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Décision n° 2007-554 DC du 9 août 2007 - Saisine par 60 sénateurs

Loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs
Conformité

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel,
2 rue Montpensier, 75001 PARIS
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer, en application du second alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs telle qu'adoptée par le Parlement.
A l'appui de cette saisine, nous développons les griefs et moyens suivants à l'encontre, en particulier, des articles 1, 2, 5, 7 et 8.
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A titre liminaire, et afin d'éviter toute exploitation politique malicieuse de leur saisine, ses auteurs entendent rappeler leur engagement constant en matière de lutte contre la délinquance des majeurs et des mineurs. Les signataires du présent recours considèrent, cependant, que la préservation de l'ordre public ne peut se construire utilement et durablement si une réelle conciliation entre les principes constitutionnels de protection des libertés et droits fondamentaux et le droit à la sécurité de tous n'est pas garantie. Qu'en particulier, la multiplication en quelques mois, des textes modifiant le code pénal et le code de procédure pénale modifie les équilibres de notre droit par touches successives et risque davantage de produire de l'insécurité juridique qu'une réponse réellement efficace aux attentes des citoyens. A cet égard, les saisissants estiment que le sens de la peine est essentiel à l'efficacité de la sanction et que les principes de nécessité, d'individualisation et de proportionnalité de la peine concourent évidemment à l'établir dans l'esprit du délinquant. Ils entendent également rappeler que la garantie que le juge, constitutionnellement indépendant, exerce la plénitude de son office participe de l'efficacité de la sanction pénale. C'est-à-dire qu'ils refusent toute logique qui ferait de la défiance à l'encontre du juge le nouveau viatique de la politique pénale. Enfin, considérant que les mineurs ne sont pas des majeurs en réduction, ils soutiennent, conformément aux principes constitutionnels dégagés par votre haute instance, que le droit spécial des mineurs exige de plus en plus fort le respect de ces principes afin de contribuer à apaiser la société en punissant intelligemment afin de pouvoir continuer d'éduquer et de réinsérer durablement.
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I. Sur les articles 1er et 2 de la loi
Les articles 1er et 2 du projet de loi créent les articles 132-18-1 et 132-19-1 du code pénal afin d'instaurer des peines minimales de privation de liberté applicables dès la première récidive pour l'ensemble des crimes et pour les délits punis d'au moins trois ans d'emprisonnement.
En sorte que les « peines-planchers » ne concernent pas seulement les atteintes aux personnes mais aussi les atteintes aux biens, telles que le vol ou l'abus de confiance. En outre, le système instauré s'applique aux majeurs comme aux mineurs dès l'âge de 16 ans. Il s'ensuit que ce mécanisme ne prend pas en considération le préjudice concret causé par l'infraction et donc ne tient pas compte de la gravité réelle des faits.
Enfin, ces deux articles ne permettent au juge de déroger à la « peine-plancher » fixée par le législateur - et donc d'individualiser la sanction - que dans un cadre restreint et très contraignant dans la pratique judiciaire :
- en cas de première récidive, la dérogation est possible : « en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de l'auteur ou de ses garanties d'insertion ou de réinsertion ».
- en cas de seconde récidive de crimes ou de délits violents, la dérogation n'est possible que si « le prévenu présente des garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion ».
Ce texte méconnait à plusieurs titres l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et ensemble le droit à un procès équitable et les articles 64 et 66 de la Constitution.
I.1. En premier lieu, sur la méconnaissance du principe d'individualisation des peines.
Vous avez ainsi consacré expressément « le principe d'individualisation des peines qui découle de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 » Ce principe prohibe le prononcé de peines automatiques, sans possibilité d'en dispenser l'intéressé ou d'en faire varier la durée (Décision n°93-325 DC du 13 août 1993 ; Décision DC n°2005-520 du 22 juillet 2005). Ce principe participe d'une conception de la peine conciliant efficacité de la sanction et réinsertion.
