

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer, en application du second alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet telle qu'adoptée par le Parlement.

A l'appui de cette saisine, nous développons les griefs et moyens suivants à l'encontre, en particulier, des articles 5, 10 et 11.

L'émergence du réseau de communication Internet a provoqué d'importantes mutations dans de nombreux secteurs d'activité de nos sociétés contemporaines. Tel est le cas du monde de la culture dont les modes de diffusion sont désormais très largement associés au numérique. Une telle mutation impose de faire évoluer les règles relatives au droit de la propriété intellectuelle afin de garantir une juste rémunération des artistes. Tel aurait du être l'objet de la loi présentement soumise à votre contrôle.

En axant son dispositif sur la répression des partages de fichiers d'œuvres protégées, cette loi s'inscrit à contre-courant d'une évolution technologique irréversible. En effet, sauf à remettre en cause dans son principe même le réseau Internet, celui-ci est destiné à permettre à chaque abonné d'émettre, de recevoir et ainsi d'échanger librement. Plutôt que d'en prendre acte et de trouver des solutions adaptées à cette « nouvelle donne numérique », le législateur cède à la tentation de s'opposer à l'inéluctable évolution culturelle portée par l'Internet. Loin de satisfaire l'objectif de protection de la création, le mécanisme prévu par le législateur aura pour effet de faire évoluer techniquement les pratiques du téléchargement illégal mais n'endiguera nullement ce phénomène. En repoussant le problème sans le solutionner, le législateur se condamne immanquablement à légiférer à nouveau sur cette question. A cet égard, la présente loi succède à celle adoptée en 2006 (loi dite « DADVSI ») sans que cette dernière ait fait l'objet d'un rapport d'évaluation pourtant expressément prévu à son article 52. Au demeurant, cette loi ne règle aucunement le problème de la rémunération des artistes. Une fois de plus, c'est la crédibilité de la loi, expression de la volonté générale, qui s'en trouvera affectée et partant l'ensemble de la représentation nationale.

Pire, à vouloir lutter contre l'inéluctable, la tentation est forte de prendre des mesures radicales susceptibles de mettre en péril les libertés et droits fondamentaux des citoyens. Le législateur n'y a pas résisté. Comment en effet assurer l'effectivité d'une loi qui vise à limiter le nombre de téléchargements illégaux sauf à permettre aux autorités publiques d'instaurer un système de suspicion généralisée, de surveiller les citoyens, de collecter des données personnelles les concernant et ainsi de compromettre sensiblement le droit au respect de la vie privée ? Ce sont les potentialités du système mis en place qui doivent retenir votre attention. Comment un tel dispositif pourrait être utilisé si d'aventure il était mis en oeuvre à des fins moins louables que la protection de la création sur Internet ?

D'une manière générale, cette loi confère de tels pouvoirs d'appréciation à la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (ci-après HADOPI) qu'elle constitue une invitation à l'arbitraire. Il n'est d'ailleurs pas anodin de relever que la HADOPI constituerait la première autorité administrative indépendante créée aux fins de restreindre les droits et libertés des citoyens.

Internet est devenu bien plus qu'un moyen de communication. Ce réseau constitue aujourd'hui le carrefour des liens professionnels, sociaux et culturels. Pour des millions de citoyens, l'accès à Internet est à ce titre une condition d'exercice de nombreux droits fondamentaux. Cette mutation du monde contemporain est non seulement prise en compte mais de surcroît accompagnée par les institutions communautaires. Ces dernières ont adopté des positions fermes et claires sur un point crucial de cette loi en considérant que la suspension de la connexion à Internet constituait une mesure affectant les conditions d'exercice de nombreux droits et libertés fondamentaux et nécessitant en conséquence la décision préalable de l'autorité judiciaire. En prévoyant qu'une telle sanction relève de la compétence d'une autorité administrative indépendante, le législateur place la France en porte à faux vis-à-vis de cette évolution politique et juridique européenne[1].

1. Le défaut d'information des parlementaires et l'atteinte au principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires.

Les auteurs de la présente saisine souhaitent en premier lieu attirer l'attention de votre juridiction sur l'atteinte au principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires ayant affecté l'ensemble de la procédure législative. En effet, l'élaboration et la discussion de cette loi au Parlement ont reposé exclusivement sur des analyses avancées par le Gouvernement et dénuées de toute objectivité. Les seuls motifs invoqués afin de justifier le dispositif mis en place reposent sur le postulat selon lequel la baisse du chiffre d'affaires des industries culturelles serait liée à la pratique du partage de fichiers d'œuvres protégées sur Internet. Or, le manque flagrant de données étayant ce postulat est patent puisqu'aucune étude ne démontre clairement que les échanges de fichiers via les réseaux « pair à pair » sont le facteur déterminant d'une baisse des ventes dans un secteur qui, par ailleurs, est en pleine mutation du fait notamment, du développement de nouveaux modes de distribution des œuvres de l'esprit au format numérique. A l'inverse, les études les plus sérieuses évoquent soit un doute sérieux sur la réalité d'un tel impact[2], soit un impact positif dans le domaine de la création[3].

Les choix du législateur n'ont pu, dans ces conditions, être opérés de manière éclairée. S'il appartient naturellement au législateur de déterminer les études sur lesquelles il choisit de s'appuyer pour engager une réforme législative, il est impératif que la représentation nationale soit informée le plus sérieusement possible, ce qui implique la communication aux membres des assemblées parlementaires d'études présentant des analyses contradictoires. L'expression de la volonté générale ne peut reposer sur une information partielle et partiale des représentants de la Nation. En n'assurant pas une information complète des parlementaires, le législateur a donc méconnu le principe de clarté et de sincérité du débat parlementaire (votre décision 2005-526 DC du 13 octobre 2005) ainsi que l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en vertu duquel « la loi est l'expression de la volonté générale ».

En élaborant cette loi sur le fondement d'un postulat aussi fragile, le législateur adopte un texte dont les effets sont en conséquence parfaitement imprévisibles.

2. Des mesures législatives manifestement inappropriées à l'objectif poursuivi par le législateur

Dans une décision n°99-416 DC du 23 juillet 1999, vous avez considéré qu'« il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de rechercher si les objectifs que s'est assignés le législateur auraient pu être atteints par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif poursuivi ». Vous admettiez ainsi a contrario votre compétence pour censurer des dispositions législatives manifestement inadéquates pour atteindre l'objectif poursuivi par le législateur. Par cette jurisprudence, confirmée depuis lors par la censure de la loi de finances rectificative pour l'année 2000[4], votre juridiction admet la nécessité pour le législateur de fonder ses décisions sur un raisonnement cohérent[5]. Votre Conseil affirme ainsi sa volonté de censurer toute distorsion entre les objectifs de la loi et les moyens qu'elle met en œuvre afin de les réaliser et donc in fine de sanctionner l'incohérence manifeste de la loi.

Or, la « loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet » est entachée d'une telle incohérence. Si la sauvegarde de la propriété intellectuelle et de la création culturelle constitue un objectif d'intérêt général (votre décision 2004-499 DC), les auteurs de la présente saisine souhaitent alerter votre juridiction sur l'inadéquation manifeste des mesures adoptées à cette fin par la loi soumise à votre contrôle. Alors que le législateur souhaite, par sa législation, limiter le nombre de « téléchargements illégaux », les mesures mises en oeuvre n'auront pas l'effet recherché sur le volume de ces téléchargements[6] et risquent de rendre plus difficile à terme la recherche d'auteurs de telles infractions. En effet, le dispositif mis en place est aisément contournable, contre-productif, inapplicable et coûteux.

Aisément contournable tout d'abord, parce que le dispositif technique prévu par la loi cible les partages de fichiers d'œuvres protégées opérés depuis des sites Internet d'échanges « pair à pair » non cryptés. Ces sites fonctionnent de manière transparente puisque les adresses IP[7] permettant d'identifier les abonnés sont affichées tout comme le nom des fichiers en cours de téléchargement. Les abonnés souhaitant télécharger illégalement un fichier sur ces sites pourront simplement utiliser un logiciel permettant de masquer leurs adresses IP. En outre, avec le Wifi qui permet une connexion à distance, un internaute pourra sans difficulté télécharger des fichiers sur de tels sites sous couvert de l'adresse IP de la connexion d'un autre abonné. Il est encore très courant lors d'une connexion avec un ordinateur équipé en wifi de pouvoir utiliser un accès wifi non protégé au réseau internet offert involontairement par un titulaire d'abonnement qui n'aura pas su le protéger et ceci en toute légalité. En cas de téléchargement, c'est le titulaire du wifi qui sera mis en cause et non celui qui aura utilisé cette connexion pour télécharger. Pour les plus avertis, il suffira d'utiliser l'adresse IP d'un autre internaute lors d'un téléchargement illégal[8]. En définitive, les solutions de contournement du dispositif sont si nombreuses qu'il est difficile d'en dresser une liste exhaustive[9]. La solution la plus simple pour contourner le dispositif mis en place consistera pour les abonnés à utiliser des réseaux d'échange « pair à pair » cryptés ne permettant pas l'identification du contenu des fichiers téléchargés. En effet, le contrôle des échanges sur de tels sites supposerait la mise en oeuvre de moyens techniques extrêmement lourds et manifestement disproportionnés pour lutter contre le téléchargement illégal.

Contre-productif ensuite, puisque cette loi ne sera d'aucun effet pour les internautes aguerris qui n'auront aucun mal à contourner les dispositifs de surveillance alors qu'il placera les internautes ordinaires dans une situation de vulnérabilité technique et juridique. Tout porte à croire que les internautes se déporteront rapidement et massivement vers les sites « pair à pair » de téléchargement crypté. Un tel phénomène rendra non seulement plus délicate la lutte contre le téléchargement illégal, mais en généralisant le cryptage, elle rendra aussi plus difficile la recherche d'autres infractions y compris les plus graves, telles que la pédopornographie.

Inapplicable, puisqu'il apparaît que la mise en oeuvre du dispositif prévu nécessite des adaptations importantes des installations techniques, compte tenu de l'impossibilité, dans un certain nombre de cas, de suspendre uniquement la connexion internet sans couper les services de téléphonie et de télévision.

L'article L.331-30 prévoit, en effet, que la suspension de l'accès ne peut s'appliquer aux services de téléphonie ou de télévision. Or, l'ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes), dans son avis sur le projet de loi a expliqué que « l'application de cette nouvelle disposition sera limitée en pratique.(...) En effet, dans les zones non dégroupées, il se peut que, dans certains cas, il soit difficile techniquement de maintenir au profit de l'abonné un service de téléphonie IP si, dans le même temps, l'accès à Internet est coupé. Or, en application des articles L. 33-1 et D. 98-4 du CPCE relatifs aux conditions de permanence, de qualité et de disponibilité du réseau et du service, le fournisseur d'accès Internet est tenu notamment d'assurer de manière permanente et continue l'exploitation des services de communications électroniques et de garantir un accès ininterrompu aux services d'urgence. A défaut, celui-ci s'exposerait à des sanctions administratives et pénales »[10]. Selon les représentants de l'ARCEP auditionnés par le rapporteur de la Commission des lois de l'Assemblée nationale, cette impossibilité technique concernerait 2,5 à 3 millions de foyers. Parallèlement, la Fédération Française des Télécoms vient, le 15 mai dernier, de réaffirmer « qu'il sera impossible de généraliser, pour tous et partout, avant un délai minimum d'un an à partir de la connaissance détaillée du cahier des charges, la mise en œuvre des mesures de suspension/restriction d'accès à Internet (en ne conservant que la télévision et la téléphonie sur IP), en raison des conséquences sur les processus industriels et les systèmes d'information des opérateurs. » Par conséquent, près de 3 millions de citoyens bénéficieront d'une sorte d'immunité pendant ce délai de mise en place technique. Le Conseil pourra au surplus constater que l'application immédiate de ce dispositif conduirait mécaniquement à une atteinte au principe d'égalité.

De plus, le canal internet, même dans les offres triple play, est utilisé par certains fournisseurs d'accès internet pour faire transiter des informations nécessaires au fonctionnement des deux autres canaux, télévision et téléphonie. La coupure du canal internet provoquera au moins une dégradation du service offert par les deux autres canaux si ce n'est leur interruption, le temps que les FAI aient procédé à la modification de leur architecture réseau.

