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Décision n° 2008-564 DC du 19 juin 2008 - Saisine par 60 sénateurs

Loi relative aux organismes génétiquement modifiés
Non conformité partielle - effet différé

Monsieur le Président du Conseil Constitutionnel,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil,
2 rue Montpensier 75001 Paris
Monsieur le Président du Conseil constitutionnel, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de déférer à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi relative aux organismes génétiquement modifiés.
A l'appui de cette saisine, nous développons les griefs et les moyens suivants.
* * *
I) Sur la violation de la procédure législative
Les conditions dans lesquelles la loi relative relatif aux organismes génétiquement modifiés a été adoptée portent atteinte aux principes fondamentaux de la procédure parlementaire.
A) Sur l'adoption d'une question préalable par l'Assemblée nationale
Par un vote en 2e lecture du 13 mai 2008, l'Assemblée nationale a adopté une question préalable sur le projet de loi relatif aux organises génétiquement modifiés. Les députés ont ainsi adopté une motion de procédure, « dont l'objet est de faire décider qu'il n'y a pas lieu à délibérer » selon la définition de l'article 91 alinéa 4 du Règlement de l'Assemblée nationale. Selon ce même texte, « L'adoption de l'une ou l'autre de ces propositions entraîne le rejet du texte à l'encontre duquel elle a été soulevée ».
Or, dans cette hypothèse, le règlement de l'Assemblée prévoit explicitement dans son article 84, alinéa 3, que « Les propositions repoussées par l'Assemblée ne peuvent être reproduites avant un délai d'un an ». Le gouvernement a pourtant convoqué une Commission mixte paritaire, qui s'est réunie le 14 mai 2008, permettant par la suite le vote définitif du texte. Alors que l'Assemblée nationale avait rejeté par une question préalable la version du projet de loi votée par le Sénat, ce même texte a, dès le lendemain, repris le cours normal de la procédure parlementaire. Aucune modification formelle n'a été apporté : le texte identique à celui rejeté par l'Assemblée nationale a été soumis à la Commission mixte paritaire.
Le projet de loi a donc été adopté en violation des articles 91-4 et 84-3 du règlement de l'Assemblée nationale, en ce que l'adoption d'une question préalable a entraîné le rejet du texte qui n'aurait pas du être soumis avant un an à une nouvelle discussion.
Les Règlements des Assemblées n'ont certes pas en eux-mêmes valeur constitutionnelle, de sorte que leur méconnaissance ne saurait avoir directement pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution (CC, n° 84-181 DC, des 10 et 11 octobre 1984). Le Conseil constitutionnel a cependant estimé, par la même décision, qu'une disposition réglementaire pouvait avoir valeur constitutionnelle si elle constituait le prolongement nécessaire d'une disposition de la Constitution ou qu'elle la reproduit.
En l'espèce, les articles précités du Règlement peuvent être considérés comme le prolongement de l'article 34 alinéa 1er de la Constitution qui dispose : « la loi est votée par le Parlement ». D'ailleurs, Michel Debré, président du comité d'élaboration de la Constitution du 5 octobre 1958, indiquait lui-même que « tout ce qui intéresse la procédure législative constitue des dispositions qui dépassent le caractère réglementaire au sens strict. Elles sont d'inspiration constitutionnelle, elles touchent au mécanisme des institutions ».
La violation de tels articles du règlement prive en effet les députés, représentants de la Nation, du sens de leur vote, qui est l'essence même de leur compétence. En poursuivant la procédure, le gouvernement n'a pas respecté la volonté expresse de l'Assemblée nationale de décider qu'il n'y avait pas lieu à délibérer, ôtant ainsi tout effet utile à la procédure de la question préalable. Il s'agit purement et simplement d'une négation de la raison d'être du vote parlementaire.
D'autant que l'adoption de la question préalable ne s'est pas faite en vue de couper court à une éventuelle obstruction de l'opposition. Le Conseil constitutionnel admet en effet la poursuite de la procédure parlementaire lorsque l'adoption de la question préalable s'est faites selon des conditions « qui faisaient clairement apparaître que son vote était souhaité non pas pour marquer une opposition de fond au texte, mais pour mettre fin au débat (…) en vue d'accélérer la procédure d'adoption de ce texte par le Parlement » (CC, n° 95-370 du 30 décembre 1995).