Les articles 1 et 2 aboutissent, dans l'hypothèse de nouvelle récidive légale - dite improprement multi-récidive - à restreindre de façon drastique le pouvoir d'appréciation du juge. En effet, dans ce cadre, il ne peut prononcer qu'une peine d'emprisonnement. Que reste-t-il à cet instant du pouvoir d'appréciation du juge ? Un tel dispositif est manifestement contraire au principe d'individualisation de la peine qui suppose que le législateur laisse une marge d'appréciation au juge conformément à la plénitude de son office d'Autorité constitutionnellement indépendante et garante de la liberté individuelle conformément à l'article 66 de la Constitution.
Certes, il pourra être soutenu que le présent projet de loi respecte le principe en matière de récidive simple puisqu'il prévoit que « la juridiction peut prononcer une peine inférieure à ces seuils en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci ». Une décision motivée par les éléments qui fondent la personnalisation de la peine est acceptable au regard des limites posées par votre jurisprudence.
En revanche, tel n'est pas le cas pour ce qui concerne la « multi-récidive », c'est à dire lorsqu'un crime ou un délit est commis une nouvelle fois en état de récidive légale. Car, en réalité, cette récidive sur récidive ne se traduit pas par une aggravation des peines encourues - ce qui aurait participé d'une certaine cohérence de la politique pénale - mais, et cela est très différent, par une modification de la procédure protectrice de l'accusé ou du prévenu et une limitation de la prise en compte de la personnalisation des peines.
Dans cette hypothèse particulière, la juridiction ne peut prononcer une peine inférieure aux seuils minimaux que si l'accusé présente « des garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion ». Or ces garanties d'insertion sont étrangères à la notion même d'individualisation et ne comporte dès lors pas de référence à la personnalité de l'auteur.
Si besoin était de s'en convaincre, il suffirait de constater le rejet d'amendements, déposés tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, tendant à sauvegarder l'application de ce principe. Il est d'ailleurs éclairant de relever que l'article 2bis introduit au Sénat à l'initiative de Monsieur le Rapporteur du projet, M. Zocchetto, disposant que « le ministère public ne pourra pas prendre une réquisition tendant à retenir la circonstance aggravante de récidive s'il n'a pas préalablement requis la réalisation d'une enquête de personnalité propre à éclairer la juridiction de jugement sur la personnalité de l'intéressé et ses garanties d'insertion et de réinsertion » a été supprimé par l'Assemblée Nationale. Cette disposition avait pour but de concilier l'efficacité de la sanction pénale et le respect des exigences constitutionnelles applicables en la matière. Ainsi, en supprimant cette garantie de procédure, le législateur a marqué sa volonté manifeste de s'écarter des règles qu'implique le principe d'individualisation des peines.
Car la prise en compte de la personnalité d'un délinquant ne saurait être considérée comme un avantage ou une faveur, ou tout simplement une question accessoire, mais un droit fondamental et une part intégrante de la plénitude de l'office du juge telle que prévu par notre Loi fondamentale. Gardien de la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution, le juge doit être en mesure, par construction et quelles que soient les circonstances, d'exercer rien que sa mission constitutionnelle mais toute sa mission constitutionnelle.
Ce lien entre la mission du juge et la prohibition de la sanction automatique est si fort que vous avez considéré dans votre décision du 15 mars 1999 qu'une peine imposée directement par le législateur et qui ne ferait l'objet d'aucune appréciation de la part du juge serait contraire au principe de nécessité des peines énoncé à l'article 8 de la Déclaration de 1789 (Décision n°99-410 DC du 15 mars 1999, cons. 40 à 42). De façon générale, vous avez toujours jugé que l'indépendance des juridictions doit être garantie ainsi que le caractère spécifique de leurs fonctions sur lesquelles ne peuvent empiéter ni le législateur ni le gouvernement (Décision n° 80-119 DC du 22 juillet 1980).
