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Décision n° 2004-506 DC du 2 décembre 2004 - Saisine par 60 sénateurs

Loi de simplification du droit
Conformité

Monsieur le Président, mesdames et messieurs les membres du Conseil Constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi de simplification du droit telle que définitivement adoptée par le Parlement le 18 novembre 2004.
* * *
I. Sur la violation de l'article 38 de la Constitution et ensemble l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi
I.1. Les auteurs de la saisine n'ignorent pas que vous admettez le recours à l'article 38 de la Constitution en matière de codification ou de simplification du droit (Décision n° 2003-473 DC du 26 juin 2003) et alors même que le texte d'habilitation couvre les matières les plus diverses. Conformément à votre jurisprudence, vous contrôlez les exigences de précision et de finalité avec toute la rigueur nécessaire (Décision n° 76-72 DC du 12 janvier 1977).
De même, il vous appartient, d'une part, de vérifier que la loi d'habilitation ne comporte aucune disposition qui permettrait de méconnaître les règles et principes de valeur constitutionnelle, d'autre part, de n'admettre la conformité à la Constitution de la loi d'habilitation que sous l'expresse réserve qu'elle soit interprétée et appliquée dans le strict respect de la Constitution (Décision n° 86-207 DC des 25 et 26 juin 1986, considérants 14 et 15).
Pourtant ce contrôle risque de devenir platonique d'un double point de vue.
D'abord, les matières faisant l'objet d'une telle délégation sont devenues de plus en plus variées et plusieurs habilitations plurielles ont lieu pendant une même législature, sans égard à aucune condition d'urgence ou de nécessité particulière. Sans, par ailleurs, qu'existe davantage de besoin de codification véritable.
Ensuite, et plus gravement encore, cette multiplication des lois d'habilitation doit être mise en perspective avec la pratique des ratifications implicites.
La question posée est alors de savoir comment le Parlement et les citoyens peuvent connaître suffisamment l'état du droit en mouvement perpétuel quand de plus en plus de matières sont traitées par la voie des ordonnances, celles-ci pouvant être ratifiées sans que quiconque ne le sache ou, plus exactement, n'en ait une conscience réelle.
Il s'ensuit que cette situation ne peut que poser un problème grave au regard de l'esprit de l'article 38 de la Constitution et de l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi. Ce dernier principe se déduit, en effet, du principe d'égalité devant la loi énoncé par l'article 6 de la Déclaration de 1789 et de la garantie des droits requise par l'article 16 de cette même déclaration qui pourraient n'être pas assurés de manière effective si les citoyens ne disposaient pas d'une connaissance suffisante des normes qui leur sont applicables. Une telle connaissance est, de plus, nécessaire à l'exercice des droits et libertés garantis par les articles 4 et 5 de la Déclaration de 1789 (Décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999).
D'une certaine manière, la question posée est celle de la sécurité juridique.
I.2. Un récent exemple vient de démontrer spectaculairement que le jeu des lois d'habilitations multiples combiné avec un usage inconsidéré des ratifications implicites pouvait rendre impossible le contrôle de la loi par le Parlement et mettre les justiciables dans une situation de privation des garanties attachées aux droits reconnus par la Déclaration de 1789.
Ainsi, dans son arrêt du 29 octobre 2004, le Conseil d'Etat a considéré que plusieurs dispositions de l'ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 relative aux contrats de partenariat avaient fait l'objet d'une ratification implicite au travers d'un article voté dans le cadre de la loi de santé publique du 9 août 2004. Il est vrai que l'application de la théorie des ratifications implicites n'allaient pas de soi dans la mesure où le Parlement discutait de la ratification expresse de cette même ordonnance en octobre 2004 ! Ratification expresse revendiquée par le gouvernement lui-même lors de la séance du 13 octobre 2004. Ainsi, Monsieur le Secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat, M. Eric Woerth, s'exprimant au nom du gouvernement avait-il précisé :
« La commission a bien travaillé ; je ne vois pas pourquoi le texte devrait lui être renvoyé. Sur la ratification, le gouvernement joue le jeu : nous demandons une ratification expresse ».
