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Décision n° 2006-539 DC du 20 juillet 2006 - Observations du gouvernement

Loi relative à l'immigration et à l'intégration
Conformité

Paris, le 11 juillet 2006
OBSERVATIONS DU GOUVERNEMENT
SUR LES RECOURS DIRIGES CONTRE
LA LOI RELATIVE A L'IMMIGRATION ET A L'INTEGRATION
Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs, de deux recours dirigés contre la loi relative à l'immigration et à l'intégration, adoptée le 30 juin 2006.
Les recours mettent en cause les articles 31, 44, 45, 47 et 57 de la loi. Ils appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
* * *
I/ SUR L'ARTICLE 31
A/ L'article 31 de la loi déférée modifie l'article L 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, relatif aux conditions de délivrance de plein droit de la carte de séjour temporaire. Il a pour effet, notamment, de supprimer, au 3 °, le droit d'obtenir un tel titre en cas de séjour habituel en France depuis plus de dix ans, ou depuis plus de quinze ans si l'étranger a séjourné en France au cours de cette période en qualité d'étudiant, et de préciser, au 7 °, les critères d'appréciation de la notion de « liens personnels et familiaux » justifiant la délivrance de ce titre.
Les auteurs de la saisine font valoir qu'en revenant sur le droit d'obtenir un titre de séjour sur le fondement d'un séjour habituel en France depuis dix ou quinze ans, le législateur aurait porté atteinte au principe de valeur constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. Ils soutiennent que la suppression de ce droit créerait une insécurité juridique et que le législateur n'aurait pas épuisé la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution.
Ils font, par ailleurs, valoir qu'en subordonnant l'octroi d'un titre de séjour « vie privée et familiale » au constat de « l'intensité des liens » existant en France, le législateur aurait porté atteinte au respect de la vie privée et au principe d'égalité et méconnu l'article 34 de la Constitution.
B/ Le Conseil constitutionnel ne pourra souscrire à cette argumentation.
1/ Pour ce qui concerne, en premier lieu, la suppression du cas de délivrance de plein droit de la carte de séjour temporaire au titre du séjour habituel depuis plus de dix ou quinze ans, il convient de rappeler qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d'accès et de séjour sur le territoire national (décision n°93-325 DC du 13 août 1993 ; décision n°97-389 DC du 22 avril 1997 ; décision n°2003-484 DC du 20 novembre 2003).
Il appartient au législateur de déterminer les conditions mises au séjour des étrangers en France et il lui est loisible, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation et pour mettre en oeuvre les objectifs d'intérêt général qu'il s'assigne, de décider de les modifier. L'appréciation de la constitutionnalité des dispositions que le législateur estime devoir prendre ne saurait être tirée de la comparaison entre les dispositions de lois successives mais ne peut résulter que de la confrontation de la loi avec les seules exigences de caractère constitutionnel (décision n°89-261 DC du 28 juillet 1989 ; décision n°93-325 DC du 13 août 1993 ; décision n°97-389 DC du 22 avril 1997).
Au cas présent, le législateur a estimé nécessaire de supprimer le droit à délivrance d'un titre de séjour après un séjour habituel de plus de dix ou quinze ans, afin de prévenir le maintien en France d'étrangers en situation irrégulière, demeurant dans l'illégalité de manière prolongée dans le but d'obtenir une régularisation ultérieure. Cette suppression participe de l'objectif d'intérêt général consistant à assurer une meilleure maîtrise des flux migratoires et à dissuader l'immigration illégale. Elle peut se recommander de l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue la sauvegarde de l'ordre public.
