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Décision n° 2007-555 DC du 16 août 2007 - Saisine par 60 députés

Loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat
Non conformité partielle

Monsieur le Président du Conseil constitutionnel, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat.
A l'appui de cette saisine, nous développons les griefs suivants.
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Article 1er
Sur le respect du droit à l'emploi
En application de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de fixer les principes fondamentaux du droit du travail, et notamment de poser les règles permettant d'assurer conformément au cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 le droit pour chacun d'obtenir un emploi, tout en ouvrant le bénéfice de ce droit au plus grand nombre.
L'article 1er s'inscrit dans la logique des dispositions législatives adoptées sous la précédente législature pour faciliter le recours aux heures supplémentaires. L'intention du législateur a été clairement établie au cours des travaux parlementaires : inciter à l'augmentation du temps de travail individuel en réduisant le coût des heures supplémentaires.
Les rapports et avis des commissions permanentes de l'Assemblée nationale comme du Sénat soulignent l'augmentation du nombre de salariés effectuant des heures supplémentaires ou du nombre d'heures supplémentaires effectuées intervenue entre l'année 2003 et l'année 2004, pour regretter que les dispositions adoptées lors de la précédente législature n'aient pas produit suffisamment d'effets notamment en terme d'augmentation du nombre d'heures travaillées.
Les dispositions combinées de l'article 1er en termes d'exonération d'impôt sur le revenu et d'allégements de cotisations sociales au titre des rémunérations liées aux heures supplémentaires constituent une atteinte au droit à l'emploi, d'autant plus grave qu'il est illusoire de considérer que chaque salarié pourra demander à son employeur d'effectuer des heures supplémentaires.
L'article 1er vient compléter le code général des impôts, le code de la sécurité sociale ainsi que le code rural. Il ne modifie en rien le fait que le salarié peut travailler au-delà de la durée légale à la seule initiative de l'employeur. Sauf à méconnaître la réalité des entreprises, aucun salarié ne pourra exercer un quelconque droit à effectuer des heures supplémentaires si son employeur n'en a pas la nécessité, eu égard à l'activité de son entreprise.
Par conséquent, l'initiative d'effectuer des heures supplémentaires relevant du seul employeur, celui-ci peut se trouver dans la situation, compte tenu des incitations financières prévues par l'article 1er, de favoriser le travail supplémentaire au détriment soit de la protection de la santé de chaque salarié, soit de l'embauche de salariés supplémentaires dans les conditions prévues par la loi en terme de contrats à durée déterminée, voire à durée indéterminée.
Au nom du respect du droit à l'emploi, cet article entrave ainsi l'objectif constitutionnel d'ouvrir le bénéfice de ce droit au plus grand nombre puisqu'il conduit l'employeur à privilégier les heures supplémentaires au détriment de l'embauche d'un autre salarié même de façon temporaire. Ce paradoxe est renforcé par le fait que le refus d'un salarié d'effectuer des heures supplémentaires pourra constituer pour l'employeur le refus d'une modification essentielle de son contrat de travail, susceptible de conduire à un licenciement individuel.
Au total, le respect pour chacun du droit à obtenir un emploi est pour le moins entravé. De plus, de tels droits aussi fondamentaux pour les salariés ne peuvent être amoindris, ni même laissés à une démarche contractuelle ou conventionnelle insuffisamment encadrée par la loi. L'article 1er ne comporte en effet aucune garantie légale pour le salarié d'exprimer son accord ou son refus.
Il appartient également au législateur de concilier entre les principes à valeur constitutionnelle, que sont le droit à l'emploi et la liberté d'entreprendre, prévue à l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Il est toujours loisible au législateur d'apporter à tel ou tel droit constitutionnel, en l'occurrence le droit à l'emploi, les limitations justifiées par un motif d'intérêt général, à la condition que les limitations en question n'aient pas pour conséquence de dénaturer la portée de ce droit.
Il ne saurait être question de considérer que l'atteinte ainsi portée au droit à l'emploi puisse se revendiquer d'une quelconque nécessité de protéger la liberté d'entreprendre. On en voudra pour preuve justement le fait que le contingent d'heures supplémentaires soit loin d'être utilisé dans son intégralité, en raison non pas d'incitations au recours aux heures supplémentaires qui ne permettraient pas à la liberté d'entreprendre de s'exercer pleinement, mais plutôt en raison d'une activité économique insuffisante.
