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Décision n° 2004-511 DC du 29 décembre 2004 - Saisine par 60 députés

Loi de finances pour 2005
Non conformité partielle

Monsieur le Président du Conseil constitutionnel, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi de finances pour 2005 telle qu'adoptée par le Parlement.
A l'appui de cette saisine, nous développons les motifs suivants concernant le non respect du principe de sincérité de la loi de finances pour 2005 et à l'encontre en particulier des articles 10, 14, 29, 30, 31, 33, 63, 70 sexies.
1/ Sur le non respect du principe de sincérité
La loi de finances pour 2005 doit être analysée comme méconnaissant le principe de sincérité tel qu'il s'impose en application de l'article 32 de la loi organique n°2001-692 du 1ier août 2001 relative aux lois de finances et tel que votre jurisprudence récente l'a établi et encadré.
L'exigence de sincérité se caractérise par l'absence d'intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre budgétaire. Elle a été clairement précisée dans la décision n° 2002-464 DC du 27 décembre 2002. En effet le considérant 7 rappelle que si au cours de l'exercice « les grandes lignes de la loi de finances s'écartaient sensiblement des prévisions, il appartiendrait au gouvernement de soumettre au Parlement un projet de loi de finances rectificative ».
L'évolution des prévisions de recettes
Vous rappelez, dans le même considérant de la décision citée ci-dessus, qu'une surestimation des recettes fiscales de faible ampleur au regard des masses budgétaires ne porterait pas atteinte au principe de sincérité.
Cette jurisprudence venait qualifier une surestimation de recettes égale à 2,9 milliards d'euros. En effet, dans leur saisine sur le projet de loi de finances pour 2003, les requérants estimaient à ce montant la surestimation des prévisions de recettes. Si en réponse, vous avez considéré qu'il n'y avait pas de manquement au principe de sincérité, vous n'avez pas pour autant autorisé le gouvernement à proposer systématiquement un projet de loi de finances intégrant une surestimation de cet ordre.
L'élaboration du projet de loi de finances est effectuée sur la base des informations économiques et financières disponibles, qui permettent d'établir le niveau prévisionnel des recettes fiscales et non fiscales. Le gouvernement n'est en aucune façon autorisé à retenir des hypothèses économiques qui assoupliraient les contraintes auxquelles il doit faire face notamment en matière de solde budgétaire, en tenant compte de la marge de manoeuvre que lui confère votre jurisprudence.
Si tel était le cas, vous ne pourriez que constater le manquement au principe de sincérité, dans la mesure où en agissant de la sorte le gouvernement ferait part d'une volonté manifeste de dissimulation.
Malheureusement, force est de constater que cette année, le gouvernement retient des hypothèses de croissance, d'évolution du prix du pétrole, de parité euro-dollar et d'élasticité des recettes fiscales au niveau de croissance, qui non seulement sont éloignées de la réalité des informations disponibles en la matière, mais dont l'effet combiné conduit à une surestimation des recettes de l'ordre de 2,9 milliards d'euros.
Une telle coïncidence ne saurait relever du seul hasard. La pratique budgétaire ne peut tendre vers une surestimation systématique en loi initiale des prévisions de recettes, qui revient à détourner votre jurisprudence, sauf à méconnaître le principe de sincérité.
De même, les observations du considérant 7 de la décision n°2002-464 DC ne sauraient pour autant justifier qu'une surestimation soit admise, dans la mesure où elle constituerait une erreur certaine, manifeste et volontaire dans la présentation et la détermination des objectifs de recettes ne permettant pas au Parlement d'exercer ses prérogatives.
Il ne s'agit pas d'enfermer le débat sur le respect du principe de sincérité dans une querelle d'experts financiers sur la pertinence des hypothèses économiques, dont le caractère réaliste ou non est inhérent à l'exercice de prévision. Il s'agit au contraire de s'assurer qu'au moment où il vote le projet de loi de finances, le Parlement le fait en toute connaissance de cause.
Une erreur d'appréciation, quel que soit son montant, ne saurait échapper au contrôle de sincérité si elle conduit à dissimuler la réalité au Parlement.
En cours de débat parlementaire, le gouvernement a mis en place une commission afin d'estimer les effets sur le produit de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) et sur le produit de la TVA applicable à ces produits, de la hausse des prix du pétrole constaté en 2004. Cette commission a confirmé que la hausse des prix du pétrole a conduit à une moindre consommation, et donc à la baisse du produit de TIPP réellement perçu par rapport à celui évalué dans le projet de loi de finances initial pour 2004.
Avant même la mise en place de la commission, cette réalité était connue du gouvernement, comme le démontre l'évaluation révisée pour 2004 dans le fascicule « Voies et moyens » qui porte à 622 millions d'euros la baisse de produit de TIPP liée à un ralentissement net des consommations à fin 2002, à une croissance atone de la consommation en produits pétroliers en 2003 et à la révision des hypothèses de croissance de consommation en 2004.
Si dès la présentation du projet de loi de finances pour 2005, le gouvernement avait intégré la baisse du produit de la TIPP en 2004, les résultats de la commission auraient dû le conduire à réviser à nouveau à la baisse les prévisions de 2004 d'une part, et de 2005, d'autre part, qui seront inévitablement inadaptées en raison de la révision portant sur 2004.
En effet, elle s'est livrée à un chiffrage très précis des moindres recettes. Il apparaît à cet égard que les moindres recettes sur 2004 sont de l'ordre non pas de 622 millions d'euros mais de 855 millions d'euros, dont 770 pour l'Etat et 85 pour les départements.
