Contenu associé

Décision n° 2005-522 DC du 22 juillet 2005 - Saisine par 60 députés

Loi de sauvegarde des entreprises
Conformité

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
2 rue de Montpensier, 75001 Paris
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi sauvegarde des entreprises telle que définitivement adoptée par le Parlement le 13 juillet 2005.
A titre liminaire, les auteurs de la saisine observent que les nouvelles dispositions en faveur des créanciers bancaires dans le cadre de la loi déférée s'ajoutent à d'autres, déjà adoptées ou en cours d'adoption, qui relèvent du même esprit.
Aussi, il importe de relever, au préalable, le caractère fallacieux de l'argumentation selon laquelle les défaillances d'entreprises feraient courir des risques pour l'équilibre du système bancaire.
En réalité, force est de constater que les principaux groupes bancaires français affichent en 2004 des bénéfices record alors que parallèlement le nombre de défaillances d'entreprises, sur cette même période, continuait sa progression. (Cf : La Tribune 11 février 2005, p2 ; Le Figaro économie, 1ier juillet 2005). Cela est d'autant plus intéressant que dans la même période, le législateur a écarté l'application de la notion du taux d'usure afin de maximiser la rémunération du risque.
Les auteurs de la saisine ont souhaité rappeler ces différentes données afin d'éclairer le texte soumis à votre examen.
Sur les articles 8, 34, 120 de la loi
L'article 8 dispose qu' « en cas d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire subséquente, les personnes qui consentent, dans l'accord homologué mentionné au II de l'article L. 611-8, un nouvel apport en trésorerie au débiteur en vue d'assurer la poursuite d'activité de l'entreprise et sa pérennité sont payées, pour le montant de cet apport, par privilège avant toutes créances nées antérieurement à l'ouverture de la conciliation, selon le rang prévu au II de l'article L. 622-15 et au II de l'article L. 641-13. »
Par les articles 34 et 120, respectivement aux II des articles L.622-15 et L.641-13, la loi définit le nouvel ordre de paiement des créances dans le cadre tant des procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire que de la procédure de liquidation judiciaire.
Si ces dispositions ne modifient pas le rang prioritaire des créances salariales par rapport au droit en vigueur, nul ne peut contester qu'elles bouleversent l'ordre de paiement des autres créances, assurant un rang de « super-privilège » exorbitant du droit commun aux créances résultant d'un « nouvel apport en trésorerie ».
Ainsi, en vertu de l'alinéa premier de l'article L.611-11 tel que rédigé par l'article 8, des personnes privées, qui font un apport en « argent frais » à une entreprise en difficulté, bénéficieront d'une priorité de paiement de leur créance par rapport à celle de l'Etat ou des organismes sociaux au moment de l'apurement du passif de l'entreprise.
Certes, le bénéfice de ce privilège a été réduit au cours des débats, puisqu'il ne peut profiter ni aux « actionnaires et associés du débiteur dans le cadre d'une augmentation de capital », ni « directement ou indirectement » aux créanciers antérieurs à l'ouverture d'une procédure de conciliation au titre de leurs concours passés.
I.1. Mais, cela n'est pas suffisant pour rendre ce dispositif compatible avec votre jurisprudence aux termes de laquelle le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. (pour exemple notamment : Décision n° 2000-441 DC, 28 décembre 2000, cons. 26 ; décision n° 99-405 DC, 29 décembre 1998, p.326, cons.20)
I.1.1. Or, en l'espèce, le législateur fait le choix de régler de façons différentes des situations objectivement semblables au regard de l'objet de la loi et de l'intérêt général poursuivi, c'est-à-dire, au cas présent, l'aide aux entreprises en difficulté.
En reconnaissant de manière systématique un rang prioritaire aux créances découlant « d'un nouvel apport en trésorerie » par rapport aux créances de l'Etat, des organismes de sécurité sociale, comme des institutions gérant le régime d'assurance chômage, sans distinguer si ces derniers ont concédé ou non à des abandons partiels de leurs créances pour « sauvegarder l'entreprise », abandons que favorisent les articles 6 et 72, la loi instaure une rupture manifeste du principe d'égalité entre les créanciers.
