Contenu associé

Décision n° 2005-514 DC du 28 avril 2005 - Réplique par 60 députés

Loi relative à la création du registre international français
Conformité

Monsieur le Président du Conseil Constitutionnel,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil,
2 rue de Montpensier, 75001 Paris.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel, les observations en défense du gouvernement présentées sur le recours dirigé contre l'ensemble de la loi relative au registre international français appellent de notre part les brèves remarques suivantes.
SUR LE TITRE II DE LA LOI
1. En premier lieu, on observera que le gouvernement est particulièrement peu disert sur l'article 9 de la loi. A vrai dire, il se borne à le recopier sans le défendre réellement.
Or, cet article est au coeur du dispositif critiqué puisqu'il permet le marchandage de main d'oeuvre. Il est, à cet égard, particulièrement frappant de relever que l'article 4 de la Convention n° 179 de l'OIT fait obligation aux Hautes Parties Contractantes de soumettre les entreprises de recrutement au contrôle des autorités compétentes - qui sont aux termes de ce traité - des autorités publiques. Ce que ne sont pas les armateurs qui auront pourtant la charge de vérifier si ces sociétés dites de « manning » respectent les exigences de cette convention dans les pays où elle n'est pas en vigueur...
On soulignera pour information que seuls 9 Etats ont ratifié cette convention de l'OIT.
Mais, surtout, au regard de l'article 34 de la Constitution, on ne peut sérieusement prétendre que la loi critiquée respecte la plénitude de compétence du législateur lorsqu'elle confie à l'une des parties au contrat d'engagement - l'armateur - le soin de veiller au respect d'une convention de l'OIT par l'autre partie audit contrat alors que celle-ci est domiciliée dans un pays qui n'a pas ratifié ce traité international.
Cette question n'est pas secondaire si l'on veut bien noter les précisions figurant à l'article 6 du code du travail maritime pour encadrer le placement des travailleurs de mer puisque les bureaux de placement maritime sont organisés par décret. Il faut y voir une préoccupation d'ordre public social impératif.
Ce même article 6 prohibe le payement d'une rémunération par le marin en vue d'une opération de placement. Aucune protection de cette nature n'est envisagée, en particulier pour les sociétés de « manning » implantées dans des pays où la convention n° 179 précitée n'est pas applicable.
Autant dire que dans ces conditions, les principes fondamentaux du droit du travail sont laissés en jachère et sont dépourvus de garanties. A ce titre, à la différence de ce qui est prévu par l'article 13 du code du travail maritime, le contrat d'engagement du marin résidant hors de France ne sera pas visé par l'autorité chargée de l'inspection du travail maritime et donc échappera à son pouvoir protecteur de refuser son visa lorsque le contrat contient une clause contraire aux dispositions d'ordre public.
Il est acquis que dans ces conditions, l'incompétence négative est certaine.
2. En second lieu, s'agissant de la méconnaissance du Préambule de la Constitution de 1946, le gouvernement soutien que la participation à l'élection des délégués de bord suffit dès lors que les marins concernés ne sont pas résidants en France.
Mais, on peine à comprendre pourquoi les marins ne résidant pas en France pourraient se revendiquer des accords collectifs dès lors qu'ils ne peuvent participer pleinement à la détermination collective des conditions de travail et à la gestion des entreprises. Ce droit fondamental de tous les travailleurs n'est pourtant pas lié à la nationalité du salarié.
A cet égard, force est de reconnaître la difficulté éprouvée par le législateur au moment de concilier les droits fondamentaux de tout travailleur avec sa volonté de soumettre l'engagement des marins étrangers à des lois choisies par l'armateur. En effet, nul n'ignore que dans certains pays, comme les Philippines, les marins engagés sont liés dans leur convention collective par des clauses dites de « closed shop » qui leur font interdiction, sous peine de licenciement sans préavis, d'adhérer à un syndicat autre que celui de leur pays d'origine. Ce qui, au passage, rend théorique le droit syndical reconnu par l'article 23 de la loi critiquée.
3. En troisième lieu, concernant le principe d'égalité, on doit avouer que le gouvernement ne convainc pas en s'abritant derrière votre jurisprudence classique selon laquelle des différences objectives de situation peuvent justifier des traitements distincts.
En l'espèce, il n'existe pas de situations objectivement différentes mais la possibilité ouverte aux armateurs par la loi de créer discrétionnairement, pour ne pas écrire arbitrairement, les conditions de cette différence de situation. On relèvera ici que, contrairement à ce que soutient le gouvernement, la loi applicable n'est pas celle du pays de résidence du marin - ce qui aurait pu, pour le raisonnement, constituer une situation objective - mais celle choisie par la société de marchandage et l'armateur (voir l'article 12 de la loi). Autrement dit, la situation du marin est subjectivement établie par ses employeurs. Et le régime juridique applicable sera tributaire non pas d'un fait objectif mais de la volonté de choisir la loi la plus favorable aux intérêts économiques de l'armateur. Rien ne permet au marin de résister à la proposition faite par la société d'engagement de le soumettre à une loi différente de celle de son pays de résidence. On en voudra pour preuve le fait que l'article 9 de la loi réserve l'hypothèse où l'armateur utilise les services d'une entreprise de marchandage installée dans un pays où les conventions OIT ne s'appliquent pas, c'est-à-dire les Etats les moins scrupuleux sur les droits sociaux et la protection des contractants en situation d'infériorité.
On ne peut trouver mécanisme plus discriminatoire qu'un tel système.
Pourtant, le législateur français avait toujours pris soin de garantir l'égalité de traitement entre marins français et étrangers. C'est ce qu'exprime clairement l'article 119 du code du travail maritime, tel qu'issu de la loi du 25 septembre 1948, en disposant que « les dispositions de la présente loi sont applicables aux marins étrangers engagés sur les navires français ».
Ce qui montre bien, à l'instar de l'article 29 sur l'applicabilité du code de discipline, qu'il n'existe pas « d'extraterritorialité » pour les navires battant pavillon français.
La prescription de l'article 119 précitée, non abrogée par la présente loi, exprime la portée de l'ordre public social impératif à bord des navires français et vaut garantie des exigences constitutionnelles en matière de droits sociaux de tous les travailleurs quelle que soit leur nationalité. Se trouve alors respecté, en outre, l'article 34 de la Constitution.
* * *
Par ces motifs et tous autres à soulever même d'office, les requérants persistent de plus fort dans leur conclusions.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel, à l'expression de notre haute considération.