Le différentiel est ainsi de 148 millions. Il a, de façon automatique, un effet sur la prévision de recettes de TIPP pour l'année 2005 que le gouvernement n'a à aucun moment pris en compte. En agissant ainsi, il a commis une erreur certaine qui n'a pas permis au Parlement de se prononcer sur la base des dernières informations disponibles.
Même si cette surestimation est de faible ampleur, elle constitue un manquement manifeste au principe de sincérité.
La détermination des plafonds de dépenses
Il est avéré, dès le vote du projet de loi de finances pour 2005, que les objectifs en matière de dépenses ne sont pas sincères.
Le 16 décembre 2004, le ministre du budget a annoncé qu'une réserve de précaution de 4 milliards d'euros, sous la forme de gels de crédits budgétaires, sera constituée dès le mois de janvier.
Vous avez déjà indiqué, notamment dans votre décision n°2002-464 du 27 décembre 2002, que le « vote du Parlement, dans la loi de finances, des plafonds afférents aux grandes catégories de dépenses et des crédits mis à la disposition des ministres n'emporte pas, pour ces derniers, obligation de dépenser la totalité des crédits ouverts. »
Mais on peut constater depuis trois ans le développement d'une pratique qui consiste à opérer un décalage systématique entre le niveau des dépenses soumis au vote du Parlement et le niveau des dépenses effectivement envisagées et concrètement engagées par le gouvernement. Cette pratique ne peut pas être le mode normal d'évaluation et de présentation des dépenses de l'Etat.
En agissant ainsi, le gouvernement détourne manifestement l'esprit de la procédure des mises en réserve de crédits et ce dans le seul but de fausser la sincérité des plafonds de dépenses.
La Cour des comptes l'a régulièrement rappelé ces dernières années. Son rapport au Parlement sur les décrets d'avance des 16 juin, 8 septembre, 17 novembre et 26 novembre 2003 constate en effet que pour financer une partie des ouvertures de crédit mise en oeuvre par voie administrative en cours de gestion, le gouvernement a recours à des annulations sur certains chapitres budgétaires de crédits manifestement surévalués en loi de finances initiale et que de telles pratiques posent la question de la sincérité du budget soumis au vote du Parlement.
De même, le rapport de la Cour des comptes sur les mouvements de crédits opérés par voie administrative, établi en application de l'article 58 de la loi organique du 1ier août 2001 relative aux lois de finances, déposé conjointement au projet de loi de finances rectificative pour 2004, souligne que les dépenses inscrites sur plusieurs chapitres budgétaires font l'objet de sous-estimations manifestes qui conduiront le gouvernement à devoir abonder les chapitres en cause en cours d'exécution.
Un premier exemple est fourni par les crédits du ministère de l'agriculture. On peut lire en page 10 du rapport qu' « en soustrayant à la discussion du projet de loi de finances initial les crédits relatifs à la politique d'indemnisation, en renvoyant à un article du collectif budgétaire l'inscription des crédits nécessaires et en induisant un report systématique et intégral des crédits sur l'exercice suivant, cette pratique altère significativement la sincérité de la loi de finances. ». Cette remarque porte sur le chapitre destiné à financer l'indemnisation des calamités agricoles, qui ne relève que formellement de la situation d'urgence prévue par la loi organique. La dotation initiale en 2005 de ce chapitre est de 10 millions d'euros, proche de celle de 2004, et les besoins constatés en 2004 se montent à 232,57 millions d'euros.
Un deuxième exemple présenté en page 17 du même rapport, conduit la Cour des comptes à dénoncer « une entorse répétée à la sincérité du budget de l'Etat » concernant les crédits destinés à couvrir notamment la charge liée à l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile. La Cour des comptes ajoute que « des appréciations de même nature en ce qui concerne l'écart entre la dotation initiale de 2004 et l'exécution d'une part et le niveau des crédits prévu dans le projet pour 2005 ».
Ces pratiques de sous-évaluations, répétées dans la plupart des ministères, conduisent à l'ouverture de crédits en cours d'exécution pour un montant important. La mise en réserve opérée en début d'année est utilisée finalement pour financer en cours de gestion les besoins de crédits manifestement sous-estimés.
Respecter le principe de sincérité ce n'est pas uniquement annoncer au Parlement ce que risque d'être l'exécution de la loi de finances, c'est inscrire dans le projet initial l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent en découler.
La sincérité impose de traduire le plus objectivement possible dans le projet soumis au vote du Parlement la réalité budgétaire de l'année à venir et donc d'inscrire dans la loi la vérité pour que le Parlement soit en mesure d'exprimer un vote sincère.
Les observations de la Cour des comptes traduisent à quel point le gouvernement s'écarte du respect du principe de sincérité. La mise en réserve d'une part, les sous-estimations manifestes d'autre part, constituent la preuve d'une volonté manifeste du gouvernement de ne pas présenter des plafonds de dépenses conformes à ce que sera la réalité de l'exécution.
La pratique de la régulation budgétaire est bel et bien détournée de son objet initial. Celle-ci est destinée à permettre au gouvernement de faire face en cours d'année à un événement conjoncturel imprévu. Compte tenu des dépenses inscrites dans le projet de loi de finances par le gouvernement, l'exécution pour 2005 sera plus conforme au principe de sincérité, dans la mesure où une mise en réserve de 4 milliards d'euros est d'ores et déjà annoncée et que de nombreux chapitres budgétaires pour 2005 sont, comme l'indique la Cour des comptes, manifestement sous-évalués.
La constitution systématique d'une réserve de précaution est par ailleurs d'autant moins respectueuse des prérogatives du Parlement qu'il n'est pas informé au moment du vote du projet de loi de finances du détail des gels envisagés.
