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Décision n° 2008-571 DC du 11 décembre 2008 - Saisine par 60 sénateurs

Loi de financement de la sécurité sociale pour 2009
Non conformité partielle

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel,
2 rue de Montpensier,
75001 Paris.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel,

Les sénateurs soussignés ont l'honneur de vous déférer, en application du second alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 et notamment ses 37 et 90 de la loi.

Les auteurs de la saisine rappellent leur attachement au respect de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale. A cet égard, il vous appartient d'exercer une vigilance particulière sur les dispositions de la loi qui n'entreraient pas dans le domaine des lois de financement de la sécurité sociale afin qu'elles ne deviennent pas des lois portant diverses dispositions d'ordre social. Les sénateurs demandent donc au Conseil constitutionnel de déclarer contraire à la Constitution toutes les dispositions de la loi déférée qui n'entrent pas dans le champ des lois de financement de la sécurité sociale, tel que défini par l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale.

Les sénateurs contestent en outre particulièrement la conformité à la Constitution des articles 37 et 90 de la loi déférée.

1) Sur l'article 37 de la loi

Cet article dispose que :

« Par dérogation aux articles L. 162-9 et L. 162-1 4-1 du code de la sécurité sociale, la part prise en charge par l'assurance maladie des cotisations exigibles en 2009 en application de l'article L. 722-4 du même code par les chirurgiens-dentistes exerçant dans le cadre de la convention prévue à l'article L. 162-9 du même code, est déterminée par une décision du directeur général de l'union nationale des caisses d'assurance maladie, prise après avis des organisations syndicales nationales représentatives de la profession »

L'article 37 confère au directeur de l'UNCAM le pouvoir de décider unilatéralement du taux de participation des Caisses aux cotisations d'Assurance Maladie des chirurgiens-dentistes pour l'année 2009.

Cette mesure d'exception survient à la suite de la décision du Conseil d'État annulant les modulations de la participation des Caisses aux cotisations d'assurance maladie pour l'année 2006 et après le refus par la CNSD de la proposition d'avenant n° 2 par I'UNCAM en raison de son iniquité par rapport à l'exercice des chirurgiens-dentistes libéraux conventionnés.

L'article 37 permettra au Directeur de l'UNCAM de prendre des mesures allant à l'encontre de l'esprit de la convention de 2006. Contrairement à ce qui a été affirmé dans l'exposé des motifs, la méthode employée ne sera pas neutre pour un grand nombre de chirurgiens-dentistes et conduira à une importante majoration des cotisations tout particulièrement pour les praticiens exerçant dans les zones défavorisées à fort taux de patients bénéficiant de la CMU-C.

Cette disposition méconnaît les dispositions de l'article 34 de la Constitution selon lesquelles la loi fixe les principes fondamentaux de la Sécurité Sociale. En effet, le texte adopté modifie - indirectement pour l'année 2009 -, l'assiette et le taux de cotisation des chirurgiens-dentistes.

Or, au regard du 20ème alinéa de l'article 34 de la Constitution :

« Les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent les objectifs de dépenses, dans les conditions prévues par une loi organique »

L'article 37 déroge aux règles régissant les pouvoirs attribués à l'UNCAM par la loi n° 2004-810 du 13 août 2004, article 55, fixés à l'article L 182-2 du code de la Sécurité Sociale et à son Directeur Général, article L 182-2-1 de ce même code. Cette dérogation ne peut figurer dans une loi de financement de la Sécurité Sociale, dont le contenu a été précisément défini et limité par une loi organique (article LO 111-3 du code de la Sécurité Sociale).

Cet article vise à conférer au Directeur de I'UNCAM un pouvoir qui ne fait pas partie de ses compétences. Il est investi d'une compétence réglementaire et la disposition lui a conféré la capacité de fixer l'assiette de la quote-part de participation des Caisses aux cotisations sociales professionnelles alors même que cette fixation a une influence directe sur l'assiette de cotisation du praticien et ne peut dès lors résulter que d'une loi.

Cette disposition est donc entachée d'incompétence négative car il met en jeu des principes fondamentaux de la Sécurité Sociale qui relèvent de la compétence du législateur.

2) Sur l'article 90 de la loi

Cette disposition modifie les articles L. 1221-18 et L. 1237-5 à L. 1237-8 du code du travail et supprime, à compter du 1er janvier 2010, la possibilité pour un employeur de mettre d'office un salarié en retraite.

Le texte initial du Gouvernement proposait de supprimer la possibilité pour un employeur de mettre à la retraite d'office un salarié, sans fixer de limite d'âge. Le salarié aurait ainsi décidé seul de la date de son départ en retraite.

Mais, l'Assemblée nationale, par voie d'amendement, a expressément repoussé à soixante-dix ans l'âge auquel le salarié pourra être mis à la retraite d'office par son employeur, sous réserve que celui-ci respecte la procédure décrite aux septième, huitième et neuvième alinéas de l'article L. 1237-5 du code du travail modifié.