La liberté d'entreprendre ne peut valablement conduire à permettre le recours de façon durable aux heures supplémentaires jusqu'aux limites conventionnelles ou réglementaires, dans la mesure où pour des raisons d'ordre public protecteur, ce recours doit conserver un caractère exceptionnel. Malheureusement, il apparaît que l'intention du législateur est d'instituer ainsi un mode normal d'exécution du contrat de travail, qui conduit à un déséquilibre entre deux droits à valeur constitutionnelle.
En agissant ainsi, le législateur porte une atteinte manifeste au droit à l'emploi au point d'en détourner la portée. La conciliation entre deux droits à valeur constitutionnelle ne saurait tendre à un équilibre établi aux dépens de l'un des deux principes.
Sur la rupture du principe d'égalité devant la loi
L'article 1er fixe les règles permettant une exonération des rémunérations perçues à raison d'une partie des heures supplémentaires ou complémentaires effectuées par certains salariés.
Concernant tout d'abord le champ et la définition de l'assiette de l'exonération au titre de l'impôt sur le revenu, et indirectement de la réduction de cotisations sociales salariales, le dispositif proposé entraîne une rupture caractérisée de l'égalité entre les contribuables.
Le dispositif de l'article instaure en effet un traitement fiscal et social différent pour des salariés se trouvant pourtant dans une situation similaire au regard de la loi, car ils effectuent un même horaire de travail au sein d'une même entreprise.
Pour une même heure de travail effectuée, un salarié pourra en effet se voir appliquer des niveaux de cotisations sociales salariales et une imposition sur le revenu différentes.
Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ».
Le principe d'égalité impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation. Ce principe est contrarié à plusieurs titres par le dispositif proposé par l'article 1er.
Tout d'abord parce que les heures supplémentaires pouvant être prises en compte dans le cadre du nouvel article 81 quater du code général des impôts sont définies de façon variable selon les salariés d'une même entreprise.
Ainsi, deux salariés qui effectueraient une durée de travail hebdomadaire voire annuelle strictement égales pourraient ne pas bénéficier d'un traitement fiscal et social identique au titre de leur rémunération, dès lors que leur durée de travail contractuellement fixée ne serait pas la même.
La même inégalité de traitement est constatée pour la question spécifique des cadres qui, conformément au II de l'article L. 212-15-3 du code du travail, et dans le cadre d'une autorisation prévue par un accord collectif, réaliseraient des heures au-delà de la durée annuelle prévue dans le cadre d'un forfait annuel.
Ceux-ci ne pourront bénéficier du traitement fiscal et social particulier des heures supplémentaires que pour les heures réalisées au-delà de 1 607 heures par an, quelle que soit la durée effectivement prévue dans le cadre de leur forfait annuel. Dès lors, des cadres qui effectueraient des heures considérées comme supplémentaires dans leur entreprise pourront ne pas bénéficier du dispositif d'exonération dans certains cas.
En tout état de cause, cet article constitue une désincitation à la conclusion d'accords collectifs limitant la durée du travail dans le cadre des forfaits à un niveau inférieur à 1 607 heures, ce qui n'est certainement pas un but d'intérêt général explicite de la loi permettant de justifier une différence de traitement fiscal.
Enfin, certains salariés sont explicitement exclus du dispositif prévu au titre des heures complémentaires effectuées par les salariés à temps partiel, sans que cette différence de traitement ne soit justifiée au regard de l'objectif de la loi qui est d'inciter à la réalisation d'heures supplémentaires.
Il s'agit ici des salaires versés par des particuliers employeurs à des salariés à temps partiel. En aucun cas ces salariés ne pourront bénéficier du dispositif prévu pour les salariés à temps partiel permettant l'application du dispositif d'exonération pour les heures complémentaires qu'ils réalisent au-delà de leur horaire habituel de travail et dans des limites fixées par la loi. Cette exclusion ne semble se justifier pour le gouvernement qu'au regard de la difficulté de mise en place d'une exonération au bénéfice de ces salariés, ce qui ne constitue en aucun cas un motif d'intérêt général suffisant pour justifier cette entorse à l'égalité de traitement.
Sur le non respect de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière d'exonération de CSG
Concernant la réduction de cotisations sociales salariales visée au IV de l'article, celle-ci conduit à remettre en cause la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière d'exonération de Cotisation Sociale Généralisée de certains revenus.