En l'espèce, l'opposition n'a pas abusé de son droit d'amendement tandis que l'initiative et l'adoption de la question préalable n'étaient pas souhaitées par le gouvernement et la majorité dans une perspective de lutte contre l'obstruction parlementaire. De manière évidente, l'adoption de la question préalable témoigne ici d'une opposition de fond au projet de loi sur les organismes génétiquement modifiés.
De plus, toujours en l'espèce, la violation des articles 91-4 et 84-3 du règlement de l'Assemblée nationale remet en cause le droit d'amendement que les députés tiennent de l'article 44 de la Constitution : « Les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d'amendement ». Certes, en adoptant la question préalable, les députés ont renoncé à exercer leur droit d'amendement, mais ce renoncement s'est fait au nom du rejet du texte. C'est la logique même de la procédure de la question préalable. Or, en continuant la procédure législative en dépit du vote d'une question préalable et du rejet du texte, la procédure suivie a empêché les députés d'exercer leur droit d'amendement. Puisque après la réunion de la Commission mixte paritaire, « Aucun amendement n'est recevable sauf accord du Gouvernement » indique l'article 45 de la Constitution. Le non-respect des articles 91-4 et 84-3 du règlement de l'Assemblée nationale est donc indirectement constitutif d'une violation de l'article 44 de la Constitution.
Par conséquent, dans les conditions où elle est intervenue en l'espèce, l'adoption de la question préalable rend inconstitutionnelle la suite de la procédure suivie. La censure pour violation de la procédure parlementaire est donc encourue sur ce point.
B) Sur le détournement de la procédure prévue à l'article 45 de la Constitution
L'article 45 de la Constitution prévoit la possibilité de réunir une Commission mixte paritaire à la suite d'un « désaccord entre les deux assemblées ». Le rôle de cette Commission est de tenter d'élaborer un texte de compromis acceptable par les deux chambres. Or, le contexte procédural dans lequel est intervenu la convocation, par le Premier ministre, de la Commission mixte paritaire, ne correspond pas aux conditions posées à l'article 45 de la Constitution.
Le vote d'une question préalable par l'Assemblée nationale n'a pas pour effet de créer un « désaccord » entre les deux chambres relativement à un texte. Il s'agit au contraire, selon les termes du règlement de l'assemblée, d'un « rejet » du texte qui s'apparente à une décision de ne plus l'inscrire à son ordre du jour pendant une durée d'un an.
Par ailleurs, la Constitution prévoit que la Commission est « chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion ». Or, en l'espèce, aucune disposition ne demeure en discussion, dès lors qu'il ne s'agit pas d'un désaccord entre les deux chambres mais d'un rejet de l'ensemble du texte.
Enfin, l'article 45 de la Constitution prévoit que la Commission Mixte Paritaire ne peut intervenir qu' « après deux lectures » du texte par chacune des assemblées. En l'espèce, il n'y a pas eu deux lectures dans la mesure où l'adoption de la question préalable a eu pour effet d'interrompre la procédure avant la seconde lecture par l'Assemblée nationale.
En l'absence de texte adopté par l'Assemblée nationale, l'objet de la réunion d'une Commission mixte paritaire était inexistant. Ainsi, la réunion de la Commission mixte paritaire par le Premier ministre constitue un détournement de procédure qui contrevient à l'article 45 de la Constitution ainsi qu'au principe constitutionnel de séparation des pouvoirs.
II) Sur la violation de l'article 88-1 de la Constitution et de l'exigence constitutionnelle de transposition des directives communautaires
Les auteurs de la présente saisine rappellent que, selon une jurisprudence désormais établie du Conseil constitutionnel (CC, n°2004-496 DC du 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l'économie numérique, considérant 7), « la transposition en droit interne d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle » qui trouve son fondement dans l'article 88-1 de la Constitution selon lequel « la République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'Etat qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences ».
Le respect de cette exigence constitutionnelle, qui s'impose au législateur, est soumis au contrôle du Conseil constitutionnel. Toutefois, « devant statuer avant la promulgation de la loi dans le délai prévu par l'article 61 de la Constitution, [celui-ci] ne peut saisir la Cour de Justice des Communautés Européennes de la question préjudicielle prévue à l'article 234 du traité instituant la Communauté européenne » (CC, n° 2006-543 DC du 30 novembre 2006, Loi relative au secteur de l'énergie, considérant 7). Ainsi, le Conseil constitutionnel, dans le cadre d'un contrôle de constitutionnalité portant sur une loi de transposition d'une directive communautaire, « ne saurait […] déclarer non conforme à l'article 88-1 de la Constitution qu'une disposition législative manifestement incompatible avec la directive qu'elle a pour objet de transposer » (CC, n° 2006-543 DC du 30 novembre 2006, Loi relative au secteur de l'énergie, considérant 7).