A cet égard, l'ARCEP relève que le projet de loi ne prévoit pas de délai pour permettre aux fournisseurs d'accès Internet d'adapter leurs systèmes d'information existants et leurs outils informatiques en vue de satisfaire aux obligations qu'il prévoit. Or, dès la publication du projet de loi et au regard des dispositions qu'il contient, les fournisseurs d'accès à Internet risquent d'être sanctionnés financièrement. En conséquence, compte tenu de l'adaptation nécessaire des systèmes d'information des fournisseurs d'accès à Internet, l'Autorité recommande, au regard du principe de sécurité juridique, l'instauration d'un délai au terme duquel les fournisseurs d'accès seraient en mesure de répondre aux demandes de la HADOPI[11].

L'application de cette loi sera coûteuse pour la collectivité ainsi que pour les fournisseurs d'accès à Internet. D'une part, le budget de la HADOPI a été fixé à 6,7 millions d'euros par la loi de finances pour 2009. D'autre part, le coût global de l'application de cette loi reste flou malgré des demandes répétées d'éclaircissement formulées auprès du Gouvernement. En premier lieu, la Ministre de la culture et de la communication a déclaré publiquement, le 17 février 2009, que le budget prévu ne comprenait pas « les coûts d'établissement par les fournisseurs d'accès à internet (FAI) de la correspondance entre les adresses IP et l'identité des internautes, valorisée à un montant équivalent (entre 2,8 et 3 millions d'euros) dont la prise en charge sera examinée dans le cadre de la rédaction des décrets d'application ». Il faut noter que les mêmes frais de recherche en matière pénale sont remboursés par le Trésor public[12]. En second lieu, concernant les frais de mise en œuvre technique, le rapport du Conseil Général des Technologies de l'Information réalisé en 2008 à la demande du Ministère de la Culture, identifie un « montant minimal de plus de 70 millions d'euros pour 2009-2012 [13 » (pour l'ensemble des coûts afférents au dispositif de riposte graduée). Selon les opérateurs, ces coûts sont en réalité plutôt de l'ordre de 100 millions d'euros. Or, rien, dans la loi ou dans les débats, ne vient préciser qui prendra concrètement en charge l'ensemble de ces coûts[14].

L'incohérence flagrante du dispositif ainsi conçu par le législateur appelle une censure globale de la loi soumise à votre contrôle.

Au demeurant, si rien ne garantit l'efficacité de cette loi dont l'application soulève d'innombrables et insolubles problèmes techniques, les atteintes aux droits et libertés protégés par votre juridiction sont bien réelles.

3. Une conciliation manifestement déséquilibrée entre la protection des droits d'auteurs et la protection de la vie privée.

L'évolution des nouvelles technologies de l'information et de la communication a conduit votre juridiction à prendre la mesure des risques liés à leur utilisation notamment au regard du droit au respect de la vie privée. Dans votre décision 2005-532 DC, vous rappeliez qu'« il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public, notamment à la sécurité des personnes et des biens, et la recherche d'auteurs d'infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figure le respect de la vie privée ».

Or, il n'échappera pas à votre juridiction que la réalisation de l'objectif poursuivi par le législateur nécessite la mise en oeuvre de mesures de surveillance des citoyens dont certaines pourraient être incompatibles avec l'exigence constitutionnelle du droit au respect de la vie privée. Comment assurer l'effectivité d'une loi qui vise à interdire les téléchargements sauf à permettre une surveillance de l'utilisation du réseau Internet par les citoyens et donc de violer le droit au respect de la vie privée ? L'échange de fichiers se pratique également dans le cadre de correspondances privées par le biais des e-mails et l'on voit mal comment, sauf à instaurer un contrôle généralisé des communications électroniques au mépris du secret des correspondances, ce dispositif permettrait de lutter contre de tels échanges. En outre, dans les entreprises et collectivités, la mise en oeuvre de l'obligation de sécurisation des postes informatiques des salariés comporte un risque de surveillance individualisée de l'utilisation d'Internet. Pour ce qui est des collectivités ou des associations offrant des accès wifi, cette mise en œuvre de sécurisation des postes informatiques, compte tenu de la difficulté technique prévisible, risque d'entraîner l'obligation d'un filtrage des sites, la constitution de « listes blanches » comme l'a souligné le CGTI dans son rapport. Ainsi, l'efficacité d'un tel dispositif ne pourra être acquise qu'au prix de nombreuses atteintes aux droits fondamentaux puisque la réalisation de l'objectif poursuivi suppose la mise en place d'un contrôle automatisé, quasi général et constant du réseau Internet.

De telles menaces rendaient indispensable l'édiction de garanties par le législateur permettant de s'assurer que les moyens mis en œuvre ne porteront pas atteinte au droit au respect de la vie privée. Or, le législateur a négligé de fixer les limites claires et précises de la surveillance du réseau Internet impliquée par cette loi. Cet aspect fondamental lié à l'application concrète de la loi n'a pas été précisé par le législateur au mépris de la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution pour fixer les « règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ».

Par une jurisprudence constante, votre juridiction considère que le respect des droits ayant valeur constitutionnelle suppose que le législateur édicte de manière suffisamment précise les garanties permettant d'éviter que l'application concrète de la loi soit placée sous le signe de l'arbitraire (décision n° 2000-435 DC du 7 décembre 2000).

Or, les limitations au droit au respect de la vie privée apportée par cette loi n'ont pas été définies de manière précise par le législateur. Alors que la surveillance du réseau Internet impliqué par ce dispositif est susceptible de porter une atteinte grave au droit au respect de la vie privée, il appartenait à tout le moins au législateur de préciser les limites s'imposant aux autorités compétentes afin d'éviter « une rigueur non nécessaire lors de la recherche des auteurs d'infraction » (votre décision 2004-492 DC).

Il appartenait ainsi au législateur de fixer des limites relatives aux moyens techniques employés aux fins d'assurer la surveillance du réseau en application de cette loi. Or, aucune disposition de la loi ne précise les modalités de la collecte des adresses IP alors que de surcroît ce sont des personnes privées qui seront en charge de procéder au relevé de ces adresses en vertu de l'article L.331-24 de la loi. Il est probable au demeurant que soient utilisés des logiciels permettant un relevé automatique d'adresses IP alors que la loi ne fixe aucune garantie relative à leur spécification technique, leur fonctionnement ou leur utilisation. Vous pourrez à cet égard constater que les débats parlementaires n'ont pas permis de combler les silences de la loi.

Dans le même sens, l'obligation de sécurisation des connexions Internet est liée à l'utilisation de logiciels visés à l'article L.331-32 qui seront installés sur les ordinateurs des abonnés sans que le législateur ne précise les modalités de fonctionnement de tels moyens de sécurisation. Ainsi, aucune disposition de la loi ne garantit que l'utilisation de ces derniers ne risque pas d'aboutir à mettre en œuvre une surveillance des abonnés incompatible avec les exigences constitutionnelles dont votre juridiction assure la protection.

Du fait de ces lacunes, la loi soumise à votre contrôle porte une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée. De surcroît, vous tiendrez sans nul doute compte, dans l'appréciation de la constitutionnalité de cette loi, du fait que l'objectif poursuivi par le législateur est lié à la protection des droits d'auteur à l'exclusion de toute considération tenant à la préservation de l'ordre public (a contrario votre décision 2004-492 DC).

Ces motifs appellent également une censure globale de la loi soumise à votre contrôle.

4. La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence

En procédant à de nombreux renvois à des décrets, le législateur a méconnu la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution alors que ces renvois portent sur des garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques.

Votre juridiction a rappelé à de nombreuses reprises « qu'il appartient au législateur d'assurer la sauvegarde des droits et libertés constitutionnellement garantis ; que s'il peut déléguer la mise en oeuvre de cette sauvegarde au pouvoir réglementaire, il doit toutefois déterminer lui-même la nature des garanties nécessaires » (Décision 96-378 DC du 23 juillet 1996).

Or, en renvoyant à un décret le soin de préciser les conditions dans lesquelles la HADOPI pourra attribuer un label permettant d'identifier clairement le caractère légal des offres de service de communication en ligne, le législateur n'a pas exercé la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution en matière de garanties fondamentales reconnues aux citoyens dans l'exercice des libertés publiques. En effet, cette disposition offre à la HADOPI le pouvoir de déterminer de manière discrétionnaire les offres qui présentent selon elle un caractère légal alors que la légalité doit par principe être présumée sauf à instaurer dans le domaine culturel un régime préventif d'autorisation préalable. Il appartenait à cet égard au législateur de fixer lui-même les conditions de reconnaissance du caractère légal de ces offres. En conséquence, le deuxième alinéa de l'article L.331-23 est entaché d'incompétence négative[15].

Or, en renvoyant à l'avant dernier alinéa de l'article L.331-27 à un décret en Conseil d'Etat le soin de déterminer « les conditions dans lesquelles les sanctions prononcées peuvent faire l'objet d'un sursis à exécution », le législateur a manifestement négligé d'exercer une compétence qu'il tient de la Constitution et notamment de l'alinéa de l'article 34 qui lui impose de déterminer les règles relatives aux garanties fondamentales accordées aux citoyens dans l'exercice des libertés publiques. En effet, l'enjeu lié à l'obtention par les justiciables d'un sursis à exécution et alors que les sanctions sont d'une gravité certaine, implique la nécessité pour le législateur de fixer lui-même les conditions dans lesquelles ces sanctions pourront faire l'objet d'un sursis à exécution. Les garanties légales protégeant les justiciables en la matière sont intimement liées au mécanisme qui sera mis en place par le décret. Lors des débats, il a été précisé par la Ministre de la Culture et de la Communication qu'il appartiendrait au juge saisi de décider s'il y a lieu d'accorder ou non un tel sursis à exécution. De manière inédite, le juge saisi du principal pourrait lui-même décider du sursis à exécution. Or, il appartenait au législateur de fixer lui-même les règles relatives à l'obtention du sursis à exécution.

Il en va de même s'agissant du renvoi par le législateur au dernier alinéa du même article à un décret aux fins de déterminer les juridictions compétentes pour connaître des recours. Ici encore, il importe que le législateur détermine lui-même les juridictions susceptibles de connaître de tels recours. Il appartenait ainsi à tout le moins à la loi de déterminer le degré des juridictions judiciaires compétentes.

Le législateur a également commis une incompétence négative en renvoyant au dernier alinéa de l'article L.331-32, à des décrets le soin de préciser la procédure d'évaluation et de labellisation des moyens de sécurisation des connexions Internet. Si cette procédure peut être considérée de prime abord comme relevant d'un détail d'application de la loi, il n'échappera pas à votre juridiction que ce renvoi recèle de véritables dangers pour le respect des libertés et droits fondamentaux. La labellisation et l'évaluation portent en l'occurrence sur des logiciels dont l'utilisation conditionnera une éventuelle exonération de la responsabilité des abonnés. S'agissant de ces logiciels de sécurisation, il appartenait notamment au législateur de préciser le type de logiciel correspondant à un outil de sécurisation (filtrage, contrôle d'usage, traçage) alors que les différentes possibilités en la matière entraînent des conséquences très variables pour les utilisateurs eu égard à leur liberté de transmettre et de recevoir et au respect de leur vie privée. Ces logiciels pourraient aussi bien servir à filtrer les communications pour interdire l'accès à des sites ou services donnés. Ces logiciels pourraient aussi être utilisés pour contrôler l'usage de l'ensemble du système informatique par son utilisateur. De tels logiciels pourraient s'accompagner de mesures de traçage des utilisateurs. Il sera en outre impératif, dans la logique de la loi, que ces logiciels communiquent avec la HADOPI ou avec leur éditeur afin de valider l'exonération de responsabilité de leurs utilisateurs. Ainsi lorsque ces logiciels seront installés ou désinstallés, la HADOPI devra être directement ou indirectement prévenue. Sinon, il serait aisé de simuler les conditions d'exonérations. De telles possibilités rendaient nécessaire l'édiction de garanties légales propres à assurer le respect de la vie privée.