On peut observer que la suppression par le législateur de ce cas de délivrance de plein droit de la carte de séjour temporaire n'a pas pour effet d'interdire à l'autorité administrative de délivrer des titres de séjour à des étrangers qui seraient présents en France depuis plusieurs années. La loi supprime le caractère automatique de l'attribution d'une carte de séjour à raison d'une présence irrégulière de plus de dix ans. Mais elle conserve d'autres cas de délivrance de plein droit, notamment celui du 7 ° de l'article L 313-11, et ne fait, par ailleurs, pas obstacle à la délivrance de titre de séjour à des personnes qui ne rempliraient pas les conditions requises pour une délivrance de plein droit. Elle prévoit ainsi, dans les conditions fixées à l'article L 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, introduit par l'article 32 de la loi déférée, la possibilité de délivrer une carte de séjour temporaire à un étranger dont l'admission au séjour répondrait à des considérations humanitaires ou se justifierait au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir. Elle ne s'oppose pas non plus à la mise en oeuvre du pouvoir général reconnu à l'autorité administrative, lorsque les textes ne le lui interdisent pas expressément, de prendre à titre exceptionnel des mesures gracieuses favorables en autorisant le séjour en France (Conseil d'Etat, avis du 22 août 1996, Rapport public 1996 p.279).
La suppression du cas de délivrance de plein droit du 3 ° de l'article L 313-11, décidée par le législateur dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, n'est contraire à aucun principe ni aucune règle de valeur constitutionnelle.
Aucune norme constitutionnelle ne garantit le droit au séjour d'un étranger au seul motif de l'ancienneté de son séjour irrégulier en France. La circonstance que des dispositions législatives aient antérieurement prévu que l'ancienneté du séjour, même lorsqu'il est irrégulier, pouvait constituer un motif de délivrance de plein droit d'un titre de séjour n'est pas de nature à interdire au législateur de modifier ces dispositions et de supprimer ce cas de délivrance de plein droit. On peut relever, à cet égard, que le Conseil constitutionnel a déjà admis que le législateur, eu égard aux exigences de l'ordre public et compte tenu des objectifs d'intérêt général qu'il s'était assignés, pouvait exclure la délivrance de la carte de résident si le séjour de l'étranger en France avait été irrégulier (décision n°93-325 DC du 13 août 1993).
On ne peut, par ailleurs, valablement soutenir que le législateur, en décidant de supprimer ce cas de délivrance de plein droit de la carte de séjour temporaire, aurait pris une mesure portant atteinte au principe à valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. Par son objet, la disposition critiquée n'affecte nullement la dignité de la personne humaine. Et si les requérants soutiennent que la mesure pourrait avoir pour effet de maintenir les étrangers séjournant irrégulièrement en France dans une situation précaire et la clandestinité, on fera observer que cette situation ne résulte pas des dispositions adoptées par le législateur mais de la persistance du séjour irrégulier qui, avec les conséquences qui s'y attachent, est le fait des étrangers qui se maintiennent en France sans titre de séjour régulièrement délivré.
Enfin, le législateur n'a pas méconnu sa compétence en supprimant le cas de délivrance de plein droit figurant au 3 ° de l'article L 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Contrairement à ce qui est soutenu, l'article 34 de la Constitution n'a nullement pour objet ou pour effet d'imposer au législateur de créer un mécanisme de substitution lorsqu'il abroge des dispositions en vigueur. L'abrogation résultant de l'article 31 de la loi déférée se suffit à elle-même et aucune disposition constitutionnelle n'imposait au législateur d'accompagner cette abrogation de l'édiction d'autres dispositions. Au demeurant, on peut relever que le législateur a veillé, par souci de cohérence, à modifier les dispositions relatives à l'éloignement des étrangers en situation irrégulière en abrogeant, aux articles 55 et 67 de la loi déférée, les dispositions interdisant l'éloignement en cas de séjour habituel en France depuis plus de quinze ans, figurant au 3 ° de l'article L 511-4 et au 3 ° de l'article L.521-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
2/ Pour ce qui concerne, en second lieu, les modifications apportées au 7 ° de l'article L 313-11, on doit observer que le législateur n'a pas remis en cause le principe de la délivrance de plein droit de la carte de séjour temporaire à l'étranger « dont les liens personnels et familiaux sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard de motifs du refus », mais qu'il s'est borné à expliciter les critères d'appréciation de ces « liens personnels et familiaux », en précisant que ces liens doivent être appréciés « notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine ».