A cet égard, il convient de noter la suppression par l'article 4 de la loi du dernier alinéa de l'article 132-24 du code pénal prévoyant qu'en « matière correctionnelle, lorsque l'infraction est commise en état de récidive ou de réitération, la juridiction motive spécialement le choix de la nature, du quantum et du régime de la peine qu'elle prononce au regard des peines encourues ». L'introduction de la peine minimale dans notre droit n'enlève pas son intérêt à cette motivation spéciale ; bien au contraire. Il s'agit dès lors d'un recul de la lisibilité de la sentence par le condamné et donc de sa capacité à comprendre le sens, la valeur et la portée de la peine prononcée. C'est l'office du juge qui est amputé et, en définitive, c'est autant la répression que la réinsertion qui est alors affaiblie.
Le principe d'individualisation est méconnu et ensemble une certaine conception libérale du rôle constitutionnel du juge dans une démocratie adulte et apaisée.
De ce chef, l'invalidation est déjà encourue.
I.2. En second lieu, sur la méconnaissance du principe de nécessité et de proportionnalité des peines
Le dispositif querellé ne satisfait pas aux exigences de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 sur la nécessité des peines. Selon cet article, la loi ne doit établir que des « peines strictement et évidemment nécessaires ». Le principe de nécessité des peines que vous avez consacré (Décision n°89-260 DC du 28 juillet 1989), implique qu'il ne doit pas exister de disproportion manifeste entre l'infraction commise et la peine encourue.
De même, avez-vous jugé que ce même article 8 de la Déclaration de 1789 commande que le législateur n'édicte pas de sanction susceptible de revêtir un caractère manifestement disproportionné (Décision n° 86-215 DC du 3 septembre 1986).
Certes, vous jugez classiquement que vous ne disposez pas d'un pouvoir d'appréciation identique à celui du Parlement et que vous ne sauriez substituer votre avis en opportunité à celui de la représentation nationale. Cela étant, il est tout aussi vrai que votre jurisprudence connait l'invalidation pour disproportion manifeste et notamment en matière de droit répressif. Ainsi, effectuant un tel contrôle appliquant le test de proportionnalité, avez-vous censuré une disposition d'un texte sur les infractions terroristes (Décision n° 96-377 du 16 juillet 1996).
Au cas présent, nul doute que la disproportion manifeste ne s'évince du dispositif critiqué.
I.2.1. D'une part, en ce qui concerne la disproportion entre le mécanisme mis en place et le but de la loi. La finalité du texte soumis à votre examen réside dans la prétendue mise en œuvre d'un principe de dissuasion.
Or, à ce jour, la valeur dissuasive des peines minimales obligatoires n'a jamais été démontrée. Bien au contraire ! Dans un rapport sur la récidive, la commission d'analyse et de suivi de la récidive, présidée par Monsieur le professeur Jacques-Henri Robert, a relevé que les « peines-planchers » instaurées aux Etats-Unis n'ont pas eu les effets initialement escomptés. Il note en effet : « Pour les mineurs et majeurs les études sur la sévérité des peines mesurées par la longueur de l'incarcération montrent que cette dernière ne permet pas de diminuer la récidive en moyenne. »
Pour sa part, l'étude de législation comparée n°165 réalisée et publiée par le Service des études juridiques du Sénat souligne que l'Australie, Etat ayant institué en 1996 des peines minimales d'emprisonnement pour sanctionner les auteurs de certaines infractions contre les biens, a abandonné ces dispositions dès 2001. Dans ce pays, le bureau de prévention de la criminalité du Territoire du Nord a publié en 2003 un rapport qui concluait que ces peines minimales obligatoires avaient « touché de façon disproportionnée les délinquants autochtones, abouti à une modification significative des jugements prononcés à l'encontre des primo-délinquants et augmenté la population carcérale, sans pour autant constituer un moyen efficace de dissuasion ».
Il est d'ailleurs intéressant de relever que ce même Territoire du Nord a abrogé, dès 2001, les peines minimales obligatoires qui avaient été instituées en 1996 pour sanctionner les auteurs de certaines infractions contre les biens, telles la violation intentionnelle du domicile, l'utilisation illicite de véhicules à moteur, le vol ou le recel. La durée minimale de la peine d'emprisonnement était de 14 jours pour la première infraction, de 90 jours pour la deuxième, et de 12 mois pour les récidives ultérieures.