Il résulte de cette jurisprudence qu'une disposition législative « manifestement incompatible » avec une directive communautaire que la loi a pour objet de transposer, viole l'exigence constitutionnelle posée à l'article 88-1 de la Constitution.
La loi en examen a pour objet de transposer la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire des organismes génétiquement modifiés dans l'environnement et abrogeant la directive 30/220/CE du Conseil. La France a en effet été doublement condamnée par la Cour de Justice des Communautés européennes dans ses décisions Commission contre France, du 20 novembre 2003 (n° C-296/01) et du 15 juillet 2004 (n° C-419/03) à la suite de recours en manquement initiés par la Commission. L'exposé des motifs du projet de loi en examen en atteste par ailleurs : « les modifications législatives qui doivent être apportées au code de l'environnement, au code rural et au code de la santé publique ont pour ambition, dans le respect de nos obligations internationales et communautaires, de moderniser et de compléter le dispositif juridique en vigueur ».
Or, la directive 2001/18/CE du 12 mars 2001 a pour objectif d'harmoniser les législations nationales relatives aux disséminations volontaires d'organismes génétiquement modifiés. Dans ce cadre, la directive entend concilier la culture et la mise sur le marché d'organismes génétiquement modifiés avec le respect de l'environnement et le droit du public à être informé des risques que peut présenter cette culture ou cette mise sur le marché quant à l'environnement et la santé des citoyens des Etats membres de l'Union européenne. A ce titre, la directive accorde une place centrale à la consultation, la participation et l'information de l'ensemble des citoyens tout au long du processus d'autorisation, de culture, de mise sur le marché et de contrôle des OGM. Ainsi, notamment, le préambule de la directive dispose qu'il « convient de rendre plus efficace et plus transparente la procédure administrative d'octroi des autorisations de mise sur le marché des OGM en tant que produits ou éléments de produits […] » (considérant 48). De même, son article 9 est relatif à la « consultation » et à « l'information » du public en précisant que « les Etats membres rendent accessibles au public des informations sur toutes les disséminations d'OGM […] qui sont effectuées sur leur territoire ». L'article 20 organise « la surveillance et le traitement des nouvelles informations », et prévoit que, « de façon à en garantir la transparence, les résultats de la surveillance […] doivent être rendus public ». L'article 25 de la directive, pour sa part, encadre strictement les cas de confidentialité des informations relatives aux OGM.
L'ensemble de ces dispositions démontre avec force que l'harmonisation des législations nationales relatives aux OGM et, de ce fait, la correcte transposition de la directive 2001/18/CE, exigent de placer le public au coeur de toutes les procédures portant sur les OGM, à travers notamment une information détaillée, efficace et effective des citoyens des Etats membres. Or, le projet de loi en examen présente de réelles insuffisances en la matière et ainsi, selon les termes même du Conseil constitutionnel, « méconnaît manifestement l'objectif de la directive » (CC, n° 2006-543 DC du 30 novembre 2006, Loi relative au secteur de l'énergie, considérant 7), objectif qui est d'associer les citoyens aux décisions relatives aux OGM et de préserver le droit à la participation et à l'information du public quant aux disséminations volontaires d'OGM.
Ces insuffisances législatives apparaissent plus spécifiquement aux articles 6bis, 7 et 9 du projet de loi relatif aux OGM.
En effet, l'article 6bis prévoit l'établissement par l'autorité administrative d'un registre national indiquant la nature et la localisation des parcelles culturales d'OGM, dont elle assure la publicité par tous moyens appropriés. Les informations mises à la disposition du public se limitent donc, au sens de la loi, au type d'OGM cultivés ainsi qu'à leur localisation, sans aucune obligation, pour l'autorité administrative, de joindre à celles-ci l'ensemble des informations relatives aux études et tests préalablement effectués sur les OGM concernés. Or seules ces informations permettent d'informer le public, de manière effective et efficace, des risques que peuvent présenter les OGM pour l'environnement ou la santé publique. L'article 6bis est manifestement incompatible avec la directive 2001/18/CE que la loi a pour objet de transposer.