Bien entendu, l'article 14 de la loi organique relative aux lois de finances dispose que les crédits ouverts peuvent être annulés par le gouvernement « afin de prévenir une détérioration de l'équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances afférente à l'année concernée » ou s'ils sont devenus sans objet.
Pour l'année 2004, on ne peut pas considérer que les annulations de crédits intervenus après la mise en réserve l'aient été pour préserver l'équilibre budgétaire. Celui-ci l'a été en raison d'une révision à la hausse des hypothèses de croissance économique. De plus, la Cour des comptes indique qu'elles ne visaient pas non plus des crédits devenus sans objet. Au contraire, elle souligne, concernant une part importante des crédits annulés et notamment ceux du ministère de l'intérieur (page 24 de son rapport), que « l'analyse du fonctionnement et de la situation de chacun des chapitres concernés laisse apparaître que, dans leur grande majorité, les crédits objets d'annulation n'étaient pas devenus sans objet au sens organique du terme ».
Pour l'année 2005, les observations de la Cour des comptes ne peuvent demeurer lettre morte, sauf à considérer que puisse ainsi se développer une forme de culture d'insincérité dans la présentation des crédits budgétaires.
2/ Sur le non respect du principe d'égalité
2-1 Sur l'article 10
Cet article insère dans le code général des impôts un nouvel article 244 quater I instituant un crédit d'impôt en faveur des entreprises imposées d'après le bénéfice réel qui, après voir transféré leur activité en dehors de l'Espace économique européen entre le 1er janvier 1999 et le 2 septembre 2004, viendraient l'implanter en France en tout ou partie au sens des articles 4 B et 209 du Code général des impôts.
Le crédit d'impôt applicable sur la totalité du territoire est calculé par l'application aux seules dépenses de personnel d'un coefficient dégressif entre 50 % et 0 sur une période de 5 années.
En plus de ce premier crédit d'impôt est proposé un crédit d'impôt particulier et supplémentaire destiné aux entreprises qui « relocaliseraient », pour reprendre le néologisme utilisé par le gouvernement, leur activité dans des zones éligibles à la prime d'aménagement du territoire. L'assiette de crédit d'impôt supplémentaire est constituée, selon le calcul le plus avantageux pour le contribuable, soit des dépenses de personnel dans les mêmes conditions que pour le crédit de base, soit du montant hors taxe des investissements considérés comme éligibles. Son taux est constant et fonction des zones définies à l'annexe I du décret n°2001-312 du 11 avril 2001.
Cet article déroge au principe d'égalité devant les charges publiques en ce qu'elle conduira à traiter différemment sur le plan fiscal, des contribuables réalisant un investissement sur une zone identique du territoire national.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel ne permet d'appliquer des règles différentes à des situations identiques que lorsque cette différence de traitement repose sur des critères objectifs et rationnels en relation avec l'objet de la loi.
L'objet réel de la disposition, tel qu'il est présenté par le gouvernement, est de favoriser la création d'activité et d'emploi sur le territoire national. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, notamment, l'assiette du crédit d'impôt est définie au II de l'article 244 quater I comme égale « aux dépenses de personnel relatives aux emplois créés affectées d'un coefficient ».
Or le dispositif proposé conduira à accorder à une entreprise en provenance d'un pays non membre de l'Espace Economique Européen (EEE) des avantages qui n'existent pas ni pour une entreprise existante qui aurait transféré son activité en provenance d'un autre point du territoire national ou d'un autre Etat membre de l'EEE, ni pour une entreprise nouvellement créée.
Au regard de l'objectif affiché de soutien à l'activité ou à l'emploi, il n'est pas démontré en quoi la circonstance qu'une entreprise contribuable aurait, préalablement à un investissement ou à une création d'emplois, exercé son activité dans un Etat non signataire du traité sur l'Espace Economique Européen (EEE) justifierait qu'elle bénéficie, pour ses dépenses de personnel ou ses investissements, d'un traitement fiscal particulier.
Même s'il est admis que l'exception est encadrée dans le temps et qu'elle est soumise au respect de la règle communautaire de minimis qui en réduit en tout état de cause la portée à un bénéfice de 100 000 euros sur une période de trois années consécutives pour l'entreprise considérée, cette différence de traitement ne peut se justifier au regard du principe d'égalité.
De la même manière en effet, le dispositif retenu conduira à traiter de manière différente des entreprises qui choisiraient de venir s'implanter dans une même zone du territoire national, selon qu'elles exerçaient, entre le 1er janvier 1999 et le 22 septembre 2004, leur activité au sein de l'EEE ou en dehors de celui-ci. Cette localisation passée de l'entreprise n'a aucun lien avec l'objectif réel du dispositif.
La rédaction proposée du deuxième alinéa du I de l'article 244 quater I prévoit de plus que n'ouvrent pas droit au bénéfice du crédit d'impôt les activités exercées dans un certain nombre de secteurs sans que cette exclusion soit motivée par un critère en relation avec l'objet de la loi. Si l'exclusion des secteurs industriels, agricole ou agro-alimentaire peut être expliquée par la nécessité de respecter les règles communautaires, tel n'est pas le cas, notamment, pour les entreprises relevant des secteurs des « assurances, réassurances, crédit ou capitalisation ».
