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Décision n° 2008-573 DC du 8 janvier 2009 - Observations du gouvernement

Loi relative à la commission prévue à l'article 25 de la Constitution et à l'élection des députés
Non conformité partielle

Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs, de deux recours dirigés contre la loi relative à la commission prévue à l'article 25 de la Constitution et à l'élection des députés, adoptée le 11 décembre 2008, en particulier ses articles 1er, 2 et 3.
Ces recours appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

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I/ SUR L'ARTICLE 1ER

A/ L'article 1er de la loi déférée fixe la composition et les règles d'organisation et de fonctionnement de la commission prévue, depuis l'intervention de la loi constitutionnelle n°2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République, à l'article 25 de la Constitution.

Les auteurs des recours font grief à cet article, d'une part, de prévoir des règles de composition qui ne rempliraient pas la condition d'indépendance énoncée à l'article 25 de la Constitution et, d'autre part, de méconnaître les exigences relatives au pluralisme formulées au 3ème alinéa de l'article 4 de la Constitution.

B/ Ces critiques ne sauraient être suivies.

1/ Le Gouvernement considère que les règles d'organisation et de fonctionnement, mais aussi de composition fixées par le législateur garantissent l'indépendance de la commission, exigée par l'article 25 de la Constitution.

Il convient de relever, à titre principal, que, comme il est habituellement procédé pour d'autres organismes auxquels le législateur a souhaité conférer l'indépendance, plusieurs règles ont été adoptées pour garantir l'indépendance de la commission. Ainsi, le législateur a décidé que le mandat des membres de la commission ne serait pas renouvelable ; il a précisé les cas et conditions dans lesquels il pourrait être mis fin au mandat d'un membre de la commission ; il a énoncé que les membres de la commission ne sauraient recevoir d'instruction d'aucune autorité ; il a garanti l'indépendance de fonctionnement de la commission, dont le président sera ordonnateur des crédits. En outre, le nouvel article L. 567-3 du code électoral créé par l'article 1er de la loi déférée prévoit une incompatibilité des fonctions de membre de la commission avec l'exercice de tout mandat électif à caractère politique.

Il faut souligner, en outre, que le nouvel article L. 567-1 du code électoral, créé par l'article 1er de la loi déférée, prévoit que la commission sera composée, en nombre égal, de personnalités qualifiées, nommées respectivement par le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat, et de membres des hautes juridictions. Cette composition paritaire et resserrée, regroupant des experts qualifiés, choisis en raison de leurs compétences techniques, et des membres du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes, constitue, dans le cas particulier de l'espèce, une traduction supplémentaire de l'exigence constitutionnelle d'indépendance de la commission.

Les modalités retenues pour désigner les membres de la commission mettent également en oeuvre cette exigence d'indépendance.

D'une part, le législateur a prévu que les membres désignés au titre des hautes juridictions seraient élus par leurs pairs, respectivement par l'assemblée générale du Conseil d'Etat pour le membre du Conseil d'Etat, par l'assemblée générale de la Cour de cassation pour le magistrat du siège de la Cour de cassation et par la chambre du conseil de la Cour des comptes pour le magistrat de cette Cour.

D'autre part, la désignation des personnalités qualifiées sera soumise à l'avis des commissions parlementaires. Le législateur organique, en adoptant la loi organique portant application de l'article 25 de la Constitution, a ainsi prévu que la désignation par le Président de la République de la personnalité qualifiée appelée à présider la commission serait soumise à la procédure prévue à l'article 13 de la Constitution, faisant intervenir les commissions compétentes des assemblées avec possibilité pour elles de s'opposer à la désignation envisagée à la majorité globale des trois cinquièmes. Le législateur a parallèlement décidé, s'agissant des personnalités désignées par le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat, de soumettre ces désignations à l'avis, respectivement, de la commission compétente de l'assemblée considérée, cette commission étant susceptible de s'opposer à la proposition de désignation à la majorité des trois cinquièmes.

Ces procédures particulières garantiront la transparence du processus de nomination et conduiront, par l'effet du contrôle exercé par le Parlement, à la désignation de personnalités reconnues et incontestables.

A cet égard, il faut observer que la circonstance que la présidence de la commission revienne de plein droit à la personnalité désignée par le Président de la République ne saurait, en soi, affecter l'indépendance de la commission. Aucune disposition constitutionnelle ni aucun principe n'imposent au législateur de prévoir que le président d'une instance indépendante serait élu par les membres de cette instance. Si la voie d'une élection a été retenue pour certaines instances, un tel mode de désignation est loin d'être général, sans que l'on puisse, de ce fait, adresser au législateur le reproche de n'avoir pas veillé à l'indépendance de l'instance mise en place.