Annoncée durant la campagne de l'élection présidentielle, l'exonération a constamment été présentée comme devant être totale par le Président de la République, et concerner ainsi toutes les charges et contributions sociales en plus de l'impôt sur le revenu. Le Premier Ministre dans sa présentation du projet de loi a lui-même insisté sur le fait que l'exonération des heures supplémentaires serait « totale ». Le 9 juillet 2007, soit 6 jours après son discours de politique générale devant l'Assemblée nationale, il déclarait ainsi que « le 1er octobre, les heures supplémentaires seront totalement exonérées ».
Le rapporteur général du budget, rapporteur de la commission des finances de l'Assemblée nationale sur le projet de loi, indiquait lui-même dans son intervention générale sur le texte qu'« aujourd'hui, l'heure supplémentaire accomplie par un salarié d'une entreprise de moins de vingt salariés lui rapporte 10 % de plus ; demain, grâce à l'augmentation du taux de majoration de 10 à 25 % et aux exonérations de cotisations sociales et de CSG, elle lui rapportera 60 % de plus(Assemblée nationale, première séance du mardi 10 juillet 2007) »
Le dispositif de l'article 1er traduit cet engagement mais sous une forme détournée, dont le seul but est d'échapper à la légitime sanction d'une exonération de CSG et de CRDS qui ne respecte pas la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
L'objectif est bien celui de mettre en œuvre une exonération totale au titre de l'impôt sur le revenu, d'une part, et d'autre part de l'ensemble des cotisations sociales dues par le salarié au titre des heures supplémentaires visées par le dispositif, de la CSG, de la CRDS et des prélèvements sociaux.
La forme retenue pour cette exonération des cotisations et contributions sociales est celle d'une réduction proportionnelle de cotisations sociales dont le principe serait fixé dans un nouvel article L. 241-17 du code de la sécurité sociale.
Est ainsi instituée une réduction des cotisations salariales de sécurité sociale d'un montant proportionnel à la rémunération perçue à raison des heures supplémentaires ou complémentaires accomplies à compter du 1er octobre 2007. Le taux de la réduction serait fixé par décret.
Comme l'indique à juste titre le rapporteur de la commission des finances au Sénat, « il s'agirait d'un taux unique maximal de 21,5 % soit environ le taux global des cotisations et contributions sociales dues par un cadre rémunéré à un niveau inférieur au plafond de la sécurité sociale fixé, pour 2007, à 2.682 euros par mois (…) » (Rapport n°404 de M. Philippe Marini, p. 26 et suivantes). De même, il affirme que « bien que ne concernant que les cotisations salariales de sécurité sociale stricto sensu, le dispositif proposé engendrera in fine une exonération totale de charges sociales salariales sur les heures supplémentaires et complémentaires y ouvrant droit ».
Derrière la fiction juridique d'une réduction de cotisations sociales c'est bien, conformément à l'intention affichée par le Président de la République et par le Premier ministre, une exonération des cotisations et contributions dues par le salarié qui est visée. A ce titre, l'exonération de CSG et de CRDS proposée, même de manière détournée, se doit de respecter la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui impose la prise en compte des capacités contributives des contribuables concernés et le respect de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Le dispositif proposé ne tient pas compte des capacités contributives des contribuables visés, redevables de la CSG (comme du reste de la CRDS), qualifiée d' « imposition de toutes natures » par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°90-285 DC du 28 décembre 1990.
Conformément à l'article 13 de la Déclaration de 1789 et à l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives des contribuables. Le législateur peut modifier l'assiette de la CSG à la condition de ne pas provoquer de rupture caractérisée de l'égalité entre contribuables, ce qui est le cas dès lors qu'il ne tient pas compte de ces facultés contributives.
Dans sa décision n°2000-442 DC du 28 décembre 2000, le Conseil constitutionnel a clairement affirmé que la réduction de CSG prévue au bénéfice des salariés modestes prévue dans le cadre de l'article 3 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, en ne prenant pas en compte les facultés contributives de chaque foyer, introduisait une rupture caractérisée de l'égalité devant l'impôt qui l'a conduit à censurer cet article.
