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Décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003 - Réplique du gouvernement

Loi relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité
Non conformité partielle

Dans de nouveaux mémoires adressés au Conseil constitutionnel à l'appui des recours dirigés contre la loi relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, les députés et sénateurs requérants invoquent de nouveaux griefs articulés contre les articles 31 et 76 de la loi. Ces mémoires complémentaires appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

I/ Sur l'article 31
A/ L'article 31 de la loi déférée insère un article 21 quater à l'ordonnance du 2 novembre 1945 qui réprime le fait de contracter un mariage aux seules fins d'obtenir ou de faire obtenir un titre de séjour, ou aux seules fins d'acquérir ou de faire acquérir la nationalité française.
Les parlementaires requérants soutiennent que cette disposition méconnaîtrait le principe de légalité des délits et des peines ainsi que le principe de la nécessité des peines, résultant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
B/ Ces critiques ne sont pas fondées.
1/ Il faut relever que le législateur a déterminé les éléments constitutifs de l'infraction en des termes clairs et précis qui satisfont aux exigences issues de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme relatives à la légalité des délits et des peines (décision n°80-127 DC des 19 et 20 janvier 1981 ; décision n°84-176 DC du 25 juillet 1984 ; décision n°84-183 DC du 18 janvier 1985). Il a, en effet, défini avec une précision et une clarté suffisantes les éléments constitutifs des deux catégories d'infractions que la loi entend réprimer : le fait de participer volontairement à un mariage de complaisance d'une part, le fait d'organiser ou de tenter d'organiser un mariage de complaisance d'autre part.
En usant de la formule « aux seules fins » d'obtenir un titre de séjour ou d'acquérir la nationalité française, le législateur a défini l'infraction de manière particulièrement exigeante. Il appartiendra à la partie poursuivante de démontrer, à partir de faits objectifs, que la personne poursuivie n'a agi que dans le but exclusif d'obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour ou d'acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité française. Le juge répressif ne prononcera de condamnation que pour autant qu'il estimera que l'infraction, ainsi définie, a été commise. S'il est vrai que le législateur n'a pas eu fréquemment recours à une telle formule pour caractériser une infraction, on peut observer qu'elle n'est pas sans précédent à propos de dispositions relatives à des procédures pénales (V. par exemple les articles L225-5 ou L 330-2 du code de la route à propos de l'identification d'auteurs d'infraction, l'article R 221-30 du code rural, l'article 3 de la loi n°91-1264 du 19 décembre 1991 relative au renforcement de la lutte contre le trafic des stupéfiants pour une disposition spéciale d'amnistie, l'ancien article R 10-1 du code des postes et télécommunications ou l'article R 10-4 du nouveau code). Elle est, en tout cas, suffisamment précise par elle-même pour satisfaire aux exigences constitutionnelles.
2/ Au regard du principe de nécessité des peines, résultant également de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, il faut rappeler que le Conseil constitutionnel juge constamment qu'il ne dispose pas d'un pouvoir d'appréciation et de décision identique à celui du Parlement et que, en l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue, il ne lui appartient pas de substituer sa propre appréciation à celle du législateur (décision n°80-127 DC des 19 et 20 janvier 1981 ; décision n°92-316 DC du 20 janvier 1993 ; décision n°99-411 DC du 16 juin 1999).
Au cas présent, le législateur a pris en considération la nécessaire sauvegarde de l'ordre public en cherchant à dissuader les réseaux organisateurs de mariages de complaisance ainsi que les personnes qui sont parties à ces mariages. Il n'apparaît pas qu'il ait fixé des peines manifestement disproportionnées par rapport aux manquements qu'il entend réprimer. Il faut souligner que les peines mentionnées par l'article 31 sont naturellement des peines maximales, qu'elles prévoient une gradation selon que l'infraction est le fait d'une bande organisée ou d'une personne morale et qu'elles sont cohérentes avec celles prévues par l'article 21 de l'ordonnance de 1945 pour réprimer l'infraction d'aide à l'entrée et au séjour irréguliers.