En France, les études menées par Monsieur Pierre-Victor Tournier, chercheur au CNRS, font apparaître que les libérés conditionnels ont des taux de récidive plus faibles que ceux qui sortent en fin de peine. De manière générale, les peines alternatives à l'incarcération sont plus efficaces que la prison pour prévenir la récidive. Ce même chercheur estime, dans une étude publiée le 5 juin 2007, que la mise en œuvre des dispositions de ce texte pourrait entraîner une augmentation de plus de 10.000 détenus par an sans bénéfice avéré pour la répression efficace de la délinquance.
A cet égard, il faut souligner que le laxisme des juges est une pure invention pour masquer la réalité, il suffit de regarder les chiffres de l'administration pénitentiaire. Selon les chiffres de cette administration publiés au 1er juin 2007, les juges sont très sévères pour les récidivistes : ils les condamnent presque systématiquement à la prison et 80 % d'entre eux se voient infliger des peines d'emprisonnement ferme.
Dans un contexte de surpopulation carcérale déjà unanimement dénoncée et aboutissant à des conditions de détention inhumaines et dégradantes comme l'ont relevé des institutions européennes indépendantes, cette augmentation prévisible, car mécanique, du nombre des détenus est susceptible de rendre plus difficiles encore les conditions de détention et le travail de réinsertion.
Au final, ni la répression efficace ni l'apaisement de la société n'y trouvera son compte.
Pour se convaincre de la situation présente, il suffit de noter les chiffres suivants :
L'effectif de la population sous écrou est, au 1er juin 2007, de 63 598 (métropole et outre-mer), soit 100 personnes écrouées pour 100 000 habitants. Le nombre de personnes écrouées était de 61 099 il y a un an (+ 4,1 %).
En excluant les 2 306 condamnés placés sous surveillance électronique fixe (+ 57 % en un an) et les 422 condamnés placés à l'extérieur sans hébergement (+ 31 % en un an), on obtient une densité carcérale globale de 60 870 « détenus hébergés » pour 50 329 « places opérationnelles », soit 121 détenus pour 100 places (la densité globale était de 118 p. 100, il y a un an).
Le nombre de « détenus hébergés » en surnombre apparent est donc de 60 870 - 50 329 = 10 541 (voir infra le calcul du nombre réel).
La densité carcérale globale est de 135 pour 100 pour les maisons d'arrêt (MA) et quartiers MA, 89 pour les centres pour peines aménagées (CPA) et quartiers CPA, 98 dans les centres de semi-liberté autonomes (CSL), 90 dans les maisons centrales (MC) et quartiers MC et 99 dans les centres de détention (CD) et quartiers CD.
10 établissements ou quartiers ont une densité égale ou supérieure à 200 p. 100, 43 ont une densité comprise entre 150 et 200, 51 entre 120 et 150, 38 entre 100 et 120, 84 ont une densité inférieure à 100.
Cette loi aboutira donc à ajouter à la surpopulation carcérale en aboutissant à l'effet inverse de celui annoncé devant l'opinion publique.
I.2.2. D'autre part, le dispositif querellé aboutira à appliquer des peines évidemment disproportionnées au regard de la gravité réelle de l'infraction et de l'atteinte portée à l'ordre public. Il en va particulièrement ainsi pour ce qui concerne les atteintes aux biens y compris sans acte de violence ni agissement en réunion.
D'après l'étude sollicitée par M. ZOCCHETTO, rapporteur du projet de loi au Sénat, la peine moyenne pour des délits punissables de 3 ans d'emprisonnement commis en récidive légale est de 5,7 mois. L'application des dispositions nouvelles aurait pour conséquence, pour le même type d'infractions, le prononcé d'une peine minimale d'un an d'emprisonnement. Ce texte aura donc pour effet d'augmenter mécaniquement la durée des peines prononcées pour des faits d'atteintes aux biens, même commis sans violences (vol simple par exemple), ce qui porte sérieusement atteinte au principe de proportionnalité.
