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Décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004 - Saisine par 60 députés

Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité
Non conformité partielle

Préalablement à l'exposé des griefs et moyens développés à l'encontre de la loi, les saisissants entendent rappeler que, dans un Etat de droit, le droit à la sécurité, que nul ne conteste, doit être concilié avec le droit à la sûreté tel qu'il découle de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, c'est à dire avec le droit de n'être ni poursuivi, ni arrêté, ni détenu, ni condamné arbitrairement.
La protection de la liberté individuelle repose aussi sur l'article 16 de la Déclaration de 1789 selon lequel « Toute société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».
Afin d'éviter toute mauvaise compréhension de la saisine, ses auteurs entendent rappeler leur attachement républicain à la poursuite de l'objectif de sauvegarde de l'ordre public comme un des éléments d'une société garantissant le respect de l'autre, mais dans le respect des droits et libertés constitutionnellement protégés. Il en va particulièrement ainsi lorsque se trouvent en cause les formes les plus graves de la criminalité. Sont alors justifiées des procédures singulières dérogatoires au droit commun mais qui doivent être strictement définies, limitées dans le temps, et entourées de l'ensemble des garanties des droits les plus précises et effectives possibles. Mais l'invocation de circonstances exceptionnelles justifiant la mise en oeuvre de règles particulières, à la condition qu'elles soient rigoureusement encadrées, ne saurait légitimer le glissement insidieux de telles procédures extraordinaires vers un Etat d'exception permanent, sauf à modifier radicalement la nature de notre système démocratique et son équilibre judiciaire.
L'enjeu de la présente saisine est là. Il est majeur.
Or, c'est à vous qu'incombe, en fin de procédure législative, la lourde responsabilité de faire respecter la pérennité de cet équilibre, fondamental pour notre pacte républicain.
Heureusement, il ressort de votre jurisprudence, en écho aux principes dégagés par la Cour européenne des droits de l'homme, que sont censurées les dispositions dont la rédaction et les possibilités de mise en oeuvre sont de nature à porter une atteinte excessive et manifestement disproportionnée aux libertés individuelles de tout individu, quelle que soit sa condition sociale, son origine ou sa nationalité.
Ainsi, au regard de votre jurisprudence, ne peuvent être admises, par exemple, les mesures procédurales non nécessaires et manifestement disproportionnées au regard des droits et libertés constitutionnellement protégés (Décision du 16 juillet 1996), l'absence ou l'insuffisance de garanties effectives de ces droits et libertés dont le droit pour chacun de bénéficier d'une procédure pénale et d'un procès juste et équitable conduits sous le contrôle réel d'une autorité judiciaire pleinement indépendante et impartiale (Décisions des 19 et 20 janvier 1981, 2 février 1995). Ces principes participent du respect des libertés individuelles, de la présomption d'innocence et, nul ne peut l'ignorer en ce moment, du principe d'égalité de tous devant la justice qui découle de celui d'égalité devant la loi.
Pourtant, et malgré une mobilisation sans précédent des professions judiciaires, avocats et magistrats réunis, des universitaires, de multiples associations, et d'instances indépendantes comme la Commission nationale consultative des droits de l'homme, la loi critiquée rompt l'équilibre autour duquel s'est toujours ordonnée notre justice pénale.
Aussi, avant de critiquer dans le détail plusieurs articles de la loi qui vous est déférée, il apparaît indispensable de remettre en perspective la logique dangereuse de ce texte, très long et fourre-tout, où cohabitent les infractions les plus graves avec celles les moins troublantes pour l'ordre public, telle la mise en fourrière des véhicules automobiles.
Certes, l'habileté de sa rédaction consiste à noyer les atteintes aux principes constitutionnels dans un fatras de dispositions qui, lues isolément, pourraient paraître sans grand danger pour les libertés. Evidemment, vous ne vous laisserez pas prendre à cette opération de camouflage et de banalisation de l'Etat d'exception. Comme vous l'avez mesuré, le rapprochement de plusieurs articles de la loi montre que notre procédure pénale risque ainsi de changer de nature, favorisant de façon inédite les autorités de poursuites, sous le contrôle du ministre de la justice, au détriment des libertés individuelles et des garanties constitutionnelles y étant substantiellement attachées.
* * *

Pour s'en convaincre, quelques illustrations suffisent. Qu'on en juge.
En premier lieu, l'article 1er de la loi use de la notion de « bande organisée » en l'accolant à toute une litanie d'infractions, quinze, de nature très différentes les unes des autres puisque allant des crimes de traite des êtres humains aux actes de terrorisme en passant par le vol et la destruction d'un bien, ou bien encore l'aide au séjour d'un étranger en situation irrégulière. S'y ajoute une liste non exhaustive d'autres crimes et délits dont la définition est laissée au hasard des lectures du code pénal et qui ne subissent qu'incomplètement les effets de cette qualification spéciale. Le lien entre cette liste d'infractions et la grande criminalité n'apparaît pas clairement. La justification d'une procédure extraordinaire tous azimuts non plus.
Est ainsi créée une nouvelle catégorie d'infractions en parfaite contradiction avec l'article 8 de la Déclaration de 1789 dont découlent les principes de nécessité et de légalité des délits et des peines.
En effet, il s'avère, de l'avis général, que cette notion de « bande organisée », figurant à l'article 132-71 du code pénal, est floue et imprécise. Comme le relève la CNCDH, elle se rattache davantage à un concept de criminologie qu'à une définition claire. Difficile à appréhender, elle était, avant cette extension du domaine de la lutte contre la criminalité sous toutes ses formes, une circonstance aggravante utile à la juridiction de jugement pour, le cas échéant, justifier, en droit, le prononcé d'une peine alourdie. Son usage délicat intervenait donc en fin de procédure et après que toutes les investigations ont été conduites et préalablement contrôlées grâce au travail, le plus souvent collégial, des juges du siège.
A l'inverse, dans la nouvelle loi, cette notion a pour but de permettre la mise en oeuvre, ab initio, de règles de procédure pénale exceptionnelles et particulièrement attentatoires aux libertés individuelles puisque justifiant, notamment, l'allongement de la durée de la garde à vue, y compris pour certains mineurs de plus de 16 ans, et le retardement de l'arrivée de l'avocat pendant cette période de rétention policière, la pose d'écoutes et de caméras aux domiciles privés des personnes, les perquisitions de nuit dans les domiciles privés. Dans la société du spectacle et de la vérité policière révélée, cette loi ouvre sur big brother. Dans l'Etat de droit, elle viole certainement les libertés constitutionnellement garanties.
Le renversement de logique éclate dès lors que le recours à cette qualification imprécise se trouve soumis au choix des officiers de police judiciaire qui pourront l'utiliser, par exemple, pendant l'enquête de flagrance dont la durée peut désormais atteindre quinze jours.
Le caractère incroyablement attentatoire aux droits et libertés triomphe quand on considère, aux termes du nouvel article 706-104 du code de procédure pénale, qu'à l'issue de l'enquête policière ou de la procédure judiciaire, le fait que la circonstance de bande organisée ne soit pas retenue, ne constitue pas une cause de nullité des actes accomplis.
Autrement dit, la loi met à la disposition des officiers de police judiciaire une notion floue et imprécise, qui justifie les mesures les plus graves contre les libertés individuelles, mais dont l'emploi erroné ne fait l'objet d'aucune sanction judiciaire !