Dans ces conditions, au vu de l'ensemble des dispositions relatives à la commission de l'article 25 adoptées par le législateur et par le législateur organique, le Gouvernement estime que la condition d'indépendance énoncée par la Constitution a été pleinement mise en oeuvre.

2/ Le Gouvernement considère, par ailleurs, qu'il ne peut être utilement soutenu que l'article 1er de la loi déférée méconnaîtrait le 3ème alinéa de l'article 4 de la Constitution garantissant « les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ».

Il importe de relever, en premier lieu, que les termes de l'article 25 de la Constitution qualifient d'« indépendante » la commission instituée par cet article, sans imposer d'autres exigences. Il résulte, d'ailleurs, très clairement des débats relatifs à l'adoption du 3ème alinéa ajouté à l'article 25 de la Constitution, et tout spécialement de la discussion lors de l'examen en première lecture à l'Assemblée nationale lors de la 2ème séance du 27 mai 2008 que, dans l'esprit du Constituant, la garantie constitutionnelle conférée par l'existence de la commission se mesure à l'aune de l'indépendance de cette dernière, à l'exclusion de tout autre critère. Le pouvoir constituant a entendu que soit garantie l'indépendance de la commission à l'égard du Gouvernement et du Parlement, ainsi que des partis et groupements politiques ; il n'a pas prévu l'institution d'une commission pluraliste, composée de représentants de différents partis et groupements politiques.

En second lieu, il faut observer que la composition de la commission prévue à l'article 25 de la Constitution n'entre pas, en tout état de cause, dans le champ d'application des dispositions ajoutées à l'article 4 de la Constitution.

Ces dernières dispositions visent, en effet, l'expression des opinions et la participation à la vie démocratique de la Nation. Les travaux parlementaires ayant conduit à leur adoption témoignent de ce que le Constituant envisageait, pour l'essentiel, deux formes de traduction pour ces nouvelles dispositions : permettre un meilleur accès aux médias de toutes les formes d'opinion ; favoriser le pluralisme démocratique, en garantissant des moyens de fonctionnement aux différents partis politiques par des règles de financement adaptées et en associant aux moments importants de la vie du pays les différents partis, même s'ils ne disposent pas de la majorité au Parlement.

Ainsi, le 3ème alinéa de l'article 4 de la Constitution n'a pas vocation à régir les modalités de composition et de fonctionnement d'une commission comme celle instituée à l'article 25 de la Constitution, pas davantage que d'autres institutions, commissions ou organes consultatifs susceptibles d'être créés par le législateur.

Le Gouvernement estime ainsi que le Conseil constitutionnel ne pourra qu'écarter les critiques adressées par les parlementaires requérants aux dispositions de l'article 1er de la loi déférée.

II/ SUR L'ARTICLE 2 :

A/ L'article 2 a pour objet d'habiliter le Gouvernement à fixer, par voie d'ordonnance, les contingents respectifs de députés élus dans les départements, les collectivités d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie et par les Français établis hors de France. Il l'habilite également à procéder à la mise à jour des circonscriptions législatives dans les départements, les collectivités d'outre-mer et la Nouvelle-Calédonie, ainsi qu'à créer les circonscriptions législatives dans lesquelles seront appelés à voter les Français établis hors de France.

Les auteurs de la saisine adressent deux reproches à cet article. Ils soutiennent tout d'abord qu'en insérant dans le même projet de loi à la fois les dispositions relatives à la création de la commission prévue par l'article 25 de la Constitution et des dispositions habilitant le Gouvernement à procéder au re-découpage des circonscriptions législatives par ordonnance, l'article 2 méconnaîtrait les exigences constitutionnelles énoncées par cet article et se trouve par ailleurs entaché d'un détournement de procédure. Il est aussi fait reproche à l'article 2 d'empiéter sur le domaine du législateur organique en permettant à la loi ordinaire de fixer des contingents de députés.

B/ Aucun de ces griefs n'est fondé.

1/ Le législateur n'a, en premier lieu, pas méconnu les nouvelles exigences de consultation résultant du 3ème alinéa de l'article 25 de la Constitution en habilitant, par l'article 2 de la loi déférée, le Gouvernement à mettre à jour la délimitation des circonscriptions législatives par ordonnance, sans avoir au préalable soumis le projet de loi d'habilitation à l'avis de la commission.

a) Le Gouvernement entend d'abord souligner que, contrairement à ce que laissent entendre les auteurs des recours, la modification apportée par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 à l'article 25 ne saurait être interprétée comme mettant fin à la possibilité pour le législateur d'habiliter le Gouvernement à procéder à une modification des circonscriptions législatives par ordonnance.