A l'image de cette disposition, la réduction de CSG proposée en réalité par l'article 1er de la loi, ne tient compte ni des revenus du contribuable autres que ceux tirés d'une activité, ni des revenus des autres membres du foyer, ni des personnes à charge au sein de celui-ci.
Le choix de ne pas mettre en place directement une exonération de CSG et de CRDS pour les rémunérations visées mais d'assurer un effet identique par la mise en œuvre d'une réduction de cotisations sociales ne peut être utilement invoqué par le gouvernement pour éviter la censure du Conseil constitutionnel.
En effet, le dispositif introduit par la loi n°2001-458 du 30 mai 2001 portant création de la prime pour l'emploi, en remplacement explicite de la réduction de CSG censurée par le Conseil constitutionnel le 28 décembre 2000 (décision n°2000-442 DC), tenait précisément compte de sa décision récente pour assurer que le montant de la prime tenait effectivement compte de l'ensemble des capacités contributives, par la référence au revenu imposable du foyer fiscal et de ses charges de familles.
Le dispositif proposé est ainsi exposé à la même sanction que celle appliquée à la réduction de CSG introduite par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001. A tout le moins, il appartiendra au gouvernement de mettre en œuvre, dans la fixation par décret du taux des réductions de cotisations sociales salariales, la prise en compte des capacités contributives des contribuables visés.
Pour l'ensemble de ces raisons, il appartiendra au Conseil constitutionnel de censurer l'article 1er.
Article 11
Sur la violation du principe d'égalité devant les charges publiques
L'article 11 de la loi vise à modifier les conditions d'application du principe introduit par la loi n°2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006, à l'article 1er du code général des impôts, de plafonnement des impositions en fonction du revenu.
A ce titre, le mode de détermination du droit à restitution posé, en application de l'article 1er du code général des impôts, à l'article 1649-0-A du même code est modifié sur deux points principaux.
D'une part le pourcentage maximum du revenu au-delà duquel un contribuable ne peut être assujetti à l'impôt direct est ramené de 60 % à 50 %.
D'autre part, la somme des impositions prises en compte au titre du droit à restitution est étendue à la CSG, à la CRDS et aux prélèvements sociaux. Sont ainsi visés à la fois la CSG sur les revenus du patrimoine, la CRDS et le prélèvement social et sa contribution additionnelle assis sur les mêmes revenus, et la CSG sur les revenus d'activités et de remplacement et les produits de placement, de même que la CRDS, le prélèvement social et sa contribution additionnelle assis sur cette même assiette.
Il convient de bien prendre en compte ce double aspect. Un raisonnement uniquement fondé sur la variation du taux de plafonnement ne serait pas opératoire dès lors que les revenus et surtout les impositions prises en compte pour le calcul du droit à restitution ne seraient pas pris en compte. Ainsi, la référence constante (Voir Assemblée nationale, Rapport n°62 sur le projet de loi « Travail, emploi et pouvoir d'achat », Gilles Carrez au nom de la Commission des finances, p. 242) aux décisions de la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe qui, dans une décision du 22 juin 1995, a considéré que le total de l'impôt sur le revenu et de l'impôt de solidarité sur la fortune ne peut excéder 50 % des revenus du contribuable, ne peut être retenue dès lors que la somme des impositions concernées est beaucoup plus restreinte.
En abaissant le taux du plafonnement, et en élargissant la somme des impositions prises en compte, le législateur prive d'effectivité l'impôt de solidarité sur la fortune et dans un grand nombre de cas les impositions locales, et remet en cause l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen selon lequel « pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».
En effet, compte tenu des taux marginaux applicables pour les différentes impositions, qui doivent être considérés dès lors qu'est également proposé un taux de plafonnement, la somme des seuls taux marginaux de l'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux conduit à un niveau proche, voire supérieur au taux de plafonnement de 50 % posé à l'article 11 de la loi.
Dès lors, le dispositif introduit par l'article 11 de la loi conduit à une exonération presque systématique de leur cotisation d'impôt de solidarité sur la fortune, ainsi que des impositions locales, au bénéfice des seuls contribuables imposables au taux marginal supérieur de l'impôt sur le revenu. Ainsi, c'est le principe même d'une imposition du patrimoine qui est remis en cause, au bénéfice d'une catégorie de contribuables très aisés.