Cette rupture d'égalité est d'autant moins justifiée que, contrairement aux établissements de crédit, l'Etat, les organismes de sécurité sociale, comme les institutions gérant le régime d'assurance chômage, participent habituellement à travers des abandons de créances partielles ou totales à sauver des entreprises en difficulté. (Rapport n°2095 de M. Xavier de Roux, au nom de la commission des lois, sur le projet de loi sauvegarde des entreprises, p. 278 et suivantes).
C'est d'ailleurs si vrai que votre institution a déjà eu l'occasion de reconnaître qu' " [...] une remise partielle de dettes à une entreprise en difficulté [...] " par l'Etat au regard d'un objectif de valeur constitutionnelle - le pluralisme de la presse dans cette espèce - ne constituait pas une rupture d'égalité (Décision n°2000-441 DC du 28 décembre 2000).
On ne peut donc nier qu'en ce cas l'Etat, les organismes de sécurité sociale et les institutions gérant le régime d'assurance chômage prévu par les articles L.351-3 et suivants du code du travail des personnes visés à l'article L. 611-11 qui apportent de « l'argent frais » concourent tous financièrement à l'objet de la loi : « sauvegarder les entreprises ».
On rappellera, à cet égard, que le droit communautaire ne fait aucune différence entre la forme prise par les aides, ce qui renforce l'identité entre l'action de l'Etat et celle des créanciers. C'est ce que rappelle régulièrement la Commission européenne quant elle qualifie d'aides d'Etat, non seulement « des prestations positives » mais également, comme c'est le cas pour un dispositif d'exonération, des interventions qui « allègent les charges qui grèvent normalement le budget d'une entreprise ». (Décision de la Commission du 16 décembre 2003 concernant le régime particulier d'exonération fiscale prévu par l'article 44 septies du CGI).
I.1.2. Il est vrai que votre jurisprudence admet qu'une loi peut sans être contraire à la Constitution " [...] modifier le rang des créances assorties de sûretés réelles à l'avantage de créanciers qui, depuis l'ouverture de la procédure [de redressement], ont concouru à la réalisation de l'objectif d'intérêt général de redressement des entreprises en difficulté [...] ". Car dans ces conditions, il est loisible au législateur de soumettre « à des règles différentes des créanciers placés dans des situations différentes au regard de l'objectif poursuivi » (Décision n° 84-183 DC du 18 janvier 1985).
Dès lors, il résulte nécessairement de votre jurisprudence que le législateur ne pourrait traiter différemment des créanciers qui, dans des situations objectivement similaires, ont agi de manière semblable au regard de l'objectif de la loi et de l'intérêt général en cause : ici la sauvegarde des entreprises.
Or, les articles 8, 34 et 120 organisent un tel traitement discriminatoire alors pourtant que certains des créanciers ainsi rétrogradés au bénéfice de certains établissements de crédits auront concouru directement à l'objectif de sauvegarde des entreprises en difficulté. Lorsque l'Etat, les organismes de sécurité sociale, comme les institutions gérant le régime d'assurance chômage abandonnent toute ou partie de leurs créances pour sauver une entreprise en difficulté, la loi retient que les créanciers « apporteurs d'argent frais » sont prioritaires par rapport à l'Etat, aux organismes de sécurité sociale et aux institutions gérant le régime d'assurance chômage.
Le traitement radicalement distinct des créanciers apporteurs d'aide aux entreprises conduit donc à établir des règles évidemment discriminatoires ne pouvant se revendiquer d'aucune différence objective de situation ni davantage de critères objectifs et rationnels suffisants.
C'est en vain que l'on chercherait dans les travaux parlementaires en quoi l'attribution d'un rang de paiement supérieur aux créances privées au détriment des créances publiques et sociales se justifierait de l'intérêt général d'aide aux entreprises en difficulté alors que les créanciers publics auront agi dans ce même sens de l'objet de la loi.
Bien au contraire, c'est l'intérêt privé des établissements qui est ici satisfait et non l'objectif de sauvegarde des entreprises !