Cette procédure prévoit que les salariés, qui le souhaitent, pourront prolonger leur activité au- delà de soixante-cinq ans, sous réserve d'avoir préalablement répondu au questionnement préalable de leur employeur, et dans la limite de cinq années.

- le septième alinéa dispose que, avant la date à laquelle le salarié atteint l'âge de soixante-cinq ans et dans un délai fixé par décret, l'employeur interroge par écrit le salarié sur son intention de quitter volontairement l'entreprise pour bénéficier d'une pension de retraite ;

- le huitième alinéa précité précise qu'en cas de réponse négative du salarié ou à défaut d'avoir respecté l'obligation mentionnée au septième alinéa, l'employeur ne peut le mettre à la retraite d'office pendant l'année qui suit la date à laquelle le salarié atteint l'âge de soixante-cinq ans ;

- le neuvième alinéa précité prévoit que la même procédure est applicable les quatre années suivantes, c'est-à-dire jusqu'à ce que le salarié atteigne l'âge de soixante-dix ans.

I. En premier lieu, il apparaît que cet article par sa nature et ses conséquences est étranger au domaine des lois de financement de la sécurité sociale.

II. En second lieu, et en tout état de cause, cet article viole le 11ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et le principe d'égalité.

III. Or, cette disposition contredit le onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 qui dispose que la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence »

Il s'ensuit que l'exigence constitutionnelle résultant des dispositions précitées implique la mise en oeuvre d'une politique de solidarité nationale en faveur des travailleurs retraités ; étant considéré que l'exercice de son pouvoir d'appréciation par le législateur ne saurait aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel (DC n° 2003-483 du 14 août 2003).

Vous avez ainsi jugé qu'il était loisible au législateur d'étendre à certains salariés non-cadres le régime des conventions de forfait en jours défini par la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail sous réserve de ne pas priver de garanties légales les exigences constitutionnelles relatives au droit à la santé et au droit au repos de ces salariés résultant du onzième alinéa du Préambule de 1946 (Décision n° 2005-523 DC du 29 juillet 2005).

Autrement dit, les droits au repos et à la santé ne sauraient être vidés de leur substance par le jeu de dispositions législatives aboutissant à les rendre ineffectifs.

IV. Au cas présent, force est de constater que le dispositif tel que voté prive le droit au repos et à la santé, exigences constitutionnelles, des garanties légales qui conviennent en la matière.

Il importe de rappeler que le droit à la retraite comprend la prise en compte de la pénibilité des tâches que chacun a assumé pendant sa vie de labeur.

A cet égard, le lien très fort établi, dans le 11ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, entre, d'une part, la protection du vieux travailleur, le droit à la santé, le repos, l'état physique et mental, et, d'autre part, le droit d'obtenir une aide de la collectivité au titre de la solidarité nationale marque, on ne peut plus clairement, l'obligation qu'a le législateur quand il met en oeuvre ces exigences constitutionnelles, de prendre en compte la pénibilité des tâches assurées par les travailleurs.

Dans ces conditions, force est d'admettre que le dispositif critiqué visant à reculer à 70 ans, l'âge effectif de la retraite méconnaît ces principes.

V. Ainsi, force est de constater que cet article ne tient aucunement compte de la pénibilité du travail tout au long de la vie qui est impliquée nécessairement par le droit au repos et le droit à la santé tels que garantis par le 11ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.

Certes, il a été dit, pour justifier ce dispositif, que l'espérance de vie générale s'améliore. Cet argument statistique ne doit cependant pas tromper.

D'abord, il importe de rappeler que dans notre pays, il existe un écart de sept ans d'espérance de vie entre un cadre supérieur et un ouvrier. Pour certains métiers pénibles cette espérance de vie est inférieure de dix ans à celle d'autres catégories.

Ensuite, la vraie question posée est de prendre en compte le nombre d'années supplémentaires réellement vécues en bonne santé et permettant de continuer de travailler. Selon une étude de l'INSERM, les hommes vivent en moyenne, sans ennui de santé majeur, jusqu'à soixante-huit ans, et les femmes jusqu'à soixante-neuf ans. Ce travail, conduit dans le cadre de l'observatoire européen des espérances de santé, est fondé sur un questionnaire répertoriant, entre autres, les habitudes de vie quotidienne domestique, de travail et d'activité physique et sportive, définissant ainsi des critères de « bonne santé ».

Selon les conclusions de cette étude, les hommes se jugent en bonne santé jusqu'à soixante- huit ans et les femmes jusqu'à soixante-dix ans.

Autrement dit, le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 oblige le législateur à assortir une telle disposition de garanties propres à prendre en compte la pénibilité du travail et la diversité des situations de travail et des réalités humaines.