Il est vrai que monsieur le Commissaire du gouvernement a qualifié cette ratification d'accidentellement implicite (Conclusions de M. Didier Casas). Autrement dit, il faut désormais considéré que le Parlement vote la loi à l'insu de son plein gré. Cela est donc une question majeure posée à la représentation nationale et aux citoyens !
Certes, il est admis depuis longtemps que puisse intervenir une ratification implicite d'une ordonnance. Mais le Conseil Constitutionnel a eu l'occasion de préciser qu'une telle ratification pouvait résulter d'une manifestation de volonté implicitement mais clairement exprimée par le Parlement (DC n° 72-73 du 29 février 1972).
La jurisprudence du Conseil d'Etat inclinait jusqu'alors dans le même sens.
A cet égard, il faut relever l'exigence de la jurisprudence pour éviter toute pratique déloyale la conduisant à refuser l'impunité juridictionnelle conférée par une ratification implicite, dans les cas où la loi de ratification s'avérerait incompatible, dans un domaine entrant dans le champ d'application de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, avec les stipulations de cet article, au motif qu'en raison des circonstances de son adoption cette loi aurait eu essentiellement pour but de faire obstacle au droit de tout personne à un procès équitable (CE 27 mai 2002, S.A. Transolver Service).
I.3. Dans l'exemple de l'ordonnance du 17 juin 2004, la « ratification implicite accidentelle » admise par le Conseil d'Etat a pour conséquence de priver du droit au recours les justiciables ayant saisi le juge administratif d'un texte dont ils pensaient qu'il avait encore valeur réglementaire. Bien sûr, l'exercice de vigilance des parlementaires pourrait se traduire par la saisine préventive du Conseil Constitutionnel des textes susceptibles de comporter des articles de ratification implicite. Mais, tous les domaines de l'article 34 de la Constitution étant désormais touchés par les lois d'habilitation et tous les projets de loi pouvant accidentellement porter une telle « ratification implicite accidentelle », il faudrait que les parlementaires saisissent automatiquement le Conseil Constitutionnel de toutes les lois votées par le Parlement. Il en résulterait un engorgement du rôle de votre juridiction et, bientôt, une impossibilité concrète de satisfaire votre mission.
Il importe donc que la multiplication des lois d'habilitation sur une courte période et au cours d'une même législature, couvrant les domaines les plus variés ne puisse conduire à un déséquilibre constitutionnel grave, dénaturant les droits du Parlement et susceptible de priver, in fine, les citoyens et les justiciables des droits reconnus par la Déclaration de 1789.
C'est pourquoi, il vous appartient de mettre un coup d'arrêt à la dérive en cause en censurant les articles de la loi à vous déférée ayant pour effet d'habiliter le Gouvernement à publier ou à ratifier un très grand nombre d'ordonnances, ou à tout le moins de passer au crible de votre examen la totalité de ces articles. C'est pour vous permettre de remplir votre mission que les saisissants ont donc déféré l'ensemble de la loi de l'article 1er à l'article 59 quater.
II. Sur l'article 51 de la loi déférée
L'article 51 de la loi critiquée, pris en son
XXII, entreprend de ratifier l'ordonnance n° 2004-545 du 11 juin 2004 sur les contrats de partenariat. Certes, par arrêt du 29 octobre 2004, le Conseil d'Etat a jugé que cette ordonnance avait fait l'objet d'une ratification implicite accidentelle et partielle par la loi du 9 août 2004 sur la politique de santé publique et que le surplus des dispositions attaquées et encore de nature réglementaire respectaient le champ de l'habilitation législative telle qu'encadrée par la stricte réserve d'interprétation posée dans votre décision du 26 juin 2003.
Cette situation ne saurait cependant vous dispenser d'exercer la plénitude de votre mission.
II.1. En premier lieu, il apparaît que la ratification implicite accidentelle partielle n'a pas pu intervenir dès lors que le législateur a expressément fait valoir sa volonté de procéder à la ratification de l'intégralité de cette ordonnance. Les travaux du Sénat lors de sa séance du 13 octobre 2004 sont ici plus qu'explicites. En tout état de cause, et à titre extraordinairement subsidiaire, il faut bien voir que l'article 153 de la loi du 9 août 2004 ne pouvait pas avoir eu pour effet de procéder à une ratification implicite de l'ordonnance attaquée.