Selon Xavier de Roux, Rapporteur de la commission des lois, les personnes privées qui apporteront de « l'argent frais » dans une entreprise en difficulté seront « les associés » (Compte-rendu n°22 de la Commission des lois du mercredi 9 février 2005, p.7). Tandis que selon Jérôme Chartier, Rapporteur pour avis de la commission des finances, ce seront les « banques déjà partenaires de l'entreprise » (Compte-rendu n°40 de la Commission des finances du mardi 15 février, p 5).
Les premiers le feront afin de « profiter éventuellement par la suite des risques qu'ils auront pris » ; les secondes dans l'espoir de voir « leurs créances antérieures payées ».
Mais en aucun cas la démarche des uns comme des autres ne sera guidée par une raison d'intérêt général contrairement à l'Etat, aux organismes de sécurité sociale et aux institutions gérant le régime d'assurance chômage prévu par les articles L.351-3 et suivants du code du travail des personnes visés à l'article L. 611-11 lorsqu'ils abandonnent des créances.
C'est pourquoi, en définitive, l'alinéa premier de l'article L. 611-11, et sa déclinaison aux II des articles L.622-15 et L.641-13, en ce qu'il instaure un rang de paiement des créances relatives à « l'argent frais » supérieur à celui des créances fiscales et sociales ne pourra qu'être censuré car il entraîne une rupture d'égalité entre créanciers contraire à votre jurisprudence. Les articles L. 622-15 et L.641-13 étant indissociables, ils le seront nécessairement par voie de conséquence.
I.2. Vous ne pourrez par ailleurs que constater que ces articles révèlent également une erreur manifeste d'appréciation du législateur.
Si nul ne conteste que vous ne disposez pas « d'un pouvoir d'appréciation et de décision identique à celui du Parlement », il vous appartient de censurer une disposition relevant de l'erreur manifeste d'appréciation (DEC n°96-375 DC du 9 avril 1996) qui aboutit à créer une atteinte disproportionnée et non objective aux principes d'égalité devant la loi (DEC. n°851-132 DC du 16 janvier 1982 et DEC. n°86-209 DC du 3 juillet 1986).
C'est le cas en l'espèce.
L'article 8 en prévoyant, sans discernement que toute « personnes qui consentent, dans l'accord homologué [...] un nouvel apport en trésorerie au débiteur en vue d'assurer la poursuite d'activité de l'entreprise et sa pérennité sont payées, pour le montant de cet apport, par privilège avant toutes créances nées antérieurement à l'ouverture de la conciliation [...] », aboutit à reconnaître aux établissements bancaires un « super-privilège » de paiement de leurs créances en cas de difficultés de l'entreprise sans aucun motif d'intérêt général et, cela naturellement au détriment des autres créanciers, l'Etat, les organismes de sécurité sociale, comme des institutions gérant le régime d'assurance chômage, mais également les sous-traitants et les fournisseurs de services. En conséquence, ces derniers ne pourront faire valoir leur créances qu'une fois celles desdits établissements honorées.
Or, contrairement aux autres créanciers, un établissement de crédit a la faculté de « tarifer l'apport en trésorerie » à une entreprise en tenant compte « notamment de son risque de défaillance. [...] » au motif que « le financement d'un risque plus grand » justifie « une rémunération supplémentaire ». (Rapport de la commission spéciale sur le projet de loi pour l'initiative économique n°572, tome 1, p149 et audition de M. Philippe Dupont, vice-président de la Fédération bancaire française, p.74 et suivantes). Cette pratique bancaire a d'ailleurs été corroborée par le rapport de la mission d'information de la commission des lois présidée par Pascal Clément sur le traitement des entreprises en difficultés (N°2094, p65).
De part l'article 32 de la loi n°2003-721 du 1ier août 2003 qui écarte l'application de la notion de taux d'usure pour les prêts aux entreprises constituées sous forme de société, la situation des établissements de crédit est nettement plus favorable que celle des autres créanciers qui ne bénéficient même pas de la faculté de « tarifer leur risque ».