L'article 7 crée pour sa part une clause de confidentialité au bénéfice des exploitants d'OGM et renvoie à un décret en conseil d'Etat, le soin de fixer « la liste des informations qui ne peuvent en aucun cas rester confidentielles ». Or, poursuivant un objectif de participation et d'information du public concernant la culture et la mise sur le marché des OGM, la directive dispose expressément, en son article 25, que, « en aucun cas, […] les informations suivantes ne peuvent rester confidentielles : description générale du ou des OGM, nom et adresse du notifiant, but de la dissémination, lieu de la dissémination et utilisations prévues, méthodes et plans de surveillance du ou des OGM et d'intervention en cas d'urgence, évaluation des risques pour l'environnement ». L'article 7 de la loi, en renvoyant à un décret en Conseil d'Etat le soin de déterminer les informations qui ne sauraient être déclarées confidentielles, n'assure pas une correcte transposition de la directive en ce qu'il contrevient à l'objectif général de celle-ci qu'est l'information et la consultation permanentes du public. Enfin, l'article 9 de la loi est relatif à la procédure suivie par l'autorité administrative dans le cas où celle-ci disposerait d'éléments nouveaux d'information, susceptibles d'avoir des conséquences significatives du point de vue des risques pour l'environnement et la santé publique. Or, alors que l'article 9 prévoit expressément une information du public dans le cadre des disséminations volontaires à toute autre fin que la mise sur le marché (nouvel article L. 533-3-1 du Code de l'environnement), pareille disposition n'a pas d'équivalent dans le cadre de la mise sur le marché d'OGM. Le nouvel article L. 533-8 se limite en effet à disposer que l'autorité administrative « peut, en cas de risque grave, prendre des mesures d'urgence consistant notamment à suspendre la mise sur le marché ou à y mettre fin et en informer le public ».
Ainsi, l'ensemble de ces dispositions méconnaît manifestement l'objectif de la directive 2001/18/CE que la loi a pour objet de transposer et, ce faisant, viole l'exigence constitutionnelle de transposition des directives communautaires posée à l'article 88-1 de la Constitution.
III) Sur l'incompétence négative dans la définition du “sans organismes génétiquement modifiés”
L'article 1er du projet de loi indique que la culture, la commercialisation et l'utilisation des OGM doivent notamment respecter les « filières de production et commerciales qualifiées “sans organismes génétiquement modifiés” ». Pour le projet de loi, le « sans OGM », « se comprend nécessairement par référence à la définition communautaire ». Et « dans l'attente d'une définition au niveau européen », le seuil pertinent sera déterminé « par voie réglementaire, sur avis du Haut conseil des biotechnologies, espèce par espèce ».
Cette disposition renvoie dans un premier temps à une définition communautaire qui n'existe pas et dont il n'est pas certain qu'elle existe un jour, puisque aucune précision n'est fournie. La suite de l'article confond le droit « communautaire » et le « niveau européen », ce qui témoigne également d'une grande imprécision. Est-ce à dire qu'il reviendrait aussi au Conseil de l'Europe ou à la Cour européenne des droits de l'homme de déterminer la notion de « sans OGM » ? Alors que le régime juridique de l'ensemble de la loi dépend des définitions données par l'article 1er et de la conciliation entre les intérêts en présence, le projet de loi reste dans le vague, sinon dans le vide, juridique.
L'application des autres dispositions de la loi est dés lors incertaine, car la notion qui en commande l'application reste indéfinie. Au regard des nombreux enjeux fondamentaux qui entourent ce projet de loi, l'imprécision manifeste des notions centrales qui déterminent l'application de la loi est préjudiciable pour les droits du citoyen et des consommateurs.
Comme l'indiquaient récemment les Sénateurs, par ailleurs ingénieurs du génie rural des eaux et des forêts, Fabienne Keller et Jacques Muller, « alors que le principe de transparence constitue l'un des piliers forts du projet de loi et que la technologie permet une détection extrêmement fine, le consommateur citoyen est en droit d'obtenir une définition intelligible, précise et donc scientifique du »sans-OGM ". En découlent les modalités d'indemnisation des victimes de contamination ou bien les périmètres d'isolement des cultures : c'est le principe même du droit de « cultiver sans OGM » qu'il s'agit de protéger effectivement ! » (Le monde, 14 mai 2008).