Les auteurs de la saisine souhaitent redire ici leur soutien à l'esprit républicain qui anime la police et la gendarmerie, lesquelles s'acquittent généralement bien de leurs lourdes tâches. Mais ils entendent redire que la garantie des droits au sens de l'article 16 de la Déclaration de 1789 suppose un équilibre dans la conduite du procès pénal, lui-même protecteur des forces de l'ordre en évitant les mises en causes injustifiées.
A vrai dire, on se demande pourquoi les autorités de police devraient renoncer à utiliser cette opportunité dans le plus grand nombre de cas, dès lors que rien ne viendra sanctionner leur erreur de départ. Et quand les « plombiers » viendront retirer les caméras et micros installés pendant quatre mois chez vous, vous libéreront des quatre jours de garde à vue, quitteront votre domicile au petit matin blême sous les yeux de vos enfants inquiets du bruit mais rassurés de voir que la police veille, sans doute obtiendrez vous des excuses pour ce « dérangement dû à une erreur de notre opérateur »...
On se demande surtout comment, au regard de votre jurisprudence, et par exemple de votre décision du 16 juillet 1996, un tel régime procédural extensif et attrape-tout peut être admis à l'aune de l'article 8 de la Déclaration de 1789 et des principes de légalité criminelle, de nécessité et de proportionnalité des peines.
En deuxième lieu, il apparaît que la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, telle que prévue par l'article 137 de la loi, viole le droit à un procès équitable et à l'égalité des armes, les principes de présomption d'innocence et d'égalité devant la justice.
Le « plaider coupable » ainsi institué, indéniablement dépourvu des garanties qui existent dans d'autres pays - dont les Etats-Unis - pour des procédures de même nature, se traduira par un accord entre le ministère public - le procureur - et la partie comparaissant assistée de son avocat. D'une part, cette procédure méconnaît le principe de séparation des autorités d'instruction et de jugement (votre décision du 2 février 1995) et crée une confusion entre l'action de poursuite et la décision de justice. D'autant plus que, d'autre part, cet accord aura lieu dans le secret d'un huis clos qui heurte de plein fouet le droit constitutionnel à être jugé publiquement par un tribunal indépendant et impartial. Toutes les pressions sont possibles, dont celle de voir poindre la détention provisoire ou le risque d'une peine plus lourde en cas de refus de l'accord proposé par le procureur. A cet égard, l'homologation par le juge du siège en chambre du conseil ne saurait suffire pour considérer cette procédure comme conforme aux exigences de votre jurisprudence. La lecture du seul résultat de l'homologation en audience publique n'est ici qu'un faible alibi ne trompant personne. Comment, enfin, ignorer que cette justice à moitié secrète et qui saurait rester discrète selon les circonstances et les personnes concernées, permettrait que des individus se trouvant dans des situations objectivement semblables ne soient pas traités de la même façon. Quant à la victime identifiée, elle sera convoquée, devant le président du tribunal, au dernier stade de l'homologation lorsque l'essentiel sera joué. Exclure de la sorte la victime du procès pénal, constitue une régression majeure qui méconnaît, là encore, le droit au recours garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789 et l'égalité devant la loi.
En son temps, Jean de La Fontaine rappelait « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ».
Il est vrai que c'était avant 1789.
En troisième lieu, méconnaissant le principe fondamental reconnu par les lois de la République dégagé par vous dans votre décision du 29 août 2002, la loi prévoit que le mineur de plus de 16 ans pourra être placé en garde à vue pendant quatre jours, s'il est mêlé à une affaire où un adulte est susceptible d'être en cause. Jamais encore, une telle atteinte au droit pénal spécial protecteur des mineurs n'avait été envisagée hormis en matière de trafic de stupéfiants. Une extension de cette exception à quinze catégories d'infractions, dites de criminalité organisée dont les frontières sont mal définies, est incompatible avec les principes directeurs du droit pénal des mineurs.
En outre, on ne peut que relever une atteinte au principe d'égalité devant la loi dans la mesure où ne pourra être placée en garde à vue excessivement prolongée une certaine catégorie de mineurs, celle ayant peut être un lien avec un majeur délinquant.
Doit également être relevée l'atteinte insoutenable à la dignité de l'enfant par la présence éventuelle dans les fichiers de police de mineurs dès l'âge de dix ans.
Il faut ajouter en dernier lieu à ce panorama général, que l'élargissement des pouvoirs de police placés sous le contrôle théorique des magistrats du parquet ainsi que la compétence accordée au procureur de la République de décider de la culpabilité et d'une peine de prison concernant environ la moitié des infractions définies dans le code pénal, le sont alors que la loi critiquée asseoit le pouvoir hiérarchique du ministre de la justice sur la conduite de l'action publique. L'article 63 de la loi confie au Garde des Sceaux le pouvoir de donner des instructions particulières versées au dossier (article 30 nouveau du code de procédure pénale) et l'article 64 du texte renforce le pouvoir des procureurs généraux à l'égard des procureurs de la République (article 35 de ce code).
Dans le même temps, la révision constitutionnelle votée dans les mêmes termes par l'Assemblée Nationale et le Sénat pour accroître les garanties d'indépendance des magistrats du parquet, en particulier grâce aux règles de nomination, n'a toujours pas été soumise au Congrès. Pourtant elle a été, naguère, voulue par le Président de la République.
Certes, vous avez déjà décidé que les magistrats du siège et du parquet sont tous membres de l'autorité judiciaire, tout en indiquant qu'à partir d'un certain degré d'atteinte aux libertés, seul le magistrat du siège peut remplir la mission déterminée par l'article 66 de la Constitution (Décision du 11 août 1993). Mais, en revanche, jamais vous n'avez été confronté à un tel accroissement des pouvoirs du ministère public, alors cependant que son indépendance n'a pas été davantage protégée. Alors que l'on augmente la subordination hiérarchique des magistrats du parquet, au lieu de garantir davantage leur indépendance, on accentue leur prééminence dans le cours de la procédure pénale au détriment des parties et des magistrats du siège, avant, in fine, de leur donner le pouvoir de décider des peines après avoir conduit ou supervisé, de plus ou moins loin, l'enquête de police. Cette inversion de la rationalité de notre système judiciaire se fait au détriment des droits et libertés fondamentaux.
Le constat est amer, le danger est immense.
Les nouveaux pouvoirs accordés au juge des libertés et de la détention ne doivent pas égarer. Ils conduiront, en le plaçant sous une masse de travail dépassant la spécificité initiale de la fonction, à rendre de moins en moins effective la réalité du contrôle qu'il pourra exercer au bénéfice des libertés. Les apparences seront sauves ; mais seulement elles.
L'article 66 de la Constitution faisant de l'autorité judiciaire la gardienne des libertés individuelles est alors vidé de sa substance et l'article 2 de la Déclaration de 1789 garantissant le droit à la sûreté méconnu.
Le mouvement opéré par la loi en cause rompt l'équilibre de notre système judiciaire et, au-delà, de notre régime démocratique. Le corps social, si attentif à l'égalité devant la loi, ne comprendrait pas que s'installe, au travers des pièces éparses d'un puzzle qui, une fois assemblé, laisserait apparaître le visage du Leviathan, un régime d'exception où le droit à la sûreté serait réduit à une part congrue mais de choix pour certains et où, bientôt, la liberté deviendrait une revendication incongrue.
Le parfum d'inconstitutionnalité qui se dégage de cette loi est entêtant. Il vous appartient de rouvrir les fenêtres pour la liberté.