D'abord, parce que le Parlement vient de dire le contraire !
Ensuite, parce que son champ et son objet sont radicalement différents.
D'une part, en effet, il s'agissait là de la mise en oeuvre du plan « Hôpital 2007 », donc d'opérations de partenariat spécifiques à l'instar de ce qui existe déjà pour la construction de commissariats, gendarmeries et prisons et que vous avez validé en 2002. Or, l'ordonnance attaquée a pour objet une généralisation de ces contrats spéciaux. D'autre part, l'article 153 en cause ne se réfère « qu'aux conditions fixées » par certains articles de ladite ordonnance. On ne peut certainement pas y voir une volonté manifeste du législateur de ratifier ce texte.
Enfin, il convient de relever que cet article 153 ne vise à aucun moment le coeur de l'ordonnance attaquée, qui fait notamment l'objet de la réserve du Conseil Constitutionnel, sur les motifs justifiant le recours à de tels contrats et la procédure d'évaluation préalable à mettre en oeuvre. Et pour cause puisqu'il s'agissait dans cette disposition de contrats ayant un objet singulier : les hôpitaux.
Pour toutes ces raisons, il est certain que le législateur n'a pas pu procéder à une ratification implicite de l'ordonnance querellée dès lors que l'objet et le champ de l'article considéré sont radicalement différents. Pour s'en convaincre, il suffit encore une fois de souligner que le législateur vient d'infirmer péremptoirement la thèse de la ratification implicite.
C'est donc l'intégralité du texte de l'ordonnance en cause qui est aujourd'hui soumise à votre examen au regard du champ de l'habilitation initiale telle que limitée par votre propre interprétation.
II.2. Deux séries de question méritent ici d'être soulignées.
L'article 6 de la loi du 2 juillet 2003 a autorisé le Gouvernement à prendre les dispositions nécessaires pour « créer de nouvelles formes de contrats conclus par des personnes publiques ou des personnes privées chargées d'une mission de service public pour la conception, la réalisation, la transformation, l'exploitation et le financement d'équipements publics, ou la gestion et le financement de services ou une combinaison de ces différentes missions ». L'autorisation législative a en outre précisé que « ces dispositions déterminent les règles de publicité et de mise en concurrence relatives au choix du ou des cocontractants, ainsi que les règles de transparence et de contrôle relatives au mode de rémunération du ou des cocontractants, à la qualité des prestations et au respect des exigences du service public. Elles peuvent étendre et adapter les dispositions prévues au I de l'article 3 de la loi 2002-1094 du 29 août 2002 d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, aux articles L.34-3-1 et L.34-7-1 du code du domaine de l'Etat et aux articles L.1311-2 et L.1311-4-1 du code général des collectivités territoriales à d'autres besoins ainsi qu'à d'autres personnes publiques ».
Surtout, les dispositions de l'article 6 in fine de la loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit ont ajouté :
« Elles (les dispositions nécessaires) prévoient les conditions d'un accès équitable des architectes, des concepteurs, des petites et moyennes entreprises et des artisans aux contrats prévus au présent article ».

Ces dispositions de la loi d'habilitation doivent être lues à la lumière de la décision n° 2003-473 DC du Conseil constitutionnel en date du 26 juin 2003 relative à la loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit. Vous avez ainsi considéré :
- que si « aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle n'impose de confier à des personnes distinctes la conception, réalisation, la transformation, l'exploitation et le financement d'équipements publics, ou la gestion et le financement de services ; qu'aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle n'interdit non plus qu'en cas d'allotissement, les offres portant simultanément sur plusieurs lots fassent l'objet d'un jugement commun en vue de déterminer l'offre la plus satisfaisante du point de vue de son équilibre global, que le recours au crédit-bail ou à l'option d'achat anticipé pour préfinancer un ouvrage public ne se heurte, dans son principe, à aucun impératif constitutionnel »,
- « que, toutefois, la généralisation de telles dérogations au droit commun de la commande publique ou de la domanialité publique serait susceptible de priver de garanties légales les exigences constitutionnelles inhérentes à l'égalité devant la commande publique, à la protection des propriétés publiques et au bon usage des deniers publics ; que, dans ces conditions, les ordonnances prises sur le fondement de l'article 6 de la loi déférée devront réserver de semblables dérogations à des situations répondant à des motifs d'intérêt général tels que l'urgence qui s'attache, en raison de circonstances particulières ou locales, à rattraper un retard préjudiciable, ou bien la nécessité de tenir compte des caractéristiques techniques, fonctionnelles ou économiques d'un équipement ou d'un service déterminé » (cf. considérant n°18 de la décision précitée du 26 juin 2003).