Force est de constater que les exemples de cas pouvant être induits par le dispositif en cause sont parlants : une personne jugée pour la deuxième fois pour un vol de DVD dans un supermarché ou de téléphone portable sera, par principe, condamnée à un an d'emprisonnement. On mesure combien cette peine évidemment disproportionnée viendra accroître la surpopulation carcérale sans résoudre aucune des questions posées par la délinquance.
Les peines d'emprisonnement ferme inférieures à 1 an représentent 80,3 % des peines d'emprisonnement prononcées en France. Elles sont susceptibles d'être aménagées. En effet, un condamné peut prétendre à l'octroi d'une semi-liberté, d'un placement sous surveillance électronique ou d'un placement extérieur dès lors que la peine d'emprisonnement prononcée est inférieure ou égale à un an.
L'application des dispositions relatives aux peines minimales obligatoires dans le domaine des délits en raison des seuils fixés, conduira inévitablement au prononcé de peines d'emprisonnement très largement supérieures à 1 an et empêchera de facto l'accès aux aménagements de peines, ce qui constitue une atteinte supplémentaire au principe de proportionnalité.
Ainsi, et dans ces conditions, l'instauration de « peines-planchers » porte manifestement atteinte au principe de nécessité et de proportionnalité des peines.
De ce chef également, la censure interviendra.
I.3. En troisième lieu, sur la méconnaissance du droit à un procès équitable et des articles 64 et 66 de la Constitution
Le droit à un procès équitable qui résulte de votre jurisprudence (Décision de 1989 sur la COB) comme du droit de la convention européenne des droits de l'homme implique l'accès à un tribunal indépendant et impartial et le droit de voir sa cause entièrement et contradictoirement entendue. Autrement dit, si la lutte contre la délinquance peut conduire à l'aggravation des peines encourues y compris en cas de récidive, elle ne saurait aboutir à priver tout justiciable de voir sa cause entendue par un juge en situation d'exercer la plénitude de son office. Le droit à un procès équitable, c'est le droit d'être jugé par une juridiction disposant de toutes les dimensions de sa mission constitutionnelle.
L'exemple des États-Unis est ici intéressant. En effet, les dispositions générales du code fédéral sur les condamnations réduisent considérablement la liberté d'appréciation du juge, puisque celui-ci a l'obligation de prononcer une peine correspondant à des directives fédérales, établies par une agence indépendante et approuvées par le Congrès. Rédigées à partir de l'analyse de la jurisprudence, ces directives déterminent la nature et le quantum des peines applicables à environ 2 000 infractions. Or, le 12 janvier 2005, la Cour suprême a décidé que l'application obligatoire des directives fédérales violait le droit d'être jugé par un jury, prévu par la Constitution. Depuis lors, les directives n'ont plus qu'une valeur indicative.
Il faut inférer de cette décision de la Cour Suprême américaine que l'encadrement du pouvoir du juge ne peut l'être de façon impérative par le législateur ou, pire encore, par voie administrative. Sauf à violer son rôle tel que constitutionnellement défini.
Le dispositif critiqué en l'espèce aboutit bien à un encadrement excessivement contraignant de l'office de l'Autorité judiciaire en matière de liberté individuelle.
Certes, le législateur, conscient du fait qu'il côtoie les limites constitutionnellement permises, a tenté de donner l'impression de préserver la possibilité pour le juge d'écarter l'automaticité de la peine.
Ainsi, et comme exposé précédemment, nul ne sait ce que recouvre une notion comme celle « de garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion ». On ne sait pas davantage comment le juge statuant en comparution immédiate pourra fonder sa décision sur ce point. On mesure à quel point, en réalité, le juge se verra contraint d'appliquer mécaniquement les peines-planchers. C'est bien sa plénitude qui est ici atteinte. Par voie de conséquence, c'est son indépendance et son rôle de gardien des libertés qui est méconnu. En définitive, c'est le droit à un procès équitable qui est ignoré.