* * *
A l'appui de cette saisine, nous développons à l'encontre de l'ensemble de la loi les griefs et moyens suivants à l'encontre, en particulier, des articles 1er, 14, 48, 63 et 137 de la loi, et tous autres à soulever même d'office.

I. Sur les articles 1er et 14 de la loi
Ces articles créent un titre XXV dans le Livre IV du code de procédure pénale relatif à la procédure applicable à la criminalité et à la délinquance organisée. Le nouvel article 706-73 énumère une liste d'infractions, quinze au total, dont la caractéristique commune est d'être définie par le renvoi à la notion de « bande organisée ». Cette qualification particulière a pour conséquence immédiate d'entraîner l'application d'un régime procédural dérogatoire au droit commun très attentatoire aux libertés individuelles. En effet, il s'ensuit, notamment, que la durée de garde à vue et le moment de présence de l'avocat sont alors plus rigoureuses, y compris pour les mineurs de plus de 16 ans, la possibilité de poser des caméras et des micros dans les domiciles privés est créée comme celle de procéder plus largement à des perquisitions nocturnes en tout lieu.
I.1. Les dispositions créant ces nouvelles infractions dites en « bande organisée » encourent la censure en ce qu'elles méconnaissent l'article 8 de la Déclaration de 1789 et les principes de nécessité, de légalité des délits et des peines, mais aussi le droit au recours tel qu'il résulte de l'article 16 de la Déclaration de 1789.
Dans une espèce assez proche, vous avez ainsi invalidé pour disproportion manifeste à l'aune des principes sus-énoncés, une disposition pénale tendant à faire de l'aide à l'entrée et au séjour des étrangers en situation irrégulière une infraction terroriste. Il est intéressant de relever que dans cette décision, vous avez examiné l'article en cause au regard des conséquences que la nouvelle qualification entraînerait du point de vue de l'application de règles procédurales dérogatoires au droit commun (Décision n° 96-377 DC du 16 juillet 1996, RFDA, 1997, pages 539 et s., note E. Sptiz). Cette décision s'inscrit dans la droite ligne de celle du 3 septembre 1986, par laquelle vous avez certes admis une procédure dérogatoire au droit commun pour la répression des actes de terrorisme, mais censuré un article qui étendait ces règles dérogatoires à toutes infractions, même commises par imprudence d'imprudence, en considérant que « les règles de composition et de procédures dérogatoires au droit commun qui trouvent, selon le législateur, leur justification dans les caractéristiques spécifiques du terrorisme ne sauraient, sans porter atteinte au principe d'égalité devant la justice, être étendues à des infractions qui ne présentent pas les mêmes caractéristiques et qui ne sont pas nécessairement en relation avec celles visées à l'article 706-16 du nouveau code de procédure pénale » (Décision n° 86-213, avant dernier considérant).
De manière générale, et par ailleurs, vous censurez les dispositions pénales insuffisamment claires et précises (Décision n° 92-316 DC du 20 janvier 1993).
I.2. En l'occurrence, il est certain que la notion de « bande organisée » est en elle-même floue et imprécise, au point que la circulaire d'application du nouveau code pénal du 14 mai 1993 souligne la difficulté de distinguer cette notion de celles voisines comme la co-action, la complicité, la réunion, mais aussi l'instrument d'opportunité qu'elle pourrait constituer dans les mains du ministère public ou des services de police.
Si les infractions de trafic de stupéfiants, de proxénétisme aggravé, de traite des êtres humains, de terrorisme relèvent indéniablement de la criminalité organisée au sens criminologique du terme, tel n'est certainement pas le cas de la destruction, dégradation et détérioration d'un bien commis en bande organisée, incrimination susceptible d'être retenue pour les violences urbaines ou des actions syndicales excessives, du vol, de l'extorsion de fonds, de l'aide à l'entrée et au séjour d'un étranger en situation irrégulière. Si la première série d'infractions correspond à l'intention initiale du législateur, la seconde liste répond à une confusion des genres contraire aux principes constitutionnels. Au vu des débats parlementaires, il semble, en effet, que la volonté du législateur était de réprimer les infractions les plus graves commises contre les personnes et non celles dirigées contre les biens, seraient-ils publics, et dont le lien avec la grande criminalité paraît plus que ténu.
Au total, les quinze nouvelles catégories d'infractions ne participent d'aucune cohérence juridique ni plus que d'une quelconque politique pénale. Sont ainsi juxtaposées des infractions de gravité très différentes. Dans cette liste d'infractions, se trouvent insérées des qualifications pour lesquelles n'existaient jusqu'alors pas la circonstance aggravante de bande organisée.
Il importe de noter qu'avant la loi critiquée, cette notion de bande organisée, prévue par l'article 132-71 du code pénal, constituait une circonstance aggravante de la peine prononcée au stade du jugement, après qu'au terme du débat contradictoire, les auteurs, la matérialité des faits, l'intention des prévenus, avaient été définitivement établis par l'enquête et contrôlés par les juges, le plus souvent en collégialité.
Or, en l'espèce, les officiers de police judiciaire et les magistrats chargés de diriger les investigations ne sont pas en mesure au moment où elles débutent de caractériser avec la rigueur juridique nécessaire une telle qualification. Dès lors, en faisant d'une notion définie dans le code pénal pour justifier d'une aggravation de la peine encourue, une qualification prédéterminée, le législateur a méconnu les principes directeurs du procès pénal.
Il s'ensuit que la définition de cette infraction générique ne respecte pas le principe de légalité des délits et des peines, comme vous l'exigiez dans votre décision du 29 décembre 1983.
Les officiers de police judiciaire pourront recourir à une notion plastique leur ouvrant la voie pour des investigations très larges et extrêmement dérogatoires au droit commun, sans qu'à aucun moment leurs actes ne risquent la censure du juge !
Il en résultera que la procédure d'exception attachée à la nouvelle catégorie d'infractions critiquée sera en libre service pour les autorités d'enquête et de poursuite, selon leurs besoins du moment.
Le principe de la nécessité et de la proportionnalité des règles dérogatoires au droit commun est, à son tour, gravement méconnu.
Il faut ajouter qu'au regard de l'article 16 de la Déclaration de 1789 une telle impossibilité de critiquer devant le juge, l'usage d'une qualification ayant entraîné la mise en oeuvre de procédés d'investigations attentatoires aux libertés, viole le droit au recours tel que vous l'avez consacré à plusieurs reprises.
I.3. L'atteinte au principe de nécessité et la disproportion manifeste dont le législateur a entaché son appréciation, sont d'autant plus flagrantes que, encore une fois, les conséquences procédurales de cette qualification sont très lourdes du point de vue des libertés.
Ainsi, dès lors que les autorités d'enquête et de poursuites ont choisi la qualification la plus ouverte, sont possibles au stade de l'enquête et de l'instruction : les interceptions de correspondances à la demande du procureur (article 706-95 nouveau du code de procédure pénale), les perquisitions de nuit des locaux d'habitation en flagrance (article 706-96 nouveau du code de procédure pénale), le placement en garde à vue pendant 96 heures, y compris d'un mineur de plus de 16 ans, avec un report éventuel de la présence de l'avocat à la 48ème voire à la 72ème heure (article 63-4 du code de procédure pénale tel que rédigé par l'article 14 de la loi), la sonorisation des locaux d'habitation.