Les critères mentionnés par le législateur sont conformes à ceux dégagés par la jurisprudence des juridictions administratives et de la Cour européenne des droits de l'homme pour l'application des stipulations de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ces stipulations impliquent de mettre en balance l'intensité des attaches privées et familiales et la valeur des considérations qui justifient l'atteinte au droit à la protection de la vie familiale. Pour apprécier si l'atteinte portée à la vie privée et familiale par un refus de séjour est excessive, la jurisprudence prend déjà en considération les critères d'ancienneté des liens, de leur intensité et de leur stabilité. En reprenant ces critères à son compte, le législateur n'a ni restreint ni élargi la portée de la notion d'atteinte à la vie privée et familiale : il s'est borné à expliciter les critères utiles pour favoriser une application homogène sur l'ensemble du territoire national du 7 ° de l'article L 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, conforme à la jurisprudence et à la nécessaire prise en compte de la diversité des situations individuelles, traduite par l'emploi du terme « notamment ».
Dans ces conditions, le grief tiré d'une atteinte au respect de la vie privée et familiale au motif que cette nouvelle disposition entraînerait des investigations supplémentaires manque en fait. Par ailleurs, en ayant recours à des termes comme « intensité », « stabilité » ou « ancienneté » appelant les autorités administratives et juridictionnelles à procéder, au cas par cas, à des opérations de qualification juridique, le législateur n'a pas méconnu l'article 34 de la Constitution.
Le Gouvernement estime ainsi que le Conseil constitutionnel devra écarter les différentes critiques adressées par les recours à l'article 31 de la loi déférée.
II/ SUR LES ARTICLES 44, 45 ET 47
A/ Les articles 44, 45 et 47 de la loi déférée modifient plusieurs dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives au regroupement familial.
Ainsi, l'article 44 modifie l'article L 411-1 de ce code en portant à dix huit mois le délai de séjour régulier en France requis pour pouvoir demander le bénéfice du regroupement familial. Pour sa part, l'article 45 modifie l'article L 411-5 relatif aux motifs pour lesquels le regroupement familial peut être refusé : il a notamment pour objet d'exclure du montant des ressources exigibles de l'étranger plusieurs prestations sociales (1 °), de préciser que les conditions de logement s'apprécieront au regard de la situation prévalant dans la région (2 °). Enfin, l'article 47 modifie l'article L 431-2 relatif aux conditions de retrait, pour rupture de la vie commune, de la carte de séjour temporaire délivrée au conjoint d'un étranger admis en France au titre du regroupement familial, en portant notamment à trois ans le délai suivant le regroupement familial de retrait du titre pour ce motif.
Les députés et sénateurs requérants invoquent le droit constitutionnel à mener une vie familiale normale, le droit à la protection de la vie privée résultant des articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et du principe d'égalité. Ils font valoir que l'article 44 de la loi déférée porterait une atteinte disproportionnée au droit à mener une vie familiale normale. Ils soutiennent que les modalités d'appréciation des conditions de logement retenues par l'article 45 méconnaîtraient le principe d'égalité ainsi que l'article 34 de la Constitution. Ils considèrent, en outre, que l'article 47 porterait une atteinte disproportionnée au droit au regroupement familial et à la liberté personnelle.
B/ Ces différents griefs seront écartés.
Il convient de rappeler que si le droit au regroupement familial, qui résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, constitue un droit constitutionnellement protégé, il ne présente pas un caractère absolu : il peut être réglementé et faire l'objet de restrictions justifiées par d'autres principes ou objectifs de valeur constitutionnelle, ainsi que le Conseil constitutionnel l'a déjà jugé (décision n° 93.325 DC du 13 août 1993).
Les modifications introduites par la loi, qui répondent à l'objectif d'intérêt général que s'est assigné le législateur d'assurer une meilleure intégration des étrangers en France, ne portent pas atteinte à la substance du droit au regroupement familial qui n'est pas remis en cause ; elles se bornent à organiser les conditions d'exercice de ce droit et à préciser les modalités d'appréciation des conditions de fond exigées pour que le droit au regroupement familial soit ouvert.
Ces dispositions relatives au regroupement familial sont par ailleurs conformes aux règles posées par la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 que la loi déférée vise à transposer.