De plus, dans l'attente de cette définition communautaire et/ou européenne, l'article 1er renvoie finalement au pouvoir réglementaire le soin de déterminer la notion de « sans OGM ». Or, la détermination de cette notion relève par définition du domaine de la loi. Plus encore, puisque le régime juridique de l'ensemble des dispositions de la loi dépend de la notion de « sans OGM » de l'article 1, la détermination des seuils pertinents relève de la compétence du législateur.
Par conséquent, alors même que la directive laisse sur ce point une marge d'appréciation, le législateur n'épuise pas sa compétence et viole manifestement l'article 34 de la Constitution ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Selon une jurisprudence désormais établie (depuis CC, n°2006-540 DC du 27 juillet 2006, cons. 9), le Conseil constitutionnel considère en effet :
« qu'il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ; que le plein exercice de cette compétence, ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, lui imposent d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ; qu'il doit en effet prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi » (CC, n°2007-557 DC du 15 novembre 2007, cons. 19).
L'article 1er du projet de loi mérite donc la censure sur ce point.
III) Sur la violation des droits et libertés constitutionnellement garantis
A) Sur la violation du principe de précaution reconnu à l'article 5 de la Charte de l'environnement
Selon l'article 5 de la Charte de l'environnement, « lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent […] à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».
Aux termes de l'article 1er du projet de loi, les autorisations portant sur les OGM ne peuvent intervenir qu'après une « évaluation préalable indépendante et transparente des risques pour l'environnement et la santé publique ».
Si cette condition représente, pour partie, une mise en oeuvre du principe de prévention (article 3 de la Charte), il se révèle insuffisant au regard des exigences posées par le principe constitutionnel de précaution. En effet, ce dernier doit être interprété à la lumière des débats constituants qui ont précédé l'adoption de la loi constitutionnelle relative à la Charte de l'environnement. Il ressort en substance de ces débats que le principe de précaution doit être entendu comme un principe d'action qui ne nécessite pas d'intervention du législateur pour sa mise en oeuvre.
Ainsi, le principe de précaution se différencie du principe de prévention en ce qu'il constitue un « principe d'action par excellence » (voir notamment N. Kosciusko-Morizet, rapporteure, Assemblée nationale, deuxième séance du 25 mai 2004). Le principe de précaution impose donc au législateur d'adopter les mesures nécessaires en vue de prévenir tout dommage à l'environnement, même dans les cas où la probabilité de réalisation de ce dommage s'avère incertaine en l'état des connaissances. Il s'agit d'un principe de type procédural qui appelle des mesures provisoires et proportionnées afin d'éviter la réalisation du dommage.
En outre, l'article 5 qui consacre le principe de précaution se particularise, au sein de la Charte de l'environnement, en ce qu'il ne fait aucune référence à une nécessaire mise en oeuvre par la loi aux fins d'effectivité juridique. Au cours des débats constituants, il a en effet été souligné que les dispositions de la Charte « n'auront pas toutes la même portée normative, c'est-à-dire la même effectivité juridique. A l'exception du principe de précaution qui figure à l'article 5, les autres principes énoncés dans la Charte sont des objectifs de valeur constitutionnelle. Leur mise en oeuvre nécessitera l'intervention du législateur » (intervention du Garde des sceaux lors de la discussion sur le projet de loi constitutionnelle, Assemblée nationale, deuxième séance du 25 mai 2004).
En ce sens, si le Parlement dispose d'une marge d'appréciation pour déterminer les mesures nécessaires qu'impose le respect du principe constitutionnel de précaution, cette marge reste limitée aux choix des moyens.
Or, le Conseil constitutionnel, dans le cadre de son contrôle de constitutionnalité des lois, est appelé à interpréter les dispositions constitutionnelles à la lumière des « travaux parlementaires » (voir notamment : CC, n° 2006-533 DC du 16 mars 2006, Loi relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes, considérant 14) « ayant conduit à l'adoption de ces dispositions » constitutionnelles (voir notamment : CC, n° 2001-445 DC du 19 juin 2001, considérant 57).
Dès lors et au regard du principe de précaution tel que consacré dans la Constitution, la loi relative aux OGM encourt la censure. La loi autorise en effet la culture des OGM sans parer à la réalisation d'un dommage éventuel à l'environnement. Cette assertion se vérifie à deux niveaux.