Aux termes mêmes de l'article 38 de la Constitution, le domaine des habilitations susceptibles d'être données par le législateur pour permettre au Gouvernement d'adopter des mesures par ordonnance peut comprendre toute matière qui relève du domaine de la loi en application de l'article 34 (décision n°99-421 DC du 16 décembre 1999).

Le Conseil constitutionnel l'a, au demeurant, jugé expressément à propos de la loi d'habilitation en matière électorale de 1986 (décision n°86-208 DC des 1er et 2 juillet 1986). Par cette décision, le Conseil a considéré que, dès lors que la délimitation des circonscriptions électorales était une composante du régime électoral des assemblées parlementaires mentionné à l'article 34, l'article 38 de la Constitution pouvait être mis en oeuvre pour permettre l'intervention d'ordonnances à l'effet de délimiter des circonscriptions électorales, sans qu'il en résulte une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.

Il faut observer que la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 n'a nullement remis en cause la possibilité de mettre en oeuvre l'article 38 pour procéder au découpage de circonscriptions électorales. La révision constitutionnelle n'a modifié à cet égard ni l'article 34, ni l'article 38 de la Constitution. Quant à la lettre de la modification apportée à l'article 25, elle montre précisément que le pouvoir constituant n'a pas entendu remettre en cause la possibilité d'habilitation en ce domaine. En effet, l'article 25 prévoit un avis obligatoire de la commission sur les « projets de texte » et propositions de loi délimitant les circonscriptions pour l'élection des députés ou modifiant la répartition des sièges de députés ou de sénateurs ; ce vocable de « projets de textes » inclut nécessairement les projets d'ordonnance, comme en témoignent, au demeurant, les travaux parlementaires.

b) Si les projets d'ordonnance délimitant les circonscriptions pour l'élection des députés ou modifiant la répartition des sièges de députés ou de sénateurs entrent ainsi dans le champ d'application de l'article 25 de la Constitution, tel n'est en revanche pas le cas des projets de loi habilitant le Gouvernement à y procéder.

En effet, un projet de loi d'habilitation ne procède pas, par lui-même et directement, à une quelconque délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés ou à une modification de la répartition des sièges de députés ou de sénateurs. Il se borne à habiliter le Gouvernement à y procéder ultérieurement, en précisant seulement les finalités de l'habilitation.

Un tel projet de loi d'habilitation n'emporte ainsi, par lui-même, aucun des effets de droit visés à l'article 25 de la Constitution, justifiant l'intervention de la commission. Il constitue certes le préalable indispensable au découpage qui sera ultérieurement réalisé par ordonnance. Mais il en est matériellement détachable.

Il convient de souligner, au demeurant, qu'une telle interprétation rejoint le parti retenu pour les projets de loi habilitant, sur le fondement de l'article 38, le gouvernement à étendre ou adapter le droit applicable outre-mer : si le projet d'ordonnance fait bien l'objet d'une consultation préalable des collectivités concernées, tel n'est pas le cas du projet de loi d'habilitation lui-même.

Le Gouvernement ajoute, au cas présent, que la commission prévue à l'article 25 de la Constitution ne pouvait, en tout état de cause, être consultée sur les dispositions qui sont devenues celles de l'article 2 de la loi déférée, dès lors qu'à la date d'adoption de ces dispositions, l'article 25 de la Constitution n'était pas en vigueur. L'article 46 de la loi constitutionnelle n°2008-724 du 23 juillet 2008 dispose, en effet, que les dispositions de l'article 25 de la Constitution dans leur rédaction résultant de cette loi constitutionnelle entrent en vigueur dans les conditions fixées par les lois et lois organiques nécessaires à leur application. La loi organique portant application de l'article 25 de la Constitution et la loi déférée permettront, une fois qu'elles seront promulguées et publiées, l'application des nouvelles dispositions de l'article 25 ; tant qu'elles ne l'ont pas été, ces dispositions de la Constitution ne peuvent être utilement invoquées.

c) Alors même que les dispositions nouvelles de l'article 25 de la Constitution n'étaient pas opposables ratione materiae et temporis aux dispositions d'habilitation de la loi déférée, le législateur a toutefois pris soin de garantir la consultation utile de la commission au stade de la préparation des ordonnances.