1/ En adoptant l'article 44 de la loi déférée, le législateur a entendu s'assurer du sérieux des demandes de regroupement familial et de la volonté des demandeurs de s'installer durablement en France avant de faire venir les membres de leur famille. Il a, pour ce faire, porté de un an à dix-huit mois le délai de séjour régulier en France requis pour pouvoir demander le regroupement familial.
Ce nouveau délai permettra de s'assurer que l'étranger, qui a obtenu le renouvellement de sa carte de séjour, a tenu les engagements pris lors de la signature du contrat d'intégration, de formation linguistique et de respect des principes républicains, susceptibles de garantir l'intégration ultérieure de sa famille en France.
Le législateur pouvait, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, décider l'allongement de ce délai sans méconnaître aucune règle ni aucun principe à valeur constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel a déjà accepté le principe d'une période probatoire de deux ans pour pouvoir demander le regroupement familial, sous réserve que la demande de regroupement puisse être formulée avant l'expiration de ce délai pour que ce droit soit effectivement susceptible d'être ouvert à son terme (décision n°93-325 DC du 13 août 1993). Dans la mesure où le préfet dispose, selon l'article L 421-4 code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de six mois pour statuer sur les demandes de regroupement familial, la durée totale de la procédure restera comprise dans un tel délai de deux ans. L'article 44 satisfait ainsi aux exigences posées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel ; il ne porte pas une atteinte excessive au droit constitutionnel de mener une vie familiale normale.
L'allongement de la durée probatoire pour demander le regroupement familial est, par ailleurs, conforme aux exigences de l'article 8 de la directive 2003/86/CE du 22 septembre 2003, relatif au regroupement familial, qui prévoit qu'il est possible « d'exiger que le regroupant ait séjourné légalement (...) pendant une période qui ne peut dépasser deux ans, avant de se faire rejoindre par les membres de sa famille ».
2/ Par l'article 45 de la loi déférée, le législateur a modifié l'article L 411-5 du code qui traite des motifs permettant de refuser le regroupement familial et prévoit qu'un tel refus peut être opposé lorsque « le demandeur ne dispose pas ... d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant en France ». L'article 45 modifie le terme de la comparaison et affine la condition mise au regroupement familial, en substituant aux termes « vivant en France » les termes « vivant dans la même région géographique ».
Cette modification repose sur le constat que les conditions de logement, à loyer équivalent, peuvent varier dans des proportions significatives d'une région géographique à une autre. Les écarts entre zones rurales et zones urbaines apparaissent ainsi conséquents, de même que ceux observés entre différentes zones urbaines. Or, la condition mise au regroupement familial repose sur l'idée que la personne qui fait venir sa famille doit disposer d'un logement équivalent à celui qui serait « considéré comme normal », en termes de dimension et de niveau d'équipement, pour une famille comparable résidant dans la même zone. Compte tenu des disparités observées sur l'ensemble du territoire national en termes de logement, le législateur a estimé plus juste et plus exact de prévoir que la comparaison des logements se ferait non plus à l'échelle de toute la France mais dans un cadre géographique plus restreint et plus homogène.
Contrairement à ce que soutiennent les auteurs de la saisine cette disposition ne méconnaît pas le principe constitutionnel d'égalité. Comme on le sait, en effet, le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, pourvu que la différence de traitement soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
Au cas présent, on ne peut que constater que les demandeurs de logement ne sont pas, au regard de l'offre et des conditions de logement, placés dans une situation identique sur l'ensemble du territoire national. Des différences significatives existent selon les zones géographiques, qui se traduisent par des écarts importants du coût du logement rapporté à la surface. Il apparaît, dans ces conditions, légitime que les normes de logement applicables en matière de regroupement familial fassent l'objet non pas d'une appréciation uniforme sur l'ensemble du territoire national mais d'une appréciation différenciée, plus fine et plus concrète, tenant compte de la réalité des conditions de logement des familles comparables vivant dans la même région.
On peut ajouter qu'un décret en Conseil d'Etat fixera les conditions d'application de cette disposition et déterminera ces régions en se fondant sur les critères habituellement retenus en matière de normes de logement par le ministère du logement. Cette définition précise relève, en effet, du domaine du pouvoir réglementaire ; l'article 34 de la Constitution n'imposait pas au législateur de l'énoncer directement.