Cette procédure d'évaluation et de labellisation apparaît d'autant plus fondamentale que l'ensemble du dispositif prévu par la loi repose sur ce point. En effet, en repoussant la mise en oeuvre de la riposte graduée au délai de trois mois suivant la publication de la liste de ces logiciels[16], le législateur admet implicitement mais nécessairement qu'il s'agit de la clef de voûte de l'ensemble du dispositif mis en place. Au demeurant, l'application de cette disposition pose un problème délicat : bien que les abonnés ne pourront être sanctionnés avant l'expiration d'un délai de 3 mois, ils pourront recevoir des recommandations alors même qu'aucune liste de moyens de sécurisation ne sera établie. Par conséquent, la procédure contre l'abonné pourra être enclenchée alors même qu'il ne disposera pas des moyens prévus expressément par la présente loi pour se protéger et ainsi s'exonérer de sa responsabilité.

Les renvois aux décrets, concernant les conditions d'application de l'article L.331-37 autorisant la création d'un fichier, tombent également sous le coup de votre jurisprudence en matière d'incompétence négative dans la mesure où le législateur ne peut se contenter d'un renvoi pur et simple à un décret lorsque sont en cause des principes, droits et libertés de valeur constitutionnelle. Cette disposition ne peut être appréciée sans prendre en considération, d'une part, le fait qu'aucune limite de durée de conservation n'a été fixée par la loi et, d'autre part, le fait que l'inscription dans ce fichier concernera toute personne suspectée d'avoir commis un acte de téléchargement illégal, autrement dit selon les estimations fournies par la Ministre de la Culture et de la Communication, environ 10 000 citoyens chaque jour.

Enfin, le renvoi à un décret en Conseil d'Etat opéré par l'article L.331-38 concernant « les règles applicables à la procédure et à l'instruction des dossiers devant le collège et la commission de protection des droits de la Haute autorité » n'échappera pas à votre censure compte tenu du caractère fondamental de telles règles de procédure notamment eu égard au principe constitutionnel du respect des droits de la défense. Imagine-t-on une autorité disposant de pouvoirs de sanction aussi importants et dont les règles de procédure seraient fixées par décret ? Le législateur ne pouvait cependant se contenter d'une formulation aussi laconique relative au respect du droit à un procès équitable et se dispenser ainsi de fixer lui-même les garanties propres à assurer l'effectivité de ce droit fondamental.

Compte tenu du nombre et de l'importance des renvois opérés par le législateur au profit du pouvoir réglementaire, cette loi semble manifestement contraire à votre jurisprudence en matière d'incompétence négative. Le législateur ne pouvait ainsi procéder à des renvois aussi larges et ainsi abandonner au Gouvernement l'exercice de sa compétence (voir notamment votre décision 83-162 DC du 20 juillet 1983).

5. Le caractère flou et imprécis du manquement institué par la loi.

L'ensemble du dispositif institué par la présente loi repose sur le manquement à l'obligation de surveillance de l'accès à Internet créé par l'article 11 de la loi soumise à votre contrôle.

Or, les termes employés à cet article sont d'une imprécision telle que le manquement défini est édicté en méconnaissance du principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines et de l'article 34 en vertu duquel « la loi fixe les règles concernant ... la détermination des crimes et des délits ainsi que les crimes qui leur sont applicables » (décision 2000-433 DC du 27 juillet 2000). Votre juridiction a eu l'occasion de rappeler, à de nombreuses reprises, que ces dispositions imposent au législateur l'obligation « de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis » afin « d'exclure l'arbitraire dans le prononcé des peines » (voir notamment votre décision n°2006-540 DC du 27 juillet 2006).

La création par la loi soumise à votre contrôle d'un délit de « manquement à l'obligation de surveillance » ne répond pas manifestement pas aux exigences d'une définition « claire et précise » des infractions. Ce manquement consiste en une omission des abonnés qui n'auraient pas mis en oeuvre les moyens de surveillance nécessaires afin que leur accès ne fasse pas l'objet d'une utilisation à des fins de reproduction. Les abonnés seront donc sanctionnés pour n'avoir pas procéder à la sécurisation de leur connexion. Or, les moyens de sécurisation se développent et évoluent constamment, ce qui implique corrélativement l'obligation pour les abonnés de suivre et de s'adapter à ces évolutions. L'obligation ainsi imposée est donc évolutive et de ce fait incompatible avec l'exigence constitutionnelle de sécurité juridique.

Il apparaît par ailleurs que la frontière entre les notions de « piratage » et de « manquement à l'obligation de surveillance de sa connexion internet » n'est pas clairement établie. Le législateur n'a pas procédé à un choix clair en la matière puisque le téléchargement illégal constitue l'infraction recherchée, mais c'est le défaut de sécurisation qui sera juridiquement sanctionné. Or, en tant que tel, ce défaut de sécurisation ne porte préjudice à personne. En définitive, la loi aboutit à créer une confusion entre, d'une part, l'infraction de partage de fichier et, d'autre part, le défaut de sécurisation de la connexion de l'abonné[17]. Ainsi, le seul fait de disposer d'une connexion Internet constituera un risque juridique qui pèsera sur tout abonné. Ce risque sera considérablement accru dès lors que la connexion sera utilisée par différentes personnes, dans le cadre familial, dans le cadre d'une entreprise ou encore d'une collectivité territoriale.

Ainsi, les compétences exercées par la HADOPI prendront appui sur un manquement défini en termes vagues et imprécis, exposant les abonnés à une insécurité juridique permanente incompatible avec les exigences dont vous assurez la protection.

Cet article apparaît ainsi tout à la fois contraire au principe de légalité des délits et des peines et à l'exigence constitutionnelle de sécurité juridique et appelle à ces deux titres la censure de votre juridiction.

6. Une sanction manifestement disproportionnée

L'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen disposant que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires... », il vous appartient naturellement d'apprécier le caractère proportionné des sanctions prévues par la loi. Vous avez eu l'occasion à cet égard de préciser qu'il vous appartenait « de vérifier qu'eu égard à la qualification des faits en cause, la détermination des sanctions dont sont assorties les infractions correspondantes n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation » (99-411 DC).

Or, la sanction prévue par la loi présentement soumise à votre contrôle excède manifestement ce qui était nécessaire à la poursuite des objectifs que s'est assignés le législateur en l'espèce. D'une part, l'article L.331-27 de la loi prévoit la suspension de l'accès Internet pour une durée de deux mois à un an assortie de l'impossibilité, pour l'abonné, de souscrire, pendant la même période, un autre contrat portant sur l'accès à un service de communication au public en ligne auprès de tout opérateur. D'autre part, l'article L.331-30 prévoit l'obligation pour l'abonné de poursuivre le paiement de son abonnement en cas de suspension.

a - Sur le principe de la suspension de l'accès à Internet

L'article L.331-27 prévoit, en effet, une sanction consistant à suspendre l'accès au service pour une durée de deux mois à un an.

A cet égard, il appartient à votre juridiction de se prononcer sur l'importance que revêt, à l'époque contemporaine, l'accès à Internet. Cet accès est devenu consubstantiel de l'exercice de nombreux droits et libertés de valeur constitutionnelle. L'évolution de ce réseau est telle que cet accès constitue aujourd'hui, pour des millions de citoyens, une condition d'exercice de leurs droits et libertés. La coupure de cet accès constituerait à cet égard une sanction disproportionnée dans la mesure où elle aurait une incidence grave et directe sur l'exercice de ces droits et libertés de valeur constitutionnelle.

Elle affecterait, au premier titre, les conditions d'exercice de la liberté d'expression qui constitue, selon les termes de votre jurisprudence, « une liberté fondamentale, d'autant plus précieuse que son exercice est l'une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale » (décision 84-181 DC du 11 octobre 1984). La coupure de l'accès à Internet porterait également atteinte à l'accès à la culture mais également au droit à l'éducation[18]. Cette sanction priverait ainsi les abonnés de la possibilité de suivre des cours par correspondance et d'utiliser, de manière générale, le réseau Internet à des fins éducatives. La liberté d'entreprendre serait également affectée, de manière grave et directe, par une telle coupure dans la mesure où Internet constitue pour beaucoup de citoyens une vitrine de leurs activités professionnelles - notamment dans le cadre du statut d'auto-entrepreneur - et, de manière générale, un outil incontournable de travail. En effet, rien dans la loi ne vient préciser que la suspension de l'accès à Internet ne concernera pas les entreprises pour lesquelles une telle coupure aura des conséquences économiques et sociales graves. Par ailleurs, n'est pas pris en compte le fait que l'accès à Internet des salariés de ces mêmes entreprises depuis leur domicile, peut être indispensable dans le cadre de leur mission professionnelle, notamment pour les cadres ou les salariés des services de maintenance. L'application de cette sanction conduirait ainsi à placer un certain nombre de salariés du secteur privé dans une situation très délicate. Il en serait de même pour nombre de professions libérales et notamment toutes les professions de santé. L'accès à Internet garantit également aujourd'hui l'accès aux services publics, qu'il s'agisse du retrait en ligne de certains formulaires administratifs, des déclarations d'impôt, de l'inscription dans les Universités, les grandes écoles et à de nombreux concours. Il rend désormais possible l'utilisation de services bancaires et de réservations de toutes sortes.

D'une manière générale, l'impact d'une telle sanction est à ce point variable selon la situation personnelle des abonnés qu'elle porte manifestement atteinte au principe d'égalité dès lors que la loi ne prend nullement en considération les situations particulières. Une telle sanction serait particulièrement choquante si elle était appliquée aux personnes âgées, aux demandeurs d'emploi, aux étudiants ou aux personnes handicapées dans la mesure où elle porterait atteinte à leur capacité d'accéder à des services qui leur sont essentiels.

De plus, cette coupure concerne aussi la messagerie électronique alors que le Conseil Général des Technologies de l'Information a considéré dans son rapport que cela posait problème car la loi pour la confiance dans l'économie numérique de 2004 qui transpose dans notre droit interne la directive communautaire sur le commerce électronique, ne prévoit pas de suspendre la messagerie électronique.

Pour l'ensemble de ces raisons, il apparaît que la sanction consistant en une coupure de l'accès à Internet est manifestement disproportionnée.

Le caractère disproportionné d'une telle sanction doit par ailleurs être apprécié au regard de la possibilité de cumuler les sanctions administrative, civile et pénale. En effet, aucune disposition n'empêche les représentants des ayants droit de s'adresser tant à la Haute autorité qu'à la juridiction pénale en vertu du droit en vigueur. Un tel cumul de sanctions est d'autant plus plausible que les agents publics de la HADOPI sont soumis à l'article 40 du code de procédure pénale qui fait obligation aux agents publics de saisir le procureur de la République de tout délit dont ils auraient connaissance dans le cadre de l'exercice de leur fonction. Cette possibilité a d'ailleurs été admise par la Ministre de la Culture et de la Communication qui, lors de la séance du 6 mai 2009 à l'Assemblée nationale, a reconnu que le cumul des procédures administrative et pénale demeurait possible.

Enfin, vous tiendrez sans nul doute compte, dans l'appréciation du caractère proportionné ou non de cette sanction, du fait qu'elle s'inscrit dans le cadre d'une loi visant à protéger les droits d'auteur à l'exclusion de toute considération tenant à la préservation de l'ordre public.

Pour ces motifs, cette disposition appelle une censure de votre juridiction.

b - La double sanction résultant de l'obligation pour l'abonné dont l'accès à Internet a été suspendu de continuer à payer le prix de son abonnement.

Cette sanction est d'autant plus disproportionnée qu'elle est assortie du maintien pour l'abonné de l'obligation de verser le montant correspondant à l'intégralité de son abonnement. Autrement dit, la suspension est assortie d'une sanction financière dont le produit ne bénéficiera ni à la collectivité publique ni aux auteurs que la loi est censée protéger, mais au bénéfice exclusif de l'intérêt particulier des fournisseurs d'accès. Le gouvernement l'a d'ailleurs reconnu par la voix de la Ministre de la Culture et de la Communication qui déclarait, à propos de ce dispositif, qu'il s'agissait « d'une sanction globale, équilibrée » (rapport de la Commission des lois de l'Assemblée nationale n° 1626, p. 38).