De ces chefs, encore, la censure est encourue.
I.4. Sur la méconnaissance de l'article 34 de la Constitution et du principe de légalité des délits et des peines
Enfin et de surcroît, on doit s'interroger sur le sens exact de cette notion de « garanties exceptionnelles » qui semble autoriser le juge à ne pas appliquer de sanction automatique en cas de multi-récidive. Paradoxalement, le mécanisme en cause est de nature à créer de l'incertitude et du flou dans la politique de répression tel qu'appliquée sur le territoire national.
S'agissant de loi pénale, une telle imprécision de rédaction influe nécessairement sur la définition même du quantum de la peine. Il faut donc y voir une double violation des règles constitutionnelles.
D'abord, il y a méconnaissance de l'article 34 de la Constitution pour incompétence négative. Le législateur n'ayant pas rédigé avec suffisamment de précision une notion qui conditionne l'application d'une peine privative de liberté.
Ensuite, et pour les mêmes motifs, le principe de légalité des délits et des peines est ignoré puisque le prévenu ne pourra savoir le régime de peine applicable dans la mesure où celui-ci dépendra de l'appréciation d'une notion floue et non définie au préalable.
De ces chefs, enfin, la censure est attendue.
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II. Sur l'article 5 de la loi
Cet article étend la possibilité pour la cour d'assises des mineurs ou le tribunal des enfants de ne pas appliquer la diminution de la peine et modifie à cet effet l'article 20-2 de l'ordonnance du 2 février 1945. La loi précise que la réduction par deux de la peine applicable aux mineurs concerne les seuils minimaux d'emprisonnement. Aux termes de ces nouvelles dispositions, l'atténuation de peine peut être écartée pour le mineur de plus de 16 ans dès la première récidive « lorsque les circonstances de l'espèce et la personnalité du mineur le justifient » ou pour certains crimes ou délits. Elle devient l'exception à la deuxième récidive, sauf décision spécialement motivée de la juridiction.
II.1. Ce dispositif porte atteinte à plusieurs principes constitutionnels dont le principe fondamental reconnu par les lois de la République que vous avez dégagé dans votre décision du 29 août 2002 et qu'il convient de rappeler tant il est clair :
« l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, ont été constamment reconnues par les lois de la République depuis le début du vingtième siècle ; que ces principes trouvent notamment leur expression dans la loi du 12 avril 1906 sur la majorité pénale des mineurs, la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et l'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante ; que toutefois, la législation républicaine antérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946 ne consacre pas de règle selon laquelle les mesures contraignantes ou les sanctions devraient toujours être évitées au profit de mesures purement éducatives ; qu'en particulier, les dispositions originelles de l'ordonnance du 2 février 1945 n'écartaient pas la responsabilité pénale des mineurs et n'excluaient pas, en cas de nécessité, que fussent prononcées à leur égard des mesures telles que le placement, la surveillance, la retenue ou, pour les mineurs de plus de treize ans, la détention ; que telle est la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs ;
Considérant, par ailleurs, qu'il résulte des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789 que doivent être respectés, à l'égard des mineurs comme des majeurs, le principe de la présomption d'innocence, celui de la nécessité et de la proportionnalité des peines et celui des droits de la défense ; que doit être respectée également la règle énoncée à l'article 66 de la Constitution, selon laquelle « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi » ;
Considérant, enfin, que, lorsqu'il fixe les règles relatives au droit pénal des mineurs, le législateur doit veiller à concilier les exigences constitutionnelles énoncées ci-dessus avec la nécessité de rechercher les auteurs d'infractions et de prévenir les atteintes à l'ordre public, et notamment à la sécurité des personnes et des biens, qui sont nécessaires à la sauvegarde de droits de valeur constitutionnelle » (Décision n°2002-461 DC du 29 août 2002 ; n°2004-492 DC du 4 mars 2004).
Il est donc acquis que le droit applicable aux mineurs reste différent de celui applicable aux majeurs.