Le Rapporteur général de l'Assemblée nationale, constatant ces exclusions, précise que « dans ce dernier cas, il s'agit d'exclure du bénéfice du crédit d'impôt des activités sensibles qui ont la particularité d'être facilement déplaçables d'un pays à un autre, puisqu'elles n'exigent pas de lourds investissements matériels mais la seule présence d'un personnel qualifié lui-même très mobile. Les intégrer dans les activités susceptibles de bénéficier d'un crédit d'impôt serait un signe très négatif envoyé par la France à ses partenaires (Rapport Général n°1863 sur le projet de loi de finances pour 2005 tome 2, » Conditions générales de l'équilibre financier " page 145).
On ne saurait mieux dire à quel point le dispositif proposé risque de provoquer des mouvements particulièrement préjudiciables aux salariés et à l'emploi de la part d'entreprises ayant la capacité de faire jouer à plein l'effet d'aubaine, que leurs installations soient particulièrement mobiles, ou qu'elles soient prêtes à déménager certaines de leurs usines.
On ne saurait mieux démontrer, également, que sont ainsi exclues sans aucun fondement juridique mais uniquement pour ne pas envoyer de signal négatif à nos voisins, des activités pour lesquelles l'effet d'incitation potentielle à la création d'activité et d'emploi sur le territoire national du crédit d'impôt serait pourtant, selon les défenseurs de ce dispositif, particulièrement vérifié.
En tout état de cause, l'objectif de « ne pas envoyer de signe négatif aux partenaires de la France » est en contradiction manifeste avec l'objectif du dispositif proposé, qui consiste à attirer sur le territoire national des activités localisées jusque-là en dehors, et il ne peut en aucun cas apparaître comme un motif suffisant d'intérêt général.
Le Conseil constitutionnel ne pourra donc que censurer la rupture d'égalité introduite par l'article 10 entre des contribuables pourtant placés, au regard de l'objet de la loi et de l'intérêt général, dans une situation identique.
2-2 Sur l'article 14
Cet article insère un article 1647 C sexies dans le Code général des impôts, a pour objet la mise en place d'un crédit de taxe professionnelle, pris en charge par l'Etat de 1 000 euros par salarié employé depuis au moins 1 an au premier janvier de l'année d'imposition, dans certaines zones « reconnues en grande difficulté au regard des délocalisations ».
Comme le souligne en effet le Rapporteur général du Sénat lui-même, il apparaît qu'une nouvelle fois les contribuables qui choisiraient de quitter le territoire se trouveront, toutes choses égales par ailleurs, dans une situation différente au regard de la loi selon qu'ils iraient s'implanter dans un autre pays de l'Espace Economique Européen ou hors de celui-ci.
En effet, si les bénéficiaires du crédit d'impôt seront tenus de reverser le crédit de taxe professionnelle perçu dans le cadre du dispositif, en cas de transfert hors de l'Espace Economique Européen leur activité dans les 5 ans suivant la fin de cet avantage, tel ne serait pas le cas s'ils choisissaient de transférer « dès le 2 janvier de l'année d'octroi de ce crédit d'impôt, tous les emplois ayant donné lieu à ce crédit d'impôt dans un autre Etat membre de l'Union européenne » ou dans une zone du territoire national non visée par le dispositif.
Au regard de l'objectif de la loi qui est de favoriser la création ou le maintien d'emplois sur le territoire national et plus précisément encore dans certaines zones jugées prioritaires, une telle différence de traitement ne saurait se justifier. Par conséquent, cet article ne respecte pas le principe d'égalité des contribuables devant les charges publiques.
Il apparaît, par ailleurs, que les zones d'application du dispositif seraient choisies chaque année entre 2005 et 2009 par voie réglementaire. Au total, 30 zones devront être identifiées, le législateur précisant seulement qu'il s'agit de « zones en grande difficulté au regard des délocalisations ».
Ceci se traduit en premier lieu, par la considération d'un certain nombre de critères statistiques, dont la responsabilité de la définition est confiée au pouvoir réglementaire, qui devrait déterminer 20 zones d'application du dispositif.
S'ajouteraient au plus 10 autres zones choisies cette fois sans aucune référence à un quelconque critère statistique ou juridique, puisque la rédaction du 2 ° du II de l'article 1647 C sexies précise seulement qu'il s'agit de zones « dans lesquelles des restructurations industrielles en cours risquent d'altérer gravement la situation de l'emploi ». Le Rapporteur général du Sénat prend le soin de préciser qu'« il convient d'observer que la notion de restructuration ne s'entendrait pas ici au sens juridique (c'est-à-dire ne recouvrirait pas seulement les opérations juridiques de fusion, de scission, d'apport partiel d'actifs ou de reprise d'entreprises en difficulté), mais au sens économique du terme » (Rapport Général n°74 sur le projet de loi de finances pour 2005 tome II, fascicule 1, « Les conditions générales de l'équilibre financier » page 194 et suivantes).
Le caractère particulièrement flou de cette définition, souligné lors des débats en commission des finances à l'Assemblée nationale notamment par des représentants de la majorité parlementaire, a également été souligné par le Rapporteur général du Sénat (compte-rendu de l'examen de cet article p.219 du rapport précité du Rapporteur général de l'Assemblée nationale et le commentaire de cet article p.200 et suivantes du Rapport du Sénat).
Le Parlement autoriserait ainsi l'application d'un dispositif fiscal dans des zones non définies du territoire lors du vote de la loi de finances. Or, la jurisprudence constante du Conseil Constitutionnel en matière de champ d'application d'un avantage fiscal réserve au législateur le pouvoir de déterminer celui-ci, en vertu de l'article 34 de la Constitution.