3/ L'article 47 a réécrit l'article L 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatif aux conditions de retrait, pour rupture de la vie commune, de la carte de séjour temporaire délivrée au conjoint d'un étranger admis en France au titre du regroupement familial, en portant notamment de deux à trois ans le délai au terme duquel le titre ne peut plus être retiré pour ce motif. On peut observer que ce délai de trois ans demeure inférieur au délai de cinq ans prévu par l'article 15 de la directive 2003/86/CE du 22 septembre 2003.
Une telle disposition ne constitue pas une sanction, mais tire les conséquences de la disparition des raisons qui ont justifié la délivrance du titre de séjour. Dés lors que le fondement du droit au séjour de l'étranger était son union avec un étranger résidant en France, il est légitime de mettre fin à ce droit en cas de rupture de la vie commune. Sur le principe, le Conseil constitutionnel a déjà admis la conformité à la Constitution d'une telle disposition : il a jugé, par la décision n°2003-484 DC du 20 novembre 2003, qu'aucune règle ou aucun principe de valeur constitutionnelle ne garantit le maintien où le renouvellement d'un titre de séjour lorsque les conditions prévues par la délivrance de ce titre ne sont plus satisfaites, pour valider le retrait de la carte de séjour temporaire du conjoint en cas de rupture de la vie commune.
La disposition déférée se borne, de ce point de vue, à allonger d'un an la durée du délai permettant le retrait, en portant à trois ans sa durée maximale, dans le but de prévenir certains abus qui ont pu être constatés. On doit relever, toutefois, que l'article 47 n'a pas pour effet d'imposer à l'autorité administrative de retirer le titre de séjour si la rupture de la vie commune survient dans les trois ans ; il ne fait que lui en ouvrir la possibilité. Il laisse entière la possibilité pour le conjoint d'obtenir un titre de séjour sur un autre fondement s'il en remplit les conditions. Par ailleurs, on peut observer que la mise en oeuvre de cette disposition préserve explicitement certaines situations particulières : ainsi le retrait ne peut intervenir en cas de décès du conjoint ou lorsque un ou plusieurs enfants sont nés de cette union, ou encore lorsque la rupture de la vie commune résulte de violences conjugales subies.
Il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre la sauvegarde de l'ordre public et les exigences du droit à une vie familiale normale. Mais les choix qu'il effectue dans le cadre de son pouvoir d'appréciation et compte tenu des objectifs d'intérêt public qu'il s'assigne, ne sont susceptibles d'être jugés contraires à la Constitution que s'ils portent une atteinte excessive au droit à mener une vie familiale normale (décision n°97-389 DC du 22 avril 1997).
Le Gouvernement considère ainsi qu'au cas particulier, en portant le délai de retrait de deux à trois ans, le législateur a, sans méconnaître aucune règle ou principe à valeur constitutionnelle, fait usage de son pouvoir d'appréciation pour lutter contre certains abus et pour assurer une meilleure intégration. La modification apportée est, de surcroît, cohérente avec celle, résultant de l'article 35 de la loi déférée, qui précise les conditions de retrait de la carte de résident délivrée aux conjoints de Français en cas de rupture de la vie commune.
III/ SUR L'ARTICLE 57
A/ L'article 57 de la loi déférée, réécrivant l'article L 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, précise certains aspects du régime contentieux applicable aux décisions administratives prises en application de l'article L 511-1 du même code, modifié par l'article 52 de la loi déférée. En vertu de ces dispositions, une décision de refus ou de retrait de titre de séjour peut être assortie d'une obligation de quitter le territoire français, susceptible d'être exécutée d'office par l'administration à l'expiration d'un délai d'un mois. Cette décision est susceptible dans un délai d'un mois suivant sa notification de faire l'objet d'un recours en annulation devant le tribunal administratif qui statue dans un délai de trois mois ; toutefois, si l'étranger est placé en rétention, la juridiction statue sur la légalité de l'obligation de quitter la France ainsi que de la désignation du pays de destination dans les conditions prévues à l'article L 512-2 du code, c'est-à-dire par un juge unique dans les soixante-douze heures. Dans tous les cas, le recours est suspensif et la mesure d'éloignement ne peut être exécutée, avant que le juge n'ait statué.