C'est ainsi que, pour concilier les exigences des articles 38 et 25 de la Constitution et écarter toute critique de détournement de procédure, le projet de loi d'habilitation indique avec précision la finalité des mesures envisagées ainsi que leur domaine d'intervention mais veille à ne pas prédéterminer le contenu de la future répartition ou des futurs tracés de circonscriptions, de telle sorte que la commission puisse ultérieurement émettre utilement son avis.

En adoptant l'article 2 de la loi déférée, le législateur a veillé à cet équilibre.

L'article 2 indique ainsi avec précision les objectifs assignés au Gouvernement : mettre à jour (ce qui signifie adapter et non redéfinir complètement) les circonscriptions existantes et créer les circonscriptions dans lesquelles seront élus les députés représentant les Français établis hors de France.

Mais l'article 2 se garde de prédéterminer trop précisément le contenu de l'ordonnance qui sera prise en vertu de l'habilitation. Ainsi, conformément aux principes dégagés par le Conseil constitutionnel dans les décisions 86-208 DC des 1er et 2 juillet 1986 et 86-218 DC du 18 novembre 1986, l'article 2 rappelle que les opérations de re-découpage devront être mises en oeuvre « sur des bases essentiellement démographiques ». Et s'il mentionne quelques éléments complémentaires devant servir de guide au Gouvernement dans le redécoupage, ceux-ci ne pourront naturellement être mis en oeuvre que dans le respect des exigences constitutionnelles.

Il est certain que la portée de la règle d'élection de l'Assemblée nationale sur des bases essentiellement démographiques ne sera atténuée, pour tenir compte des motifs d'intérêt général énoncés par l'article 2, que dans une mesure limitée et pour un nombre très restreint d'hypothèses dûment justifiées.

Le tempérament des bases essentiellement démographiques par le critère tiré de l'évolution respective de la population et des électeurs inscrits sur les listes électorales ne saurait ainsi jouer que dans les quelques rares circonscriptions dans lesquelles aucun recensement fiable de la population n'est disponible à ce jour.

La règle prévoyant qu'un département ne peut avoir moins de deux députés ne jouera que dans un nombre très réduit de cas de figures : de deux à une quinzaine d'hypothèses selon la méthode de répartition retenue.

Le respect des limites cantonales ne connaîtra que des dérogations strictes et limitées, tandis que le respect des limites des communes de moins de 5000 habitants offrira de son côté une garantie supplémentaire contre l'arbitraire.

Les écarts de représentation entre circonscriptions d'un même département seront, enfin, conformément à la jurisprudence, justifiés au cas par cas par des motifs précis d'intérêt général.

On peut, enfin, signaler que ni le niveau du diviseur, ni la méthode de répartition (par tranche ou méthode d'Adams ; au plus fort reste, dite aussi méthode de Hamilton ; ou à la plus forte moyenne - méthode d'Hondt) ne sont mentionnés à l'article 2 : ces éléments seront donc soumis à la commission dans le cadre de la consultation sur le projet d'ordonnance préparé par le Gouvernement.

Dans ces conditions, l'avis rendu sur le fondement de l'article 25 de la Constitution conservera toute la portée utile que le Constituant a souhaité lui conférer. Le grief tiré de ce que l'article 2 méconnaîtrait cet article 25 et serait entaché d'un vice de procédure pourra donc être écarté.

2/ En second lieu, le Gouvernement relève que l'article 2 n'empiète en aucun cas sur le domaine de compétence du législateur organique.

Les auteurs des saisines déduisent de la circonstance que les contingents des députés, élus dans les départements et dans les collectivités d'outre-mer, sont, en l'état du droit positif, fixés par la loi organique la conclusion qu'il devrait en aller nécessairement ainsi.

Mais un tel raisonnement ne peut être suivi : la Constitution ne prévoit pas que la fixation de tels contingents serait par nature organique.

L'article 24 de la Constitution se borne, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, à fixer le nombre maximum de députés à 577. L'article 25 renvoie au législateur organique, aujourd'hui comme avant la révision du 23 juillet 2008, compétence pour déterminer le nombre total des députés, dans le respect du plafond résultant de l'article 24 ; il revient, enfin, au législateur ordinaire de répartir ce nombre total entre différents contingents, si une telle répartition apparaît nécessaire ou utile eu égard au mode de scrutin retenu par le législateur.