Un choix malheureux dans la qualification initiale, et dépourvu de sanction judiciaire à quelque moment que ce soit, fait par un officier de police judiciaire, même sous le contrôle du procureur ou du juge d'instruction, entraînera donc la mise en oeuvre d'un régime procédural très attentatoire aux libertés constitutionnellement protégées.
Imagine-t-on, par exemple, ce que sera l'enchaînement de circonstances lorsqu'un OPJ décidera de recourir à une telle qualification pour l'aide au séjour d'un étranger en situation irrégulière commis en bande organisée. C'est toute une famille, tout un quartier qui sera susceptible de subir les intrusions déjà décrites. Imagine-t-on, également, ce que sera l'enchaînement de circonstances si un OPJ décide de faire pareillement pour un vol de cyclomoteur ou de voiture commis à deux. L'atteinte aux biens, pour évidemment condamnable qu'elle soit, justifie-t-elle une débauche de moyens d'enquête de cette portée ?
Le test de proportionnalité appliqué au rapport existant entre le caractère flou et imprécis de la qualification retenue par le législateur, le caractère hétérogène des atteintes aux personnes et aux biens comprises par la liste retenue pour les articles 706-73 et 706-74 nouveaux, et les conséquences pour les droits et libertés individuelles qui découlent de la procédure attachée à ces infractions, ne peut que conduire à un constat d'inconstitutionnalité.
La censure sera d'autant plus encourue que les différents pouvoirs ainsi accordés aux autorités de poursuites révèlent en eux-mêmes plusieurs méconnaissances des droits et libertés constitutionnellement garanties.
I.4. Le régime de garde à vue définie par l'article 706-88 nouveau autorise une durée pouvant atteindre 4 jours avec un report de la visite de l'avocat (i) tout en étant applicable aux mineurs de plus de seize ans (ii).
(i) Une telle durée maximum est manifestement excessive et disproportionnée au sens de l'article 8 de la Déclaration de 1789, violant ainsi la liberté individuelle telle que garantie par l'article 2 de la Déclaration de 1789.
La possibilité de placer en garde à vue une personne pendant 96 heures existe déjà pour les actes de terrorisme et la répression du trafic de stupéfiant. Vous avez déjà admis des règles dérogatoires en ces matières pour d'évidentes raisons de sauvegarde de l'ordre public et du droit à la sécurité (Décision du 3 septembre 1986, précitée).
Mais, au cas présent, l'ampleur du champ d'application des articles 706-73 et 706-74 nouveaux marque le caractère manifestement disproportionné de cette contrainte. Le fait qu'un juge doive intervenir ne purge pas cette atteinte à la liberté.
Les modalités de renouvellement de la durée de garde à vue prévues à l'avant dernier alinéa de l'article 706-88 nouveau disposant que « si la nécessité de l'enquête ou de l'instruction (…) l'exigent (…) le juge des libertés et de la détention ou le juge d'instruction peuvent décider [par décision écrite et motivée non susceptible d'appel] que la garde à vue fera l'objet de deux prolongations de 24 heures chacune. Si la durée restante pour les investigations supplémentaires le justifient, une seule prolongation de 48 heures pourra être décidée selon les mêmes modalités.
Les conditions requises par le législateur pour permettre de procéder à deux renouvellements de 24 heures ou un seul de 48 heures, sont particulièrement imprécises et ne garantissent donc pas le respect des principes constitutionnels. Leur insuffisante rigueur et précision signalent, en tout état de cause, le caractère manifestement disproportionné au regard de l'objectif de sauvegarde de l'ordre public.
Ces dispositions portent d'autant plus atteinte aux libertés individuelles et au droit de la défense, qu'en application du dernier alinéa de l'article 63-4 du code de procédure pénale tel que rédigé par l'article 14
I de la loi querellée, le premier entretien avec un avocat est reporté à la 48ème heure lorsque l'enquête porte sur certaines infractions limitativement énumérées.
Une telle disposition ne peut être constitutionnellement justifiée et paraît, là aussi, manifestement disproportionnée au regard du but d'intérêt général de la loi.
Au regard du droit applicable - présence de l'avocat à la 36ème heure - cela constitue un recul non justifié. S'agissant d'un droit constitutionnellement garanti (Décision du 11 août 1993), cette régression ne peut que se heurter à l'effet cliquet que vous n'hésitez pas à faire jouer en la matière. Une telle mesure, si elle n'était pas censurée, symboliserait l'attachement rétrograde de la France à la culture de l'aveu qui a pourtant valu à notre pays d'être condamné à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l'homme.
(ii) Le placement d'un mineur de plus de seize ans en garde à vue pendant 4 jours constitue une méconnaissance du principe fondamental reconnu par les lois de la République de droit pénal spécial et protecteur des mineurs que vous avez dégagé dans votre décision du 29 août 2002.
D'autant plus que vous avez eu l'occasion dans votre décision du 11 août 1993 de dire que la garde à vue d'un mineur, ici de plus de treize ans, devait être exceptionnelle s'agissant d'infractions d'une particulière gravité (précitée).
Cette mesure exceptionnelle n'existait pas jusqu'à présent dans nos textes puisqu'en matière de terrorisme, l'article 706-23 du CPP actuel précise que ce régime dérogatoire applicable ne concerne que les « personnes majeures ».
Dès lors, la possibilité de placer en garde à vue un mineur s'il existe « une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'une ou plusieurs personnes majeures ont participé, comme auteurs ou complices, à la commission de l'infraction » (article 14
III de la loi modifiant l'article 4 de l'ordonnance du 2 février 1945), porte une atteinte manifestement excessive au principe fondamental que vous avez consacré récemment et ne se justifie pas nécessairement par la gravité des infractions en cause. Encore une fois, et comme cela a été amplement montré, la liste des infractions prévues par l'article 706-73 nouveau couvre un champ qui ne saurait fonder une telle mesure.
On doit, en outre, relever une atteinte au principe d'égalité devant la loi dans la mesure où ne pourra être ainsi placée en garde à vue qu'une certaine catégorie de mineurs, celle ayant peut être un lien avec un majeur délinquant.
Du point de vue de la protection des mineurs, une telle circonstance, qui ne sera peut-être pas établie au final, ne peut justifier un tel traitement différencié. La censure est tout également encourue à ce titre.
I.5. Les articles 706-89 et suivants nouveaux concernant les perquisitions n'échapperont pas davantage à la censure.
Jusqu'alors, la perquisition de nuit n'était possible que dans le cas des enquêtes de flagrance en matière de terrorisme, de trafic de stupéfiant et de proxénétisme. La loi critiquée ouvre le champ des perquisitions nocturnes pour toutes les infractions visées par l'article 706-73, soit donc pour quinze types d'infractions très hétérogènes.
Comme en écho à l'article 76 de la Constitution de l'an VIII proclamant que « la maison de toute personne habitant le territoire français est un asile inviolable. Pendant la nuit, nul n'a le droit d'y entrer que dans le cas d'incendie, d'inondation ou de réclamation faite de l'intérieur de la maison », vous avez considérez que des perquisitions nocturnes par exception à l'article 59 du CPP insuffisamment encadrées dans le temps, et, dépourvues des garanties indispensables du point de vue du contrôle de l'autorité judiciaire, sont de nature à entraîner des atteintes excessives à la liberté individuelle (Décision du 16 juillet 1996).
En l'espèce, d'une part, il apparaît que ces perquisitions couvrent, en application du nouvel article 706-73 du code de procédure pénale précité un champ très large et que l'atteinte évidente à la liberté individuelle et à l'inviolabilité du domicile sont manifestement disproportionnées.