Le taux marginal de l'impôt sur le revenu pour les contribuables dont le revenu par part de quotient familial est supérieur à 66 679 euros est de 40 % compte tenu du barème fixé à l'article 197 du code général des impôts par l'article 2 de la loi nº 2006-1666 du 21 décembre 2006 de finances pour 2007.
Quant aux prélèvements sociaux visés aux articles L. 136-6 (CSG sur la patrimoine à 8,2 %), L. 245-14 et L 14-10-4 du code de la sécurité sociale (prélèvement social de 2 % et sa contribution additionnelle de 0,3 %) ainsi qu'à l'article 15 de l'ordonnance du 24 janvier 1996 (CRDS de 0,5 %), leurs taux fixes additionnés atteignent 11 %.
Pour les prélèvements sociaux visés aux articles L. 136-1 à 5 (CSG sur les revenus d'activités et sur les revenus de remplacement de 6,2 % à 7,5 %,), L. 136-7 (CSG sur les revenus de placement de 8,2 %), L. 245-15 et L 14-10-4 du code de la sécurité sociale (prélèvement social de 2 % et sa contribution additionnelle de 0,3 %), ainsi qu'aux articles 14 et 16 de l'ordonnance du 24 janvier 1996 (CRDS de 0,5 % sur les revenus d'activité et de placement), leurs taux fixes additionnés peuvent atteindre entre 9 % et 10,3 %.
Ainsi, avant même la prise en compte des impositions locales et surtout de l'impôt de solidarité sur la fortune, les contribuables imposés au taux marginal de l'impôt sur le revenu sont susceptibles de bénéficier du plafonnement de leur imposition en fonction du revenu tel que modifié par l'article 11 de la loi.
Cette situation conduit à exonérer un nombre important des contribuables de toute imposition au titre de leur patrimoine. Dans sa décision n° 81-133 DC du 30 décembre 1981, le Conseil constitutionnel a pourtant reconnu la légitimité du point de vue constitutionnel d'une imposition visant « la capacité contributive que confère la détention d'un ensemble de biens et qui résulte des revenus en espèce ou en nature procurés périodiquement par ces biens, qu'ils soient ou non soumis par ailleurs à l'impôt sur le revenu ».
L'adoption par le Sénat, avant sa suppression en commission mixte paritaire, de l'amendement n°40 de la commission des finances instaurant à l'article 885 V bis du code général des impôts la possibilité d'une « autoliquidation de l'impôt de solidarité sur la fortune » est d'ailleurs venue indirectement illustrer cette réalité. Dans l'esprit du législateur, ce ne sont pas tous les impôts qui seraient soumis au mécanisme du bouclier fiscal, mais bien les impôts « marginaux » et au premier rang de ceux-ci l'impôt de solidarité sur la fortune, qu'un contribuable pourrait de son propre chef réduire a priori du montant calculé par lui du droit au restitution auquel il estime avoir droit.
Cette cause d'inconstitutionnalité a été soulevée à plusieurs reprises durant l'examen du projet de loi en commission comme en séance. Elle a d'ailleurs motivé l'adoption par la commission des finances d'un amendement du député Charles de Courson visant à exclure les prélèvements sociaux du calcul du droit à restitution. Cet amendement a été finalement repoussé lors de son examen en séance publique.
Parallèlement, il serait contraire à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen que la définition des facultés contributives soit limitée aux seuls revenus, à l'exclusion du patrimoine.
Il est en effet patent que deux contribuables disposant d'un revenu imposable identique mais d'un patrimoine très différent ne peuvent pas être considérés comme disposant de capacités contributives identiques. Il n'est pas donc conforme au principe d'égalité devant l'impôt posé à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qu'ils se voient appliquer une imposition identique. C'est pourtant ce qui découle de la réforme du plafonnement à laquelle procède l'article 11 de la loi.
Dans la mesure où le plafonnement des impôts directs est calculé en référence aux seuls revenus des contribuables, ceci implique que l'ensemble des impôts directs visés à l'article 1649-0-A du code général des impôts verront leur montant plafonné en fonction d'une assiette qui n'est pas nécessairement celle sur laquelle ils sont calculés. Tel est évidemment le cas pour l'impôt de solidarité sur la fortune, les taxes foncières, et la taxe d'habitation.
Dès lors, comme cela pouvait être craint dès l'instauration d'un tel mécanisme, la modification du taux de plafonnement conduit à une forme d'instabilité de la notion de capacités contributives qui pourrait être peu à peu vidée de tout son sens.