Il est vrai qu'à l'heure actuelle, en l'état du droit positif, le code électoral comprend différents articles résultant de dispositions organiques, fixant le nombre de députés élus au titre de différents contingents. Ainsi, l'article LO 119 du code électoral fixe à 570 le nombre de députés élus dans les départements (départements de métropole et départements d'outre-mer) ; l'article LO 393-1 prévoit que deux députés sont élus en Nouvelle Calédonie, deux en Polynésie française et un dans les îles Wallis et Futuna ; l'article LO 455 prévoit qu'un député est élu à Mayotte ; l'article LO 533 prévoit qu'un député est élu à Saint Pierre et Miquelon. La somme des contingents résultant de ces quatre articles organiques donne un effectif de 577 députés à l'Assemblée nationale [1].

Mais ces contingents ne sont fixés au niveau organique que parce qu'aucune disposition organique ne fixe elle-même le nombre total de députés. Faute de disposition organique fixant globalement le nombre total des députés, il était nécessaire que chacune des parties de ce nombre total soit fixée par des dispositions organiques. Mais dès lors que la loi organique portant application de l'article 25 de la Constitution, adoptée le 11 décembre 2008, abroge les articles LO 393-1, LO 455 et LO 533 du code électoral et prévoit, par un nouvel article LO 119, que « le nombre de députés est de cinq cent soixante-dix-sept », le législateur organique épuise sa compétence et il n'est plus nécessaire que les contingents particuliers soient eux mêmes déterminés par la loi organique.

Dans ces conditions, le législateur ordinaire et, par suite, le Gouvernement agissant en vertu d'une habilitation donnée en vertu de l'article 38 de la Constitution, pourra fixer le contingent des députés élus dans les départements, de même que le nombre des députés représentant les Français établis hors de France.

Il en va de même pour le nombre des députés élus dans les collectivités d'outre-mer et de Nouvelle-Calédonie. Aucune particularité ne résulte, à cet égard, des dispositions des articles 72-3, 74 et 77 de la Constitution, issus des révisions constitutionnelles du 25 juin 1992, du 20 juillet 1998 et du 28 mars 2003.

La révision constitutionnelle du 25 juin 1992 a modifié l'article 74 de la Constitution, pour prévoir que les statuts des territoires d'outre-mer sont fixés par des lois organiques « qui définissent, notamment, les compétences de leurs institutions propres ». La révision du 28 mars 2003 a maintenu la compétence du législateur organique pour définir le statut des collectivités d'outre-mer régies par l'article 74, lequel doit notamment fixer les « règles d'organisation et de fonctionnement des institutions de la collectivité et le régime électoral de son assemblée ».

La révision du 20 juillet 1998 a prévu un mécanisme équivalent à l'article 77 de la Constitution pour la Nouvelle-Calédonie.

Enfin, la révision du 28 mars 2003 a ajouté un article 72-3 qui énumère les différentes collectivités d'outre-mer. Cette énumération a été complétée, pour ce qui concerne Saint-Barthélemy et Saint-Martin, par la révision du 23 juillet 2008.

Ces révisions constitutionnelles n'ont toutefois pas eu pour effet d'imposer que la détermination du nombre de députés représentant ces collectivités résulte de la loi organique.

Le Conseil constitutionnel a, en effet, jugé que les dispositions de l'article 74 issues de la révision de 1992 impliquent que doivent avoir un caractère organique « les dispositions qui définissent les compétences des institutions propres du territoire, les règles essentielles d'organisation et de fonctionnement de ces institutions, y compris les modalités selon lesquelles s'exercent sur elles les pouvoirs de contrôle de l'Etat, ainsi que les dispositions qui n'en sont pas dissociables » (voir sur ce point la décision n°96-373 DC du 9 avril 1996 ; voir aussi la décision n°95-364 DC du 8 février 1995).

Or on ne peut considérer que les députés à l'Assemblée nationale élus dans les circonscriptions des collectivités d'outre-mer de l'article 74 constitueraient des « institutions propres du territoire ». Le Conseil constitutionnel a explicitement jugé que les députés et sénateurs représentaient au Parlement la Nation tout entière et non la population de leur circonscription d'élection (décision n°99-410 DC du 15 mars 1999 pour la Nouvelle-Calédonie ; décision n°2004-490 DC du 12 février 2004 pour la Polynésie française), neutralisant d'ailleurs ainsi la portée de dispositions statutaires indiquant que ces collectivités étaient représentées au Parlement dans les conditions fixées par les lois organiques.