Or c'est notamment parce que le législateur avait prévu « qu'un même manquement ne p[ouvait] donner lieu qu'à une seule sanction administrative » que vous aviez validé le pouvoir de sanction qu'il a confié au CSA (88-248 DC du 17 janvier 1989, cons. 30). En outre, vous avez jugé qu'une « sanction administrative de nature pécuniaire ne p[ouvait] se cumuler avec une sanction pénale » (96-378 DC du 23 juillet 1996, cons. 15). Or, il n'est pas exclu que l'abonné sanctionné fasse également l'objet de poursuites pénales sur le fondement de la violation des droits d'auteur. Dès lors, c'est bien à un cumul de sanctions pécuniaire et pénale que le dispositif contesté expose les contrevenants et porte ainsi une atteinte manifeste au principe de proportionnalité.

Le maintien de cette obligation de payer viole également le principe de la légalité des peines qui s'impose aussi bien aux autorités juridictionnelles qu'aux autorités administratives indépendantes (88-248 DC du 17 janvier 1989, cons. 36). En effet, la disposition contestée revient à instaurer une sanction financière dont elle ne détermine pas le montant et qui variera non pas en fonction de la gravité du manquement reproché, mais selon les dispositions contractuelles en vigueur entre l'abonné et son fournisseur d'accès, la privant ainsi de base légale.

En aucun cas, l'argument évoqué à l'occasion des débats parlementaires selon lequel priver les fournisseurs d'accès de cette source de revenu reviendrait à les sanctionner, ne peut être retenu dès lors qu'ils ne rendent plus le service que la disposition contestée contraint l'abonné à payer.

Cette disposition est également contestable sur le terrain de l'enrichissement sans cause, le législateur contribuant à l'enrichissement du fournisseur d'accès, corrélativement à l'appauvrissement de l'abonné, le tout en supprimant la cause à l'origine de leurs obligations respectives. L'enrichissement sans cause est un principe général du droit fondé sur l'exigence d'équité et de justice commun aux ordres juridiques judiciaire (Cour de cassation, Boudier, Req., 15 juin 1892, S. 93, I, 281), administratif (Conseil d'Etat, Ministre de la Reconstruction et du Logement c. Société Sud Aviation,14 avril 1961, R.D.P., 1961, p. 655, concl. C. HEUMANN) et communautaire (C.J.C.E., Danvin c. Commission, 11 juillet 1968, Aff. 26/67, Rec., 1968, p. 463). Il n'est pas non plus étranger à votre jurisprudence, que ce soit en tant que juge des élections lorsque vous vous y référez explicitement (cf. votre Décision Observations CC législatives 1993 du 29 mars 1994), ou en tant que juge constitutionnel lorsque vous vous y référez implicitement en mentionnant les notions d'« avantage injustifié » (93-329 DC du 13 janvier 1994, cons. 33) ou d'« enrichissement injustifié » (99-425 DC du 29 décembre 1999, cons. 11 et 2002-458 DC du 7 février 2002, cons. 4).

Or, ici, l'enrichissement dont bénéficieront les fournisseurs d'accès et l'appauvrissement corrélatif des abonnés ne répondent en rien à l'intérêt général poursuivi par la loi qui vise à protéger les droits d'auteur. En effet, les sommes perçues par les fournisseurs d'accès ne bénéficieront en aucun cas aux auteurs dont les droits ont été violés.

Par ailleurs, cette disposition est contraire au principe constitutionnel de la liberté contractuelle dont vous déduisez que « s'il est loisible au législateur d'apporter, pour des motifs d'intérêt général, des modifications à des contrats en cours d'exécution, il ne saurait porter à l'économie des contrats légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen » (2001-451 DC du 27 novembre 2001, cons. 27).

En effet, votre Haute Assemblée ne manquera pas de constater que la suppression de la cause d'un contrat, qui est une condition essentielle de sa validité (cf. l'article 1131 du Code civil), constitue une atteinte aux contrats en cours d'exécution d'une gravité manifeste.

Le maintien de l'obligation porte enfin atteinte au principe constitutionnel d'égalité. De manière constante, vous rappelez « que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit » et en déduisez que « toute différence de traitement qui ne serait pas justifiée par une différence de situation en rapport avec l'objet de la loi se trouve en conséquence prohibée » (91-304 DC du 15 janvier 1992, cons. 15). Vous avez en outre précisé que le rapport en question devait être « direct » (96-375 DC du 9 avril 1996, cons. 8).

Or, le dispositif ici contesté implique que, selon les contrats qui les unissent à leurs fournisseurs d'accès, les abonnés vont se trouver traités différemment alors qu'ils se trouvent dans une situation identique, et ce sans rapport aucun avec l'objet de la loi. En effet, le montant que les abonnés sanctionnés devront continuer à verser à leurs fournisseurs d'accès, une fois leur accès à internet suspendu, variera selon les clauses du contrat de chacun, et non selon la gravité de l'atteinte portée aux droits de propriété intellectuelle qui leur est reprochée. En d'autres termes, la discrimination ainsi engendrée est dépourvue de tout lien direct, et même indirect, avec l'objet que la loi établit, la protection des droits des auteurs.

Pour ces motifs, cette disposition appelle une censure de votre juridiction.

7. Une telle sanction ne peut être prononcée que par l'autorité judiciaire

A tout le moins et compte tenu des conséquences graves et directes qu'elle est susceptible d'avoir sur les conditions d'exercice de l'ensemble de ces libertés et droits fondamentaux, le prononcé d'une telle sanction ne peut à l'évidence relever que de l'autorité judiciaire. La suspension d'une connexion à Internet ne peut en conséquence être laissée à l'appréciation d'une autorité administrative, fut-elle indépendante. Elle relève par nature de la seule compétence de l'autorité judiciaire, gardienne des libertés essentielles et de la propriété privée.

Vous avez jugé, dans une décision 94-352 DC, « que la méconnaissance du droit au respect de la vie privée peut être de nature à porter atteinte à la liberté individuelle ». Or, l'article 66 de la Constitution impose que cette liberté soit placée sous le contrôle de l'autorité judiciaire. En permettant à la HADOPI de prononcer seule une sanction affectant de manière aussi directe la liberté individuelle, sans prévoir l'intervention de l'autorité judiciaire, le législateur a méconnu les dispositions de l'article 66 de la Constitution.

Pour ces motifs, la disposition en cause appelle une censure de votre juridiction.

8. Les compétences et les pouvoirs exorbitants reconnus à la HADOPI

La création d'une autorité administrative indépendante ne pose pas en soi de problèmes de constitutionnalité et peut même contribuer à l'effectivité des droits constitutionnels. Toutefois, dans le cas présent, la création de la HADOPI, compte tenu de l'étendue de ses pouvoirs et compétences, expose les citoyens au risque d'arbitraire et à une application de la loi contraire à la Constitution.

Par une jurisprudence constante, votre juridiction rappelle fréquemment au législateur le devoir qui lui appartient, en vertu de l'article 34 de la Constitution, d'être suffisamment clair et précis afin de poser les garanties légales de nature à éviter des interprétations contraires à la Constitution de la part des autorités d'application. Vous avez ainsi considéré que l'article 34 de la Constitution et les articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen imposent au législateur « d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur les autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi. » (décision n° 2004-500 DC du 29 juillet 2004).

Or, en négligeant d'encadrer précisément les compétences de la HADOPI et en omettant de fixer les garanties de nature à prémunir les « abonnés » contre le risque d'arbitraire, le législateur a méconnu, de manière manifeste, les obligations imposées par votre juridiction en vertu de l'article 34 de la Constitution et des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789.

Dans le même sens et compte tenu de la marge d'appréciation accordée à cette autorité dans l'exercice de son pouvoir de sanction, cette loi porte manifestement atteinte au principe de légalité des délits et des peines consacré par l'article 8 de la Déclaration de 1789.

Il convient, à cet égard, de rappeler que ces exigences constitutionnelles « ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle » (décision n°93-325 DC du 13 août 1993).

a - Les pouvoirs exorbitants accordés aux agents publics de la HADOPI

Les agents assermentés visés à l'alinéa créant un article L.331-21 se voient conférer des pouvoirs considérables puisqu'il leur appartiendra non seulement de recevoir les saisines et de procéder à l'examen des faits mais également de constater « la matérialité des manquements » définie par la loi, c'est-à-dire de procéder à la qualification juridique des faits. Il leur appartiendra ainsi de donner suite aux saisines sur le fondement de leur seule appréciation, dans la mesure où la loi ne fixe aucun critère permettant d'encadrer l'exercice de cette compétence. Il appartenait, à cet égard, au législateur de poser des garanties afin que la décision d'un agent de donner suite à une saisine de la HADOPI soit prise sur le fondement de critères objectifs fixés par la loi et ne soit pas ainsi laissée à leur libre appréciation. Dans de telles conditions, rien ne garantit un traitement égal des citoyens qui seront ainsi exposés au pouvoir discrétionnaire de ces agents.

Le même article L.331-21 confère à ces « agents » des pouvoirs d'investigation exorbitants puisqu'ils pourront « obtenir tous documents, quel qu'en soit le support, y compris les données conservées et traitées par les opérateurs de communications électroniques... ». Cet article confère donc à ces agents le pouvoir de rendre nominatives les adresses IP. De plus, en liant ce pouvoir d'obtenir des informations auprès des opérateurs et prestataires aux « nécessités de la procédure », le législateur leur confère un pouvoir dont les limites sont laissées à leur seule appréciation. La définition de leurs prérogatives en la matière apparaît d'autant plus obscure que l'utilisation de l'adverbe « notamment » est susceptible de conduire à une extension illimitée de leur capacité d'investigation auprès des opérateurs de communications électroniques. En effet, si la loi vise de manière explicite leur pouvoir d'obtenir « l'identité, l'adresse postale, l'adresse électronique et les coordonnées téléphoniques de l'abonné... » suspecté d'avoir téléchargé illégalement une oeuvre protégée, elle omet de préciser les autres informations qui pourraient éventuellement être collectées par ces agents.

Lors de l'examen de la loi relative à la lutte contre le terrorisme, sujet hautement plus sensible, vous aviez relevé que le législateur avait pris soin d'assortir la procédure de réquisition de données techniques, de limitations et de précautions propres à assurer une juste conciliation entre le respect de la vie privée et la prévention des actes terroristes.Au titre de ces limitations et précautions, vous évoquiez, d'une part, l'énumération limitative des informations susceptibles d'être recueillies et, d'autre part, l'accord préalable d'une personnalité désignée par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (votre décision 2005-532 DC). Vous pourrez constater qu'aucune limitation ou précaution de cette nature n'a été édictée par le législateur aux fins d'encadrer l'exercice de leur compétence par les agents assermentés de la HADOPI.

Lors de l'examen de la loi relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel, vous avez considéré que constituait une garantie le fait que les adresses IP ne puissent « acquérir un caractère nominatif que dans le cadre d'une procédure judiciaire et par rapprochement avec des informations dont la durée de conservation est limitée à un an » (votre décision 2004-499 DC). Vous pourrez constater que ces garanties ont été supprimées par la présente loi alors même qu'elles étaient le corollaire de l'exigence constitutionnelle du droit au respect de la vie privée. En conséquence, l'article 14 de la présente loi modifie l'article 34-1 du Code des télécommunications qui place désormais la HADOPI sur un pied d'égalité avec l'autorité judiciaire. Ainsi, en permettant à ces agents de rendre nominatives les adresses IP en dehors de toute procédure judiciaire, le législateur a supprimé une garantie essentielle du droit au respect de la vie privée et encourt à ce titre une censure conformément à votre jurisprudence (notamment votre décision 86-210 DC).

Ainsi, sur le seul fondement du relevé d'une adresse IP sur un site d'échange « pair à pair », cette loi confère aux agents le pouvoir de constater l'infraction, de collecter des informations nominatives et de décider souverainement si la poursuite de la procédure se justifie. Compte tenu de ces nombreuses lacunes, la loi accorde à ces agents une telle marge d'appréciation qu'elle expose les citoyens au risque d'arbitraire ainsi qu'à des applications contraires aux exigences constitutionnelles et porte singulièrement une atteinte excessive à la protection des données à caractère personnel et au droit au respect de la vie privée.