Le Conseil constitutionnel a jugé que l'exigence de proportionnalité de la charge fiscale aux capacités contributives ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives.
Inversement, tel est également le cas si les modalités choisies pour le plafonnement des impositions conduisent à exonérer totalement certains contribuables pour une part de leur capacité contributive constituée d'un patrimoine important. C'est précisément la situation créée par l'article 11 de la loi, qui commande sa censure par le Conseil constitutionnel.
Article 16
L'article 16 de la loi introduit un mécanisme d'imputation sur l'impôt de solidarité sur la fortune des investissements réalisés dans les petites et moyennes entreprises, ainsi que des dons au profit d'organismes d'intérêt général.
L'article 885-0 V bis nouveau inséré dans le code général des impôts relatifs à la souscription au capital dans des sociétés répondant à la définition communautaire des petites et moyennes entreprises ouvrirait la possibilité de bénéficier d'une non imposition au titre de l'ISF représentant 75 % du montant de l'investissement, dans la limite de 50 000 euros.
Cet article instaure une rupture d'égalité entre les contribuables en permettant à certains d'entre eux, dont le patrimoine correspond à un montant net taxable de 5,697 millions d'euros, de s'exonérer des ¾ de leur cotisation au titre de l'ISF en décidant d'un investissement spécifique.
Cet article introduit ce que les rapporteurs de l'Assemblée nationale et du Sénat ont qualifié d'une forme d' « impôt choisi » qui est largement étrangère à la doctrine fiscale française, en ce qu'elle permet en réalité à un contribuable d'échapper en quasi-totalité à l'imposition.
La volonté d'assimilation du dispositif prévu au 1 du I de l'article 885-0 V bis du code général des impôts à une forme d' « impôt choisi » et non à une traditionnelle « réduction d'impôt » pose d'ailleurs la question de l'articulation des dispositions de l'article 16 de la loi avec celles de l'article 11 visant le « bouclier fiscal ».
En effet, le 3 de l'article 1649-0 A indique que les impositions sont diminuées des « restitutions de l'impôt sur le revenu perçues ou des dégrèvements obtenus au cours de l'année de paiement de ces impositions ».
Dès lors, il apparaît que l' « imputation sur l'impôt de solidarité sur la fortune de 75 % des versements » correspondant à des investissements dans des PME pourrait ne pas venir en déduction de l'impôt de solidarité sur la fortune pris en compte pour la détermination du droit à restitution.
Ainsi, le contribuable pourrait voir son imposition plafonnée compte tenu d'une imposition qui n'a pas été effectivement prélevée.
Cette difficulté, évoquée durant la commission mixte paritaire, et signalée au gouvernement lors de l'examen du projet de loi en lecture définitive par l'Assemblée nationale, n'a pas fait l'objet d'une réponse définitive. L'intention du législateur, qui évoque l'imposition choisie, tend néanmoins à confirmer cette interprétation qui serait évidemment totalement contraire au principe d'égalité devant l'impôt.
En tout état de cause, la caractérisation d' « impôt choisi » est trompeuse, puisque contrairement à une imposition, le choix ouvert à des contribuables redevables de l'impôt de solidarité sur la fortune d'investir en franchise d'imposition un montant correspondant aux ¾ de leur cotisation d'ISF, leur procurera qui plus est le bénéfice du rendement de cet investissement, constitué d'un rémunération annuelle du capital et d'une éventuelle plus-value de cession des titres acquis au terme d'un délai de 5 ans, dans le cadre fixé par ce dispositif.
Le « rendement » ainsi obtenu, qui dépasse bien souvent un taux de 10 %, ne saurait bien sûr être assimilé au bénéfice procuré par les services publics produits par les administrations publiques financées par les prélèvements obligatoires.
Cette rupture d'égalité n'est pas justifiée par l'objectif d'intérêt général visant au développement de l'investissement dans les PME.
En particulier, le plafond de 75 % est insuffisant, en ce qui concerne un investissement et non la détention de titres comme le prévoit déjà l'article 885 I ter du code général des impôts. En effet, la notion de risque pour l'investisseur souvent invoquée pour justifier l'exonération fiscale est quasiment totalement annulée par le niveau très élevé de ce plafond.