Et ce n'est « que sous les réserves d'interprétation énoncées (…..) au considérant précédent » que le Conseil a considéré que « l'article 6 de la loi déférée n'est pas contraire à la Constitution » (cf. considérant n°20 de la décision précitée).
Nonobstant l'autorité qui s'attache aux réserves d'interprétation du Conseil constitutionnel et aux limites de l'habilitation législative donnée au Gouvernement, ce dernier a pris le 17 juin 2004 une ordonnance sur les contrats de partenariat qui, d'une part excède le champ de l'habilitation législative, d'autre part méconnaît les réserves du Conseil constitutionnel et par suite les principes constitutionnels qui s'y rattachent, et enfin viole certains principes constitutionnels.
II.3. D'une part, il apparaît que la condition relative à l'existence d'un intérêt général suffisant n'est pas satisfaite.
En effet, là où le Conseil Constitutionnel a posé une règle de principe, substantielle et objective, fondée sur le critère de l'intérêt général compris, soit au travers de l'urgence tirée du retard dans la construction d'équipements préjudiciable au fonctionnement des services publics, soit au travers de la nécessité de tenir compte des caractéristiques de certains projets, l'article 2 de l'ordonnance se borne à organiser une procédure purement formelle d'évaluation préalable du projet.
L'intérêt général étant, en l'occurrence, celui qui justifie de recourir objectivement à un contrat de partenariat plutôt qu'à un contrat public classique.

II.3.1. Commentant la décision rendue sur la loi qui a ouvert la voie à des partenariats similaires pour la construction de commissariats et de casernes de gendarmerie (DC n° 2002-460), le secrétaire général de l'institution a ainsi noté que « l'ampleur et l'urgence des travaux de construction et de remise en état des bâtiments à réaliser au cours des prochaines années pour couvrir les besoins de la police nationale et de la gendarmerie justifient le recours au dispositif critiqué » (Cahiers du Conseil Constitutionnel, n° 13).
Dans ce cadre singulier, il s'agissait de marquer le caractère exceptionnel de ce type de contrat. La même logique a été reprise par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 26 juin 2003.
Le caractère exceptionnel du recours à ce type de contrat est d'autant plus certain que dans la décision du Conseil Constitutionnel, ceux-ci sont qualifiés de dérogations et doivent être réservés à des cas strictement justifiés par l'intérêt général.
Autrement dit, alors que la réserve suppose que le projet soit commandé par l'urgence ou par des caractéristiques particulières, l'ordonnance prévoit que la collectivité sera seulement tenue d'établir, par une étude préalable, que ces critères sont bien satisfaits. Le mécanisme retenu par le pouvoir réglementaire est donc conçu à l'inverse de celui exprimé par le Conseil Constitutionnel.
Ainsi, il suffira qu'une collectivité décide de recourir à un tel montage pour justifier par une étude, a posteriori de la décision d'y recourir, les raisons qu'elle a de préférer ce régime dérogatoire plutôt que de choisir la voie du marché public et / ou de la délégation de service public. En effet, l'ordonnance n'interdit pas - notamment par son article 2 a) - le recours au contrat de partenariat en dehors des cas de l'urgence et de la complexité du projet. Elle prévoit seulement une formalité obligatoire : réaliser - ou plutôt faire réaliser par un organe externe - une évaluation « montrant » la complexité du projet ou son caractère d'urgence.
Aucune garantie n'est prévue quant à la fiabilité de cette étude, ni quant à la nature du contrôle opéré le cas échéant par le juge sur les résultats de cette évaluation.
A n'en pas douter, le caractère très formel des conditions posées à l'article 2 permettra une généralisation de ce type de contrat qui ne pourrait qu'être contraire à la loi d'habilitation telle que validée sous la réserve susvisée.