En outre, l'attribution de ces compétences et pouvoirs semble manifestement incompatible avec le caractère flou et indéterminé du statut de ces agents fixé par l'alinéa créant un article L.331-22. Au demeurant, il n'est pas anodin de relever que l'article L.331-21 accorde à ces agents les mêmes prérogatives que celles des « membres de la commission de protection » sans pour autant assortir leur statut de garanties équivalentes. En effet, si le législateur a prévu que ces agents seraient astreints au secret professionnel, les enquêtes administratives destinées à s'assurer que leur comportement n'est pas incompatible avec l'exercice de leur fonction ou mission, apparaissent largement insuffisantes compte tenu des pouvoirs qu'ils se verront conférer. Enfin, le législateur se contente d'évoquer, sans les définir, les « conditions de moralité » qu'ils devront remplir et les « règles déontologiques » qu'ils devront observer, renvoyant à un décret en Conseil d'Etat le soin de préciser des éléments constituant de manière évidente des garanties relevant de la seule compétence du législateur. Ce renvoi apparaît, compte tenu de l'importance des règles en question et de l'absence de limites fixées par le législateur au Gouvernement dans l'exercice de sa compétence réglementaire, comme étant constitutif d'une incompétence négative caractérisée.

Pour ces motifs, l'ensemble des dispositions visées appelle une censure de votre juridiction.

b - Le pouvoir discrétionnaire des agents privés chargés de saisir la HADOPI.

Les agents privés assermentés visés à l'alinéa créant un article L.331-24 disposent également d'un pouvoir considérable incompatible avec les principes dont vous assurez la protection.

D'une part, ces agents sont en charge de la surveillance des réseaux et sont habilités à procéder au relevé des adresses IP des abonnés suspectés d'avoir partagé un fichier d'œuvres protégées. Ils disposent, à ce titre, d'une marge d'appréciation illimitée s'agissant des moyens utilisés aux fins de procéder à ces relevés. De même, ces relevés d'adresses nécessiteront la mise en œuvre d'un traitement automatisé de données alors même qu'aucune limite n'a été fixée par le législateur en la matière. Or, dans votre décision 2004-499 DC, vous avez considéré que la possibilité ouverte à ces agents de mettre en oeuvre des traitements portant sur des données relatives à de telles infractions, ne posait pas de problème de constitutionnalité dès lors que la création de ces traitements était « subordonnée à l'autorisation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés en application du 3 ° du I de l'article 25 nouveau de la loi du 6 janvier 1978 ».

D'autre part, ces agents se voient conférer la faculté de saisir la commission de protection des droits. Cette saisine s'exercera de manière totalement discrétionnaire dans la mesure où la loi n'encadre nullement cette compétence. Il n'est pas anodin de constater, à cet égard, que la loi place sur un pied d'égalité ces derniers et le procureur de la République s'agissant de la saisine de ladite commission. Dans de telles conditions, rien ne garantit un traitement égal des citoyens qui seront ainsi exposés au pouvoir discrétionnaire de ces agents de saisir ou non la commission de protection des droits de la HADOPI. En outre, le dispositif mis en place permet à ces agents de saisir au choix la Hadopi et/ou le juge civil et/ou le juge pénal, c'est-à-dire leur laisse le choix de la politique répressive à appliquer sur la base d'un fondement juridique dont les contours sont mal définis. Dans le cadre de son rapport pour l'année 2009, la CNIL a pu expliquer, à cet égard, qu'elle avait émis des réserves « sur l'effectivité du processus de »déjudiciarisation« et le rôle des Sociétés de Perception et de Répartition des Droits d'auteur (SPRD). Ces organismes, qui effectuent la surveillance des réseaux, pourront discrétionnairement faire le choix de saisir le juge pénal ou la HADOPI »[19]. Ainsi, pour des faits comparables, des abonnés pourront se retrouver soit devant le juge, soit devant la HADOPI alors que cette possible différence de traitement ne repose sur aucune différence de situation clairement établie par la loi et n'est justifiée par aucun motif d'intérêt général.

Pour ces motifs, cette disposition appelle une censure de votre juridiction.

c - Le pouvoir d'appréciation exorbitant conféré à la commission de protection des droits dans le cadre du mécanisme de sanction graduée créé par les articles L.331-26, L.331-27, L.331-28 et L.331-29.

A défaut d'avoir opté pour le système des sanctions automatiques, le législateur a mis en place un système de sanctions aléatoires contraire au principe de légalité des délits et des peines et in fine contraire au principe d'égalité devant la loi.

Les marges de manoeuvre laissées à la commission de protection des droits sont constitutives d'une incompétence négative caractérisée, dans la mesure où le prononcé des différentes sanctions prévues par la loi est conditionné à son appréciation discrétionnaire, sans que le législateur ait posé les critères de nature à encadrer l'exercice de sa compétence en la matière. A chaque degré de la « riposte graduée », la loi offre à la HADOPI le pouvoir discrétionnaire de décider si elle sanctionne ou non les « abonnés ». Ainsi l'article L.331-26 prévoit, en son alinéa premier, que cette autorité « peut envoyer à l'abonné » suspecté une première recommandation. L'alinéa 2 de ce même article prévoit qu'en cas de renouvellement dans un délai de 6 mois à compter de la première recommandation, la commission « peut adresser une nouvelle recommandation... par la voie électronique » et dans ce cas qu' « elle peut assortir cette recommandation d'une lettre remise contre signature... ». Enfin, l'alinéa créant un article L.331-27 prévoit que, lorsque l'abonné a méconnu l'obligation dans l'année suivant la seconde recommandation assortie d'une lettre contre signature, la commission « peut ... prononcer l'une des sanctions suivantes... ». Un tel dispositif conduit potentiellement à sanctionner dans certains cas, un internaute suspecté d'avoir à trois reprises commis une infraction et de laisser d'autres internautes commettre un nombre indéfini d'infractions sans que cela donne lieu ne serait-ce qu'à une seule recommandation.

Ce pouvoir d'appréciation se retrouve également dans le prononcé des sanctions puisque la commission pourra prononcer « l'une des sanctions » prévues par l'article L.331-27. Or, ces différentes sanctions sont d'une gravité incomparable allant de la simple injonction de prendre des mesures de nature à prévenir le renouvellement du manquement constaté, « le cas échéant sous astreinte », à la coupure d'accès à Internet pour une durée d'un an.

Si cela ne suffisait pas, l'alinéa créant l'article L.331-28 prévoit que la commission « peut proposer une transaction à l'abonné...... » sans préciser à aucun moment les critères sur lesquelles la commission de protection des droits pourra fonder sa décision d'offrir ou non à l'abonné le bénéfice d'une telle procédure. Dans le cadre de cette transaction, la commission retrouve un pouvoir d'appréciation exorbitant s'agissant du choix de la sanction prononcée au titre de la transaction puisque le même article prévoit des sanctions allant de l'obligation de prendre des mesures de nature à prévenir le renouvellement du manquement à la coupure de l'accès Internet pour une durée de un à trois mois ... L'article L.321-29 prévoit qu'en cas d'inexécution de la transaction, la commission peut prononcer « l'une des sanctions prévues à l'article L.331-27 », lui offrant ainsi une marge de manoeuvre incompatible avec les exigences constitutionnelles imposées par votre juridiction.

Ce pouvoir d'appréciation de la HADOPI se retrouve enfin s'agissant de la durée de conservation des données puisqu'en vertu de l'article L.331-36, la commission « peut » conserver les données techniques « pendant la durée nécessaire à l'exercice » de ses compétences et « au plus tard, jusqu'au moment où la suspension de l'accès prévue... a été entièrement exécutée ».Il n'est pas inutile, à cet égard, de mentionner qu'en Allemagne, la durée de conservation des données de connexions est de six mois et que la Cour constitutionnelle de Karlsrühe a limité leur consultation aux infractions les plus graves telles que les abus sexuels ou les actes de terrorisme.

La seule limite générale fixée au pouvoir d'appréciation de la commission de protection des droits est posée à l'alinéa créant l'article L.331-25 et consiste pour le législateur à préciser que les mesures prises par cette commission seront « limitées à ce qui est nécessaire pour mettre un terme au manquement à l'obligation... ». Ici encore, le législateur s'est coupablement abstenu de clarifier les termes utilisés rendant, de ce fait, imprévisibles et aléatoires les rigueurs qui seront jugées nécessaires pour atteindre l'objectif posé par la loi.

d - Cette marge de manoeuvre expose non seulement les « abonnés » à l'arbitraire de cette autorité, mais risque en outre d'entraîner des atteintes caractérisées au principe d'égalité.

En conférant à cette autorité un tel pouvoir d'appréciation, le législateur expose les citoyens à une application différenciée de la loi, contraire au principe d'égalité posé par l'article 6 de la Déclaration de 1789.

Votre juridiction a rappelé, à de nombreuses reprises, que « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons tenant à l'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit » (voir notamment votre décision 2006-540 DC du 27 juillet 2006). Or, l'article L.331-26 prévoit que les recommandations ne seront pas systématiquement envoyées aux abonnés suspectés.

S'agissant du choix de la sanction, l'article L.331-27 de la loi prévoit qu'il sera « fonction de la gravité des manquements et de l'usage de l'accès », sans préciser la signification de ces termes.

A cet égard, la loi autorise une différence de traitement entre les abonnés sans préciser les différences objectives de situations susceptibles de la justifier puisqu'elle omet de préciser les critères permettant à la commission de sanctionner plus ou moins sévèrement les « abonnés ». A titre d'exemple, en séance, le rapporteur de la commission des lois a précisé, à propos des difficultés encourues par les artisans, que la situation professionnelle de l'abonné serait prise en compte. Cela introduirait, de fait, une inégalité de traitement entre personnes physiques et personnes morales au regard de la situation de chacun. Il eut été opportun, par exemple, que le législateur précise explicitement que, dans son appréciation de la sévérité et le choix de la sanction, la Commission de protection des droits prend en considération le fait que les abonnés aient cherché ou non à réaliser des profits ou qu'ils aient ou non acheté les oeuvres qu'ils ont téléchargées illégalement.

Ainsi, du fait des lacunes de la loi, risquent de se développer des différences de traitements constitutifs d'une rupture d'égalité devant la loi contraire à l'article 6 de la Déclaration des droits de 1789.

Au demeurant, ce système de sanction aléatoire contrevient, à l'évidence, à l'exigence de prévisibilité de la loi et place les citoyens dans une situation d'insécurité juridique contraire aux articles 4, 5 et 16 de la déclaration de 1789. Il contrevient ainsi au principe de légalité des délits et des peines qui exige une prévisibilité minimale des sanctions qui seront appliquées.

Enfin, un tel dispositif de sanction aléatoire se conjugue mal avec un système de sanction massive. Le 17 février 2009, à l'occasion de son audition, ouverte à la presse, par la commission des lois et la commission des affaires culturelles familiales et sociales de l'Assemblée nationale, la Ministre de la Culture et de la Communication a ainsi déclaré : « Nous partons d'une hypothèse de fonctionnement de 10.000 courriels d'avertissement par jour, 3.000 lettres recommandées d'avertissement par jour et 1000 décisions par jour »[20]. Compte tenu de l'importance quantitative des cas que la HADOPI aura à traiter et à juger, vous admettrez que les auteurs de la présente saisine s'interrogent légitimement sur la manière dont cette autorité choisira ou non de poursuivre les abonnés suspectés ainsi que sur les modalités de traitement des dossiers lui permettant de déterminer la sanction qui conviendra à chaque cas.

Si cette marge d'appréciation peut être de nature à rassurer les membres de votre juridiction, elle ne doit pas faire illusion. Ce pouvoir de modulation de la sanction aurait pu être, en effet, destiné à garantir l'individualisation des sanctions. Pourtant, l'adaptation de la sanction à chaque cas relève d'une impossibilité pratique dans le cadre d'un tel système. En définitive, le dispositif mis en place constitue un système de sanction automatique déguisé puisqu'il sera matériellement impossible de procéder à une individualisation des peines prononcées. Dès lors, la marge d'appréciation laissée à la HADOPI risque d'être utilisée, mais selon des méthodes déterminées de manière discrétionnaire par cette autorité.