(i) En ce qui concerne la période de l'enquête de flagrance
D'autre part, il ressort de l'article 77 de la loi que l'enquête de flagrance pourra désormais durer jusqu'à deux semaines, au lieu de huit jours actuellement.
Dans ces conditions, la durée limitée qui était attachée aux perquisitions ayant lieu pendant l'enquête de flagrance, perd de sa pertinence. Certes, la durée maximum est prévue par la loi. Mais cette période serait substantiellement allongée. Jusqu'à présent, l'enquête de flagrance correspondait à l'hypothèse du délit en train de se commettre ou pour reprendre l'expression de la Cour de Cassation, à une durée dont le temps ne pouvait guère excéder un temps voisin de l'action.
En allongeant la période d'enquête de flagrance, le législateur a modifié les conditions justifiant les exceptions à la prohibition des perquisitions nocturnes.
Le rapport entre la nécessité de tels moyens d'investigation et le champ des infractions concernées, d'une part, et l'allongement de la période ouverte à l'enquête de flagrance, d'autre part, manifeste une atteinte excessive à la liberté individuelle.
(ii) En ce qui concerne la période de l'enquête préliminaire
L'article 706-90 du code de procédure pénale, dans la rédaction initiale du projet de loi déposé devant l'Assemblée nationale, disposait que, par dérogation aux dispositions de l'article 76 du même code, les visites domiciliaires et saisies de pièces à conviction peuvent être faites « sans l'assentiment de la personne concernée » dans le cadre d'une enquête préliminaire portant sur l'une des infractions entrant dans le champ d'application, toujours aussi vaste, de l'article 706-73.
Toutefois, à l'initiative du Sénat, la référence au « consentement de la personne » a été supprimée au motif que, dans les faits, lorsque celle-ci n'est pas consentante, « une information judiciaire est ouverte » afin de « surmonter » cet obstacle selon les déclarations du rapporteur. Cet argument, à l'appui d'un grave recul des droits et libertés, n'est pas recevable en termes de pratique judiciaire puisqu'il sous-entend que le juge d'instruction, magistrat du siège qui instruit à charge et à décharge, partagera nécessairement les vues, et donc avalisera les demandes, du procureur de la République en cette matière. En outre, de telles opérations sont autorisées, lorsqu'elles ne concernent pas des locaux d'habitation, en dehors des heures prévues à l'article 59 dudit code, à savoir entre 21 heures et 6 heures du matin.
Par ailleurs, le régime des perquisitions menées dans le cadre des enquêtes préliminaires de droit commun, prévu par l'article 76 du code de procédure pénale, a été modifié au paragraphe I bis de l'article 14 de la loi afin d'autoriser le recours à des perquisitions sans l'assentiment de la personne pour toutes les enquêtes portant sur des délits punis de plus de cinq ans d'emprisonnement.
Au total, le dispositif prévu aux articles 706-90 (nouveau) et 76 du code de procédure pénale autorise, dans le cadre de l'enquête préliminaire, d'une part, la conduite de perquisitions de nuit des locaux professionnels sans le consentement de la personne et, d'autre part, la réalisation de perquisitions de jour des locaux d'habitation également sans l'assentiment de l'intéressé. Ce faisant, ce régime méconnaît donc l'une des distinctions fondamentales opérées par le code de procédure pénale, constitutive d'une garantie pour les libertés individuelles grâce à une modulation des pouvoirs dévolus aux officiers de police judiciaire en fonction du cadre juridique de l'enquête dans lequel ils interviennent, à savoir l'enquête de flagrance ou préliminaire.
En effet, si l'article 56 du code de procédure pénale, inchangé depuis 1958, autorise, en cas de crime ou de délit flagrant, l'OPJ à perquisitionner de jour les locaux d'habitation sans le consentement de la personne, en revanche, ledit consentement a toujours été requis par le législateur dans le cadre des enquêtes préliminaires.
Certes, il existe une exception notable à ce principe et qui concerne les perquisitions menées en application de l'article 76-1 du code de procédure pénale introduit, à titre temporaire, par la loi du 16 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne. Cependant rappelons que cette loi, dont le Conseil n'a pas eu à connaître, limitait la possibilité de recourir au cours de l'enquête préliminaire aux perquisitions sans le consentement de la personne pour les seules investigations portant sur les infractions de trafic d'armes et de stupéfiants afin de renforcer l'efficacité de la lutte contre le terrorisme et ses sources de financement et ce, jusqu'au 31 décembre 2003 uniquement.
A la différence de ce dispositif, le régime prévu aux articles 76 et 706-90 (nouveau) du code de procédure pénale, par son caractère particulièrement général et permanent, ne protège pas suffisamment les libertés individuelles ni ne garantit de façon adéquate l'inviolabilité du domicile.
Enfin, il convient également de souligner que, si les perquisitions conduites en application des dispositions de l'article 706-90 (nouveau) doivent être autorisées par le juge des libertés et de la détention, son ordonnance n'est pas susceptible d'appel (article 706-92 nouveau), ce qui tend à priver les justiciables de toute voie de recours et, en conséquence, porte une atteinte excessive aux droits et libertés constitutionnellement protégés.
(iii) En ce qui concerne les perquisitions de nuit des locaux d'habitation dans le cadre de l'instruction
Là encore, si le droit en vigueur permet au juge d'instruction de délivrer une commission rogatoire aux fins de perquisition dans tous les lieux où peuvent être découverts des objets utiles à la manifestation de la vérité, il doit néanmoins respecter les dispositions de l'article 59 lorsqu'il s'agit du domicile de la personne mise en examen.
Or, les dispositions prévues à l'article 706-91 permettent la conduite de perquisitions la nuit et dans les locaux d'habitation pour toutes les infractions relevant de l'article 706-73 dans trois hypothèses : « 1 ° lorsqu'il s'agit d'un crime ou d'un délit flagrant ; 2 ° lorsqu'il existe un risque immédiat de disparition des preuves ou des indices matériels ; 3 ° lorsqu'il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'une ou plusieurs personnes se trouvant dans les locaux où la perquisition doit avoir lieu sont en train de commettre des crimes ou des délits entrant dans le champ d'application de l'article 706-73 ». Outre qu'elles s'appliquent à un champ d'infraction particulièrement vaste et recouvrent des hypothèses qui le sont tout autant, ces perquisitions doivent être autorisées par une ordonnance écrite du juge d'instruction comportant, notamment, « l'énoncé des considérations de droit ou de fait qui constituent le fondement de cette décision », qui n'est toutefois pas susceptible d'appel comme le prévoit l'article 706-92.
Dès lors, au regard de la gravité des atteintes portées à l'inviolabilité du domicile et compte tenu de l'absence de recours prévu par la loi, ces dispositions portent une atteinte excessive aux droits et libertés constitutionnellement protégés.
Pour l'ensemble des ces chefs et compte tenu de la jurisprudence précitée du Conseil, les articles 706-89 à 706-94 nouveaux, le dernier alinéa de l'article 76 issu de sa rédaction prévue au paragraphe I bis de l'article 14 doivent être déclarés contraires à la constitution.
I.6. Les articles 706-95, 706-96 et suivants nouveaux du code de procédure pénale concernant les interceptions de correspondance, les sonorisations et fixations d'images dans certains lieux violent l'article 2 de la Déclaration de 1789, le droit à la vie privée et l'inviolabilité du domicile et l'article 66 de la Constitution.