Les sénateurs et députés auteurs des recours soutiennent que ces dispositions, en ce qu'elles reviendraient à abandonner la collégialité des formations des juridictions administratives dans un domaine touchant aux droits et libertés fondamentaux, méconnaîtraient le principe d'indépendance des juridictions administratives, le droit au procès équitable, l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et le principe d'égalité devant la justice. Les sénateurs requérants ajoutent que les dispositions de l'article 57 seraient entachées d'incompétence négative.
B/ Les critiques adressées à l'article 57 de la loi déférée manquent en fait.
En effet, contrairement à ce qui est soutenu, les dispositions de l'article 57, par elles-mêmes, n'ont ni pour objet ni pour effet de faire juger par des formations de jugement à juge unique l'ensemble du contentieux des étrangers ressortissant à la compétence des juridictions administratives. Elles se bornent à tirer les conséquences de la réorganisation des procédures administratives de refus de séjour et d'éloignement décidée par le législateur et à adapter les procédures contentieuses à cette nouvelle organisation.
En soi, l'article 57 ne confère pas de compétences juridictionnelles nouvelles au juge unique et n'institue pas de dérogation nouvelle à la règle législative imposant la collégialité des formations de jugement des juridictions administratives, énoncée à l'article L 3 du code de justice administrative.
En mentionnant, au premier alinéa de l'article L 512-1, que l'annulation des différentes décisions qu'il vise peut être demandée au « tribunal administratif », le législateur n'a pas pris parti sur la procédure de jugement applicable. Les recours formés en cette matière seront examinés conformément aux règles d'organisation fixées par le code de justice administrative. Et, en faisant référence, au deuxième alinéa du même article L 512-1, à la procédure « prévue à l'article L 512-2 » pour ce qui concerne, en cas de placement en rétention, l'appréciation de la légalité de l'obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le pays de renvoi, le législateur s'est borné à renvoyer, pour ces nouvelles décisions analogues aux arrêtés de reconduite à la frontière et décisions distinctes fixant le pays de destination, au mode de jugement de la reconduite à la frontière. Il n'y a pas, sur ce point, de modification quant à la substance du contentieux des mesures d'éloignement dévolu au juge unique dans les tribunaux administratifs depuis l'intervention de la loi n°90-34 du 10 janvier 1990 (V. les décisions n°89-261 DC du 28 juillet 1989 et n°89-266 DC du 9 janvier 1990).
Ainsi, les critiques adressées à l'article 57 de la loi déférée ne pourront qu'être écartées comme inopérantes, cet article n'ayant pas la portée que lui prêtent les saisines.
On ajoutera qu'en tout état de cause la règle de la collégialité des formations de jugement des juridictions administratives, exprimée à l'article L 3 du code de justice administrative, a valeur législative et non constitutionnelle. Elle ne constitue pas un corollaire nécessaire du principe d'indépendance des juridictions, ni d'aucun autre principe constitutionnel, ainsi qu'en témoignent les cas nombreux dans lesquels, depuis parfois longtemps, le législateur a prévu l'intervention d'un juge unique au sein des juridictions judiciaires comme des juridictions administratives. De fait, s'agissant des juridictions administratives, le code de justice administrative a déterminé l'organisation de leurs formations de jugement. Son article L 222-1 a prévu que la collégialité pouvait connaître des exceptions « tenant à l'objet du litige ou à la nature des questions à juger ». Il appartient au pouvoir réglementaire, compétent en vertu de l'article 37 de la Constitution pour déterminer l'organisation interne des juridictions, de déterminer la liste des cas dans lesquels les litiges peuvent être soumis à une formation à juge unique.
* * *
Pour ces raisons, le Gouvernement est d'avis qu'aucun des griefs articulés par les parlementaires requérants n'est de nature à conduire à la censure des dispositions de la loi déférée. Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter les recours dont il est saisi.