Cette notion a été mise en avant par le Conseil constitutionnel lui-même dans sa décision n°2003-477 DC du 31 juillet 2003 sur la loi pour l'initiative économique. Dans son considérant 19 relatif à l'article 48 de cette loi, le Conseil indique ainsi qu'« il résulte des travaux parlementaires à l'issue desquels il a été adopté que l'article 48 a pour objet d'inciter à l'investissement productif dans les petites et moyennes entreprises compte tenu du rôle joué par ce type d'entreprises dans la création d'emplois ; que la définition des entreprises concernées, qui prend en compte l'effectif des salariés, le chiffre d'affaires ou le total du bilan et la composition du capital, est claire et en rapport avec l'objectif poursuivi ; que, compte tenu du risque affectant un tel placement, il était loisible au législateur de prévoir une exonération totale d'impôt de solidarité sur la fortune pour les titres reçus en contrepartie de ces investissements productifs ».
Cette source d'inconstitutionnalité a été évoquée à l'Assemblée nationale et soulignée par le rapporteur général du Sénat dans son rapport pour la commission des finances, ainsi que par nombre d'interventions durant l'examen en séance du dispositif par le Sénat.
Cette cause d'inconstitutionnalité est encore plus notable dans le cas de financements intermédiés, c'est-à-dire lorsque le contribuable n'investit pas directement dans une entreprise mais dans un fonds d'investissement comme le prévoit le II bis de l'article 885-0 V bis introduit par l'article 16 de la loi.
Le principe même de l'investissement intermédié est de permettre, à travers la diversification des placements, une diminution importante du risque pour l'investisseur. Dès lors, le niveau de risque réellement supporté par un investisseur, déjà exagérément réduit par le dispositif général, serait encore abaissé dans le cas d'un tel investissement intermédié.
Ainsi, le rapporteur général du Sénat indique que « votre rapporteur général émet des doutes sur la constitutionnalité d'un mécanisme qui ne paraît plus conforme aux principes d'égalité devant l'impôt appliqués habituellement par le juge constitutionnel. De son point de vue, le concept d'impôt choisi n'est acceptable que s'il existe bien une relation directe entre le souscripteur contribuable et l'entreprise bénéficiaire, avec une implication totale, au prorata de sa participation, dans le succès ou l'échec économique de cette dernière. Telle est bien la contrepartie d'intérêt général qui doit conduire à admettre cette mesure dérogatoire. Il en irait autrement si l'on devait admettre que l'on en profite en se bornant à souscrire des produits de marché disponibles, par exemple dans les différents réseaux bancaires » (Sénat, Philippe Marini, Rapport n°404, p.154).
L'application d'un taux de 50 % au lieu de 75 % et d'un plafond spécifique de 10 000 euros au lieu de 50 000 euros, motivée par la crainte d'une censure par le Conseil constitutionnel, ne doit pas faire illusion au regard de la réalité de l'avantage ainsi octroyé aux contribuables et de la réalité du risque et des rendements escomptés.
On notera enfin que la rupture d'égalité ne peut être justifiée par un objectif d'intérêt général de renforcement de l'activité sur le territoire national, et encore moins de lutte contre les délocalisations d'activité.
En effet, le dispositif est ouvert pour les investissements dans l'ensemble des PME répondant à la définition communautaire, dont le siège de direction effective est localisé dans un Etat membre de la Communauté européenne ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention fiscale.
Un contribuable pourra donc bénéficier de l'avantage fiscal alors même qu'il aura choisi d'investir dans une PME dont le siège est établi hors du territoire, qu'elle n'emploie aucun salarié en France, et qu'elle n'a aucun lien économique ou commercial avec ce pays. Dans certains cas, cet avantage fiscal pourra certainement concerner des sociétés qui auront été précédemment établies sur le territoire et qui auront fait l'objet d'une relocalisation de leur activité dans un autre Etat européen.
Si l'ouverture d'un dispositif fiscal de ce type à l'ensemble des PME du territoire européen est conforme à la législation communautaire, elle souligne en revanche clairement que celui-ci ne peut être légitimé par l'objectif de lutte contre les « délocalisations fiscales » d'activités productives, ni par celui d'une incitation à la « relocalisation » des sièges des entreprises et donc des activités et des emplois sur le territoire national.
En réalité, l'avantage fiscal accordé aux contribuables conduit à une rupture d'égalité qui n'est pas justifiée par un objectif d'intérêt général de soutien de l'activité et de l'investissement dans les entreprises nationales.