On doit en déduire que les dispositions des articles 74 et 77 qui renvoient à la loi organique la détermination du statut des collectivités régies par cet article n'ont pas pour effet d'imposer que le nombre des parlementaires élus dans ces collectivités soit fixé par le législateur organique. On doit d'ailleurs relever qu'entre 1992 et 2003, le nombre des parlementaires élus dans chaque territoire d'outre-mer est demeuré fixé par la loi ordinaire (ordonnance n°59-227 du 4 février 1959 modifiée puis, un temps, article L 394 du code électoral).

Dans ces conditions, le Gouvernement considère que les critiques adressées par les parlementaires requérants à l'article 2 de la loi déférée ne pourront qu'être écartées.

III/ SUR L'ARTICLE 3 :

A/ L'article 3 prévoit que les députés élus par les Français résidant hors de France seront, par application de l'article L. 123 du code électoral, élus au scrutin uninominal majoritaire à deux tours, dans le cadre des circonscriptions définies à l'occasion du re-découpage auquel il aura été procédé par ordonnance.

Les auteurs des saisines font grief à cet article, d'une part, d'avoir été pris sans l'avis préalable de la commission prévue à l'article 25 de la Constitution sur le nombre de députés concernés et, d'autre part, de porter, en retenant le scrutin uninominal majoritaire de préférence au scrutin de liste, une atteinte, qui ne serait justifiée par aucun motif d'intérêt général, au pluralisme des courants d'idées et d'opinions et au principe d'égalité de suffrage.

B/ Aucun de ces deux griefs ne pourra toutefois prospérer.

1/ Le premier d'entre eux manque en fait.

En effet, contrairement à ce que soutiennent les auteurs des saisines, la commission prévue à l'article 25 sera consultée sur la fixation du nombre des députés représentant les Français établis hors de France lorsqu'elle rendra son avis sur le projet d'ordonnance procédant à la détermination de ce nombre.

2/ Le second grief, mettant en cause le choix du mode de scrutin pour l'élection des députés représentant les Français établis hors de France, n'est pas fondé.

Il convient, en premier lieu, d'observer que le Conseil constitutionnel juge, selon une jurisprudence constante, que la Constitution ne lui confère pas un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement et qu'il ne lui revient donc pas de rechercher si l'objectif que s'est assigné le législateur aurait pu être atteint par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif poursuivi.

En l'espèce, en retenant l'option du scrutin uninominal majoritaire à deux tours plutôt qu'un scrutin de liste, le législateur a entendu concilier, d'une part, la recherche d'une plus grande proximité entre les électeurs et leurs élus et, d'autre part, la représentation des divers courants d'idées et d'opinions. Pas davantage que lorsqu'il avait choisi de retenir huit grandes circonscriptions au lieu d'une lors de la réforme du mode de scrutin pour les élection européennes, la conciliation ainsi opérée n'est entachée d'erreur manifeste (voir en ce sens la décision n°2003-468 DC du 3 avril 2003 sur la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques).

En second lieu, les dispositions critiquées de l'article 3 ne portent pas atteinte au principe d'égalité. Par lui-même, l'article 3 ne définit aucun des critères sur lesquels reposera la délimitation des circonscriptions dans le cadre desquelles seront élus les députés représentant les Français hors de France. L'article 2, en habilitant le Gouvernement, précise que la fixation du nombre de députés puis la répartition des sièges entre circonscriptions reposeront sur des bases essentiellement démographiques prenant en compte, au moins comme point de départ de constitution de l'assiette de ce contingent particulier, les données inscrites au registre des Français établis hors de France dans chaque circonscription consulaire. Les termes de cette habilitation ne portent pas atteinte au principe d'égalité.

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Pour ces raisons, le Gouvernement est d'avis qu'aucun des griefs articulés par les députés et sénateurs requérants n'est de nature à conduire à la censure des dispositions de la loi relative à la commission prévue à l'article 25 de la Constitution et à l'élection des députés. Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter les recours dont il est saisi.

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[1] A ces 577 députés doivent être ajoutés deux députés supplémentaires pour les collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin (V. respectivement les articles LO 479 et LO 506 issus de la loi organique n°2007-223 du 21 février 2007). Ces dernières dispositions organiques n'ont pas encore été appliquées, la loi organique du 21 février 2007 ayant différé leur mise en oeuvre aux élections législatives générales suivant celles de juin 2007 (V. CC décision n°2007-547 DC du 15 février 2007 et CC décision n°2007-3909 du 26 juillet 2007, AN Guadeloupe 4ème circ., prenant acte de cette application différée).