En premier lieu, la loi prévoit un régime d'indemnisation des productions contaminées et oblige par ailleurs les producteurs d'OGM à contracter une assurance à cette fin. Ce faisant, le législateur envisage la réalisation de dommages comme probable voire certaine pour les cultures avoisinantes, et donc pour l'environnement. Selon les auteurs de la saisine, cette carence de la loi au regard des exigences procédurales posées par le principe de précaution est particulièrement manifeste à l'article 2 de la loi qui institue un « Haut conseil des biotechnologies ». Cette disposition se révèle en effet vague dans ses termes, se limitant notamment à prévoir que la Haut conseil « peut se saisir d'office […] de toute question concernant son domaine de compétence et proposer, en cas de risque, toutes mesures de nature à préserver l'environnement et la santé publique », alors que le législateur est tenu, selon la Constitution, d'imposer à l'autorité administrative d'adopter les mesures nécessaires et proportionnées afin de parer à la réalisation de dommages pour l'environnement. Ainsi, le législateur prive de garanties légales le principe de précaution.
En second lieu, l'article 3 de la loi précise que les conditions techniques, auxquelles sont soumises les cultures d'OGM, doivent « permettre que la présence accidentelle d'OGM dans d'autres productions soit inférieure au seuil établi par la réglementation communautaire ». En ce sens, la loi se limite à prévenir le seul risque de contamination des cultures voisines sans exiger le respect de conditions techniques propres à assurer, plus spécifiquement, le respect de l'environnement. Cet article révèle par ailleurs que le législateur n'a pas fait une correcte application du principe de précaution. Ainsi, les conditions techniques auxquels sont soumis la culture, la récolte, le stockage et le transport d'OGM n'a pour seul objet que « d'éviter » la présence accidentelle d'OGM dans d'autres productions ; ainsi, ces conditions techniques ne constituent pas des mesures nécessaires et efficaces répondant au principe constitutionnel de précaution. Le législateur a ce faisant violé l'article 5 de la Charte sur l'environnement. Les auteurs de la saisine souhaitent en fin attirer l'attention sur le fait que le risque que présente la culture d'OGM pour l'environnement, à la différence des cas de contamination de productions sans OGM, est à la fois « grave et irréversible » en ce que pareille contamination affecte le codage génétique de plantes et végétaux sauvages, qui ne font l'objet ni de contrôle ni de destruction automatique.
Le législateur, en s'abstenant d'adopter les mesures efficaces et effectives en vue de parer à la réalisation de dommages et en se limitant à prévenir les seuls risques pour les productions avoisinantes, sans considération des risques pour l'environnement, a dénaturé le sens et la portée du principe constitutionnel de précaution.
B) Sur la violation du droit à l'information reconnu à l'article 7 de la Charte de l'environnement
Selon l'article 7 de la Charte de l'environnement, « toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations nécessaires relatives à l'environnement, le développement économique et le progrès social ».
Conformément à cette disposition, il convient, en matière environnementale, d'assurer une information adéquate des citoyens relativement aux risques que peut entraîner l'autorisation, accordée par une autorité publique, de culture et de mise sur le marché des OGM. Il s'agit ici d'une condition nécessaire au « droit [pour chacun] de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », droit reconnu à l'article 1 de la Charte. En ce sens, l'information des citoyens relativement aux questions environnementales, participe de la protection générale de l'environnement.
La Charte doit se comprendre comme un ensemble normatif cohérent qui appelle une lecture transversale, une interprétation combinée de certains de ses articles. Ainsi, le droit français se révèlerait conforme aux exigences de la Convention européenne des droits de l'Homme, la Cour de Strasbourg assurant en effet une protection du droit à l'environnement à travers le droit à l'information, droit procédural qui constitue une garantie à un droit substantiel. Elle en a jugé ainsi, dans son arrêt Guerra contre Italie du 19 février 1998 :
« la Cour rappelle que des atteintes graves à l'environnement peuvent toucher le bienêtre des personnes et les priver de la jouissance de leur domicile […]. En l'espèce, les requérantes sont restées dans l'attente d'informations essentielles qui leur auraient permis d'évaluer les risques pouvant résulter […] du fait de continuer à résider sur ce territoire […]. La Cour constate donc que l'État défendeur a failli à son obligation de garantir le droit des requérantes au respect de leur vie privée et familiale […] ».
Or, le projet de loi porte une atteinte excessive au droit à l'information de toute personne relativement aux questions environnementales.
L'article 6bis de la loi viole l'article 7 de la Charte en privant les administrés de toute information portant sur les risques pour l'environnement d'une mise en culture d'OGM. En effet, il n'impose pas à l'autorité administrative d'intégrer, dans le registre national rendu public, les informations portant sur les études et tests effectués sur les OGM et relatives aux risques qu'ils présentent pour l'environnement, le registre se limitant à indiquer la nature et la localisation des parcelles culturales d'OGM.