II/ Sur l'article 76
A/ L'article 76 modifie l'article 175-2 du code civil et prévoit que l'officier de l'état civil peut saisir le procureur de la République lorsqu'il existe des indices sérieux laissant présumer qu'un mariage envisagé est susceptible d'être annulé et qu'il informe immédiatement le préfet de cette situation.
Les critiques soulevées à propos de cet article par les saisines mettaient en cause l'intervention du procureur de la République, susceptible de conduire à différer ou à empêcher la célébration du mariage. Il a été répondu à ces critiques dans les observations déjà produites par le Gouvernement.
Les députés requérants, dans leur mémoire complémentaire, mettent, en outre, en cause l'information du préfet telle qu'elle a été prévue par l'article 76 de la loi déférée.
B/ Ces critiques supplémentaires appellent, de la part du Gouvernement, les précisions suivantes.
1/ En premier lieu, il faut souligner que l'argumentation du mémoire complémentaire apparaît, en droit, inopérante. La circonstance que le préfet, lorsqu'il constate qu'un étranger est en situation irrégulière, décide de prendre à son encontre un arrêté de reconduite à la frontière, ne remet pas en cause le droit de l'intéressé de se marier. A la différence de l'intervention du procureur de la République, qui peut juridiquement conduire à interdire la célébration du mariage, il faut noter que les pouvoirs de police administrative confiés au préfet ne portent que sur le séjour des étrangers en France et n'interfèrent juridiquement pas avec le mariage.
Le préfet peut certes tirer des conséquences de l'irrégularité du séjour, mais une mesure de reconduite à la frontière n'a nullement pour objet et ne saurait avoir pour effet d'interdire à des personnes de se marier. On doit, à cet égard, souligner qu'un projet de mariage avec un ressortissant français, ou avec un étranger résidant régulièrement en France, conduit à la délivrance d'un visa pour l'étranger qui entend se marier. Ce visa permet la célébration du mariage et les liens matrimoniaux consacrés emportent ensuite, de plein droit, la délivrance d'une carte de séjour temporaire. La liberté de se marier n'apparaît pas en cause ; elle peut être parfaitement mise en oeuvre dans le cadre des procédures prévues par la loi.
C'est ce qui conduit le Conseil d'Etat à juger, de manière constante, que l'intervention d'un arrêté de reconduite à la frontière ne méconnaît pas en principe l'article 12 de la convention européenne des droits de l'homme sur le droit au mariage, cet arrêté n'ayant ni pour objet ni pour effet d'interdire à l'intéressé de se marier (CE 10 novembre 1995, Préfet des Yvelines c/ Mlle El Azzouzi, Rec. tables p.837). Le Conseil d'Etat se réserve toutefois la possibilité de censurer un arrêté de reconduite pour détournement de pouvoir, notamment lorsqu'il apparaît que l'autorité administrative a agi avec précipitation dans le seul but d'interdire la célébration du mariage (CE 29 juillet 2002, Préfet de l'Hérault c/ Akalai, n°237832 à mentionner aux tables ; à comparer, dans une situation d'espèce différente où le caractère frauduleux d'un mariage apparaissait avéré, avec CE référé 27 janvier 2003, Bena, n°253216, à mentionner aux tables).
2/ En deuxième lieu, il faut relever que l'officier de l'état civil ne sera en situation d'informer le préfet que dans l'hypothèse où il aura auparavant saisi le procureur de la République, c'est à dire lorsqu'il aura estimé disposer d'indices sérieux indiquant que le mariage est entaché d'un vice de consentement. L'information du préfet ne sera pas systématique : elle ne sera que la conséquence de la saisine préalable du procureur. Comme cette dernière ne sera faite qu'en cas de doute sérieux sur l'authenticité du projet de mariage, le préfet ne devrait pas être informé, en vertu des nouvelles dispositions de l'article 175-2 du code civil, de l'irrégularité du séjour si le projet de mariage est sincère.
Cette lecture de la loi résulte de la lettre des deux premiers alinéas de l'article 175-2 du code civil tels qu'issus de la loi déférée. La construction du premier alinéa suggère l'unicité de la procédure : l'officier de l'état civil, constatant l'existence d'indices sérieux d'un défaut de consentement, peut - sans y être tenu - saisir le procureur ; c'est dans ce cas, et dans lui seul, qu'il doit alors informer le préfet. Le second alinéa, qui prévoit en retour que le procureur de la République informe le préfet de sa décision, conforte cette lecture d'une procédure unique. Si le législateur avait entendu mettre en place deux procédures parallèles et indépendantes l'une de l'autre, il aurait retenu un autre parti rédactionnel marquant nettement l'information systématique du préfet d'une part, la saisine éventuelle du procureur de la République de l'autre.
Dans ces conditions, alors que ne sont en cause que des projets de mariage frauduleux, il ne paraît pas qu'il soit porté une atteinte excessive à la liberté du mariage constitutionnellement garantie.
3/ En troisième lieu, on doit rappeler que les modifications apportées par le législateur visent à permettre de mener une lutte plus efficace contre les mariages de complaisance et les mariages forcés.
Il faut souligner que le mariage d'un étranger en situation irrégulière avec un ressortissant français ou un étranger en situation régulière constitue aujourd'hui une voie d'accès privilégiée au séjour en France et à la nationalité française. L'utilisation du mariage dans de tels buts constitue un phénomène dont l'ampleur peut apparaître désormais préoccupante : on constate que la suppression, par la loi du 11 mai 1998, de la condition de séjour régulier pour obtenir une carte de séjour temporaire dans ce cas de figure a entraîné une augmentation de 470 % du nombre de ces cartes en cinq ans. On constate parallèlement une augmentation du nombre de demandes en nullité de mariage. Même si le nombre total de demandes en nullité de mariage demeure faible en valeur absolue - ce qui peut s'expliquer notamment par le fait que dans de nombreux cas aucun des conjoints n'a intérêt à dénoncer la situation -, il est significatif de relever que les demandes en nullité qui résultent des démarches des consuls au stade de la transcription du mariage (art. 170-1 du code civil) ont augmenté de 18 % en 2000 et de 38 % en 2001. Les demandes en nullité faites en France ont, pour leur part, augmenté de 60 % de 1997 à 2001 (et de 22 % sur la seule année 2001).
C'est au vu de cette situation que le législateur a entendu adopter les dispositions déférées. Alors que la liberté du mariage est en tout état de cause pleinement garantie par l'application de la procédure de droit commun prévoyant la délivrance d'un visa et, une fois le mariage célébré, la délivrance d'une carte de séjour temporaire, le législateur, en adoptant les termes de l'article 175-2 du code civil, ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte excessive à la liberté du mariage. Il a pris en considération l'impératif de sauvegarde de l'ordre public en adoptant une mesure destinée à lutter contre des phénomènes en accroissement, qui se traduisent par un détournement de l'institution du mariage dans le seul but d'obtenir un titre de séjour ou d'acquérir la nationalité française.

Le Gouvernement estime ainsi qu'aucun des griefs articulés par les mémoires complémentaires des députés et sénateurs saisissants n'est de nature à justifier la censure par le Conseil constitutionnel des dispositions déférées.