En confiant au pouvoir réglementaire la compétence pour reconnaître les zones dans lesquelles s'appliquera chaque année le dispositif, le législateur n'exerce pas la compétence qui lui est reconnue par l'article 34 de la Constitution. En effet, le pouvoir ainsi laissé à l'autorité ministérielle dépasse largement celui de s'assurer que, conformément à l'objectif poursuivi par le législateur, une zone donnée correspond aux conditions fixées par la loi.
Notamment, en ne définissant pas précisément les « zones dans lesquelles des restructurations industrielles en cours risquent d'altérer gravement la situation de l'emploi », le législateur ne se contente pas de charger l'autorité réglementaire de prendre les mesures individuelles nécessaires à l'application de la loi mais lui confère un réel pouvoir discrétionnaire de détermination du champ d'application de l'avantage fiscal institué en matière de taxe professionnelle.
Cette forme d'incompétence négative du Parlement a d'ailleurs été renforcée dans la rédaction issue de l'amendement adopté à l'initiative de la commission des finances de l'Assemblée nationale. Le projet de loi initial évoquait « des zones dans lesquelles des restructurations industrielles en cours au 30 septembre de l'année précédente risquent d'altérer gravement la situation de l'emploi ». La commission des finances a considéré, par la voix de son rapporteur général que « cette rédaction prive le gouvernement de la capacité de répondre rapidement à des restructurations annoncées après le 30 septembre de l'année précédente » et a ouvert encore plus largement la marge d'appréciation discrétionnaire laissée à l'autorité réglementaire.
Pour ces raisons, cet article méconnaît les dispositions de l'article 34 de la Constitution.
2-3 Sur l'article 63
Cet article modifie l'article 199 sexdecies du code général des impôts en relevant le plafond des dépenses prises en compte pour le calcul de la réduction d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile. Cette disposition s'applique aux dépenses engagées à compter du 1ier janvier 2005.
Dans sa rédaction initiale, cet article prévoyait en particulier un relèvement du plafond de dépenses de 10 000 à 15 000 euros. L'adoption par l'Assemblée nationale de deux amendements et d'un sous-amendement a modifié l'économie générale de la mesure. Le plafond de dépenses est porté finalement à 12 000 euros. Il sera majoré de 1 500 euros par enfant à charge et au titre de chacun des membres du foyer fiscal âgé de plus de 65 ans, sans que ces majorations n'aient pour effet de porter le plafond de prise en compte des dépenses au-delà de 15 000 euros. Autrement dit, ce plafond sera majoré en fonction de charges de famille des contribuables.
Cet article est dès lors contraire au principe d'égalité devant les charges publiques. Vous avez eu l'occasion de le préciser dans le cadre de la décision n° 2002-464 DC du 27 décembre 2002 sur une mesure de relèvement du plafond de dépenses prises en compte pour le calcul de la même réduction d'impôt, qui ne prévoyait pas un relèvement du plafond pour enfant à charge, afin de prendre en compte spécifiquement les charges de famille.
En effet, votre décision indique qu' « il ressort des travaux parlementaires ayant abouti à l'adoption de la loi déférée, comme de ceux à l'origine de l'institution, en 1991, de la réduction d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile, que cette réduction vise à combattre le chômage en développant l'emploi à domicile ; qu'elle tend également à lutter contre l'emploi non déclaré ; qu'elle a par ailleurs pour effet d'améliorer la qualité de vie des familles en favorisant le maintien à domicile des personnes âgées, l'hébergement de personnes invalides, la garde au domicile familial des jeunes enfants, le soutien scolaire et l'aide ménagère » et qu'« en relevant à 10 000 euros le plafond des dépenses éligibles à cet avantage fiscal, le législateur a entendu élargir l'impact de cette mesure pour mieux satisfaire à l'objectif d'intérêt général qu'il s'est assigné ; que l'existence d'un plafond unique de dépenses ne méconnaît ni la situation matrimoniale des bénéficiaires ni les charges de leur foyer ; que, par suite, l'article 8 de la loi déférée n'entraîne pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ».
Les débats parlementaires ont clairement indiqué que l'objet de cette disposition était la lutte contre le chômage et l'emploi non déclaré. Le fait qu'elle ait pour effet l'amélioration de la qualité de vie des familles n'est qu'une conséquence propre à la plupart des dispositifs d'incitation fiscale.
Par ailleurs, si l'objet de la loi était effectivement l'amélioration de la qualité de la vie des familles, il est clair que le dispositif retenu, à savoir celui de la réduction d'impôt, écarte toutes les familles non imposables et qu'il faudrait retenir en l'occurrence le mécanisme du crédit d'impôt pour qu'elles puissent bénéficier d'un avantage fiscal au titre des dépenses engagées pour l'emploi à domicile.
Conformément à votre jurisprudence, la mise en oeuvre de plafonds tenant compte de la situation matrimoniale ne serait justifiée que si l'objet de la loi était de prendre en compte la situation des familles. Tel n'est pas le cas. Comme l'objet de la loi est la lutte contre le chômage et l'emploi non déclaré, l'existence de tels plafonds pour enfant à charge porte atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques.
3/ Sur les principes de libre administration des collectivités territoriales, d'autonomie financière et de péréquation
3-1 Sur l'article 14
Cet article ne respecte pas les principes de libre administration et d'autonomie financière des collectivités territoriales reconnus à l'article 72-2 de la Constitution.
Cet article dispose notamment que « les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi » et que « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources ».
L'article 3 de la loi organique 2004-758 du 29 juillet 2004 est venu préciser la définition des ressources propres des collectivités territoriales en disposant que « au sens de l'article 72-2 de la Constitution, les ressources propres des collectivités territoriales sont constituées du produit des impositions de toutes natures dont la loi les autorise à fixer l'assiette, le taux ou le tarif, ou dont elle détermine, par collectivité, le taux ou une part locale d'assiette, des redevances pour services rendus, des produits du domaine, des participations d'urbanisme, des produits financiers et des dons et legs ».