En outre, l'article 7 de la loi prive de garanties légales le droit à l'information consacré à l'article 7 de la Charte. Cette disposition offre en effet la possibilité à l'exploitant de demander à l'autorité administrative la confidentialité de certaines informations, et renvoie à un décret en Conseil d'État « la liste des informations qui ne peuvent en aucun cas rester confidentielles ». Ce renvoi du législateur au pouvoir réglementaire est susceptible de constituer un cas d'incompétence négative. Surtout, en s'abstenant de préciser expressément que les informations relatives aux risques pour l'environnement ne sauraient être déclarées confidentielles, le projet de loi constitue un recul en matière de droit à l'information des citoyens. En effet, la législation actuelle prévoit que ces informations ne sauraient être déclarées confidentielles (article 535-3 du Code de l'environnement).
Or, de jurisprudence constante, le Conseil reconnaît que s'il « est à tout moment loisible au législateur […] de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci, en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions », il ne saurait pour autant « priver de garanties légales des exigences constitutionnelles » (Ex. : CC, n°2004-499 DC, 29 juillet 2004).
C) Sur la violation du principe de la liberté d'entreprendre
De jurisprudence aujourd'hui constante, « la liberté, qui aux termes de l'article 4 de la Déclaration consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, ne saurait être préservée si des restrictions arbitraires ou abusives étaient apportées à la liberté d'entreprendre » (CC n° 81-132 DC du 16 janvier 1982). Toutefois, « il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi » (CC n° 2001-451 DC du 27 novembre 2001). Le respect de la liberté d'entreprendre est donc une exigence constitutionnelle, et il ne peut en résulter aucune atteinte disproportionnée. À défaut de quoi le Conseil constitutionnel n'hésite pas à censurer les dispositions attentatoires.
Or, en l'espèce, si la loi organise un régime d'indemnisation des exploitants sans OGM en cas de contamination de leurs productions, les conditions d'indemnisation posées à l'article 5 de la loi apparaissent comme manifestement trop restrictives (limitation à une production « au cours d'une même campagne », terrains à proximité sans envisager une contamination du fait du transport ou du stockage d'OGM) au regard de l'atteinte portée à la liberté d'entreprendre des cultivateurs sans OGM.
Par ailleurs, en prévoyant une réparation financière basée sur la seule dépréciation du produit contaminé en raison d'une différence de prix, le législateur n'assure pas une indemnisation équilibrée du préjudice subi par l'exploitant sans OGM (préjudice qui peut aussi porter en une perte d'un label ou en la nécessité de destruction de la culture au sol…).
L'article 5 du projet de loi encourt donc la censure sur ce point.
D) Sur la violation du droit de propriété :
L'article 5 du projet de loi porte également atteinte au droit de propriété, pourtant garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789 (CC, n°2006-540 DC du 27 juillet 2006, cons. 14). Vous avez en effet jugé que « les principes mêmes énoncés par la Déclaration des droits de l'homme ont pleine valeur constitutionnelle tant en ce qui concerne le caractère fondamental du droit de propriété dont la conservation constitue l'un des buts de la société politique et qui est mis au même rang que la liberté, la sûreté et la résistance à l'oppression, qu'en ce qui concerne les garanties données aux titulaires de ce droit et les prérogatives de la puissance publique » (CC, n°81-132 DC du 16 janvier 1982 , cons. 16).
En l'espèce, le législateur détermine le montant de l'indemnisation des exploitants sans OGM, en cas de contamination de leurs productions, en fonction du prix du produit ainsi dévalué. De ce fait, seule l'atteinte portée à la liberté d'entreprendre est réparée. Or, plusieurs atteintes au droit de propriété sont constituées sans qu'aucun régime d'indemnisation ne soit prévu. Il en va ainsi de l'atteinte au droit de propriété de l'agriculteur non OGM, mais également du droit de propriété de tout cultivateur non marchand qui peut être affecté en raison de la contamination de ses produits.
En outre, le législateur ne saurait se fonder sur la liberté d'entreprendre des exploitants OGM, liberté qui n'est ni absolue ni générale (Voir CC, n°82-141 DC du 27 juillet 1982), pour justifier ces atteintes manifestement excessives au droit de propriété des exploitants sans OGM.