Dans ces conditions, on ne saurait présenter comme un droit nouveau, ou comme l'exercice d'une liberté, le fait de fixer arbitrairement à 70 ans l'âge ouvrant à l'employeur le droit de mise à la retraite d'office d'un salarié.

On notera d'ailleurs que la procédure instituée par l'article 61 interrogation du salarié par l'employeur à vocation, selon les termes mêmes du rapporteur de la Commission saisie au fond, d'éviter des difficultés pour les employeurs. Ces prescriptions procédurales ne sauraient, dès lors, être regardées comme constituant les garanties légales requises par les exigences constitutionnelles.

On ajoutera que dans le texte voté, il revient à l'employeur d'interroger le salarié et non l'inverse. Ceci est pour le moins paradoxal : soit il s'agit d'un droit nouveau pour le salarié et c'est à lui d'indiquer s'il souhaite continuer de travailler ou non, soit il s'agit d'une faculté pour l'employeur de recourir à l'emploi d'un salarié expérimenté et l'on ne saurait présenter ce dispositif comme une réelle liberté établie au bénéfice du salarié.

Ainsi, à défaut d'encadrement au regard de la pénibilité du travail et des carrières, traduction concrète du droit à la santé et du droit au repos du travailleur, ce dispositif nouveau n'apporte aucune garanties légales des exigences constitutionnelles en cause.

VI. Il s'ensuit, par voie de conséquence, une atteinte au principe d'égalité devant la loi.

Ainsi, des personnes se trouvant dans des situations différentes sont traitées de manière identique, alors même que le Préambule de 1946, pris en son onzième alinéa, assigne au législateur l'obligation de prendre en compte ces différences objectives de situations résultant de la réalité des carrières - début, durée, années de cotisations, ... - et de la pénibilité des tâches.

A cet égard, il est pour le moins illusoire de présenter la mesure déférée comme commandée par le principe de liberté dès lors que des personnes bien portantes pourront continuer à travailler et à acquérir une surcote qui majorera le montant de leur retraite alors que d'autres personnes de santé précaire ou qui sont usées par le travail ne pourront pas continuer à travailler et, pis encore, du fait de carrières courtes n'auront pas le nombre d'années de cotisation nécessaires pour une retraite à taux plein !

Sans doute, faut-il rappeler quelques chiffres laissant apparaître clairement que l'âge moyen de départ à la retraite dans notre pays est de cinquante-huit ans et que le taux d'emploi des seniors âgés de cinquante cinq à soixante quatre ans, à savoir 37,8 %, reste très en deçà de la moyenne européenne de 42,5 % et encore plus loin de celui qui est coutumier chez certains de nos voisins européens, et que seulement 10 % des personnes âgées de soixante à soixante-cinq ans sont encore en activité.

Le texte querellé ne constitue donc pas une avancée ou un nouveau droit universel mais bien une mesure rompant le principe d'égalité : favorable à la liberté de quelques-uns ayant encore la possibilité de travailler au-delà de soixante ans, défavorable à ceux qui ne pourront pas travailler jusqu'à soixante-dix ans et qui alors subiront alors un désavantage.

Au final, tout cela a pour effet d'allonger la durée réelle de cotisation, et de diminuer le montant des pensions dans la mesure où les carrières sont incomplètes.

D'ailleurs, les Français ne s'y sont pas trompés puisque selon un sondage de l'Institut CSA, 66 % des Français considèrent le fait de « permettre aux salariés qui le souhaiteraient de travailler jusqu'à soixante-dix ans » comme « une mauvaise chose, parce que cela entraînera, à terme, la remise en cause de l'âge légal de départ à la retraite ».

Il est pour le moins difficile d'expliquer rationnellement cette disposition alors que les personnes de plus de cinquante ans peinent à retrouver du travail et celles de moins de vingt-cinq ans ne peuvent accéder à l'emploi. La seule explication possible semble être la volonté de retarder le paiement des retraites !

En réalité, cet article pose en filigrane un problème fondamental au regard de notre conception républicaine de la solidarité nationale puisqu'il remet en cause le principe en vertu duquel les salariés travaillent et cotisent avant l'âge de la retraite pour financer les retraites à taux plein de leurs aînés.

En fixant à 70 ans l'âge de la mise à la retraite d'office, le législateur a méconnu tant le Préambule de la Constitution de 1946 que le principe d'égalité devant la loi.

Par ces motifs et tous autres à déduire, suppléer ou ajouter, même d'office, les sénateurs requérants demandent à ce qu'il plaise au Conseil d'invalider les articles 37 et 90 de la loi déférée et toute autre disposition le cas échéant.

Nous vous prions de croire, Monsieur le Président du Conseil Constitutionnel, Mesdames et Messieurs les conseillers, à l'expression de notre haute considération.