Mais en l'espèce, il ne peut faire de doute que les limites posées par le Conseil Constitutionnel n'ont pas été respectées. En effet, ainsi qu'il a été indiqué pendant les travaux parlementaires et repris dans le rapport de M. Zocchetto pour la Commission des lois du Sénat, les mineurs concernés se verront appliquer le droit des majeurs et les mêmes peines qu'à eux, selon les mêmes modalités.
On ne saurait mieux dire que le principe de spécificité du droit pénal des mineurs est alors ignoré.
II.2. En premier lieu, l'ensemble des griefs dirigés contre les articles 1ers et 2 de la loi s'appliquent de plus fort à l'article 5.
En effet, les principes d'individualisation de la peine, de la nécessité et de la proportionnalité des peines valent encore plus lorsqu'il s'agit de mettre en œuvre le droit spécial des mineurs.
(i) S'agissant, d'abord, particulièrement de la proportionnalité des peines, force est d'admettre que punir d'un an d'emprisonnement ferme un mineur ayant volé un DVD dans un magasin ou un téléphone portable en situation de multi-récidive n'est pas nécessairement la mesure la plus adaptée.
(ii) Concernant, ensuite, le principe de nécessité des peines, les chiffres de la chancellerie montrent qu'un tel régime n'apparaît en rien proportionné à la réalité judiciaire. En effet, la réalité des taux de récidive des mineurs nous montre que les instruments judiciaires sont largement suffisants pour faire face à la réalité de la délinquance des mineurs. On ne voit donc pas en quoi l'automaticité du mécanisme proposé résoudrait de façon durable le problème de la délinquance des mineurs.
(iii) S'agissant du principe d'individualisation des peines, il s'avère que le recours à la formule des « garanties exceptionnelles de réinsertion » comme seul moyen d'éviter la sanction d'emprisonnement automatique est contraire aux principes du droit de mineurs.
Les critiques générales qui ont été formulées à l'encontre des articles 1er et 2 à cet égard s'imposent de plus fort concernant les mineurs.
En effet, il sera impossible à un mineur de faire la démonstration de telles garanties autrement qu'en se référant à la situation de sa propre famille avec laquelle il se trouve souvent en rupture. Un adolescent est, par définition, un être en construction.
Dès lors, les dispositions applicables aux mineurs à la deuxième récidive rendent, de fait, impossible l'individualisation des peines.
Pour l'ensemble des motifs ainsi repris, la censure est inévitable.
II.3. En second lieu, sur la méconnaissance de la spécificité constitutionnelle du droit pénal des mineurs
En consacrant le droit spécial des mineurs au rang de principe de valeur constitutionnel vous avez souhaité garantir que l'on n'appliquerait pas à ceux-là les règles applicables à ceux-ci.
Il est ici à peine besoin de rappeler les termes de la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE) du 20 novembre 1989 et particulièrement son article 40 aux termes duquel il est spécifié que « les Etats s'efforcent de promouvoir l'adoption de lois, de procédures, la mise en place d'autorités et d'institutions spécialement conçues pour les enfants suspectés, accusés ou convaincus d'infraction à la loi pénale ». Disposition qui fait directement écho aux principes fondamentaux énoncés par l'Assemblée Générale des Nations-Unies le 29 novembre 1945 dans les règles dites de Beijing. Cette convention ratifiée par la France insiste sur la spécificité du droit pénal des mineurs, et prévoit que l'emprisonnement d'un enfant ne peut être « qu'une mesure de dernier ressort et être d'une durée aussi brève que possible ».
Dans votre récente décision du 3 mars 2007, vous avez été conduit à préciser la portée de ce principe fondamental de la République fondant la spécificité du droit des mineurs.