En premier lieu, il s'avère que les interceptions de correspondances à l'initiative du procureur de la République n'offrent pas de garanties suffisantes au regard de l'article 66 de la Constitution.
Le droit en vigueur figurant aux articles 100 et suivants du code de procédure pénale réserve au seul cadre de l'information judiciaire la possibilité de recourir à des écoutes téléphoniques. Rompant avec la logique de l'article 66 de la Constitution qui veut que les mesures attentatoires aux libertés soient prises par des juges du siège, l'article 706-95 nouveau autorise le procureur de la République à requérir la mise en place d'écoutes dans le cadre d'une enquête de flagrance ou de l'enquête préliminaire portant sur l'une des infractions entrant dans le champ, toujours aussi vaste, de la criminalité organisée au sens de l'article 706-73 nouveau.
Certes, vous avez déjà considéré que les magistrats du parquet font, à l'instar des magistrats du siège, partie de l'autorité judiciaire (Décision du 22 avril 1997). Mais, il demeure que vous avez réservé les mesures les plus graves au regard des libertés individuelles au contrôle des magistrats du siège.
Il convient en effet de rappeler que le droit antérieur à la loi du 10 juillet 1991, qui a inséré dans le code de procédure pénale les articles 100 à 100-7, limitait le recours aux écoutes au seul juge d'instruction sur le fondement de l'article 81 du même code, la Cour de Cassation ayant formellement exclu l'emploi des écoutes par des OPJ tant au cours de l'enquête de flagrance que préliminaire (Arrêt du 24 novembre 1989 de la Cour de cassation).
Certes, il appartiendra formellement au Juge des libertés et de la détention (ci-après : JLD) d'autoriser la mise en place de ces écoutes mais, comme il a été indiqué précédemment, la volonté du législateur de la loi du 15 juin 2000 de faire du JLD un magistrat d'expérience ayant rang de président ou de vice-président n'est plus partagée par le législateur de 2004 qui prévoit, qu'« en cas d'empêchement », le JLD en titre peut être remplacé par « le magistrat du siège le plus ancien dans le grade le plus élevé », ce qui ne saurait constituer une garantie suffisante de compétence pour effectuer l'ensemble des missions du juge des libertés et de la détention.
En effet, le déséquilibre sera grand entre, d'une part, des magistrats du parquet, hiérarchiquement soumis au Garde des sceaux dont les pouvoirs en matière de direction de l'action publique sont clairement affirmés à l'article 30 nouveau du code de procédure pénale tel que rédigé par l'article 63 du projet de loi et, d'autre part, des JLD inexpérimentés, qui ne sont pas en mesure de posséder des arguments leur permettant de douter du bien-fondé de la demande dont ils sont saisis.
Il convient de rappeler que le JLD n'est pas un juge spécialisé dans sa fonction, mais statuant le plus souvent à ce titre en sus d'autres fonctions. Or, la garantie des libertés suppose un travail de tous les instants. En chargeant sa fonction, paradoxalement, on l'éloigne de la disponibilité nécessaire pour oeuvrer efficacement pour les libertés individuelles.
On le voit, cette procédure, qui transfère au parquet des prérogatives réservées jusqu'alors au seul juge d'instruction, est déséquilibrée car insuffisamment protectrice des droits et libertés constitutionnels et doit donc être, à ce titre, censurée.
En second lieu, la possibilité de sonoriser les domiciles, lieux de travail et véhicules porte gravement atteinte à la liberté individuelle telle que garantie par l'article 2 de la Déclaration de 1789, l'inviolabilité du domicile.
La « sonorisation » et la « fixation d'images », euphémismes pour désigner l'intrusion policière au domicile privé, sont désormais autorisées dans le cadre des informations judiciaires portant sur l'une des infractions relevant de la criminalité organisée au sens des quinze catégories d'infractions définies à l'article 706-73 nouveau. Là encore, l'imprécision du champ de l'article 706-73 nouveau est lourde de conséquence pour les libertés individuelles.
La mise en place d'un Etat d'exception dont les caméras et les micros peuvent pénétrer dans les domiciles, y compris la nuit « à l'insu ou sans le consentement du propriétaire ou du possesseur du véhicule ou de l'occupant des lieux » comme le prévoit le deuxième alinéa de l'article 706-96 nouveau du code de procédure pénale, heurte, de principe et de plein fouet, l'article 2 de la Déclaration de 1789 et le droit à la vie privée.
Le recours à l'autorisation du juge ne peut sauver un tel mécanisme. Sauf à considérer que l'Inquisition, dont les raffinements de procédure n'avaient d'égal que le raffinement de ses techniques d'obtention de l'aveu, offre un modèle de garantie pour les libertés.
Si, pour les seuls besoins du raisonnement, l'on se place du seul côté des garanties, le dispositif proposé à l'article 706-98 nouveau ne supporte pas davantage la critique dès lors qu'il ne prévoit aucune limitation dans le temps du recours aux sonorisations. En effet, celles-ci peuvent être « renouvelées » « dans les mêmes conditions de forme et de durée », à savoir par période de quatre mois. Or, vous avez toujours veillé à ce que le législateur s'assure que le recours aux mesures d'investigation les plus intrusives soit strictement nécessaire et limité dans le temps.
En l'espèce, cette condition fait radicalement défaut et, en conséquence, porte une atteinte disproportionnée à la liberté individuelle et au droit à la vie privée ainsi qu'à l'inviolabilité du domicile2.
C'est pourquoi, les auteurs de la saisine, profondément attachés au droit à la sécurité pour tous, ne peuvent accepter que celle-ci justifie le recours à tous les moyens dont le prix à payer en termes de libertés est extravagant d'autant qu'aucune garantie procédurale n'est véritablement offerte.
I.7. L'article 706-104 nouveau du code de procédure pénale écarte toute nullité en cas de pratique abusive et autre détournement de procédure
Comme vous l'avez admis en matière de lutte contre la fraude fiscale, « pour faire pleinement droit de façon expresse tant aux exigences de la liberté individuelle et de l'inviolabilité du domicile » qu'à celles de la lutte contre la criminalité et la délinquance organisée, la loi, sous peine d'être déclarée inconstitutionnelle, doit « être assorties de prescriptions et de précisions interdisant toute interprétation ou toute pratique abusive » (Décision n°83-164 DC du 29 décembre 1983).
Cette décision préfigure celle du 3 septembre 1986, par laquelle vous avez certes admis une procédure dérogatoire au droit commun pour la répression des actes de terrorisme, mais censuré un article qui étendait ces règles dérogatoires à de trop nombreuses infractions en considérant que « les règles de composition et de procédures dérogatoires au droit commun qui trouvent, selon le législateur, leur justification dans les caractéristiques spécifiques du terrorisme ne sauraient, sans porter atteinte au principe d'égalité devant la justice, être étendues à des infractions qui ne présentent pas les mêmes caractéristiques et qui ne sont pas nécessairement en relation avec celles visées à l'article 706-16 nouveau du code de procédure pénale » (Décision n° 86-213, avant dernier considérant).
Or, l'article 706-104 nouveau dispose que le fait qu'à l'issue de l'enquête ou de l'information ou devant la juridiction de jugement la circonstance aggravante de bande organisée ne soit pas retenue « ne constitue pas une cause de nullité des actes régulièrement accomplis ».
Par cette disposition, le législateur permet donc que la procédure pénale d'exception devienne celle de droit commun et méconnaît le principe constitutionnel de proportionnalité entre la nature des opérations mises au service de l'élucidation des affaires et la protection des libertés individuelles.