Par conséquent, l'article 5 de la loi encourt également la censure pour violation du droit de propriété.
E) Sur la violation des principes du droit pénal par l'instauration d'un délit spécifique de fauchage d'OGM.
L'article 4 du projet de loi instaure un délit spécifique de destruction ou de dégradation d'une parcelle de culture d'OGM. La peine encourue est de deux ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende, de trois ans d'emprisonnement et 150 000 € d'amende pour la destruction ou la dégradation de parcelles d'essai.
L'amende de 150 000 € est trop importante et témoigne d'une disproportion manifeste au regard du principe de nécessité des peines posé par l'article 8 de la DDHC, selon lequel « La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ».
De jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel estime « qu'en l'absence de disproportion manifeste entre les infractions et les sanctions concernées, il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer sa propre appréciation à celle du législateur en ce qui concerne la nécessité des peines sanctionnant les infractions définies par celui-ci » (CC, n° 92-316 du 20 janvier 1993, cons. 32).
Or, en l'espèce, les sanctions prévues par la loi sont manifestement disproportionnées au regard des infractions commises, ce qui entraîne une violation de l'article 8 de la DDHC.
La disproportion est encore plus manifeste au vu de l'absence de référence au caractère intentionnel de la destruction, qui fait encourir une peine identique pour les personnes responsables d'une destruction accidentelle d'une parcelle d'OGM.
La présence nécessaire d'un élément moral, constituée par l'intention de commettre un délit, est en effet garantie par le Conseil constitutionnel. La jurisprudence estime ainsi :
« qu'il résulte de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, s'agissant des crimes et délits, que la culpabilité ne saurait résulter de la seule imputabilité matérielle d'actes pénalement sanctionnés ; qu'en conséquence, et conformément aux dispositions combinées de l'article 9 précité et du principe de légalité des délits et des peines affirmé par l'article 8 de la même Déclaration, la définition d'une incrimination, en matière délictuelle, doit inclure, outre l'élément matériel de l'infraction, l'élément moral, intentionnel ou non, de celle-ci » (CC, n°99-411 DC du 16 juin 1999).
Au regard du principe d'égalité devant la loi pénale (V. par ex. CC, n°2006-540 DC du 27 juillet 2006, cons. 65), cette disposition est inconstitutionnelle si elle est comparée avec les articles 322-1 et 322-3 du code pénal relatifs à la destruction du bien d'autrui (1). Pour ce type de délit, le code pénal prévoit deux ans d'emprisonnement et 30000 euros d'amende, cinq ans d'emprisonnement et 75000 euros d'amende si la destruction est commise en réunion.
Ainsi, entre le droit commun et le délit spécifique de destruction d'OGM prévu par le projet de loi, les peines d'emprisonnement encourues sont distinctes et l'amende est bien plus sévère pour le fauchage d'une parcelle d'essai d'OGM. Pourtant, l'objet de la loi ne permet pas de justifier de manière objective ces différences de traitement pénal. Ce qui entraîne une violation du principe d'égalité devant la loi pénale.
De manière générale, l'amende applicable à la destruction d'une parcelle d'essais OGM sera plus élevée que celle sanctionnant la destruction ou la dégradation d'un bien quelconque, commise en raison de l'appartenance vraie ou supposée de la personne propriétaire à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. En instaurant une échelle des valeurs pour le moins curieuse, l'article 4 du projet de loi démontre l'incohérence et la disproportion des sanctions prévues.
Cet article 4 du projet de loi est donc manifestement inconstitutionnel et reflète le flottement des conditions de son adoption, puisque l'unique réaction de la Secrétaire d'État Mme Kosciusko-Morizet à cet amendement fut : « Faute de saisir le sens de cette modification, le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat ».

Les auteurs de la saisine s'en remettent donc à votre appréciation pour assurer la garantie des règles constitutionnelles et des droits et libertés fondamentaux constitutionnels.
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Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel, à l'expression de notre haute considération.
(1) Article 322-1 CP : La destruction, la dégradation ou la détérioration d'un bien appartenant à autrui est punie de deux ans d'emprisonnement et de 30000 euros d'amende, sauf s'il n'en est résulté qu'un dommage léger.
Article 322-3 CP : L'infraction définie au premier alinéa de l'article 322-1 est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende et celle définie au deuxième alinéa du même article de 15000 euros d'amende et d'une peine de travail d'intérêt général.