Selon le considérant n°27 de cette décision du 3 mars 2007 que « le principe selon lequel, sauf exception justifiée par l'espèce, les mineurs de plus de seize ans bénéficient d'une atténuation de responsabilité pénale ; qu'elles [les dispositions critiquées] ne font pas obstacle à ce que la juridiction maintienne cette atténuation y compris dans le cas où les mineurs se trouvent en état de récidive ; qu'elles sont, en outre, sans incidence sur l'obligation faite au tribunal pour enfants, en vertu du troisième alinéa de l'article 2 de l'ordonnance du 2 février 1945, de motiver spécialement le choix de prononcer une peine d'emprisonnement, avec ou sans sursis » (Décision n° 2007-553 DC - du 3 mars 2007).
Cette décision marque les bornes à ne pas franchir par le législateur en matière de droit des mineurs, y compris des mineurs de plus de 16 ans. Ce sont :
- le primat du « relèvement éducatif et moral » de même que le maintien du principe de l'atténuation de responsabilité (dite également « excuse de minorité ») y compris en cas de récidive ;
- l'obligation faite au tribunal pour enfants, en vertu du troisième alinéa de l'article 2 de l'ordonnance du 2 février 1945, de motiver spécialement le choix de prononcer une peine d'emprisonnement, avec ou sans sursis ;
- l'obligation de motiver les peines d'emprisonnement quelles qu'elles soient.
Surtout, il en ressort en substance que seule une décision spéciale, dont le caractère est facultatif, peut écarter l'excuse de minorité. Ainsi, le principe est, et doit rester, celui de l'atténuation de responsabilité.
Or, au cas présent, le législateur a inversé la logique procédurale et fait de l'exception la règle. Comme le relève M. le rapporteur du texte au Sénat, M. Zocchetto, « dans le cas où le mineur se trouve une nouvelle fois en situation de récidive pour l'une des infractions pour laquelle la première récidive pourrait justifier une dérogation de la peine, le projet de loi propose de renverser le principe de l'atténuation de la responsabilité et d'appliquer les peines prévues pour les majeurs » (Sénat, Rapport n° 358).
Les dispositions générales de la loi concernant la deuxième récidive alliées à celles de l'article 5 du projet de loi remettant en cause le principe d'atténuation de peine conduiront à ce qu'un mineur de plus de 16 ans soit, dans ce cas, jugé exactement comme un majeur.
Ceci est directement contraire aux principes constitutionnels applicables aux mineurs.
De tous ces chefs, la censure est inévitable.
III. Sur les articles 7 et 8 de la loi
Ces articles instaurent une obligation de soins pour les détenus qui encouraient au moment de leur condamnation une peine de suivi socio-judiciaire. Lorsque ceux-ci refusent de s'y soumettre, ils perdent le bénéfice des réductions de peines supplémentaires et sont exclus du régime de la libération conditionnelle.
Ce mécanisme qui emprunte là encore à une logique de défiance à l'égard du pouvoir de l'Autorité judiciaire méconnait le principe de nécessité des peines qui prohibe toute sanction automatique et ensemble les articles 64 et 66 de la Constitution.
En effet, la juridiction de l'application des peines perd toute liberté d'appréciation dans l'octroi des réductions de peines supplémentaires et de placement en libération conditionnelle. Ces décisions sont pourtant de nature juridictionnelle : elles doivent prendre en compte le comportement global du condamné en fonction des ses capacités et des moyens qui lui sont donnés pour évoluer. L'automaticité de ce « non octroi » peut être considéré comme une nouvelle « sanction automatique ».
Dans ces conditions, le suivi socio-judiciaire, vidé de tout sens d'assistance devient un levier de contrôle et de contrainte sanctionnée, en cas de manquement, par un emprisonnement.
Enfin, ces dispositions, par leur automaticité, portent également atteinte au principe constitutionnel d'individualisation des peines qui s'impose dans toute la chaîne de la sanction : du prononcé de celle-ci à son exécution.
De ces chefs, la censure est encourue.
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Par ces motifs et tous autres à déduire ou suppléer même d'office, les auteurs de la saisine vous demandent bien vouloir invalider les dispositions ainsi entachées d'inconstitutionnalité.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Membres du Conseil Constitutionnel, en l'expression de notre haute considération.