C'est pourquoi en attribuant de manière systématique un rang prioritaire aux créances découlant « d'un nouvel apport en trésorerie » par rapport aux créances de l'Etat, des organismes de sécurité sociale, comme des institutions gérant le régime d'assurance chômage sans distinguer si ces derniers ont concédé ou non à des abandons partiels de leurs créances pour « sauvegarder l'entreprise », abandons que favorisent les articles 6 et 72, nul ne peut nier que l'article 8 favorise prioritairement les établissements de crédit par rapport aux autres créanciers.
Pour être certain que les établissements de crédit seront dans une situation définitivement favorable, la loi y ajoute la restriction de la faculté d'engager la responsabilité de ces mêmes établissements en cas de « soutien abusif » prévue par ailleurs à l'article 142 bis.
Le cumul de dispositions excessivement favorables aux établissements bancaires rompt de « manière manifestement disproportionnée » l'égalité entre créanciers sans justification sérieuse au regard de l'objet de la loi et des procédures qu'elle institue au profit des entreprises en difficultés.
Cette position est d'ailleurs partagée par le rapporteur pour avis de la commission des finances quand il note dans son rapport que « la protection contre le risque de poursuite pour soutien abusif et les intérêts naturels des créanciers sont suffisants pour rendre la procédure de conciliation attractive. » (Rapport pour avis n°2099, Jérôme Chartier, p. 13).
C'est pourquoi vous pourrez également censurer les dispositions des articles 8, 34, 120 en ce qu'ils relèvent d'une erreur manifeste d'appréciation dont le résultat constitue une atteinte disproportionnée au principe d'égalité devant la loi entre les créanciers sans que l'objectif d'intérêt général qui s'attache à la sauvegarde des entreprises le justifie.
Sur l'article 142 bis de la loi
L'article 142 bis réduit radicalement les motifs susceptibles d'entraîner la condamnation d'un créancier pour « soutien abusif ».
Il s'ensuit une méconnaissance de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 (II.1.) et du droit au recours tel que déduit de l'article 16 de la même Déclaration des droits fondamentaux (II.2.).
II.1. Le législateur a voulu fixer, de manière exhaustive et particulièrement restrictive au regard de la jurisprudence, les cas dans lesquels un créancier était susceptible d'engager sa responsabilité délictuelle pour avoir « fautivement retardé l'ouverture d'une procédure collective » de son client en apportant ou en maintenant un crédit à une entreprise « dont la situation est irrémédiablement compromise ».
Depuis le 22 mars 2005, suite à deux arrêts de sa Chambre commerciale, la Cour de cassation juge désormais que « l'établissement de crédit qui a fautivement retardé l'ouverture de la procédure collective de son client n'est tenu de réparer que l'aggravation de l'insuffisance d'actif qu'il a ainsi contribué à créer ». La sanction civile est alors proportionnée au dommage.
En revanche, en adoptant l'article 142 bis qui annihile quasiment toute faculté d'engager la responsabilité délictuelle des créanciers, le législateur a manifestement méconnu le principe de responsabilité tel que tiré de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789.
Vous avez jugé en « constitutionnalisant » d'une certaine manière les principes qui irriguent l'article 1382 du code civil, que nul n'ayant le droit de nuire à autrui, en principe tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer. Que, sans doute, en certaines matières, le législateur a institué des régimes de réparation dérogeant partiellement à ce principe, notamment en adjoignant ou en substituant à la responsabilité de l'auteur du dommage la responsabilité ou la garantie d'une autre personne physique ou morale ; « mais considérant cependant que le droit français ne comporte, en aucune matière, de régime soustrayant à toute réparation les dommages résultant de fautes civiles imputables à des personnes physiques ou morales de droit privé, quelle que soit la gravité de ces fautes » (Décision n° 82-144 DC du 22 octobre 1982). Plus récemment, vous avez considéré que « la faculté d'agir en responsabilité met en oeuvre l'exigence constitutionnelle posée par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dont il résulte que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer. » (Décision. n° 99-419 DC du 9 novembre 1999).