S'imputant sur l'imposition qui représente notamment la principale part des recettes fiscales des communes, le crédit d'impôt, s'il ne faisait pas l'objet d'une compensation et pour un niveau de recettes totales maintenu pour les collectivités, viendrait directement dégrader le niveau de leurs ressources propres.
Tel n'est pas le cas avec la rédaction de l'article 1647 C sexies qui dispose, au I, que le crédit est « pris en charge par l'Etat ».
Pourtant, en ne précisant pas la forme retenue pour cette prise en charge, le législateur est resté en deçà de sa compétence puisqu'il lui revient, au terme du premier alinéa de l'article 72-2 de déterminer les conditions dans lesquelles s'applique le principe d'autonomie financière des collectivités territoriales.
La formulation vague retenue ne permet en effet pas de déterminer si l'autonomie financière, dans la définition posée par la Constitution et la loi organique, est respectée. Selon que la « prise en charge par l'Etat » prendra la forme d'une simple compensation à travers l'augmentation d'une dotation telle que la dotation générale de fonctionnement attribuée à l'ensemble des collectivités territoriales, ou au contraire d'un dégrèvement permettant une compensation de la perte de recettes fonction des bases réelles de l'imposition et des taux votés par la collectivité, la mise en place du crédit d'impôt dégradera ou non la part des ressources propres telle qu'elle est définie à l'article 4 de la loi organique relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales.
3-2 Sur l'article 31
L'article 72-2 de la Constitution dispose en son dernier alinéa que « la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales ».
L'article 31 de la loi déférée ne respecte pas ce principe en refusant de tenir compte de la réalité des écarts de ressources et de charges entre les départements notamment dans le cadre de la réforme des critères d'attribution des dotations de péréquation urbaine prévue à l'article L. 3334-6-1 du code général des collectivités territoriales et de la dotation de fonctionnement minimale prévue à l'article L. 3334-7.
Pour les départements considérés comme urbains au sens de l'article L. 3334-6-1 du code général des collectivités territoriales, est mis en place par le législateur un indice synthétique des ressources et des charges tenant compte notamment des écarts de potentiel financier tel que défini au d) du II de cet article, des écarts dans le nombre de bénéficiaires d'aides au logement, dans les revenus moyens par habitant, et dans le nombre de personnes bénéficiaires du Revenu minimum d'insertion. Cet indice synthétique permet de rendre éligibles les départements à la dotation de péréquation urbaine.
Pour les départements ruraux ou « non urbains » en revanche, le seul critère d'attribution de la dotation de fonctionnement minimale réside dans les écarts de potentiel financier, cet indicateur ne faisant référence qu'au seul potentiel fiscal augmenté des dotations perçues, et à la longueur de la voirie, et excluant l'ensemble des indices retenus dans le cas des départements urbains.
Cette différence de traitement n'est absolument pas justifiée au regard des objectifs de la loi et va à l'encontre du principe de péréquation qui suppose la prise en compte des différentiels de ressources mais également de charges entre les différentes collectivités locales pour l'attribution de ces dotations.
En particulier, aucun motif qu'il soit d'intérêt général ou lié à l'objectif de la loi ne justifie que les écarts en terme de nombre de bénéficiaires du revenu minimum d'insertion (RMI) ne soit pas pris en compte pour les départements « non urbains », alors même que la compétence en matière de financement du RMI a précisément été transférée à l'ensemble des départements par la loi n° 2003-1200 du 18 décembre 2003 portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité.
A titre d'illustration, il apparaît que le pourcentage de bénéficiaires du RMI peut varier dans des proportions très importantes entre départements « non urbains » : le nombre de bénéficiaires rapporté à la population totale varie ainsi de 0,81 % dans le département de l'Ain (4 165 bénéficiaires pour 515 270 habitants) ou 0,92 % pour le département de Savoie (3 445 bénéficiaires pour 373 258 habitants) à 3,04 % pour le département de l'Aude (9 430 bénéficiaires pour 309 770 habitants) ou 3,40 % pour le département des Pyrénées Orientales (13 337 bénéficiaires pour une population de 392 803 habitants). Les écarts de charges liées au financement du RMI peuvent ainsi varier dans des proportions très importantes (du simple au triple voire au quadruple) sans qu'il en soit tenu compte au titre de la péréquation.
De la même manière, aucune référence n'est faite aux différences de revenu moyen par habitant entre les départements « non urbains », sans que cette différence de traitement et cette absence ne soient en quelque manière justifiable, au regard des différences de situation entre les départements considérés dans leur ensemble.
L'application de ces critères qui s'éloignent ainsi de l'objectif de péréquation défini par la Constitution conduit à cet égard à un traitement largement différencié d'écarts de ressources pourtant similaires entre départements « riches » et « pauvres » selon que deux départements ayant le même écart appartiendront ou non à la catégorie des départements urbains.
3-3 Sur l'article 33
Cet article précise la forme que prendra la compensation financière des transferts de compétences prévus dans le cadre de la loi n°2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales.