Car pour le Conseil Constitutionnel « la généralisation de telles dérogations au droit commun de la commande publique ou de la domanialité publique serait susceptible de priver de garanties légales les exigences constitutionnelles inhérentes à l'égalité devant la commande publique, à la protection des propriétés publiques et au bon usage des deniers publics » (décision précitée).
Pourtant, en inversant la logique juridique et en permettant à la collectivité de justifier subjectivement l'existence de l'urgence ou de la complexité, sans égard pour l'intérêt général, l'ordonnance laisse ouverte la porte pour une utilisation extensive de ce qui doit demeurer une exception au droit de la commande publique dont l'interprétation ne peut être que stricte.
A cet instant du développement, il n'est pas vain de rappeler que les contrats globaux, anciennement METP et bientôt PPP, avaient fait l'objet de nombreuses critiques quant à l'opacité, pas seulement juridique, qui les inspirait ou qu'ils généraient. Le Conseil d'Etat dans son rapport public pour 1993 s'interrogeait, dans un style inhabituel, pour savoir comment l'on pouvait continuer de conclure des marchés « à l'invitation de ce qu'il faut bien appeler le groupe de pression des inventeurs et praticiens du METP, dans des conditions qui relèvent, chaque fois, plus ou moins, du coup de force juridique et de l'épreuve de force avec les autorités chargées du contrôle de légalité » (page 73). Ce que reprend sous une autre forme, l'instruction du ministère de l'économie et des finances publiée par la Revue des Marchés Publics (n° 3 / 2001, page 54) en indiquant que « les formules de METP avec paiement différé présentaient de nombreux inconvénients : endettement indirect de la collectivité locale, coût élevé, opacité dans la répartition du marché entre la construction, le financement et l'exploitation ou la maintenance, frein pour l'accès direct des petites et moyennes entreprises à la commande publique, réduction de la concurrence » (page 56,
10.8.).
Certes, les contrats de partenariat seront, par certains aspects, différents des METP. Il demeure que la même logique est à l'oeuvre et que les risques de toutes sortes qui s'attachent à ces montages complexes favorisant les grands groupes industriels ou financiers doivent être très précisément encadrés sauf à courir le danger de voir réapparaître sous une nouvelle forme certaines dérives anciennes.
C'est bien pour tenter de prévenir ces risques que le Conseil Constitutionnel avait pris soin de poser une réserve d'interprétation très stricte.
Il est d'ailleurs éclairant de relever que dans une version précédente de l'ordonnance (NOR : ECOX0400035R/R1), il était prévu que la collectivité « vérifie que la décision de recourir à un contrat de partenariat répond à des motifs d'intérêt général ». Dans une autre version mise en ligne sur le site électronique du MINEFI, en date du 4 décembre 2003, il était encore fait référence à la notion de « retard préjudiciable » comme justifiant le recours à ce type de contrat ainsi qu'aux « caractéristiques techniques, fonctionnelles ou économiques d'un équipement ou d'un service déterminé ».
Ces conditions plus proches de la réserve du Conseil Constitutionnel ont été écartées pour disparaître dans la version définitive laquelle a, de surcroît, ignoré la notion de « caractéristiques techniques, économiques ou fonctionnelles » pour la confondre, à tort avec la « complexité du projet » (article 2.a)
II.3.2. L'arrêt du Conseil d'Etat ne saurait convaincre à cet égard.
En effet, il apparaît que rien dans l'ordonnance ratifiée ne permet de garantir que dans la procédure préalable au choix d'une formule de contrat de partenariat, les motifs d'intérêt général soient objectivement analysés. Car, au sens de votre réserve, il ne s'agit pas seulement de justifier qu'existe un intérêt général - ce qui est bien le moins pour fonder une quelconque décision d'une personne publique - mais de prouver qu'il existe un intérêt général particulier à recourir plutôt à ce type de contrat spécial plutôt qu'à un marché public ou une délégation de service public. Or, l'ordonnance est totalement muette sur ce point. Ce silence ne permet pas, de surcroît, au juge administratif de contrôler les motifs de la décision et de procéder à un test de proportionnalité comparatiste au sens de la théorie du coût bilan-avantage. C'est donc au terme d'une procédure insuffisamment objective et rigoureuse que le recours à ces contrats spéciaux sera décidé. Il s'ensuit que le caractère exceptionnel de ces contrats ne pourra pas être contrôlé par le juge.