Or, en l'espèce, le législateur a fait le choix de porter atteinte, sans raison, à la faculté d'agir en responsabilité contre les créanciers bancaires.
On ne peut d'ailleurs que déplorer qu'il l'ait fait en prenant le contre-pied de la méthode préconisée par Guy Canivet, Premier président de la Cour de cassation, qui estime qu'en matière de droit économique « l'intérêt est de vérifier dans le cadre d'une discussion sereine et en dehors de tout contentieux si la position des uns et des autres est justifiée » avant d'ajouter que « sur la question du soutien abusif par exemple, on peut se demander si la jurisprudence est réellement de nature à restreindre le crédit bancaire, et donc à nuire à l'intérêt général ou si, au contraire, elle est de nature à en améliorer la répartition. » (Petites affiches, 31 mai 2005, n°107).
En effet, alors qu'il existe un consensus pour constater la rareté des condamnations pour « soutien abusif » des créanciers en général et en particulier des établissements de crédit, le législateur, par une double dynamique, réduit les possibilités de condamnation pour « soutien abusif » de manière drastique lorsque sont en cause les établissements de crédit.
D'une part, la loi, contrairement à ce que prévoyait le projet de loi, étend la limitation de l'action en responsabilité à l'ensemble des concours consentis aux débiteurs. D'autre part, elle réduit les cas de mis en jeu de la responsabilité des créanciers à trois : fraudes du créancier, immixtion caractérisée du créancier dans la gestion du débiteur, prise de garanties disproportionnées par rapport aux concours consentis du créancier.
Or, il existe bien d'autres hypothèses dans lesquelles un soutien abusif peut faire l'objet d'une action en responsabilité. On en prendra deux illustrations.
Par exemple, un créancier victime d'une entreprise en raison de l'ouverture d'une procédure collective tardive ne pourrait plus engager la responsabilité de la banque qui aurait, par manque de vigilance, par son soutien financier abusif retardé l'ouverture de ladite procédure alors qu'elle connaissait la fragilité de l'entreprise. (Cour de cassation, Ch. Commerciale, 26 mars 1996, Bull.civ.IV, n°95).
Ainsi un établissement bancaire ne pourra plus voir sa responsabilité engagée lorsqu'il accorde un crédit en connaissance de la situation « irréversiblement compromise » d'une société dans laquelle il fait siéger ses salariés au conseil d'administration, comme cela était le cas, en 2004, dans 34 % des sociétés cotées du SBF 120. (La Tribune, le 13 octobre 2004, p.34).
De ce chef, la censure est déjà encourue.
II.2. Vous avez, par ailleurs, consacré le droit au recours tel qu'il résulte de l'article 16 de la Déclaration de 1789. Vous avez ainsi considéré « qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen : »Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution" ; qu'il résulte de cette disposition qu'en principe il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction "(Décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996). On se plaira à souligner le parallèle de rédaction avec les obligations que la France tient de la Convention européenne des droits de l'homme dont l'article 6 s'applique en matière d'obligations civiles et commerciales.
La question posée est alors bien celle de l'accès à un juge disposant de plénitude de ses compétences.
Manifestement, comme le relevait malicieusement Madame le Professeur Marie-Anne Frison-Roche, le mécanisme querellé « est une manière d'éloigner le juge » de certains partenaires de l'entreprise (Les Petites Affiches, n° 107, 31 mai 2005).
Cette situation est d'autant moins constitutionnellement acceptable que, dans le même temps, le recours au juge demeure ouvert pour agir contre d'autres créanciers qui peuvent par des abandons de créances concourir également à la sauvegarde des entreprises en difficultés. A ceux là, la loi ne leur réserve aucun privilège de juridiction et les excepte du bénéfice des dispositions de l'article 142 bis alors qu'ils peuvent, au regard de la jurisprudence, voir engager leur responsabilité pour soutien abusif (Cour de cassation, ch. commerciale, 10 septembre 2003, JCP éd.G2004, IV, 1297).
De ce chef, encore, l'invalidation est certaine.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, à l'expression de notre haute considération.