Le II de l'article 119 de cette loi dispose en effet que « La compensation financière des transferts de compétences s'opère, à titre principal, par l'attribution d'impositions de toute nature, dans des conditions fixées par la loi de finances. Si les recettes provenant des impositions attribuées en application de l'alinéa précédent diminuent pour des raisons étrangères au pouvoir de modulation reconnu aux collectivités bénéficiaires, l'Etat compense cette perte dans des conditions fixées en loi de finances, afin de garantir à ces dernières un niveau de ressources équivalant à celui qu'il consacrait à l'exercice de la compétence avant son transfert. Ces diminutions de recettes et les mesures de compensation prises au titre du présent alinéa font l'objet d'un rapport du Comité des finances locales ».
Dans ce cadre, l'article 33 prévoit que la compensation prend la forme de l'attribution aux régions et à la collectivité territoriale de Corse d'une part du produit de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers (TIPP), obtenue par l'application d'une fraction du tarif de la TIPP aux quantités de carburants vendues chaque année sur l'ensemble du territoire national.
Le produit fiscal total obtenu grâce à ce calcul devra égaler le droit à compensation, c'est-à-dire le coût de la compétence transférée.
Ce coût doit être calculé en référence à une moyenne actualisée des dépenses réalisées par l'Etat sur les trois dernières années précédant le transfert lorsqu'il s'agit de dépenses de fonctionnement, et sur une moyenne actualisée sur une période d'au moins 5 ans pour les dépenses d'investissement.
Le Conseil Constitutionnel, dans sa décision n° 2003-489 DC sur la loi de finances pour 2004 a posé, dans ses considérants relatifs à l'article 59 de la loi déférée, que cet article prévoyait « un mécanisme permettant d'adapter la compensation financière à la charge supplémentaire résultant, pour les départements, de la création d'un revenu minimum d'activité et de l'augmentation du nombre d'allocataires du revenu minimum d'insertion par suite de la limitation de la durée de versement de l'allocation de solidarité spécifique ; que, ce faisant, il respecte le principe selon lequel toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi ».
Tel n'est pas le cas avec l'article 33 de la loi de finances pour 2005 puisque si un mécanisme d'ajustement est prévu, c'est uniquement en fonction de l'évolution constatée lors de la première année d'application du dispositif.
Il apparaît clairement, au vu des évaluations prévisibles de la recette ainsi affectée et des dépenses transférées, que l'exigence posée par la Constitution et rappelée par le Conseil constitutionnel d'une adaptation de la compensation à la charge transférée ne sera pas assurée dans le temps. Le dispositif proposé conduirait en effet, toutes choses égales par ailleurs, à une évolution des recettes comparable à celle constatée jusqu'ici pour les recettes de TIPP. Or comme le souligne le rapport précité de la commission des finances du Sénat, la TIPP a, sur les dix dernières années, progressé de 10 % au total, soit une progression largement inférieure à celle des prix, de même qu'aux principaux concours de l'Etat aux collectivités territoriales, la dotation globale de fonctionnement ayant ainsi progressé de plus de 25 % à périmètre constant sur la même période.
Cette évolution ne tient que très faiblement compte de l'inflexion qui marque l'évolution des consommations sur l'année 2004, année au cours de laquelle la hausse des cours du pétrole semble avoir atteint un niveau tel que les pratiques de consommation des usagers se soient fortement modifiées. Dans ce cadre, le produit de TIPP, qui résulte de l'application d'un tarif fixe à la consommation constatée, est en fort recul.
Le pouvoir de fixation par les régions des taux applicables à la fraction de TIPP transférée qui devrait leur être reconnu à compter de 2007 dans des conditions qui restent à définir de façon précise, ne peut constituer une garantie au regard de cette évolution largement défavorable de la recette, sauf à supposer que l'autonomie financière des régions se limiterait à la possibilité d'augmenter indéfiniment le taux de la fiscalité applicable aux ressources transférées, dans les limites que la loi aura fixé, afin de compenser au mieux les pertes de recettes.
Dès lors, la restriction posée au I de l'article 33 déférée selon laquelle le niveau de la fraction transférée pourrait être définitivement fixé en référence au coût historique réel de la compétence transférée ne respecte pas la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, qui impose au législateur de fixer un nouveau niveau pour cette fraction si l'évolution de la recette transférée divergeait sensiblement, dans l'avenir, du coût historique de la compétence sans que cette évolution soit liée à la politique fiscale propre des collectivités concernées.
Par ailleurs, il résulte de l'information communiquée aux commissions permanentes qu'une partie des compensations dont les modalités sont définies par l'article 33 de la loi déférée porte sur les compétences transférées aux régions par les articles 53 et 73 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales, à savoir la formation des travailleurs sociaux et aides aux étudiants des instituts de formation et le financement des écoles et instituts de formation des professions para-médicales et de sages-femmes.
Compte tenu de l'évolution de ces crédits, les dispositions de l'article 33 de la loi déférée ne prévoient pas l'attribution de ressources équivalentes, en contradiction avec l'article 72-2 de la Constitution.
4/ Sur la présence en loi de finances de dispositions qui y sont étrangères
4-1 Sur les articles 29, 30 et 31
Les articles 29, 30, 31 sont respectivement relatifs à la réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF) des communes, des groupements de communes et des départements.
L'article 29 réformant la dotation globale de fonctionnement des communes procède notamment au remplacement de la notion de potentiel fiscal par celle de potentiel financier afin de déterminer les modalités de répartition de la dotation entre les différentes communes. Il réforme également la structure interne de la dotation en identifiant diverses parts au sein de la dotation forfaitaire en fonction notamment de la taille, de la population, et des compensations perçues jusqu'ici par les diverses communes.