De la même manière, et le Conseil d'Etat ne s'est pas prononcé sur ce point, il apparaît que si pour les contrats de partenariat de l'Etat, la procédure d'évaluation préalable sera le fait d'un organisme figurant sur une liste établie par décret, aucune règle de ce type n'est prévue pour les collectivités territoriales.
Autrement dit, les collectivités territoriales pourront faire réaliser de telles études préalables par tout organisme, même non agréé par décret. Il s'ensuit une garantie moindre et un risque pour la gestion publique des collectivités locales. Cette différence de situation ne se justifie en rien et marque l'insuffisance des garanties existantes dans cette ordonnance. On peut très légitimement mettre en doute la capacité pour un organisme à « démontrer » l'intérêt économique que présenterait pour une collectivité le recours à un contrat de partenariat à un moment où l'on ignore par définition l'identité des candidats et la nature de leurs propositions, dès lors qu'il s'agit de comparer le recours au contrat de partenariat, qui se traduira pour cette collectivité par le paiement de « loyers » pendant 30, 40 ou 50 ans, aux formules classiques telles que le marché public ou la délégation de service public. Quel organisme pourra établir dans ces conditions, que la collectivité sera économiquement gagnante ?
La censure ne pourra donc qu'intervenir à tous ces titres.
II.4. Il en ira de même en raison de la méconnaissance du principe d'égalité.
L'article 6 de la loi d'habilitation a pris soin de préciser que l'ordonnance devrait prévoir « les conditions d'un accès équitable des architectes, des concepteurs, des petites et moyennes entreprises et des artisans » à ces contrats singuliers.
Pourtant, l'article 8 de l'ordonnance pris en son troisième alinéa se borne à prévoir que les critères d'attribution devront prendre en compte « la part d'exécution du contrat que le candidat s'engage à confier à des petites et moyennes entreprises et à des artisans ». Suit une définition de ce que l'on doit entendre par PME.
Ce faisant, l'ordonnance entérine la rupture d'égalité devant la commande publique à laquelle le législateur avait tenté de pallier. On relèvera que la réponse du Conseil d'Etat dans son arrêt du 29 octobre 2004 n'est guère convaincante ni très argumentée.
En effet, l'ordonnance critiquée ne prévoit que des critères propres à organiser le jugement des offres sans faire de cet accès des PME à la commande publique une certitude. En effet, aucune garantie n'existe quant à la place qu'occupera ce critère dans la procédure de mise en concurrence, seul un principe de pondération et d'éventuelle hiérarchisation est retenu.
Plus gravement, le texte attaqué consacre l'idée que ces acteurs économiques ne peuvent accéder à ces contrats que par la voie de sous-traitance. Or, le principe d'égalité d'accès à la commande publique ne peut être réduit à l'équité d'accès à la sous-traitance. On ajoutera ici que si l'on peut imaginer, pour les besoins du raisonnement, que le recours à la sous-traitance peut éventuellement se comprendre dans l'hypothèse d'un contrat de partenariat motivé par la complexité du projet, rien de tel ne s'impose dans le cas où c'est l'urgence qui commande le recours aux-dits contrats.
Mais il y a davantage : le texte de l'ordonnance est totalement muet sur le cas des architectes pourtant expressément visés par la loi d'habilitation. Il faut donc en déduire que sur ce seul point, déjà, l'article 8 de l'ordonnance est contraire, en raison de son incomplétude, à la loi d'habilitation.
A l'égard des architectes, il est en effet totalement insuffisant de prévoir que la conception des ouvrages n'est pas nécessairement confiée au tiers chargé de la mission globale de partenariat (cf. article 1 3ème alinéa). Car, en effet, cela signifie que l'accès des architectes indépendants aux contrats de partenariat dépend de la seule volonté des parties. De même, les précautions prises à l'article 12 de l'ordonnance ne satisfont nullement l'exigence législative d'un accès équitable des architectes aux contrats de partenariat étant entendu que dans l'esprit du législateur, il était évidemment question des « architectes indépendants » et non des maîtres d'oeuvre salariés des grands groupes de BTP.