Il appartiendra donc au Conseil constitutionnel de censurer l'article 16 pour rupture de l'égalité devant les charges fiscales.
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Sur les règles encadrant l'utilisation des surplus de recettes fiscales constatés en cours d'année
L'examen de la loi peut être l'occasion pour le Conseil constitutionnel de préciser la portée réelle des dispositions des articles 34 et 35 de la loi organique en matière d'affectation des surplus de recettes fiscales.
La loi adoptée par le Parlement porte sur un montant très important de dépenses fiscales et sociales, estimé de l'ordre de 1,5 milliard d'euros en 2007 et à plus de 13,6 milliards d'euros à compter de 2008 par le gouvernement.
Ces dépenses fiscales n'étaient par définition pas envisagées lors du vote de la loi n° 2006-1666 du 21 décembre 2006 de finances pour 2007. Celle-ci avait fixé le niveau des recettes fiscales nettes à 265,73 milliards d'euros.
Pour ce qui concerne d'éventuels surplus de recettes, l'article 52 de la loi de finances initiale, pris en application de l'article 34 de la loi organique relative aux lois de finances dispose dans son IV que « pour 2007, les éventuels surplus mentionnés au 10 ° du I de l'article 34 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances sont utilisés dans leur totalité pour réduire le déficit budgétaire ».
Les règles relatives à l'utilisation des surplus de recettes ont été fixées par la loi organique n° 2005-779 du 12 juillet 2005, qui est venue compléter les articles 34 et 35 de la loi organique du 1er août 2001.
Le 10 ° du I de l'article 34 dispose que la loi de finances de l'année arrête, dans sa première partie, « les modalités selon lesquelles sont utilisés les éventuels surplus, par rapport aux évaluations de la loi de finances de l'année, du produit des impositions de toute nature établies au profit de l'Etat ».
Dans sa décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005 sur la loi de finances pour 2006, le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de préciser quels sont les surplus de recettes concernés en considérant « qu'il résulte de ces dispositions que les surplus dont la loi de finances de l'année et, le cas échéant, la loi de finances rectificative, doivent déterminer les modalités d'utilisation, sont ceux qui sont susceptibles d'être constatés en fin d'exercice en retranchant au produit de l'ensemble des impositions de toutes natures établies au profit de l'Etat le total prévu par la loi de finances initiale ».
L'article 35 de la loi organique relative aux lois de finances précise que « sous réserve des exceptions prévues par la présente loi organique, seules les lois de finances rectificatives peuvent, en cours d'année, modifier les dispositions de la loi de finances de l'année prévues aux 1 ° et 3 ° à 10 ° du I et au 1 ° à 6 ° du II de l'article 34 ».
En l'occurrence, aucune exception ne permet, aux termes de la loi organique, de proposer dans le cadre d'une loi ordinaire une affectation des surplus de recettes différente de celle fixée dans le cadre d'une loi de finances.
Les dispositions des articles 34 et 35 de la loi organique imposent donc que toute modification dans l'affectation des surplus de recettes, et donc toute dépense fiscale nouvelle, soit autorisée dans le cadre d'une loi de finances. Ceci suppose donc à minima que l'impact des dépenses importantes représentant plus de 1,5 milliard d'euros engagés par la présente loi ordinaire soit pris en compte dans le cadre d'un collectif budgétaire pour l'année 2007, et que l'affectation des surplus de recettes à leur financement, et non à la diminution du déficit, soit reconnue à travers la modification des dispositions de l'article 52 de la loi de finances initiale pour 2007.
Une interprétation plus extensive des dispositions des articles 34 et 35 de la loi organique pourrait conduire le Conseil constitutionnel à interdire l'introduction de toute mesure fiscale nouvelle en cours d'année dès lors que le principe d'une telle utilisation possible d'une part d'éventuels surplus de recettes fiscales n'aurait pas été voté dans le cadre de la loi de finances initiale.
Si cette interprétation devait être celle retenue par le Conseil constitutionnel, il lui appartiendrait de censurer l'ensemble des dispositions impactant dès 2007 le montant des recettes fiscales et donc du déficit budgétaire, en contradiction avec le principe fixé à l'article 52 de la loi de finances initiale, et notamment les articles 1er et 8 du projet de loi.