Il est vrai que les articles 706-24, 706-28 et 706-35, inscrits dans le Livre IV du code de procédure pénale intitulé « de quelques procédures particulières », instaurent des cadres dérogatoires de perquisitions en matière de terrorisme, de stupéfiant et de proxénétisme. Mais, contrairement à la loi contestée, ils excluent expressément la validation des procédures incidentes en disposant que « ces opérations ne peuvent, à peine de nullité, avoir un autre objet que la recherche et la constatation des infractions » autres que celles prévues en matière de terrorisme, de stupéfiant ou de proxénétisme.
Seule cette garantie procédurale, vous a permis d'accepter la création de procédures dérogatoires au droit commun en notant que le législateur « a précisé [...] que les opérations en cause ne peuvent, à peine de nullité, laquelle revêt un caractère d'ordre public, avoir un autre objet que la recherche et la constatation des infractions qu'il a visées » (Décision n°96-377 du 16 juillet 1996).
Pour cette raison, et a fortiori pour des infractions couvrant un champ d'application beaucoup plus large que celui couvert par les articles 706-24, 706-28 et 706-35, vous ne pourrez que constater qu'en l'espèce le législateur, en écartant « la seule garantie procédurale appropriée » à la création de procédures dérogatoires et exceptionnelles, a porté une atteinte particulièrement grave - et inédite - aux droits et libertés constitutionnellement protégés.
De tous ces chefs, la censure des articles 1er et 14 de la loi est certaine.

II. Sur l'article 63 de la loi
Cette disposition modifie l'article 30 du code de procédure pénale en donnant au ministre de la justice la faculté de donner des instructions individuelles et écrites versées au dossier. Ce pouvoir doit être mis en perspective avec les modifications de la procédure pénale organisées par le reste de la loi en cause et notamment du rôle des procureurs dans la direction des enquêtes et dans le prononcé des sanctions.
Elle méconnaît le principe de la séparation des pouvoirs et ensemble les articles 2 et 16 de la Déclaration de 1789, et l'article 66 de la Constitution.
La possibilité ouverte au Garde des Sceaux d'orienter la conduite de l'action publique et donc, par exemple, de favoriser des qualifications plus ou moins graves de conséquences, telle l'une de celle figurant à l'article 706-73 nouveau, et de demander le jugement de telle ou telle affaire selon la procédure de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, lui permet de s'immiscer directement dans la conduite du procès pénal.
Tout le monde mesure à quel point cette immixtion du pouvoir exécutif dans la conduite, non pas d'une politique publique relevant de l'article 20 de la Constitution, mais du procès pénal concernant des individus renverse la logique de notre système démocratique. Un ministre pourra donc influencer directement l'appréciation d'une faute individuelle par l'autorité judiciaire, y compris après avoir contribué au choix d'une procédure attentatoire aux libertés. L'exemple est simple : l'instruction donnée de choisir une qualification de délit commis en bande organisée conduira à appliquer le régime de garde à vue prolongée, de sonorisation des domiciles privés, des perquisitions nocturnes
Ni la sûreté, ni la garantie des droits ne peut être alors regardée comme assurée. La séparation des pouvoirs n'est plus déterminée.
Il faut, d'ailleurs, s'interroger sur le risque pour le principe d'égalité devant la loi d'une telle participation politique au procès pénal.
Un tel pouvoir, inscrit dans une évolution si particulière de notre procédure pénale, ne peut être constitutionnellement admis.

III. Sur l'article 137 de la loi
Cet article crée une section 8 dans le Chapitre Ier du Titre II du Livre II du code de procédure pénale, articles 495-7 et suivants, organisant la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Cette procédure dite du « plaider coupable » donne le pouvoir au procureur de la République de proposer à la personne poursuivie pour un délit puni de cinq ans au plus de prison, une sanction qui sera homologuée par un juge du siège. Si cette procédure se déroule en présence de l'avocat du prévenu, elle a lieu hors toute publicité. Seule la lecture de l'éventuelle ordonnance d'homologation est publique. Quant à la victime identifiée, elle n'est appelée qu'au stade de l'homologation pour faire valoir ses intérêts civils.
Une telle procédure méconnaît le droit à un procès équitable, le principe de présomption d'innocence et l'égalité devant la justice.
III.1. Sur la méconnaissance du droit à un procès équitable
Confronté à un mécanisme de même nature mais de portée bien moindre, vous avez jugé « qu'en vertu de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable ; qu'en vertu de l'article 66 de la Constitution, l'autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle ; que le principe du respect des droits de la défense constitue un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République réaffirmés par le Préambule de la Constitution de 1946, auquel se réfère le Préambule de la Constitution de 1958 ; qu'il implique, notamment en matière pénale, l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties ; qu'en matière de délits et de crimes, la séparation des autorités chargées de l'action publique et des autorités de jugement concourt à la sauvegarde de la liberté individuelle » (Décision n° 95-360 DC du 2 février 1995).
(i) Au cas présent, la procédure critiquée met dans la main de l'autorité de poursuite, la possibilité de proposer la peine d'emprisonnement ou / et d'amende encourue. Le principe de séparation des autorités chargées de l'action publique et des autorités de jugement est violé. Il importe de relever que cette phase de la procédure n'est pas publique. A cet égard, la présence de l'avocat ne peut suffire pour contrebalancer la confusion des pouvoirs ainsi confiés au ministère public.
Le droit à un procès équitable qui comprend l'égalité des armes, ne peut se satisfaire d'une phase de procédure au cours de laquelle, la personne poursuivie sera en situation de subir une pression réelle sous la menace d'un placement en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire, ou d'une aggravation de la sanction encourue en cas de refus de la proposition du procureur. L'assistance de l'avocat pour indispensable qu'elle soit n'est pas suffisante dans une telle situation.
Cette méconnaissance des principes directeurs du procès pénal, qui concerne environ la moitié des infractions prévues par le code pénal, est d'autant moins acceptable que le ministère public est placé sous l'autorité renforcée du ministre de la justice et des procureurs généraux, ainsi que le prévoit les articles 63 et 64 de la présente loi. Or, parallèlement, comme cela a déjà été dit, les garanties d'indépendance des magistrats du parquet sont demeurées figées et la révision constitutionnelle votée dans les mêmes termes par les deux assemblées à cette fin est toujours en attente d'une convocation du Congrès.
Autrement dit, on augmente le pouvoir hiérarchique sur le ministère public pour dans le même mouvement accroître ses pouvoirs en rompant le principe de séparation des autorités de poursuite et des autorités de jugement.
Une telle évolution méconnaît le droit à un procès équitable tel que garanti constitutionnellement.
C'est en vain que l'on opposerait à cette méconnaissance des droits fondamentaux, la compétence d'homologation reconnue à un magistrat du siège. D'abord, le fait que cette phase procédurale intervienne ultérieurement rompt l'unité du procès pénal et ne rétablit aucun équilibre. Ensuite, et ce point mérite d'être développé par la suite, l'homologation a lieu en chambre du conseil, soit sans publicité. Ce qui du point de vue du droit à un procès équitable pose un problème dirimant.
(ii) Une autre atteinte insupportable au droit à un procès équitable découle de l'absence de publicité des débats précédant l'homologation.