Aussi bien à l'égard des PME qu'au préjudice des architectes, la rupture d'égalité devant la commande publique est consommée.
II.5. Sur la méconnaissance de l'article 14 de la Déclaration de 1789 et la protection des biens et des deniers publics.
Sur ce terrain, il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir excédé le champ de l'habilitation totalement muette sur ces points et de méconnaître les principes suivants :
(i) En premier lieu, l'article 28 de l'ordonnance qui insère dans le Code monétaire et financier un nouvel article L.313-29-1 et prévoit un mécanisme spécifique de cession de la créance détenue sur une personne publique par le titulaire d'un contrat de partenariat heurte le principe général du droit selon lequel « une personne publique ne peut s'engager à payer une somme qu'elle ne doit pas » (CE, 19 mars 1971 Sieur MERGUI, recueil page 235).
En effet, le mécanisme prévu par l'article 28 de l'ordonnance déroge au régime de l'acceptation du bordereau Dailly tel qu'il est fixé à l'article L.313-29 du Code monétaire et financier et ne reprend pas les garanties que comporte la loi Dailly pour le débiteur cédé :
- d'une part, l'acceptation de la personne publique n'est pas exigée au stade de la cession de créance mais est en quelque sorte une acceptation « implicite et anticipée » dans la mesure où la personne publique peut dès l'origine prévoir dans le contrat que les dispositions de la loi Dailly ne seront pas applicables, ce qui rendra automatique l'irrévocabilité de la part de créance acquise par le cessionnaire.
- d'autre part, et dans la mesure où les articles L.313-28 et L.313-29 ne seront pas applicables, le débiteur cédé qui est en l'espèce la personne publique ne bénéficiera pas de la protection liée au formalisme très précis qui encadre l'acte d'acceptation de la cession Dailly.
- enfin et surtout, le renoncement de la personne publique à l'exception de compensation (pour la part de créance définitivement acquise au cessionnaire) se voit conférer un caractère absolu sans que le débiteur puisse - comme il le pourrait dans le régime de l'acceptation du bordereau Dailly - échapper aux effets de l'inopposabilité de l'exception de compensation en démontrant que le cessionnaire, en acquérant ou en recevant la créance, « a agi sciemment à son détriment ».

Sur ce point Monsieur Ménéménis relève qu'il s'agit là d'une « précaution élémentaire (…) dont on ne saurait surestimer l'importance : la « constatation » n'est pas une « réception » et ne met pas la personne publique à l'abri d'éventuels déboires pendant la phase d'utilisation des ouvrages » (in AJDA 27 septembre 2004 page 1753 : « L'ordonnance sur les contrats de partenariat : heureuse innovation ou occasion manquée ? »).
Autrement dit, le mécanisme particulier de cession Dailly codifié à l'article L 313.29-1 du code monétaire et financier expose la personne publique contractante au risque de devoir payer la banque cessionnaire - sans pouvoir opérer aucune compensation - pour des investissements, certes réalisés, mais qui en cours d'utilisation se révèleraient défectueux.
(ii) En second lieu, les dispositions des articles 11.l et 14 (plus précisément le nouvel article L.1414-12l du CGCT) de l'ordonnance qui permettent aux parties d'un contrat de partenariat de stipuler une clause compromissoire heurtent de front le principe de l'interdiction du recours à l'arbitrage par les personnes publiques dont il n'est pas contesté qu'il s'agit d'un principe général de droit.
En effet, le Conseil d'Etat a jugé qu'« il résulte des principes généraux du droit public français (….) que les personnes morales de droit public ne peuvent pas se soustraire aux règles qui déterminent la compétence des juridictions nationales en remettant à la décision d'un arbitre la solution des litiges auxquelles elles sont parties » (CE, Assemblée générale, 6 mars 1986, avis n° 339710, EDCE 1987 n°38 page 178).