Pour ces motifs, les dispositions visées appellent une censure de votre juridiction.

9. Une atteinte caractérisée au principe du respect des droits de la défense et au droit à un recours effectif.

L'article 16 de la Déclaration de 1789 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Votre juridiction a logiquement déduit de cette disposition qu'il appartient au législateur de garantir « le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable, ainsi que les droits de la défense lorsqu'est en cause une sanction ayant le caractère d'une punition » (votre décision 2006-540 DC du 27 juillet 2006).

Or, le dispositif de l'article L.331-26 alinéa 3 méconnaît le principe du respect des droits de la défense qui constitue, selon votre juridiction, « un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » (décision 89-260 DC du 28 juillet 1989). Ce principe implique notamment, selon les termes de votre jurisprudence, « l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties » (même décision). Or, la disposition en cause prévoit que les recommandations adressées par la commission de protection des droits « ne divulguent pas le contenu des œuvres ou objets concernés » par le manquement. Elles ne mentionnent que la date et l'heure auxquelles les faits ont été constatés. Dans ces conditions, l'abonné ne disposera pas des informations lui permettant de savoir ce qui lui est reproché, créant ainsi un déséquilibre au profit de la commission dans le cadre de la procédure contradictoire. L'effectivité du respect des droits de la défense suppose, en effet, la reconnaissance du droit de connaître les faits qui sont reprochés. Or, ce n'est qu'à la demande expresse de l'abonné, que ce dernier pourra obtenir « des précisions sur le contenu des œuvres ou des objets concernés... ».

Le dispositif de l'article L.331-26 alinéa 4 porte en outre manifestement atteinte au droit fondamental à un recours effectif. En vertu de votre jurisprudence, il résulte de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction (voir notamment la décision 96-373 DC du 9 avril 1996). En prévoyant que le bien fondé des recommandations ne pourra être contesté qu'à l'appui d'un recours dirigé contre une décision de sanction prononcée en application de l'article L.331-27, cette disposition prive les abonnés du droit effectif à un recours. En effet, vous avez estimé que ce droit devait être garanti dès lors qu'était en cause le prononcé d'une « sanction ayant le caractère d'une punition ». Nonobstant l'utilisation par le législateur du terme « recommandation », ces dernières s'intègrent au dispositif de sanction graduée et constituent ainsi une décision faisant grief qui devrait être susceptible de recours. En effet, ces recommandations n'apparaissent pas comme de simples rappels de la loi mais plutôt comme des actes administratifs qui produisent des effets dans la sphère juridique des titulaires de l'accès à Internet. Elles font grief puisqu'elles sont un préalable sans lequel une sanction ne peut pas être prononcée. L'impossibilité de former un recours contre ces recommandations placera les abonnés dans une situation où ils n'auront pas l'occasion de pouvoir établir une erreur matérielle, ce qui à l'évidence est susceptible de porter gravement atteinte au droit à un recours effectif protégé par votre juridiction. Le droit à un procès équitable et les droits de la défense doivent pouvoir s'exercer dès la réception de la première recommandation, sauf à interdire à des personnes innocentes de faire valoir leur droit avant que la sanction ne soit rendue. Il importe, à cet égard, de préciser que la possibilité offerte, à ce stade, aux abonnés de formuler des observations n'est assortie d'aucune procédure permettant d'en prendre compte en annulant le déclenchement du mécanisme de sanction graduée.

Il convient, en outre, d'ajouter que le caractère aléatoire du dispositif méconnaît le principe du respect des droits de la défense dans la mesure où la première recommandation est envoyée par le biais d'un simple e-mail sans que soit garantie sa réception certaine par l'abonné destinataire. Le caractère peu fiable de cet envoi par e-mail semble pour le moins incompatible avec la gravité de la sanction encourue. A cet égard, il n'est pas inutile de rappeler que de nombreux abonnés utilisent une autre adresse e-mail que celle fournie par le fournisseur d'accès pour ne pas avoir à en changer en cas de changement de FAI, alors que le dispositif prévoit que c'est à cette dernière adresse que sera envoyée cette première recommandation. Le législateur semble d'ailleurs lui-même avoir pris conscience du caractère peu fiable d'un envoi simple par mail puisqu'il a prévu que la deuxième recommandation pouvait être envoyée dans des conditions offrant les garanties nécessaires d'une réception par l'abonné. Ici encore, l'introduction de tels aléas dans le dispositif prévu par le législateur expose, de manière sérieuse, les destinataires au risque d'un traitement différencié lors de l'application de la loi. Les abonnés n'ayant pas eu connaissance de ces deux recommandations ne seraient, en effet, pas en mesure « d'envoyer des observations à la commission des droits » comme le permet la loi.

Enfin, le principe de présomption d'innocence est méconnu dès lors que l'article L.331-37 prévoit l'inscription automatique dans un fichier de tous les internautes suspectés. Chaque jour, ces 10 000 suspects feront ainsi l'objet d'une collecte d'informations personnelles, sans qu'ils aient pu, à ce stade de la procédure, justifier de leur bonne foi ou de tout autre motif d'exonération prévu par la loi.

D'une manière générale, le dispositif mis en place se traduit par une robotisation de la justice incompatible avec les exigences précédemment citées du droit à un procès équitable, du respect des droits de la défense et de la présomption d'innocence. La saisine de la HADOPI se fera, semble t-il, sur le fondement d'un relevé d'adresse IP opéré par des logiciels informatiques. Le fichier créé par la HADOPI prendra ensuite le relais afin de permettre l'inscription de données nominatives concernant les abonnés suspectés. Il est, par ailleurs, probable que l'envoi de courriers électroniques destinés à avertir les abonnés dans le cadre de la « riposte graduée », s'appuiera sur un système automatisé afin de répondre aux objectifs quantitatifs poursuivis par le Gouvernement. Il appartient à votre juridiction de se prononcer sur la compatibilité d'un tel système avec l'ensemble des principes constitutionnels en vigueur.

Pour ces motifs, les dispositions visées appellent une censure de votre juridiction.

10. L'instauration d'une présomption de culpabilité. L'imputabilité des actes de téléchargement et l'atteinte caractérisée au principe de personnalité des délits et des peines.

L'article 11 de cette loi méconnaît l'interdiction des peines automatiques et porte, en conséquence, atteinte au principe de nécessité des peines posé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi qu'aux principes de personnalité des peines et de responsabilité personnelle.

La stratégie consistant pour le législateur à créer un manquement à l'obligation de surveillance plutôt que d'affirmer sa volonté de sanctionner un délit de mise à disposition d'un fichier d'oeuvres protégées ne doit pas faire obstacle à l'application du principe de présomption d'innocence. En effet, ce choix permet au législateur d'assumer le fait que la personne qui a commis l'infraction, peut être une autre personne que le titulaire de l'abonnement. Pourtant, dès lors que la sanction prévue a le caractère d'une punition, il importe que les abonnés soient protégés par l'ensemble des garanties procédurales ayant valeur constitutionnelle et qu'ils ne soient pas inquiétés pour des faits qu'ils n'ont pas commis.

Aux termes de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Vous avez jugé qu'il résultait de cette disposition « qu'en principe le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive ; que, toutefois, à titre exceptionnel, de telles présomptions peuvent être établies, notamment en matière contraventionnelle, dès lors qu'elles ne revêtent pas de caractère irréfragable, qu'est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l'imputabilité ». (décision 99-411 DC du 16 juin 1999).

Vous avez enfin jugé que ces exigences constitutionnelles « ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle » (Décision n°93-325 DC précitée du 13 août 1993).

Or, cette loi met en place un système de présomption de culpabilité des abonnés. Le manquement sera, en effet, établi sur le seul fondement d'une adresse IP relevée sur un site d'échange de « pair à pair ». Or, les adresses IP sont relevées par sondage à un instant T, à partir d'une liste les proposant comme supposées contenir les œuvres recherchées pour téléchargement illicite. Toutefois, la loi n'impose pas que les sociétés relevant ces adresses IP, dans le cadre de la surveillance du réseau, vérifient que l'ordinateur censé proposer l'œuvre à télécharger le fasse réellement. Il peut donc y avoir des erreurs de relevé d'adresses car il est impossible d'aller au bout de la surveillance. Le grief va donc se fonder sur un soupçon de proposition de mise à disposition pour téléchargement et non sur la preuve de l'acte même de mise à disposition. A cet égard, le délit de manquement à l'obligation de surveillance créé par la loi, ne pourrait être matériellement constaté que si le disque dur de l'ordinateur de l'abonné était saisi et que l'on constatait les traces d'un téléchargement illégal. Le rapport CEDRAS commandé par le ministère de la Culture explique ainsi : « la question est commune à toutes les contrefaçons par téléchargement, quelles qu'en soient l'ampleur ou la gravité, l'imputabilité des actes à un internaute particulier, condition essentielle de sa responsabilité pénale ou civile, est impossible à établir sans la visite de son disque dur ». On peut en déduire a contrario que le seul moyen pour les abonnés suspectés de prouver leur innocence consistera à livrer leur disque dur, c'est-à-dire l'ensemble des données personnelles qu'il contient, à la HADOPI. Or derrière une box, il y a plusieurs ordinateurs donc plusieurs disques durs. Comment sera-t-il possible de prouver quel est l'ordinateur qui a procédé au téléchargement en cause ? De toute évidence, en déduisant le manquement à cette obligation de surveillance de simples traces d'adresses IP collectées sur des sites d'échange « pair à pair », le législateur institue sans conteste une présomption de culpabilité. Il n'est d'ailleurs pas anodin de constater que la formulation choisie par le législateur trahit largement cette présomption de culpabilité puisqu'il évoque à l'article L.331-26 « les faits susceptibles de constituer un manquement à l'obligation définie à l'article L. 336-3 ». Or, en vertu du principe constitutionnel de présomption d'innocence, il appartient à celui qui porte l'imputation d'apporter la preuve de la matérialité et de la réalité du manquement.

Cette présomption ne pourra être renversée que dans les cas de force majeure ou si l'internaute a mis en oeuvre l'un des moyens de sécurisation visés à l'article L. 331-32. Il convient ici de constater que cette obligation de surveillance est potentiellement discriminante dans la mesure où son respect est largement dépendant des compétences informatiques de chaque abonné puisqu'il sera nécessaire d'installer et de mettre à jour régulièrement ce logiciel de sécurisation.

A cet égard, il est notable que si le législateur n'a pas entendu imposer l'utilisation des logiciels de sécurisation, leur installation constituera une garantie en termes de sécurité juridique. Dans ces conditions et dès lors que le législateur a refusé de consacrer le principe de la gratuité de ces logiciels, l'application de la loi conduira à une rupture d'égalité entre ceux qui pourront accéder à ce service payant et les autres. Il importe également de préciser que les internautes utilisant des logiciels libres risquent d'être discriminés en matière d'accès aux logiciels de sécurisation au demeurant incompatibles avec les logiciels libres, dont le principe même est d'être coopératif et, de fait, de reposer sur des logiciels dont les codes sources sont ouverts et peuvent être modifiés.

Enfin, la possibilité pour l'internaute de s'exonérer de sa responsabilité, dans les cas où le téléchargement illégal est le fait d'une personne ayant frauduleusement utilisé son accès à Internet, soulève la délicate question de la preuve d'une intrusion malveillante dans les systèmes informatiques. Les experts s'accordent à reconnaître que le fait de pouvoir s'introduire dans un système implique la possibilité d'effacer les traces de cette intrusion. Ainsi, le dispositif mis en place par le législateur constitue de manière déguisée une présomption irréfragable et méconnaît le respect des droits de la défense.