Les droits de la défense ne se résument pas à la présence de l'avocat et, en écho à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, exige que la procédure soit publique. C'est là une garantie de l'indépendance et de l'impartialité de la juridiction qui prononce la sanction, une garantie contre les pressions que pourrait subir un accusé et que la présence de l'avocat ne suffirait pas à surmonter tant elle serait forte, une garantie de l'égalité des armes, une garantie aussi pour la société que la justice est la même pour tous.
Encore une fois, le renforcement du pouvoir hiérarchique pesant sur les magistrats du parquet rend plus inacceptable la mise en oeuvre d'une procédure à moitié secrète.
En rendant la justice au nom du peuple souverain, l'autorité judiciaire le fait aussi sous son regard. Il en va de la séparation des pouvoirs au sens même que lui donne l'article 16 de la Déclaration de 1789.
S'en affranchir serait livrer la justice à la suspicion et le pacte républicain à la tempête.
Nul ne pourrait admettre que la seule lecture publique de l'ordonnance d'homologation puisse constituer au regard des ces principes si essentiels à une société démocratique, une mesure de nature à respecter le principe de publicité au coeur du droit à un procès équitable.
III.2. Sur le principe de la présomption d'innocence
L'article 9 de la Déclaration de 1789 garantit la présomption d'innocence. Ce principe de valeur constitutionnelle constitue en définitive une règle de procédure imposant à l'autorité de poursuite de faire la preuve de la culpabilité de la personne mise en cause. Son lien avec l'égalité des armes dans le procès pénal est évident.
C'est ainsi que vous avez validé certaines dispositions du traité portant création de la Cour pénale internationale en considérant que « l'accusé bénéficie de la garantie de ne pas se voir imposer le renversement du fardeau de la preuve ni la charge de la réfutation pour en déduire que sont en conséquence respectées les exigences qui découlent de l'article 9 de la Déclaration » (Décision n° 98-408 DC).
Il s'en infère que la personne poursuivie ne saurait être placée en situation de s'accuser elle-même, mais seulement de reconnaître les faits prouvés au préalable par l'autorité de poursuite. Cela suppose que les conditions de la procédure soit équilibrées pour pallier toute reconnaissance de culpabilité trop large ou trop soudaine pour éviter de subir une sanction excessivement lourde.
Or, le système critiqué instaure davantage une présomption de culpabilité qu'un aménagement de la présomption d'innocence. Surtout, les conditions de la procédure, dont l'absence de publicité des débats et l'absence de la victime dans la première phase de la comparution, ôtent toute cohérence à l'administration de la preuve pénale.
III.3. Sur la méconnaissance du principe d'égalité devant la justice qui découle de celui d'égalité devant la loi
Le principe d'égalité devant la justice que vous avez consacré à de multiples reprises est ici méconnu d'un triple point de vue. D'abord, à l'égard des personnes poursuivies pour les mêmes faits. Ensuite, en ce qui concerne les victimes des infractions. Enfin, au regard de la société dans son ensemble.
(i) Le principe d'égalité devant la justice exige que toute personne jugée pour les mêmes faits le soit dans les mêmes conditions. Or, en organisant une procédure hors publicité, pour l'essentiel du procès, rien ne garantit que les propositions de peine seront faites sur des bases objectives et rationnelles.
(ii) Comme vous l'avez jugé, le droit à un procès équitable et le principe d'égalité devant la justice impose que les parties au procès pénal soient traitées de façon équilibrée. En l'espèce, cela n'est pas possible dès lors que la victime sera exclue de la phase au cours de laquelle sera établie la matérialité des faits et la culpabilité de la personne poursuivie.
Concevoir que cette première phase du procès pénal puisse se dérouler en l'absence de la victime, outre qu'elle révèle une méconnaissance grave de la réalité judiciaire, heurte l'égalité des parties et empêche que le principe de la contradiction qui figure au coeur des droits de la défense remplisse son office. La vérité ne peut y trouver son compte pas plus que la paix sociale.
L'arrivée de la victime identifiée, ce qui permet de s'interroger sur celles ne l'étant pas, au stade de l'homologation ne peut compenser son absence pendant la phase cruciale au cours de laquelle les faits et leur portée seront admis ou récusés.
Il convient de s'interroger sur la proposition de sanction en l'absence de la victime et donc de l'impossibilité de mesurer la réalité du dommage subi par elle, pris dans toutes ses dimensions, et du trouble concrètement causé à l'ordre social.
Ceci constitue un obstacle à la manifestation de la vérité, et peut, paradoxalement, contrarier le principe de la présomption d'innocence qui, parfois, peut bénéficier des lumières de la victime.
C'est là une régression sans précédent quant aux droits des victimes.
(iii) Enfin, l'égalité devant la loi constitue une exigence pour la société dans son ensemble. La confiance dans l'institution judiciaire repose aussi sur la certitude que la justice sera égale pour tous. La nécessité et la proportionnalité des peines, la prise en compte de la personnalité de la personne en cause, sont autant d'éléments qui peuvent conduire à des décisions différentes.
Mais, ces décisions de justice toujours uniques sont acceptables car placées sous le regard du peuple souverain. Pour reprendre l'expression de nos amis britanniques, il ne suffit pas que la justice soit rendue, il faut encore que l'on ait le sentiment qu'elle l'a été.
Une procédure à moitié secrète qui n'exclut pas les pressions sur certaines personnes poursuivies ou la bienveillance pour d'autres, la présence retardée de la victime, le poids renforcé de l'autorité hiérarchique du ministre de la justice et des procureurs généraux sur les procureurs investis de ces nouveaux pouvoirs, ne sont pas de nature à satisfaire le principe d'égalité devant la justice.
Sa revendication est de tous les instants. Aujourd'hui, plus que jamais, elle doit être entendue.
De tous ces chefs, la censure est encourue.

IV. Sur l'article 48 de la loi
Cet article institue un fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles, y compris les mineurs, assorti de contraintes à respecter sous le contrôle des autorités de police ou de gendarmerie.
Les auteurs de la saisine ne peuvent qu'être en accord avec l'utilisation de moyens de nature à prévenir les infractions sexuelles et ont, en leur temps, agi dans ce sens.
Il demeure néanmoins, qu'en l'espèce, ce mécanisme méconnaît l'article 8 de la Déclaration de 1789 et le principe fondamental reconnu par les lois de la République de spécialité du droit des mineurs, et le droit à la vie privée. En particulier, la disproportion manifeste entre le régime choisi et les contraintes pesant sur la liberté individuelle sont constitutionnellement inacceptables.
(i) L'inscription des mineurs de plus de 10 ans dans un tel fichier viole le principe fondamental que vous avez consacré dans votre décision du 29 août 2002 et notamment l'idée de mesure éducative propre à faciliter la réinsertion sociale et la construction de sa personnalité. La stigmatisation qui s'ensuivra sera certainement destructrice. Elle pourra durer pendant deux ou trois décennies.
(ii) La disproportion manifeste est caractérisée dès lors que les personnes condamnées seront obligés de pointer deux fois par an au service de police ou de gendarmerie de son département pour justifier son adresse. Or, cette mesure confond la peine prononcée et la peine encourue. Autrement dit, sera fichée la personne non pas selon la peine prononcée mais selon la sanction théorique qu'elle a encourue.
L'absence de nécessité au sens de l'article 8 de la Déclaration de 1789 est flagrante.
(iii) Le croisement desdits fichiers que permettent les articles critiqués allant au-delà des seules autorités de police et de gendarmerie, comprenant donc des administrations, porte une atteinte disproportionnée à la vie privée de chaque individu.
Pour toutes ces raisons, la censure est encourue.