Vainement, invoquerait-on au secours de l'ordonnance la nouvelle rédaction de l'article 2061 du Code civil issue de la loi dite « NRE » qui dispose que « la clause compromissoire est valable dans les contrats conclus à raison d'une activité professionnelle ». Non seulement il n'est pas permis d'affirmer de manière générale que cette disposition s'applique aux personnes publiques. Mais surtout, seuls les contrats de partenariat « conclus à raison d'une activité professionnelle » pourraient valablement comporter une clause compromissoire.
On relèvera, à cet égard, que les conclusions de monsieur le Commissaire du Gouvernement sous l'arrêt du 29 octobre 2004, marque un embarras très net sur ce moyen.
En définitive, les cas de l'arbitrage et de la cession de créances démontrent que l'ordonnance a pour effet de « dépouiller » les personnes publiques de leurs attributs essentiels consacrés en tant que principes généraux du droit et se rattachant à la protection constitutionnelle qui bénéficie aux deniers publics.
On observera, en outre, qu'à la différence de ce que le législateur a prévu pour les contrats de délégation de service public ainsi qu'en dispose l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales, rien n'est organisé par l'ordonnance en ce qui concerne le contrôle que peuvent exercer les conseillers municipaux d'opposition et les citoyens, contribuables par ailleurs, sur les documents relatifs à l'exploitation de l'équipement faisant l'objet du contrat de partenariat. Certes, il ne s'agit pas, stricto sensu, d'une délégation de service public. Mais, il a été abondamment démontré que le flou commandant la présente ordonnance et les risques que ce type de contrat pourrait faire peser sur les collectivités territoriales, pour des périodes extrêmement longues engageant les générations futures, rendent indispensables des procédures de contrôle réelles et rigoureuses.
C'est vainement que l'on invoquerait la référence faite par l'ordonnance « aux modalités de contrôle par la personne publique de l'exécution du contrat, notamment du respect des objectifs de performance » pour prétendre que le principe général du droit lié à la protection des denier publics est pleinement satisfait. Non seulement, cette clause est imprécise et ne peut être regardée comme permettant d'assurer un contrôle effectif, réel et proportionné à l'engagement financier durable pris par la collectivité territoriale ou l'Etat. Mais, de surcroît, elle ne donne aucune possibilité de contrôle par les élus d'opposition et les citoyens. Autrement dit, c'est une certaine conception de la démocratie locale qui est ici bafouée.
On ajoutera que le contrôle par les Chambres régionales des comptes ou la Cour des Comptes n'existe pas. Il est ici frappant de constater que l'ordonnance n'offre pas la possibilité au représentant de l'Etat de solliciter dans le cadre du contrôle de légalité du contrat de partenariat, l'avis de la Chambre régionale des comptes comme il peut le faire pour les contrats de délégation de service public en application de l'article 47 III de la loi d'orientation n° 92-125 du 6 février 1992, ni aux juridictions financières de vérifier auprès du titulaire du contrat de partenariat les comptes qu'il a produit dans le rapport annuel comme le prévoit l'article 2 de la loi n° 95-127 du 8 février 1995 (Voir le commentaire de M. G. Le Chatelier, RDI, 2003 : L'encadrement institutionnel et financier des nouveaux contrats).
II.6. Sur le non-respect du champ de l'habilitation législative.
Enfin, les dispositions des articles 18 et 26 de l'ordonnance excèdent le champ de l'habilitation fixé par le législateur le 2 juillet 2003 en ce qu'elles empiètent sur la compétence fiscale du Parlement.
En effet, alors que l'article 6 de la loi d'habilitation autorisait seulement le Gouvernement à créer « de nouvelles formes de contrat », celui-ci a exonéré les immeubles construits dans le cadre de contrats de partenariat de la taxe foncière prévue à l'article 1382 du code général des impôts (cf. article 26 de l'ordonnance). De même, l'article 18 de l'ordonnance modifiant le code général des collectivités territoriales a rendu éligible au FCTVA les contrats de partenariat passés par une collectivité territoriale ou l'un de ses établissements publics.
Or, le Gouvernement n'était pas autorisé par la loi du 2 juillet 2003 à intervenir en matière fiscale, ce qui eut sans douté été constitutionnellement impossible (Décision n° 81-134 du 5 janvier 1982, cons. 3).
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Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, mesdames et messieurs les membres du Conseil Constitutionnel, l'expression de notre haute considération.