De la même façon, les articles 30 et 31 mettent en oeuvre une réforme de la dotation globale de fonctionnement des groupements de communes et de la dotation globale de fonctionnement des départements. Ainsi, l'article 30 modifie les parts de la dotation de base et de la dotation de péréquation au sein de la dotation d'intercommunalité. L'article 31 subdivise l'actuelle dotation de péréquation en créant une enveloppe ciblée sur les départements urbains et réforme les critères d'attribution de la dotation de fonctionnement minimale au sein de l'enveloppe globale de la dotation globale de fonctionnement des départements.
Ces articles ne relèvent pas du domaine des lois de finances tel que défini encore cette année par l'article 1ier de la loi organique n°59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances.
Vous avez régulièrement censuré, et encore très récemment, alors que la future loi organique relative aux lois de finances était promulguée, des dispositions relatives à la répartition entre collectivités territoriales des concours de l'Etat dans la mesure où elles n'entraînaient pas de modification du niveau des ressources et des charges de l'Etat (décision n° 2002-464 DC du 27 décembre 2002 sur les articles 28, 91 à 95 et 99 de la loi de finances pour 2003).
La loi organique relative aux lois de finances du 1ier août 2001 prévoit des modifications importantes concernant le contenu et la structure des lois de finances. Ainsi son article 34 dispose que la loi de finances peut « définir les modalités de répartition des concours de l'Etat aux collectivités territoriales. ». Toutefois, conformément à son article 67, les dispositions de l'ordonnance du 2 janvier 1959 demeurent applicables, sauf exception prévus aux articles 61 à 66, aux lois de finances afférentes à l'année 2005 et aux années antérieures. Ceci concerne en particulier, l'article 34 de la nouvelle loi organique.
Le gouvernement ne peut se prévaloir des dispositions de la future loi organique pour justifier sa méconnaissance de la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel en la matière.
Les articles 29, 30 et 31 réforment la structure interne de la dotation globale de fonctionnement entre les collectivités territoriales sans en modifier le montant de l'enveloppe globale. Ils sont adoptés en méconnaissance des dispositions en vigueur qui définissent précisément les dispositions qui peuvent figurer dans une loi de finances et ne peuvent qu'être censurés.
4-2 Sur l'article 70 sexies
Cet article est issu d'un amendement sénatorial de MM. Arthuis et Marini au nom de la commission des finances du Sénat. Il complète le code des juridictions financières par un titre nouveau relatif à la création d'un Conseil des prélèvements obligatoires.
Cet organisme dont sont précisées la date de création, et les règles de composition et de fonctionnement, aurait pour mission « d'apprécier l'évolution et l'impact économique, social et budgétaire de l'ensemble des prélèvements obligatoires, ainsi que de formuler des recommandations sur toute question relative aux prélèvements obligatoires ».
Il n'est pas conforme aux dispositions de l'article 1ier de l'ordonnance n°59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, qui comme il a été rappelé dans les griefs sur les articles 29, 30 et 31 est encore en vigueur pour la loi de finances pour 2005.
A cet égard, la création et surtout les règles de composition du Conseil - celles-ci étant de nature réglementaire - ne relèvent pas du domaine de la loi de finances tel que défini par l'article 1ier de l'ordonnance de 1959.
On pourra observer ainsi que le Conseil des impôts, que le présent Conseil des prélèvements obligatoires serait amené à remplacer, avait pour sa part été institué par un décret du 22 février 1971 qui lui donne pour compétence « de constater la répartition de la charge fiscale et d'en mesurer l'évolution compte tenu notamment des caractéristiques économiques et sociales des catégories de redevables concernés ».
Il est à noter également que tant les compétences reconnues au Conseil ainsi institué, que la rédaction proposée des articles L. 351-5 et L. 351-6 du code des juridictions financières, relatifs à la composition du Conseil conduisent à des dispositions largement redondantes avec celles introduites par la loi organique relative aux lois de finances notamment en son article 52 et à un dessaisissement des commissions des finances du Parlement de leurs prérogatives constitutionnellement reconnues et précisées par les règlements de l'Assemblée nationale et du Sénat.
La rédaction actuelle de l'article 36-10 du règlement de l'Assemblée nationale relatif aux compétences de la commission des finances prévoit ainsi que la commission est compétente pour les domaines suivants : « Recettes et dépenses de l'Etat, exécution du budget ; monnaie et crédit ; activités financières intérieures et extérieures ; contrôle financier des entreprises nationales ; domaine de l'Etat ». La rédaction retenue par le règlement du Sénat est a priori plus large encore puisque l'article 22 du règlement dispose que « La commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation suit et contrôle l'exécution des lois de finances et procède à l'évaluation de toute question relative aux finances publiques ».
Parallèlement, l'article 145 du règlement de l'Assemblée nationale prévoit ainsi que « les commissions permanentes assurent l'information de l'Assemblée pour lui permettre d'exercer son contrôle sur la politique du Gouvernement ».
Ces dispositions souples permettent la rédaction régulière de rapports relatifs à toute question sur les prélèvements obligatoires, que ce soit dans le cadre de rapports d'informations ponctuels ou plus spécifiquement à l'occasion de la remise du rapport « retraçant l'ensemble des prélèvements obligatoires ainsi que leur évolution » prévu à l'article 52 de la loi organique relative aux lois de finances.
L'article déféré, outre qu'il n'est pas du domaine de la loi de finances, présente ainsi un risque certain de dessaisissement des parlementaires du pouvoir de suivi et de contrôle des questions relatives à l'évolution des finances publiques et des prélèvements obligatoires qu'il leur revient d'assumer, ce au profit d'un organisme dont l'ouverture à des « personnalités qualifiées » n'est pas motivée par des raisons précises.
Pour toutes ces raisons, il ne peut qu'être censuré.