Enfin, la vraisemblance de l'imputabilité n'est pas acquise. D'une part, les systèmes d'accès transitant par des « box » permettent de disposer d'une connexion disponible pour plusieurs ordinateurs. Ainsi, qu'il s'agisse du cadre familial ou de colocation, la sanction prononcée en cas de manquement à l'obligation définie à l'article 11 de la loi, sera mécaniquement applicable à tous les habitants d'un même logement partageant une connexion commune. D'autre part, ainsi que nous l'avons précédemment souligné, il apparaît que les adresses IP ne sont nullement fiables et qu'elles peuvent être facilement piratées et utilisées par des internautes « malveillants »[21]. A cet égard, il n'est pas inutile de signaler à votre juridiction que des « pirates informatiques » ont annoncé leur intention, « pour contrer l'industrie dans leur surveillance des sites d'annonce », d'ajouter des adresses de faux participants dans leur liste d'annonce[22]. Une étude menée par l'Université de Washington a permis de démontrer qu'il était aisé de faire accuser un internaute innocent en fournissant son adresse IP[23]. Le risque de se voir accuser à tort est donc réel et il est quasiment impossible de prouver son innocence. Il convient ici d'insister sur le fait que lors d'un téléchargement sur un site de « pair à pair » c'est l'adresse IP de la Box et non celle de l'ordinateur qui est affichée. On conçoit ainsi que l'identification d'un internaute par le biais de son adresse IP soit jugée techniquement aléatoire et incertaine. C'est précisément pour cette raison que le tribunal de Guigamp a jugé, le 23 février 2009, que la seule adresse IP ne permettait pas de prouver la culpabilité, les boitiers combinant accès Internet/téléphonie/télévision (Box) étant facilement piratables[24]. A cet égard, le logiciel permettant de renverser la présomption de culpabilité ne permettra nullement de protéger efficacement les internautes connectés en WIFI puisque c'est la Box qui est attaquée dans ce cas et non l'ordinateur.

La Ministre de la Culture et de la Communication, à plusieurs reprises lors des débats, a indiqué que les box devraient être sécurisées. Outre que cela n'existe pas à l'heure actuelle et ne semble pas si facile techniquement, cela impliquera aussi une rupture d'égalité entre les abonnés locataires de leur box, qui pourront alors se tourner vers leur FAI si cela devient obligatoire, et ceux qui, ayant procédé à l'achat de leur box, n'auront pas les compétences techniques pour effectuer cette mise à niveau. Sans compter les cas où les connexions s'effectuent par des routeurs, qui sont tous situés aujourd'hui à l'étranger et qui n'auront donc aucune raison d'appliquer la loi française. Les abonnés dépendant de ces routeurs ne pourront donc justifier de cette sécurisation de leur connexion à Internet.

Il est, par ailleurs, vraisemblable que, de même que les logiciels antivirus ne sont pas mis à jour par nombre d'utilisateurs d'ordinateurs peu au fait de toutes ces techniques, ces logiciels dits « de sécurisation » ne le soient pas plus, donnant ainsi l'assurance d'une fausse sécurité.

Dans ces conditions, rien ne garantit que l'application de cette loi n'entrera pas en contradiction avec l'article 2 de la loi du 6 janvier 1978 en vertu duquel : « aucune décision administrative ou privée impliquant une appréciation sur un comportement humain ne peut avoir pour seul fondement un traitement automatisé d'informations donnant une définition du profil ou de la personnalité de l'intéressé ». Or, vous pourrez aisément constater que cette disposition législative constitue une garantie essentielle du respect de l'exigence constitutionnelle de sécurité juridique et du principe constitutionnel de la présomption d'innocence alors qu'en vertu de votre jurisprudence, le législateur ne peut supprimer de telles garanties sans les remplacer par des garanties équivalentes (voir notamment votre décision 86-210 DC du 29 juillet 1986).

Pour ces motifs, les dispositions visées appellent une censure de votre juridiction.

11. L'article 10 viole le principe de proportionnalité et porte atteinte à la liberté d'expression

L'article 10 prévoit qu' « en présence d'une atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d'un service de communication au public en ligne, le tribunal de grande instance, statuant le cas échéant en la forme des référés, peut ordonner à la demande des titulaires de droits sur les œuvres et objets protégés, de leurs ayants droit, des sociétés de perception et de répartition des droits visées à l'article L. 321-1 ou des organismes de défense professionnelle visés à l'article L. 331-1, toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d'auteur ou un droit voisin, à l'encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier. »

Une telle disposition méconnaît, d'une part, le principe de proportionnalité et, d'autre part, la liberté d'expression.

a - L'article 10 de la loi viole le principe général de proportionnalité

Le Conseil constitutionnel a, à plusieurs reprises, consacré le principe de proportionnalité. Ainsi, dans sa décision du 21 février 2008 relative à la rétention de sûreté, le Conseil a précisé que des dispositions légales qui peuvent porter atteinte à l'exercice de libertés « doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à l'objectif de prévention poursuivi ».

Il convient de préciser que cet article 10 se substitue à l'actuel article L. 332-1, 4 ° du Code de la propriété intellectuelle qui fixe le régime de responsabilité des intermédiaires techniques et l'obligation pour ces derniers de retirer le contenu litigieux qui leur serait signalé. Or, sur le fondement des dispositions de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (article 6-I-8), joue un principe de subsidiarité selon lequel l'autorité judiciaire peut prescrire aux hébergeurs éventuellement responsables, et à défaut aux fournisseurs d'accès à internet, toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne. Cette disposition qui visait à transposer en droit interne les articles 14 et 15 de la directive 2000/31/ce du 8 juin 2000 constituait une garantie légale destinée à éviter que des mesures disproportionnées soient prises pour faire cesser des atteintes graves à l'ordre public sur Internet. En effet, cette subsidiarité permettait d'assurer la proportionnalité des moyens mis en œuvre puisqu'elle permettait d'aller au plus près de la source litigieuse.

A cet égard, les termes utilisés par l'article 10 sont d'une telle généralité qu'ils exposent les destinataires de cette disposition à des rigueurs non nécessaires et à des sanctions disproportionnées.

D'une part, cet article 10 procède à une identification trop floue des personnes susceptibles d'être concernées, puisqu'il vise « toute personne susceptible de contribuer » à faire cesser l'atteinte. Ainsi, l'emploi du mot « susceptible » laisse à penser qu'il ne sera pas nécessaire de prouver que le tiers pourra effectivement remédier à l'atteinte. Tout fabricant ou fournisseur de l'infrastructure de base à l'Internet, par exemple les fabricants des équipements nécessaires à la transmission en ligne (serveurs, routeurs, canaux de transmission, etc.) ainsi que des logiciels permettant à ces équipements de fonctionner, mais aussi ceux qui achètent, placent et gèrent ces équipements et logiciels (un opérateur de télécom, etc.) peuvent indirectement « contribuer » à trouver un remède aux infractions commises en ligne et pourraient donc faire l'objet d'une action devant le tribunal de grande instance.

D'autre part, cette disposition évoque de manière extrêmement vague « toute mesure » propre à faire cesser une telle atteinte sans préciser les limites qui devront s'imposer au juge eu égard au type de mesures, à leur objet ou à leur durée. Dans ces conditions rien n'exclut que cette disposition puisse constituer notamment un point d'appui à des mesures de filtrage. Ainsi, l'expression « toute mesure » ne garantit pas le caractère proportionné des mesures qui pourront être ordonnées par le juge.

Enfin et compte tenu de l'imprécision et de la généralité des termes utilisés par le législateur, cet article méconnaît le principe constitutionnel de clarté de la loi ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi (votre décision 2004-500 DC). Cette imprécision entraîne, en effet, un risque certain d'arbitraire dans la mesure où elle reporte sur le tribunal de grande instance le soin de fixer les règles dont la détermination a pourtant été confiée par la Constitution à la loi. Elle porte ainsi manifestement atteinte à l'exigence constitutionnelle de prévisibilité du droit et de sécurité juridique.

b - L'article 10 de la loi viole la liberté d'expression

Selon les termes de votre jurisprudence, la liberté d'expression constitue « une liberté fondamentale d'autant plus précieuse que son exercice est l'une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés » (votre décision 84-181 DC).

Or, l'article 10 de la loi pourrait conduire à freiner la liberté d'expression.

Premièrement, la possibilité de bloquer, par des mesures et injonctions, le fonctionnement d'infrastructures de télécommunications (allant donc au-delà des hébergeurs et fournisseurs d'accès à Internet) pourrait priver beaucoup d'utilisateurs d'Internet du droit de recevoir des informations ou des idées, droit qui est protégé par la liberté d'expression. La liberté d'expression peut, en effet, fonder un droit d'accès à Internet, au sens du droit de bénéficier de l'infrastructure nécessaire pour avoir accès aux ressources en ligne. A cet égard, les mesures que le tribunal de grande instance pourrait prendre, en vertu de l'article 10 de la loi sont susceptibles, à travers le blocage d'une partie du réseau, de restreindre la liberté de recevoir des informations accessibles sur Internet.

Deuxièmement, les personnes, potentiellement visées par l'article 10, dont le champ d'application est large et incertain, n'auront d'autre choix que de prendre des mesures préventives afin d'éviter d'être tenues responsables de violations du droit d'auteur auxquelles elles seraient en réalité tout à fait étrangères. En effet, beaucoup de personnes pourraient réagir à cette incertitude et à ce risque juridique en prenant des mesures restrictives de l'accès (par exemple, un filtrage automatique pour un certain protocole) fondées sur de pures conjectures quant à leur responsabilité potentielle. Une telle attitude risque de freiner, de manière injustifiée, l'accès à des informations disponibles en ligne et donc de porter atteinte à la liberté d'expression.

Pour ces motifs, cet article appelle une censure de votre juridiction.

***

Cette saisine n'a d'autre vocation que d'attirer l'attention de votre juridiction sur les dangers de cette loi eu égard aux libertés et droits fondamentaux des citoyens. La mise en oeuvre du dispositif ainsi créé pourrait conduire à une application arbitraire de la loi entraînant une violation du droit au respect de la vie privée, une méconnaissance du principe d'égalité des citoyens et la mise à l'écart de nombreuses garanties procédurales ayant valeur constitutionnelle. De telles menaces apparaissent définitivement injustifiées dès lors que cette loi n'a d'autre objet que la protection de la propriété intellectuelle.

Par ces motifs et tous autres à déduire ou suppléer même d'office, les auteurs de la saisine vous demandent de bien vouloir invalider les dispositions ainsi entachées d'inconstitutionnalité.

Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Membres du Conseil Constitutionnel, en l'expression de notre haute considération.

ANNEXE 1

Même s'il ne revient pas au Conseil Constitutionnel d'effectuer un contrôle de conventionalité, il est nécessaire de prendre en compte la législation et la jurisprudence européennes ainsi que les débats actuels afin d'éviter de futures contrariétés entre les législations nationale et communautaire.

Tout d'abord, les observations de la commission européenne sur le projet de loi dans le cadre de la procédure de notification[25] n'ont pas été prises en compte par le Gouvernement alors même que la commission précise que « les autorités françaises sont invitées à prendre en considération les remarques qui [suivent] ainsi qu'à fournir les clarifications demandées avant de procéder à l'adoption de leur projet notifié ». Cette non prise en considération pose la question d'une possible condamnation de la France par la CJCE (Cour de Justice des communautés européennes) pour violation du droit communautaire, voire par la CEDH (Cour européenne des droits de l'Homme) pour non respect du droit à un procès équitable.

Par ailleurs, il est possible d'évoquer la résolution du Parlement européen adoptée le 10 avril 2008 sur les industries culturelles en Europe (586 voix pour, 36 contre et 12 abstentions). Cette résolution met en avant deux principes intéressants. Tout d'abord, les députés européens ont souligné que « la criminalisation des consommateurs qui ne cherchent pas à réaliser des profits ne constitue pas la bonne solution pour combattre le piratage numérique ». Par ailleurs, le Parlement européen « engage la Commission et les États membres à éviter l'adoption de mesures allant à l'encontre des droits de l'homme, des droits civiques et des principes de proportionnalité, d'efficacité et d'effet dissuasif, telles que l'interruption de l'accès à Internet ».

Cette résolution est à mettre en perspective avec l'arrêt « Promusicae » de la Cour de Justice des Communautés Européennes du 29 janvier 2008 en matière de protection des droits de propriété intellectuelle. La CJCE a précisé que le droit communautaire exige des Etats membres le respect du principe de proportionnalité et a rappelé la nécessité de conciliation du droit de propriété intellectuelle avec les droits fondamentaux, tel que le droit au respect de la vie privée. Par conséquent, il semble déjà acquis au niveau européen que la riposte graduée aboutissant à une coupure de l'accès internet est une mesure disproportionnée, en contradiction avec les principes généraux du droit communautaire.

Enfin, dans le cadre de l'examen du « Paquet Telecoms », il est nécessaire de souligner l'adoption au Parlement européen, en première et en seconde lecture, à une très large majorité tous groupes confondus, de l'amendement 138-46. Celui-ci précise qu'« aucune restriction aux droits fondamentaux des utilisateurs (d'Internet) ne peut intervenir sans une décision préalable de l'autorité judiciaire. » Viviane Reding, commissaire européenne en charge du « Paquet Telecoms » a rappelé que pour la Commission européenne, cet amendement est « un rappel important de principes essentiels du droit qui régissent l'ordre juridique communautaire et, en particulier, des droits fondamentaux des citoyens »[26].

L'ensemble de ces éléments suscite des interrogations légitimes quant à la pérennité et la compatibilité de la présente loi avec le droit communautaire.

Enfin, le contexte international doit être pris en compte concernant la présente loi tant celle-ci semble à contre-courant. Il est à cet égard possible de mentionner le refus de la riposte graduée notamment en Allemagne[27], au Danemark et en Suède[28] et le recul en Nouvelle-Zélande[29] et en Grande Bretagne[30].

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[1] Voir annexe 1
[2] Voir notamment le rapport officiel de l'OCDE sur la question : http://www.oecd.org/dataoecd/11/54/34992262.pdf
[3] Voir notamment un rapport public commandé par le Gouvernement néerlandais qui conclut que « le téléchargement illégal a un effet global positif sur la bonne santé de l'économie. » : http://www.ivir.nl/publicaties/vaneijk/Ups_And_Downs_authorised_translation.pdf. Un autre rapport public commandé par le Gouvernement canadien démontre que les utilisateurs de logiciels « pair à pair » achètent plus de musique que ceux qui n'échangent pas : http://www.ic.gc.ca/eic/site/ippd-dppi.nsf/eng/h_ip01456.html.
[4] Dans une décision 2000-441 DC du 28 décembre 2000, votre juridiction a censuré la disposition prévoyant l'élargissement de l'assiette de la taxe générale sur les activités polluantes à l'électricité, au charbon, au pétrole et au gaz au motif que pour lutter contre l'effet de serre, la mesure ne semblait pas appropriée puisque l'électricité était à 95 % d'origine nucléaire et que cette énergie ne participe pas à la propagation de l'effet de serre.
[5] Guillaume Merland a pu estimer à cet égard que cette décision remettait en cause « toute l'argumentation du législateur » Guillaume Merland, « L'intérêt général dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », in L'intérêt général dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Colloque organisé par le Conseil constitutionnel. Dans le même sens, P. de Montalivet a pu déduire de votre jurisprudence qu'« il en résulte que pèse sur le législateur une obligation qui lui assigne d'être en cohérence avec les objectifs qu'il poursuit (...) ». Les objectifs de valeur constitutionnelle. p.396. E.Zoller évoque pour sa part la mesure du Conseil constitutionnel qui « refuse de s'aventurer sur le terrain politique » en contrôlant « les finalités poursuivies par le législateur » et qui se cantonne à « un contrôle limité aux moyens employés pour les atteindre », E. ZOLLER, Droit constitutionnel, 1ère éd., PUF, 1998, p.249.
[6] Voir à cet égard le rapport CEDRAS commandé par le ministère de la culture relatif au dispositif envisagé de riposte graduée face au téléchargement qui rend compte du caractère inapplicable, inefficace d'une telle solution : http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/malraux_fr ? ACTION=CHERCHER& FIELD_2=AUTR& VALUE_2=CEDRAS%20JEAN
[7] Les adresses IP sont des numéros d'immatriculation utilisés pour identifier un équipement informatique connecté à Internet. Dans le cas du relevé d'adresse prévu dans le cadre de cette loi, il s'agira plus souvent de l'adresse IP du boitier de connexion (ci-après Box) que de celle de l'ordinateur connecté.
[8] A cet égard, une étude menée par l'Université de Washington a permis de démontrer qu'il était aisé de faire accuser un internaute innocent en fournissant son adresse IP. Voir l'étude de Michael Piatek, Tadayoshi Kohno et Arvind Krishnamurthy, cité par H.BITAN, « Premières observations sur le projet de loi Création et internet », Revue Lamy, Droit de l'immatériel, n°40, juillet 2008.
[9] Les membres de votre juridiction pourront aisément le constater en posant la question sur n'importe quel moteur de recherche : « Comment contourner HADOPI  ». Il est possible néanmoins de citer l'exemple des serveurs proxys qui sont utilisés comme intermédiaires entre l'ordinateur utilisé et l'ordinateur auquel on veut se connecter ou encore les VPN (Virtual Private Network). Dans les deux cas, ce sera l'adresse IP du proxy ou du VPN qui apparaîtra et non celle de l'internaute. Les newsgroups, les réseaux « friend-to-friend » fonctionnant par cooptation, le streaming ou encore les échanges physiques sont également d'autres moyens d'échapper à l'application de la présente loi.
[10] Avis n° 2008-0547 de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes en date du 6 mai 2008 sur le projet de loi relatif à la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet.
[11] A titre d'exemple, en ce qui concerne l'établissement des listes d'abonnés dans le cadre de l'annuaire universel, l'ARCEP avait accordé un délai de 9 mois aux opérateurs pour adapter leurs systèmes d'information à compter de la publication du texte au Journal officiel de la République française.
[12] Voir notamment le 23 ° de l'article R92 sur l'obligation de remboursement, l'article R213-1 du code de procédure pénale et l'arrêté du 22 août 2006 concernant les montants.
[13] Voir, à cet égard, le rapport du Conseil Général des Technologies de l'Information relatif à ce projet de loi. Rapport n°IV-3.3-2008 de décembre 2008, p.2.
[14] Vous avez estimé, dans votre décision 2000-441 DC du 28 décembre 2000, que les coûts résultant du concours apporté aux opérateurs à la sauvegarde de l'ordre public ne sauraient leur incomber directement.
[15]« Dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État, la Haute Autorité attribue aux offres proposées par des personnes dont l'activité est d'offrir un service de communication au public en ligne un label permettant aux usagers de ce service d'identifier clairement le caractère légal de ces offres. Cette labellisation est revue périodiquement »
[16] L'article 19 de la loi dispose en effet : « Les mesures prévues par les articles L. 331-27 et L. 331-28 du code de la propriété intellectuelle, dans leur rédaction résultant de la présente loi, ne peuvent être prises que si le nouveau manquement, faisant suite à ceux qui ont justifié l'adresse des recommandations mentionnées à l'article L. 331-26 du code de la propriété intellectuelle, a été commis après l'expiration d'un délai de trois mois suivant la première publication, par la Haute Autorité, de la liste mentionnée à l'article L. 331-32 du même code, dans sa rédaction résultant de la présente loi. »
[17] Lors de la séance du 1er avril 2009 à l'Assemblée nationale, la Ministre expliquait : « La Haute autorité sanctionne le manquement à l'obligation de surveillance, qui est le fait de l'abonné, et non pas l'acte de contrefaçon, qui est le fait du téléchargeur illégal. Or ces deux infractions peuvent être commises par deux personnes différentes, l'abonné n'étant pas nécessairement le pirate. »
[18] A cet égard, le Parlement européen a très récemment eu l'occasion d'affirmer que le droit d'accès à Internet constituait une garantie de « l'accès de tous les citoyens à l'éducation ». La recommandation du Parlement européen du 26 mars 2009 à l'intention du Conseil sur le renforcement de la sécurité et des libertés fondamentales sur Internet précise que « l'analphabétisme informatique sera l'analphabétisme du 21e siècle » et considère que « l'accès de tous les citoyens à Internet équivaut à garantir l'accès de tous les citoyens à l'éducation et qu'un tel accès ne devrait pas être refusé comme une sanction par des gouvernements ou des sociétés privées. »
[19] CNIL, 22ème rapport d'activité 2008, p.19.
[20] Rapport n°1486 de M. Riester, p. 78.
[21] Une adresse IP est très facile à usurper ainsi que l'a démontré l'UFC devant huissier : http://www.pcinpact.com/actu/news/49616-hadopi-wifi-ufc-huissier-constat.htm. Le constat d'huissier conclut« que les systèmes de connexion sans fil sécurisés n'apportent pas toujours une protection efficace contre le détournement d'adresse IP et qu'il existe de nombreux tutoriels sur Internet qui permettent à un débutant en informatique de se connecter chez un tiers par ondes Wi-Fi et ce sans que l'abonné n'ait connaissance de ces faits » L'intégralité de ce constat est consultable sur : http://www.ecrans.fr/IMG/pdf/Constat-ufc-que-choisir-wifi.pdf.
[22] Voir notamment à cet égard les articles publiés sur les sites suivant : http://torrentfreak.com/the-pirate-bay-tricks-anti-pirates-with-fake-peers-081020/ http://opentracker.blog.h3q.com/2007/02/12/perfect-deniability/ http://www.generation-nt.com/pirate-bay-fausses-adresses-ip-fake-peer-hadopi-piratage-actualite-174671.html
[23] Voir l'étude de Michael Piatek, Tadayoshi Kohno et Arvind Krishnamurthy, cité par H.BITAN, « Premières observations sur le projet de loi Création et internet », Revue Lamy, Droit de l'immatériel, n°40, juillet 2008.
[24] Lors de l'audience, l'accusé a déclaré : « Allez juste faire un tour sur internet et vous verrez qu'il existe des forums où on vous explique comment pirater une Livebox. Et ce n'est pas bien compliqué ».
[25] procédure prévue à l'article 8, paragraphe 2, de la directive 98/34/CE
[26] communiqué du 7 novembre 2008
[27] La ministre fédérale allemande de la Justice a affirmé début février 2009 : « Je ne pense pas que (la riposte graduée) soit un schéma applicable à l'Allemagne ou même à l'Europe. Empêcher quelqu'un d'accéder à l'Internet me semble être une sanction complètement déraisonnable. Ce serait hautement problématique d'un point de vue à la fois constitutionnel et politique. Je suis sûre qu'une fois que les premières déconnexions se produiront en France, nous entendrons le tollé jusqu'à Berlin. »
[28] Lena Adelsohn Liljeroth et Beatrice Ask, ministres suédois de la Culture et de la Justice sont catégoriques : « La proposition dans le rapport Renfors de donner aux FAI le droit et l'obligation de couper les abonnements à Internet des internautes dont la connexion a été utilisée de façon répétée pour des violations du copyright a été fortement critiquée. Beaucoup ont noté que la coupure d'un abonnement à Internet est une sanction aux effets puissants qui pourrait avoir des répercussions graves dans une société où l'accès à internet est un droit impératif pour l'inclusion sociale. Le gouvernement a donc décidé de ne pas suivre cette proposition. ». Ils ajoutent : « les lois sur le copyright ne doivent pas être utilisées pour défendre de vieux modèles commerciaux ». Actuellement, les fournisseurs d'accès à Internet font de la résistance contre la loi adoptée le 1er avril 2009 et se sont déclarés opposés à la transmission des adresses IP de leurs clients.
[29] Alors que la Nouvelle-Zélande avait annoncé la mise en place d'un système de riposte graduée (résiliation des abonnés ayant téléchargé une fois ou plus des œuvres protégées par le copyright) pour le 28 février 2009, ce projet a été suspendu mi-février.
[30] David Lammy, le ministre anglais en charge de la propriété intellectuelle, dans les colonnes du Times en janvier 2009 a souligné qu' « on ne peut pas avoir un système où on parle d'arrêter des adolescents dans leur chambre ». Pour David Lammy, il ne faut pas confondre la contrefaçon organisée et le téléchargement illégal tel que le pratiquent aujourd'hui les jeunes. « Les gens peuvent louer une chambre dans un hôtel et partir avec le savon - il y a une grande différence entre partir avec un savon et partir avec la télévision. »